Chanteur engagé, Fadal Dey jette un regard critique sur la situation sociopolitique. De l’insécurité à la cherté de la vie en passant par la réconciliation, le chanteur crache ses vérités. Entretien.
Le Patriote : Vous étiez il y a quelques semaines dans le Grand Nord lors de la visite du Chef de l’Etat dans le District des Savanes. Quels enseignements tirez-vous de ce séjour ?
Fadal Dey : Je voudrais d’abord dire merci aux organisateurs pour m’avoir associé à cette tournée du Président de la République. C’est la première fois qu’on m’associe à un tel événement. Donc, j’en suis ravi. C’est toujours un plaisir pour un artiste d’être en contact avec son public. J’ai beaucoup de fans dans le Grand Nord. Partout où je suis passé, ils m’ont montré qu’ils m’aimaient. Cela dit, c’est toujours bien pour un Président de la République d’aller au contact de sa population. Cela lui permet de s’imprégner de certaines réalités, notamment l’épineuse question de l’insécurité. A quelques kilomètres de son village (Kong), un cortège d’un haut responsable de l’ADDR a été attaqué par les coupeurs de routes, ça veut dire qu’il y a des gens qui détiennent encore des armes. Juste après la tournée du Président de la République, un car a été mitraillé par des coupeurs de routes entre Djébonoua et Bouaké. Ce qui veut dire que le Président de la République sait aujourd’hui que malgré tous les efforts qu’il fait, il y a un problème d’insécurité. Donc, il faut ceux qui détiennent des armes afin qu’ils les déposent. Et il faut surtout, si on veut réintégrer des soldats dans l’armée, que ce soit ceux qui ont vraiment fait la guerre, qui ont combattu. S’il y a des gens qui font du favoritisme, qu’ils arrêtent cela. Il y va de notre sécurité, de notre vie. Et le Président de la République aujourd’hui en allant au Nord, a touché du doigt ce problème.
LP : Est-ce à dire que ces attaques sont le fait des ex-combattants non encore démobilisés ?
FD : Ceux qui attaquent les honnêtes citoyens sur les routes du Nord détiennent des kalaches, et non de petits pistolets. C’est dire qu’ils manier les armes de guerre. Il faut vraiment prendre cette histoire de démobilisation et de désarmement des ex-combattants au sérieux. Je ne dis pas que ça ne se fait pas, mais vu tout ce qui se pose comme actes dans le pays, il y a un réel problème d’insécurité. C’est vrai que le Président réalise pas mal de choses. Il y a des routes qui sont en train d’être faites. Des ponts sont en train d’être construits. Mais si vous faîtes de grandes routes, et sur ces mêmes routes, on tue des Ivoiriens, c’est qu’il y a problème. Aujourd’hui, le combat du Chef de l’Etat doit être vraiment la sécurité des Ivoiriens.
LP : Mais, il y a aussi la question de la cherté de la vie qui préoccupe les Ivoiriens…
FD : C’est une question de décision politique. Il suffit aux autorités de fixer le prix des denrées de première nécessité en faisant injonction aux commerçants de les respecter, sous peine d’être sanctionnés. Si Macky Sall l’a fait au Sénégal, c’est qu’on peut le faire ici. En plus de contrôler les prix sur le marché pour éviter, il faut initier une politique d’autosuffisance alimentaire en investissant dans la terre. Si nous arrivons à produire l’essentiel de ce que nous produisons, cela pourrait aider à lutter contre la cherté de la vie.
LP : Toujours à propos de la cherté de la vie, Fadal Dey prépare pour son prochain album, un titre spécial sur la question qui s’intitule «Président, les Ivoiriens vous parlent ». Que dîtes-vous concrètement dans cette chanson ?
FD : Je dis clairement au Président de la République, que je vis dans le peuple. J’entends donc ce qui se dit matin, midi et soir. Les gens parlent, la vie est chère. Les gens parlent, tout a augmenté sur le marché. Quand le Président était dans l’opposition, je me rappelle très bien, lui-même, il disait que les Ivoiriens n’arrivaient pas à manger 3 fois par jour. Mais aujourd’hui, c’est devenu pire. Avant, c’étaient les paniers que nos mamans utilisaient pour faire le marché. Aujourd’hui, ce sont les sachets noirs pour ne pas qu’on sache ce qui est dedans. Au Président de la République, je dis que les prix du riz, des denrées de première nécessité ont augmenté. Et les Ivoiriens mangent mal. C’est ce que je lui rappelle dans cette chanson. Parce que je sais le chemin qu’il a traversé pour être là. Je ne veux pas le blaguer. Moi, je préfère parler avec lui des réalités du peuple. Car, je suis le député du peuple. C’est ça le reggae man.
LP : Il semble que vous lancez aussi sur cette œuvre un appel à l’apaisement…
FD : Effectivement. Mais, je m’insurge contre les attaques contre le pays, avec «Arrêtez ça». Dans cette chanson, je dis qu’il y a un temps pour faire la guerre, et aussi un temps pour faire la paix. Je demande aux uns et aux autres de tourner le dos à la violence. Pour aller plus loin, j’ai même composé «Je suis FRCI». Mais ce «FRCI » veut dire Fan de la République de Côte d’Ivoire. Et tous ceux qui sont fans de la République de Côte d’Ivoire doivent se retrouver dans cette chanson. Parce que c’est la terre de nos ancêtres. C’est notre terre à tous. On est tous parti de quelque part pour venir construire cette nation. C’est un album de 17 titres qui s’intitule « Jamcoco». Ce qui signifie dans notre jargon «Jamais». Pour dire que nul ne doit prédire le destin de son semblable. On a dit d’une personnalité de ce pays qu’il ne sera jamais président, on sait la suite. Quand je chantais, certains m’ont dit que je n’allais jamais briller. Il ne faut jamais dire jamais dans la vie.
LP : L’un des chantiers difficiles du pouvoir, c’est aussi la réconciliation. Comment expliquez-vous que jusqu’aujourd’hui le train de la réconciliation ait encore du mal à atteindre sa vitesse de croisière ?
FD : Il faut qu’on comprenne une chose. La réconciliation en Côte d’Ivoire, ce n’est pas celle des politiciens. Il s’agit plutôt de la réconciliation des peuples de Côte d’Ivoire. Et en général, il n’y a pas de problème entre les Ivoiriens. Nous vivons en harmonie. On n’a jamais entendu depuis que la crise postélectorale est finie que dans telle ville, les Malinkés et les Bétés se sont frappés, ou bien les Attiés et les krous se sont battus ici, ou encore il y a eu des affrontements entre les Sénoufo et les Baoulés. Non ! Si les politiciens ne veulent pas s’entendre, c’est leur problème.
LP : Vous n’allez quand même pas nier que les Ivoiriens restent encore divisés, deux ans après la fin de la crise postélectorale ?
FD : Dans n’importe quel pays, il y a des divisions. On ne peut pas être d’accord sur tout. Mais, il n’y a pas d’animosité entre les Ivoiriens. Et je pèse mes mots. Parce que s’il y avait de l’animosité en tant que tel, ceux qui sont arrivés au pouvoir allaient vraiment se venger. Et on allait connaître un autre génocide en Côte d’Ivoire. Ils ont bien compris le message du Président de la République qui a demandé qu’il n’y ait pas de vengeance. Parce que nous avons connu l’article 125 (pétrole 100 FCFA et boîte d’allumette 25 FCFA), qui consistait à brûler vif des personnes. Les images sont là. Et les populations du Nord ont décidé de ne pas se venger. Je ne veux pas mettre de l’huile sur le feu, mais pendant la guerre, citez moi combien de prêtres, ou combien de pasteurs ont été tués ? Mais, au moins cinq imams ont été tués. Les musulmans ne se sont pas vengés. C’est pour vous dire que dans le fonds, il n’y a pas d’animosité entre les Ivoiriens. Mais, certains politiciens sont en train de tirer sur la corde pour ne pas que ça finisse. A ces politiciens-là, comme l’a dit le Chef de l’Etat l’autre jour, le train de la paix est en train de passer, qu’ils montent à bord. On peut faire la politique autrement. La démocratie, c’est on gagne ou on perd et non on gagne ou on gagne.
LP : Le débat sur la réforme du code portant la nationalité fait rage en ce moment. D'un côté, il y a ceux qui sont pour et de l'autre, ceux qui sont contre. Dans quel camp vous situez-vous ?
FD : Je suis pour la reforme de cette loi. Ce sera justice faite. On ne doit pas rendre 400 000 personnes, selon les statistiques officiels, apatrides. Beaucoup d'entre eux n'ont pas exercé leur droit d'option, par ignorance et analphabétisme. Ils ne savaient pas, pour la plupart, s'ils devaient le faire ou non. Doit-on les sacrifier pour des calculs politiciens ? Je dis non. J'entends des gens parler de « bradage » de la nationalité ivoirienne ou encore de bétail électoral que le président Ouattara veut constituer. Ce n'est que de la manipulation et de l'intox, car les textes sont clairs. Un naturalisé ne peut exercer son droit de vote que cinq ans après sa naturalisation. Ce qui veut dire que si la situation de ces personnes est régularisée aujourd'hui, elles ne pourront pas voter avant 2018, alors que la présidentielle a lieu en 2015. Il s'agit ici d'une question humaine et non politique. Il faut donc reformer sans hésitation le code portant la nationalité. Si on veut bâtir un Etat de droit, cela passe par là.
LP : Que pensez-vous de la réaction du FPI qui ne semble pas vouloir se repentir des crimes qu’il a commis ?
FD : Nous devons tous être habités par l’humilité. Chacun de nous a posé quelque part un acte. Moi, Fadal Dey, je demande pardon à la population. Parce que quelque part, certains m’ont vu comme un chanteur RDR, d’autres comme un chanteur FPI, ou un pro-rebelle. Si cela a offensé des gens, j’ai le devoir de me repentir et de leur demander pardon. Aucun parti politique n’est innocent dans ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Donc les dirigeants du FPI doivent avoir l’humilité, s’ils aiment vraiment la Côte d’Ivoire, de demander pardon aux Ivoiriens. Même à leurs militants. Qu’ils aient l’humilité de demander pardon. Cela va encore apaiser le climat politique. Et puis, on va avancer. S’ils ne le font pas, c’est grave d’abord pour eux-mêmes et ensuite pour la paix. Parce que quand on campe sur une telle position, ça veut dire qu’on est dans une logique guerrière. Et ça, ce n’est pas bien. La Côte d’Ivoire a assez souffert comme ça.
LP : Un de vos pairs a demandé que l’ancien président Laurent Gbagbo doit être libéré…
FD : (il coupe) C’est son opinion. Nous sommes en démocratie, la liberté d’expression existe.
LP : Pensez-vous que Gbagbo doit être libéré ?
FD : Je ne suis pas la justice. Mais, je sais qu’il y a eu la guerre en Côte d’Ivoire et mort d’hommes. La crise postélectorale est née du refus de l’ancien Chef d’Etat de reconnaître sa défaite dans les urnes. Je pense qu’il doit répondre de ses actes devant la justice. S’il est reconnu coupable, il devra être condamné. Parce que des êtres humains ont tués. En Côte d’Ivoire, on avait l’impression, sous l’ancien régime, que la vie humaine n’avait pas d’importance. Personne ne nous dira que Damana Pickas n’a pas déchiré les résultats des élections présidentielles en Côte d’Ivoire pour ne pas que cela soit lu. Personne ne peut aussi nous dire qu’ils n’ont pas empêché la CEI de proclamer les résultats pour que le Conseil Constitutionnel prenne les choses en main. Il faut être méchant et cynique pour ne pas reconnaître cela. Gbagbo a posé un acte, aujourd’hui qu’il réponde de cet acte devant la justice.
LP : Revenons à la musique, votre nouvel album va sortir dans un contexte où il n’y a pas pratiquement plus de marché pour les CD légaux. N’est-ce pas un risque financier ?
FD : C’est mon métier. Je ne vis que de ça. Donc je prends le risque et mon producteur me l’a dit clairement. Il ne veut plus perdre de l’argent. Avec mes petites économies, j’ai décidé de produire mon propre album. Je profite de ton micro pour parler au Président de la République. Si on y prend garde, l’art va mourir en Côte d’Ivoire. Peut-être on va y arriver. Ce que le ministère de la culture est en train de faire, n’est pas son rôle.
LP : Vous parlez de l’aide à la production musicale ?
FD : Non, ce n’est pas une aide. Le rôle du ministère de la Culture et de la Francophonie, n’est pas de trouver un studio d’enregistrement pour les artistes. Le ministère de la culture n’est pas un producteur d’artiste. Le rôle qu’on lui demande, c’est de se battre pour qu’une loi soit votée clairement contre la piraterie des œuvres de l’esprit. Vous ne pouvez pas donner de l’argent, payer des studios d’enregistrement et puis, les œuvres seront piratées. Leur combat n’est pas de financer les studios d’enregistrement, produire quelques artistes pour dire que nous aidons les artistes.
Réalisée par Y. Sangaré
Le Patriote : Vous étiez il y a quelques semaines dans le Grand Nord lors de la visite du Chef de l’Etat dans le District des Savanes. Quels enseignements tirez-vous de ce séjour ?
Fadal Dey : Je voudrais d’abord dire merci aux organisateurs pour m’avoir associé à cette tournée du Président de la République. C’est la première fois qu’on m’associe à un tel événement. Donc, j’en suis ravi. C’est toujours un plaisir pour un artiste d’être en contact avec son public. J’ai beaucoup de fans dans le Grand Nord. Partout où je suis passé, ils m’ont montré qu’ils m’aimaient. Cela dit, c’est toujours bien pour un Président de la République d’aller au contact de sa population. Cela lui permet de s’imprégner de certaines réalités, notamment l’épineuse question de l’insécurité. A quelques kilomètres de son village (Kong), un cortège d’un haut responsable de l’ADDR a été attaqué par les coupeurs de routes, ça veut dire qu’il y a des gens qui détiennent encore des armes. Juste après la tournée du Président de la République, un car a été mitraillé par des coupeurs de routes entre Djébonoua et Bouaké. Ce qui veut dire que le Président de la République sait aujourd’hui que malgré tous les efforts qu’il fait, il y a un problème d’insécurité. Donc, il faut ceux qui détiennent des armes afin qu’ils les déposent. Et il faut surtout, si on veut réintégrer des soldats dans l’armée, que ce soit ceux qui ont vraiment fait la guerre, qui ont combattu. S’il y a des gens qui font du favoritisme, qu’ils arrêtent cela. Il y va de notre sécurité, de notre vie. Et le Président de la République aujourd’hui en allant au Nord, a touché du doigt ce problème.
LP : Est-ce à dire que ces attaques sont le fait des ex-combattants non encore démobilisés ?
FD : Ceux qui attaquent les honnêtes citoyens sur les routes du Nord détiennent des kalaches, et non de petits pistolets. C’est dire qu’ils manier les armes de guerre. Il faut vraiment prendre cette histoire de démobilisation et de désarmement des ex-combattants au sérieux. Je ne dis pas que ça ne se fait pas, mais vu tout ce qui se pose comme actes dans le pays, il y a un réel problème d’insécurité. C’est vrai que le Président réalise pas mal de choses. Il y a des routes qui sont en train d’être faites. Des ponts sont en train d’être construits. Mais si vous faîtes de grandes routes, et sur ces mêmes routes, on tue des Ivoiriens, c’est qu’il y a problème. Aujourd’hui, le combat du Chef de l’Etat doit être vraiment la sécurité des Ivoiriens.
LP : Mais, il y a aussi la question de la cherté de la vie qui préoccupe les Ivoiriens…
FD : C’est une question de décision politique. Il suffit aux autorités de fixer le prix des denrées de première nécessité en faisant injonction aux commerçants de les respecter, sous peine d’être sanctionnés. Si Macky Sall l’a fait au Sénégal, c’est qu’on peut le faire ici. En plus de contrôler les prix sur le marché pour éviter, il faut initier une politique d’autosuffisance alimentaire en investissant dans la terre. Si nous arrivons à produire l’essentiel de ce que nous produisons, cela pourrait aider à lutter contre la cherté de la vie.
LP : Toujours à propos de la cherté de la vie, Fadal Dey prépare pour son prochain album, un titre spécial sur la question qui s’intitule «Président, les Ivoiriens vous parlent ». Que dîtes-vous concrètement dans cette chanson ?
FD : Je dis clairement au Président de la République, que je vis dans le peuple. J’entends donc ce qui se dit matin, midi et soir. Les gens parlent, la vie est chère. Les gens parlent, tout a augmenté sur le marché. Quand le Président était dans l’opposition, je me rappelle très bien, lui-même, il disait que les Ivoiriens n’arrivaient pas à manger 3 fois par jour. Mais aujourd’hui, c’est devenu pire. Avant, c’étaient les paniers que nos mamans utilisaient pour faire le marché. Aujourd’hui, ce sont les sachets noirs pour ne pas qu’on sache ce qui est dedans. Au Président de la République, je dis que les prix du riz, des denrées de première nécessité ont augmenté. Et les Ivoiriens mangent mal. C’est ce que je lui rappelle dans cette chanson. Parce que je sais le chemin qu’il a traversé pour être là. Je ne veux pas le blaguer. Moi, je préfère parler avec lui des réalités du peuple. Car, je suis le député du peuple. C’est ça le reggae man.
LP : Il semble que vous lancez aussi sur cette œuvre un appel à l’apaisement…
FD : Effectivement. Mais, je m’insurge contre les attaques contre le pays, avec «Arrêtez ça». Dans cette chanson, je dis qu’il y a un temps pour faire la guerre, et aussi un temps pour faire la paix. Je demande aux uns et aux autres de tourner le dos à la violence. Pour aller plus loin, j’ai même composé «Je suis FRCI». Mais ce «FRCI » veut dire Fan de la République de Côte d’Ivoire. Et tous ceux qui sont fans de la République de Côte d’Ivoire doivent se retrouver dans cette chanson. Parce que c’est la terre de nos ancêtres. C’est notre terre à tous. On est tous parti de quelque part pour venir construire cette nation. C’est un album de 17 titres qui s’intitule « Jamcoco». Ce qui signifie dans notre jargon «Jamais». Pour dire que nul ne doit prédire le destin de son semblable. On a dit d’une personnalité de ce pays qu’il ne sera jamais président, on sait la suite. Quand je chantais, certains m’ont dit que je n’allais jamais briller. Il ne faut jamais dire jamais dans la vie.
LP : L’un des chantiers difficiles du pouvoir, c’est aussi la réconciliation. Comment expliquez-vous que jusqu’aujourd’hui le train de la réconciliation ait encore du mal à atteindre sa vitesse de croisière ?
FD : Il faut qu’on comprenne une chose. La réconciliation en Côte d’Ivoire, ce n’est pas celle des politiciens. Il s’agit plutôt de la réconciliation des peuples de Côte d’Ivoire. Et en général, il n’y a pas de problème entre les Ivoiriens. Nous vivons en harmonie. On n’a jamais entendu depuis que la crise postélectorale est finie que dans telle ville, les Malinkés et les Bétés se sont frappés, ou bien les Attiés et les krous se sont battus ici, ou encore il y a eu des affrontements entre les Sénoufo et les Baoulés. Non ! Si les politiciens ne veulent pas s’entendre, c’est leur problème.
LP : Vous n’allez quand même pas nier que les Ivoiriens restent encore divisés, deux ans après la fin de la crise postélectorale ?
FD : Dans n’importe quel pays, il y a des divisions. On ne peut pas être d’accord sur tout. Mais, il n’y a pas d’animosité entre les Ivoiriens. Et je pèse mes mots. Parce que s’il y avait de l’animosité en tant que tel, ceux qui sont arrivés au pouvoir allaient vraiment se venger. Et on allait connaître un autre génocide en Côte d’Ivoire. Ils ont bien compris le message du Président de la République qui a demandé qu’il n’y ait pas de vengeance. Parce que nous avons connu l’article 125 (pétrole 100 FCFA et boîte d’allumette 25 FCFA), qui consistait à brûler vif des personnes. Les images sont là. Et les populations du Nord ont décidé de ne pas se venger. Je ne veux pas mettre de l’huile sur le feu, mais pendant la guerre, citez moi combien de prêtres, ou combien de pasteurs ont été tués ? Mais, au moins cinq imams ont été tués. Les musulmans ne se sont pas vengés. C’est pour vous dire que dans le fonds, il n’y a pas d’animosité entre les Ivoiriens. Mais, certains politiciens sont en train de tirer sur la corde pour ne pas que ça finisse. A ces politiciens-là, comme l’a dit le Chef de l’Etat l’autre jour, le train de la paix est en train de passer, qu’ils montent à bord. On peut faire la politique autrement. La démocratie, c’est on gagne ou on perd et non on gagne ou on gagne.
LP : Le débat sur la réforme du code portant la nationalité fait rage en ce moment. D'un côté, il y a ceux qui sont pour et de l'autre, ceux qui sont contre. Dans quel camp vous situez-vous ?
FD : Je suis pour la reforme de cette loi. Ce sera justice faite. On ne doit pas rendre 400 000 personnes, selon les statistiques officiels, apatrides. Beaucoup d'entre eux n'ont pas exercé leur droit d'option, par ignorance et analphabétisme. Ils ne savaient pas, pour la plupart, s'ils devaient le faire ou non. Doit-on les sacrifier pour des calculs politiciens ? Je dis non. J'entends des gens parler de « bradage » de la nationalité ivoirienne ou encore de bétail électoral que le président Ouattara veut constituer. Ce n'est que de la manipulation et de l'intox, car les textes sont clairs. Un naturalisé ne peut exercer son droit de vote que cinq ans après sa naturalisation. Ce qui veut dire que si la situation de ces personnes est régularisée aujourd'hui, elles ne pourront pas voter avant 2018, alors que la présidentielle a lieu en 2015. Il s'agit ici d'une question humaine et non politique. Il faut donc reformer sans hésitation le code portant la nationalité. Si on veut bâtir un Etat de droit, cela passe par là.
LP : Que pensez-vous de la réaction du FPI qui ne semble pas vouloir se repentir des crimes qu’il a commis ?
FD : Nous devons tous être habités par l’humilité. Chacun de nous a posé quelque part un acte. Moi, Fadal Dey, je demande pardon à la population. Parce que quelque part, certains m’ont vu comme un chanteur RDR, d’autres comme un chanteur FPI, ou un pro-rebelle. Si cela a offensé des gens, j’ai le devoir de me repentir et de leur demander pardon. Aucun parti politique n’est innocent dans ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Donc les dirigeants du FPI doivent avoir l’humilité, s’ils aiment vraiment la Côte d’Ivoire, de demander pardon aux Ivoiriens. Même à leurs militants. Qu’ils aient l’humilité de demander pardon. Cela va encore apaiser le climat politique. Et puis, on va avancer. S’ils ne le font pas, c’est grave d’abord pour eux-mêmes et ensuite pour la paix. Parce que quand on campe sur une telle position, ça veut dire qu’on est dans une logique guerrière. Et ça, ce n’est pas bien. La Côte d’Ivoire a assez souffert comme ça.
LP : Un de vos pairs a demandé que l’ancien président Laurent Gbagbo doit être libéré…
FD : (il coupe) C’est son opinion. Nous sommes en démocratie, la liberté d’expression existe.
LP : Pensez-vous que Gbagbo doit être libéré ?
FD : Je ne suis pas la justice. Mais, je sais qu’il y a eu la guerre en Côte d’Ivoire et mort d’hommes. La crise postélectorale est née du refus de l’ancien Chef d’Etat de reconnaître sa défaite dans les urnes. Je pense qu’il doit répondre de ses actes devant la justice. S’il est reconnu coupable, il devra être condamné. Parce que des êtres humains ont tués. En Côte d’Ivoire, on avait l’impression, sous l’ancien régime, que la vie humaine n’avait pas d’importance. Personne ne nous dira que Damana Pickas n’a pas déchiré les résultats des élections présidentielles en Côte d’Ivoire pour ne pas que cela soit lu. Personne ne peut aussi nous dire qu’ils n’ont pas empêché la CEI de proclamer les résultats pour que le Conseil Constitutionnel prenne les choses en main. Il faut être méchant et cynique pour ne pas reconnaître cela. Gbagbo a posé un acte, aujourd’hui qu’il réponde de cet acte devant la justice.
LP : Revenons à la musique, votre nouvel album va sortir dans un contexte où il n’y a pas pratiquement plus de marché pour les CD légaux. N’est-ce pas un risque financier ?
FD : C’est mon métier. Je ne vis que de ça. Donc je prends le risque et mon producteur me l’a dit clairement. Il ne veut plus perdre de l’argent. Avec mes petites économies, j’ai décidé de produire mon propre album. Je profite de ton micro pour parler au Président de la République. Si on y prend garde, l’art va mourir en Côte d’Ivoire. Peut-être on va y arriver. Ce que le ministère de la culture est en train de faire, n’est pas son rôle.
LP : Vous parlez de l’aide à la production musicale ?
FD : Non, ce n’est pas une aide. Le rôle du ministère de la Culture et de la Francophonie, n’est pas de trouver un studio d’enregistrement pour les artistes. Le ministère de la culture n’est pas un producteur d’artiste. Le rôle qu’on lui demande, c’est de se battre pour qu’une loi soit votée clairement contre la piraterie des œuvres de l’esprit. Vous ne pouvez pas donner de l’argent, payer des studios d’enregistrement et puis, les œuvres seront piratées. Leur combat n’est pas de financer les studios d’enregistrement, produire quelques artistes pour dire que nous aidons les artistes.
Réalisée par Y. Sangaré