Des hommes et des femmes marqués par les douloureux événements de Bangui. Mais heureux de se retrouver en Côte d’Ivoire. Loin des tirs d’obus, de kalachnikovs, des massacres à l’arme blanche dans les quartiers populeux de la capitale centrafricaine. Une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants, dans le dénuement total. C’est le tableau qui nous est donné de voir ce samedi 4 janvier à 11 h 30, dans la cour du site d’accueil et de transit de l’ONG Côte d’Ivoire Prospère à Abobo-N’Dotré. Lorsque nous franchissons la porte du siège de ce centre dirigé par le Pasteur Patrick Klossail, nous sommes tout de suite frappés par la précarité dans laquelle vivent les 125 ressortissants ivoiriens rapatriés d’urgence de Bangui par les autorités ivoiriennes. Des femmes avec leurs enfants au dos ou sur les jambes devisent avec leurs amies d’infortune, dans une promiscuité qui traduit toute la détresse des occupants provisoires du centre. Les hommes, eux, essayent d’agrémenter leur journée en passant des coups de fil à des proches parents, à qui ils donnent de leurs nouvelles et discutant avec des responsables du centre et du ministère de la Solidarité qui se battent pour le mieux à leur apporter le minimum de confort pendant ce séjour forcé. L’ambiance dans la cour du centre reste, tout de même, joviale. Malgré tout, on essaye d’avoir tant bien que mal le sourire. A l’arrivée de Mme le ministre de la Solidarité et des victimes de guerre, Anne Désirée Ouloto, les visages s’illuminent davantage. Les rapatriés de Bangui échangent des poignées de main et des sourires avec l’envoyée du Gouvernement. Avec son sourire naturel, Mme Anne Désirée Ouloto arrive à rassurer les réfugiés du centre d’accueil et de transit. « Je suis venue vous dire Yako au nom du président de la République et du Gouvernement. Il fallait agir et bien agir. Il fallait sauver vos vies. Vous êtes tous rentrés sains et saufs. Il faut dire merci à Dieu », a tenu à assurer Anne Désirée Ouloto. Le ministre de la Solidarité a, au cours de la réunion qu’elle a eue avec les responsables des réfugiés, expliqué aux pensionnaires du centre qu’il leur appartient de se trouver rapidement une famille d’accueil pour donner une chance à l’Etat de scolariser leurs enfants et régler toutes les questions relatives à leur intégration. « Nous ne vous abandonnerons pas. Nous vous demandons de faire confiance au Gouvernement. Vous devez d’abord trouver un point de chute pour permettre à vos enfants d’être inscrits dans une école », a-t-elle conseillé. Avant d’ajouter au sujet des autres doléances : « C’est après le Conseil des ministres que je peux vous donner des réponses claires à vos doléances. Il faut faire en sorte que vous preniez rapidement d’ici le lundi une décision pour qu’on puisse vous aider». M. Lédjou Kouassi Jean, président de la communauté ivoirienne en Centrafrique, pour sa part, a remercié le chef de l’Etat pour son geste. « Nous tenons à remercier le président de la République qui est venu à notre secours, une semaine après les troubles. ‘Singuila’, ce qui signifie en langue Sangho ‘merci’ », a-t-il déclaré reconnaissant. Mme Chantal Tanoh, l’une des rapatriées, quant à elle, a informé le ministre de la Solidarité qu’une colonie de 50 Ivoiriens reste encore bloquée à l’aéroport de Bangui. Anne Désirée Ouloto a promis relayer l’information au Gouvernement qui certainement prendra une décision à ce niveau. A l’Institut de Formation des Nouvelles techniques agricoles d’Azaguié, la ministre de la Solidarité et des Victimes de guerre a également eu un entretien avec la deuxième vague des rapatriés de la Centrafrique. Ici, ce sont 134 personnes, en majorité des enfants et des adolescents, qui ont trouvé refuge dans cet institut transformé pour la circonstance en centre d’accueil et de transit. M. Didier Bandakouma, porte-parole des pensionnaires, a réitéré les remerciements de toute la communauté ivoirienne venue de Bangui au chef de l’Etat pour son action. La ministre Anne Désirée Ouloto a à son tour, rassuré les uns et les autres sur la détermination du Gouvernement à prendre en charge les frères et s?urs sinistrés venus de la Centrafrique. Toutefois, l’émissaire du Gouvernement a insisté sur l’obligation des pensionnaires à se trouver un point de chute le plus rapidement possible pour permettre à l’Etat de mieux jouer son rôle régalien, qui est de secourir et protéger ses ressortissants, quel que soit le lieu où ils se trouvent. Sur cette question, les réfugiés d’Azaguié venus de Bangui n’ont pas manqué de rappeler au ministre de la Solidarité que la plupart d’entre eux découvre pour la première fois la Côte d’Ivoire et n’ont pas d’attache véritable ici. « Nous découvrons pour la plupart d’entre nous la Côte d’Ivoire pour la première fois. Moi, c’est ma mère qui est ivoirienne. Elle est baoulé de Bouaké. Elle s’appelle Kouamé Yéti Philomène. Elle est aujourd’hui décédée. Elle m’a toujours dit qu’elle venait de Bouaké. Je ne connais donc pas mes parents maternels», a expliqué M. Didier Bandakouma, la voix empreinte d’émotion. Les frères Dagnogo dépeignent également la même situation que M. Bandakouma. « Nous sommes au nombre de 15 frères. Nous avons le même père, il s’appelle Dagnogo. Ils nous a toujours dit qu’il est originaire de Daloa. Il est venu en Centrafrique et à épousé sept (7) femmes. Nous sommes nombreux. Lorsque la guerre a éclaté, certains ont fui vers le Cameroun, tandis que d’autres ont traversé la frontière pour aller vers la République démocratique du Congo. Nous ne connaissons aucun parent ici », explique Issouf Dagnogo. Quant à Mme Yao Zénaba, la quarantaine consommée, elle précise qu’elle sait que son père est d’ethnie Dida et rien de plus. « C’était un tirailleur sénégalais, qui est venu s’installer à Bangui. Il a eu 10 enfants avec notre mère. Mais il est décédé depuis. A l’aéroport, j’ai eu du mal à être acceptée dans l’avion. Parce qu’un diplomate a refusé qu’on me reprenne. Selon lui, il n’y a pas de Yao Dida, encore moins portant un prénom musulman», dénonce-t-elle. Moussa Diabagaté, un autre pensionnaire du site d’accueil d’Azaguié, pour sa part, venu avec plusieurs de ses frères, informe qu’il sait que son père est ivoirien et rien de plus. « Il a toujours dit qu’il venait de Bouna. Et nous, on ne connait personne ici. On ne sait pas où se trouve Bouna. Nous sommes arrivés sans aucun papier ni bagage », lance Moussa Diabagaté, étudiant à Bangui. Devant ce tableau pathétique, le ministre Anne Désirée Ouloto rassuré que des enquêtes et recherches seront entrepris pour aider les réfugiés qui sont dans ces cas à retrouver leurs parents. « Depuis le déclenchement de la crise, la Côte d’Ivoire est maintenant habituée à gérer ce genre de situation. Mais je vous demande de ne pas mentir. Si vous n’êtes pas ivoirien, il faut le dire dès maintenant. Nous n’allons pas vous ramener en Centrafrique. La Côte d’Ivoire est un pays d’hospitalité. On ne chasse personne. Si vous mentez et par la suite, on se rend compte que ce n’est pas vrai, ce serait pas intéressant pour vous », met toutefois en garde la ministre de la Solidarité. L’émissaire du Gouvernement, avant de prendre congé de ses hôtes, s’est assurée que rien ne leur manque. Elle a promis revenir les revoir.
Jean-Claude Coulibaly (Envoyé spécial)
Jean-Claude Coulibaly (Envoyé spécial)