Dans une interview accordée à Challenges, magazine hebdomadaire économique français, Daniel Kablan Duncan, Premier ministre ivoirien a expliqué la croissance économique de la Côte d’Ivoire et invité les investisseurs, à (re) venir à Abidjan car le pays qui est en pleine reconstruction va passer à la vitesse supérieure.
Question : Après dix années de crise et de violences, la Côte d’Ivoire affiche un taux de croissance à la chinoise, de près de 10%. Comment expliquez-vous cette embellie ?
Daniel Kablan Duncan : D’abord par le retour de la paix et de la sécurité. Selon les indices de sécurité ivoiriens établis sur le modèle de ceux des Nations Unies, nous sommes revenus à un indice de sécurité quasi normal. Et grâce au processus de réconciliation nationale, engagé par le président Ouattara, cette stabilité est durable. Dans ces conditions, notre économie, qui avait beaucoup souffert des années de crise politique, est logiquement repartie, à un rythme plus élevé que prévu. Après 9,8% en 2012 et 8,7% attendus en 2013, nous devrions atteindre une croissance de 10%, l’année prochaine. La Côte d’Ivoire est dans une phase de reconstruction de toutes ses infrastructures, notamment détruites ou pas entretenues. Mais elle doit aller vite. Le pays a perdu dix ans, au cours desquels sa croissance annuelle n’a pas dépassé 1%, en moyenne, ce qui a provoqué une forte augmentation de la pauvreté.
Q : L’aide publique et les investissements privés que vous attendez sont-ils au rendez vous?
DKD : Oui. Nous avons reçu pour 22 milliards de dollars de promesses de financements publics et privés, lors de la conférence avec les bailleurs de fonds, fin 2012 à Paris dans le cadre du groupe consultatif organisé par la Banque Mondiale et le FMI. Il faut maintenant passer aux actes. Et cela démarre. Les grands projets d'infrastructures sont lancés (barrages, centrales électriques, ponts, routes ou autoroutes). Et les investissements privés ont déjà doublé, grâce au retour des investisseurs étrangers. Je reçois de nombreuses délégations d'hommes d’affaires, africains, indiens, japonais, chinois, américains ou français, qui ont compris les immenses opportunités de la Côte d’Ivoire.
Q : Les groupes français, qui ont longtemps eu une position ultra-dominante, sont-ils assez actifs?
DKD : Pas suffisamment à mon goût. Je leur ai fait passer le message lors d'une réunion avec le Medef. En Côte d’Ivoire, ils étaient confortablement installés dans un fauteuil. Mais s’ils ne se réveillent pas, ils risquent de ne plus avoir qu’un strapontin. Les groupes présents de longue date, comme Bouygues ou le Groupe Bolloré, sont très actifs. En revanche, beaucoup d’entreprises, qui avaient quitté le pays pendant les troubles, semblent encore traumatisées. Et elles restent attentistes, alors que la situation est revenue à la normale. Nous les invitons donc à revenir le plus tôt possible.
Q : Dans plusieurs projets, vous avez préféré les Chinois aux Français. Pourquoi?
DKD : Les groupes chinois nous offrent des conditions très avantageuses. Par exemple, pour le grand barrage hydro-élecrique de Soubré, la banque chinoise Eximbank nous a proposé un financement sur 25 ans, à un taux d'intérêt de 2 à 3% et en accordant un différé de remboursement de quatre à cinq ans. Il en va de même pour l’autoroute à six voies Abidjan-Grand-Bassam. Les groupes français ne peuvent pas rivaliser. En plus, on les voit souvent arriver tardivement sur les projets comme par exemple sur le futur train urbain d’Abidjan. Ils ont été moins vifs que les Coréens, avec qui ils vont peut-être s’associer. Dans le pétrole, Total a beaucoup tardé à revenir dans le pays. Si le groupe avait été plus rapide, il aurait obtenu une plus grande part de nos champs pétroliers en matière d’exploration de pétrole off-shore très prometteurs. Dans nos projets agro-industriels, on a vu arriver, entre autres, les Américains, les Suisses et les Indiens mais peu de Français, à l’exception du groupe Dreyfus et de la Compagnie Fruitière.
Q : En Afrique, les groupes chinois sont critiqués pour leurs contrats opaques, avec des contreparties notamment sur les richesses minières. Qu’en est-il en Côte d’Ivoire?
DKD : Il y a beaucoup de fantasmes sur les Chinois. Ils financent l’économie américaine en achetant des bons du Trésor. Pourquoi ne financeraient-ils pas l'Afrique? Alors je lance un appel à mes amis français: plutôt que de critiquer les Chinois, dépêchez-vous ! La Côte d’Ivoire est pressée. Et sachez que pour chaque projet, nous prendrons les meilleurs, c’est-à-dire la meilleure offre qualité-prix.
Q : Vous affichez de très grandes ambitions, en voulant faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent en 2020. N’est-ce pas un rêve vu l’état du pays?
DKD : En effet, la grande ambition du Président de la République est de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent en 2020. Si on ne rêve pas, on ne réalise rien. Dans les années 60, la Côte d’Ivoire était au même niveau que la Corée de Sud… L’Asie s'est développée grâce à ses locomotives, le Japon, puis la Corée. Nous avons ces locomotives en Afrique , avec l’Afrique du Sud et le Nigeria, la Côte d'Ivoire, etc. Surtout, la Côte d'Ivoire peut profiter d’un nouveau grand marché, qui se constitue dans la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest, regroupant 15 pays. Cette zone est en train de s’intégrer, notamment grâce à de grands projets d'infrastructures régionales. Par exemple, nous allons lancer, avec le Nigeria, le Ghana, le Togo et le Bénin l’autoroute Abidjan-Lagos. Et avec le Burkina Faso, le Niger, le Togo et le Bénin, nous avons demandé au groupe Bolloré et à Panafrican Minerals de nous présenter un projet de grande boucle ferroviaire pour relier ces pays. Dans cet espace intégré, la Côte d’Ivoire va devenir un grand hub. Quand on y investit, on ne doit pas viser un marché local de 23 millions d’habitants mais un nouvel ensemble régional de 300 millions d’Africains.
(Source challenges.fr)
Question : Après dix années de crise et de violences, la Côte d’Ivoire affiche un taux de croissance à la chinoise, de près de 10%. Comment expliquez-vous cette embellie ?
Daniel Kablan Duncan : D’abord par le retour de la paix et de la sécurité. Selon les indices de sécurité ivoiriens établis sur le modèle de ceux des Nations Unies, nous sommes revenus à un indice de sécurité quasi normal. Et grâce au processus de réconciliation nationale, engagé par le président Ouattara, cette stabilité est durable. Dans ces conditions, notre économie, qui avait beaucoup souffert des années de crise politique, est logiquement repartie, à un rythme plus élevé que prévu. Après 9,8% en 2012 et 8,7% attendus en 2013, nous devrions atteindre une croissance de 10%, l’année prochaine. La Côte d’Ivoire est dans une phase de reconstruction de toutes ses infrastructures, notamment détruites ou pas entretenues. Mais elle doit aller vite. Le pays a perdu dix ans, au cours desquels sa croissance annuelle n’a pas dépassé 1%, en moyenne, ce qui a provoqué une forte augmentation de la pauvreté.
Q : L’aide publique et les investissements privés que vous attendez sont-ils au rendez vous?
DKD : Oui. Nous avons reçu pour 22 milliards de dollars de promesses de financements publics et privés, lors de la conférence avec les bailleurs de fonds, fin 2012 à Paris dans le cadre du groupe consultatif organisé par la Banque Mondiale et le FMI. Il faut maintenant passer aux actes. Et cela démarre. Les grands projets d'infrastructures sont lancés (barrages, centrales électriques, ponts, routes ou autoroutes). Et les investissements privés ont déjà doublé, grâce au retour des investisseurs étrangers. Je reçois de nombreuses délégations d'hommes d’affaires, africains, indiens, japonais, chinois, américains ou français, qui ont compris les immenses opportunités de la Côte d’Ivoire.
Q : Les groupes français, qui ont longtemps eu une position ultra-dominante, sont-ils assez actifs?
DKD : Pas suffisamment à mon goût. Je leur ai fait passer le message lors d'une réunion avec le Medef. En Côte d’Ivoire, ils étaient confortablement installés dans un fauteuil. Mais s’ils ne se réveillent pas, ils risquent de ne plus avoir qu’un strapontin. Les groupes présents de longue date, comme Bouygues ou le Groupe Bolloré, sont très actifs. En revanche, beaucoup d’entreprises, qui avaient quitté le pays pendant les troubles, semblent encore traumatisées. Et elles restent attentistes, alors que la situation est revenue à la normale. Nous les invitons donc à revenir le plus tôt possible.
Q : Dans plusieurs projets, vous avez préféré les Chinois aux Français. Pourquoi?
DKD : Les groupes chinois nous offrent des conditions très avantageuses. Par exemple, pour le grand barrage hydro-élecrique de Soubré, la banque chinoise Eximbank nous a proposé un financement sur 25 ans, à un taux d'intérêt de 2 à 3% et en accordant un différé de remboursement de quatre à cinq ans. Il en va de même pour l’autoroute à six voies Abidjan-Grand-Bassam. Les groupes français ne peuvent pas rivaliser. En plus, on les voit souvent arriver tardivement sur les projets comme par exemple sur le futur train urbain d’Abidjan. Ils ont été moins vifs que les Coréens, avec qui ils vont peut-être s’associer. Dans le pétrole, Total a beaucoup tardé à revenir dans le pays. Si le groupe avait été plus rapide, il aurait obtenu une plus grande part de nos champs pétroliers en matière d’exploration de pétrole off-shore très prometteurs. Dans nos projets agro-industriels, on a vu arriver, entre autres, les Américains, les Suisses et les Indiens mais peu de Français, à l’exception du groupe Dreyfus et de la Compagnie Fruitière.
Q : En Afrique, les groupes chinois sont critiqués pour leurs contrats opaques, avec des contreparties notamment sur les richesses minières. Qu’en est-il en Côte d’Ivoire?
DKD : Il y a beaucoup de fantasmes sur les Chinois. Ils financent l’économie américaine en achetant des bons du Trésor. Pourquoi ne financeraient-ils pas l'Afrique? Alors je lance un appel à mes amis français: plutôt que de critiquer les Chinois, dépêchez-vous ! La Côte d’Ivoire est pressée. Et sachez que pour chaque projet, nous prendrons les meilleurs, c’est-à-dire la meilleure offre qualité-prix.
Q : Vous affichez de très grandes ambitions, en voulant faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent en 2020. N’est-ce pas un rêve vu l’état du pays?
DKD : En effet, la grande ambition du Président de la République est de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent en 2020. Si on ne rêve pas, on ne réalise rien. Dans les années 60, la Côte d’Ivoire était au même niveau que la Corée de Sud… L’Asie s'est développée grâce à ses locomotives, le Japon, puis la Corée. Nous avons ces locomotives en Afrique , avec l’Afrique du Sud et le Nigeria, la Côte d'Ivoire, etc. Surtout, la Côte d'Ivoire peut profiter d’un nouveau grand marché, qui se constitue dans la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest, regroupant 15 pays. Cette zone est en train de s’intégrer, notamment grâce à de grands projets d'infrastructures régionales. Par exemple, nous allons lancer, avec le Nigeria, le Ghana, le Togo et le Bénin l’autoroute Abidjan-Lagos. Et avec le Burkina Faso, le Niger, le Togo et le Bénin, nous avons demandé au groupe Bolloré et à Panafrican Minerals de nous présenter un projet de grande boucle ferroviaire pour relier ces pays. Dans cet espace intégré, la Côte d’Ivoire va devenir un grand hub. Quand on y investit, on ne doit pas viser un marché local de 23 millions d’habitants mais un nouvel ensemble régional de 300 millions d’Africains.
(Source challenges.fr)