« Colonisations et société civile en Afrique » vient de paraître chez l’Harmattan, il traite de l’étude de l’Afrique, de l’État de droit, de l’intégration démocratique nationale et post-nationale, de l’éthique, de la confiance institutionnelle, de la société civile et des droits de l’homme a sans nul doute partie liée à la reconstruction entreprise par Habermas pour expliquer, par la métaphore de la colonisation du monde vécu, l’érosion de la culture, de la société et de la personnalité, les trois composantes cardinales du monde quotidien.
Parce qu’une telle colonisation renvoie au modèle colonialiste historique et classique qui a consisté en la désagrégation des sociétés archaïques par des conquérants issus de sociétés étatisées, et qu’elle a entraîné la déréglementation des cadres tribaux de perception de soi et le calvaire des colonisés, le défi politique majeur pour l’Afrique est la décolonisation systémique.
Pareille décolonisation est à organiser sur les cendres de la colonisation historique. Elle sera l’affaire des citoyens volontaires des sociétés civiles vivaces ou ne sera pas, à moins d’attendre le salut de l’Afrique d’un État interventionniste.
L’auteur, Yao-Edmond Kouassi, est maître de conférences en philosophie politique, sociale et juridique, est enseignant-chercheur à l’Université Alassane Ouattara (Bouaké, Côte d’Ivoire). Il a publié Habermas et la solidarité en Afrique, ouvrage paru en 2011, chez L’Harmattan. Il est engagé dans différents programmes de recherche en philosophie contemporaine, en relation étroite avec la composante Normes, sociétés et philosophies (NoSophi) de l’équipe de recherche de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dirigée par Jean-François Kervégan.
Extraits
P. 136 Si l’on peut donc lutter contre l’État national, il faut défendre les fonctions « universelles » qu’il remplit et au succès duquel participe le patriotisme constitutionnel . Il implique que les acteurs de l’histoire ivoirienne se saisissent comme des acteurs d’une histoire universelle qui n’a pas pour seul sujet la société politique ; la société civile vaut autant que la société politique comme sujet de l’histoire ; seulement, elle a à inscrire résolument son agir dans le tissu social dont les motifs bigarrés traduisent des attentes sociales multiples d’hommes et de femmes en crise de paix, de logement, d’emploi, d’environnement, d’identité culturelle, de solidarité, etc. Ce sont avant tout des problèmes sociaux que l’aveuglement idéologique des bourgeois indigènes donnerait pour autre chose.
(…)
P. 154-155 Le registre de l’administration, en tant que colonisation systémique étatique, a ses faiblesses qui marquent la citoyenneté, ses ambigüités que signale, en plus de la catégorie de citoyens du monde, la distinction proposée par Habermas entre « nations de peuples et nation de citoyens » , tenant ainsi les seconds pour des populations habituées à la liberté, et les premiers pour des hordes de peuplades à moderniser.
L’habitude de la liberté qui confère à l’homme de la cité l’effectivité de son statut de citoyen est aussi l’index de l’intellectuel qui a appris les coutumes de la liberté pour savoir s’en servir à son propre profit, mais également au profit des autres. Point n’est alors besoin, dans ce contexte, d’intellectuels de gauche, de droite ou de l’Universel. La médiation intellectuelle dans les espaces étatiques post-coloniaux est si décisive qu’elle porte en creux l’attitude largement discutable des élites africaines. Les plaintes dont elles font l’objet, sont si nombreuses qu’il n’y a aucun mérite à les rappeler. Rappelons tout simplement ces notes pédagogiques et optimistes de Jean Godefroy Bidima qui visent l’éthique procédurale de la discussion appliquée (à appliquer) à la palabre africaine, au droit et à la citoyenneté engagée. La palabre est, selon Bidima, le lieu par excellence de la procédure. Tout y est, pour lui, objet d’une négociation, d’un conciliabule, d’une consultation d’autrui. « La procédure est, écrit-il explicitement, la médiation moderne qui permet la distance, le détour du symbole. L’opinion droite est aussi prise en charge par la palabre. Ce qui implique l’urgence pour la démocratie de toujours procéder à une archéologie du droit afin de surprendre les préjugés mythiques et éthiques à partir desquels il [le droit] se nourrit. La procédure et l’opinion droite, dimensions essentielles de la palabre, supposent des citoyens » . De l’engagement de ces derniers dépend, réaffirmons-le, la décolonisation historique et systémique des espaces politiques post-coloniaux africains qui ne le sont pas encore. Ils ont à s’engager, il faut le redire, à partir des conquêtes et des énergies utopiques du paradigme de l’Agir communicationnel, qui seraient sans suite, si en tant que volontaires de la société civile-vivace ayant pris conscience de telles énergies, ils n’agissaient pas pour contrebalancer les déficits de la pacification, de l’intégration et de la stabilisation de leurs sociétés respectives, puis de la société mondiale, par l’Administration et de l’Argent.
Parce qu’une telle colonisation renvoie au modèle colonialiste historique et classique qui a consisté en la désagrégation des sociétés archaïques par des conquérants issus de sociétés étatisées, et qu’elle a entraîné la déréglementation des cadres tribaux de perception de soi et le calvaire des colonisés, le défi politique majeur pour l’Afrique est la décolonisation systémique.
Pareille décolonisation est à organiser sur les cendres de la colonisation historique. Elle sera l’affaire des citoyens volontaires des sociétés civiles vivaces ou ne sera pas, à moins d’attendre le salut de l’Afrique d’un État interventionniste.
L’auteur, Yao-Edmond Kouassi, est maître de conférences en philosophie politique, sociale et juridique, est enseignant-chercheur à l’Université Alassane Ouattara (Bouaké, Côte d’Ivoire). Il a publié Habermas et la solidarité en Afrique, ouvrage paru en 2011, chez L’Harmattan. Il est engagé dans différents programmes de recherche en philosophie contemporaine, en relation étroite avec la composante Normes, sociétés et philosophies (NoSophi) de l’équipe de recherche de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dirigée par Jean-François Kervégan.
Extraits
P. 136 Si l’on peut donc lutter contre l’État national, il faut défendre les fonctions « universelles » qu’il remplit et au succès duquel participe le patriotisme constitutionnel . Il implique que les acteurs de l’histoire ivoirienne se saisissent comme des acteurs d’une histoire universelle qui n’a pas pour seul sujet la société politique ; la société civile vaut autant que la société politique comme sujet de l’histoire ; seulement, elle a à inscrire résolument son agir dans le tissu social dont les motifs bigarrés traduisent des attentes sociales multiples d’hommes et de femmes en crise de paix, de logement, d’emploi, d’environnement, d’identité culturelle, de solidarité, etc. Ce sont avant tout des problèmes sociaux que l’aveuglement idéologique des bourgeois indigènes donnerait pour autre chose.
(…)
P. 154-155 Le registre de l’administration, en tant que colonisation systémique étatique, a ses faiblesses qui marquent la citoyenneté, ses ambigüités que signale, en plus de la catégorie de citoyens du monde, la distinction proposée par Habermas entre « nations de peuples et nation de citoyens » , tenant ainsi les seconds pour des populations habituées à la liberté, et les premiers pour des hordes de peuplades à moderniser.
L’habitude de la liberté qui confère à l’homme de la cité l’effectivité de son statut de citoyen est aussi l’index de l’intellectuel qui a appris les coutumes de la liberté pour savoir s’en servir à son propre profit, mais également au profit des autres. Point n’est alors besoin, dans ce contexte, d’intellectuels de gauche, de droite ou de l’Universel. La médiation intellectuelle dans les espaces étatiques post-coloniaux est si décisive qu’elle porte en creux l’attitude largement discutable des élites africaines. Les plaintes dont elles font l’objet, sont si nombreuses qu’il n’y a aucun mérite à les rappeler. Rappelons tout simplement ces notes pédagogiques et optimistes de Jean Godefroy Bidima qui visent l’éthique procédurale de la discussion appliquée (à appliquer) à la palabre africaine, au droit et à la citoyenneté engagée. La palabre est, selon Bidima, le lieu par excellence de la procédure. Tout y est, pour lui, objet d’une négociation, d’un conciliabule, d’une consultation d’autrui. « La procédure est, écrit-il explicitement, la médiation moderne qui permet la distance, le détour du symbole. L’opinion droite est aussi prise en charge par la palabre. Ce qui implique l’urgence pour la démocratie de toujours procéder à une archéologie du droit afin de surprendre les préjugés mythiques et éthiques à partir desquels il [le droit] se nourrit. La procédure et l’opinion droite, dimensions essentielles de la palabre, supposent des citoyens » . De l’engagement de ces derniers dépend, réaffirmons-le, la décolonisation historique et systémique des espaces politiques post-coloniaux africains qui ne le sont pas encore. Ils ont à s’engager, il faut le redire, à partir des conquêtes et des énergies utopiques du paradigme de l’Agir communicationnel, qui seraient sans suite, si en tant que volontaires de la société civile-vivace ayant pris conscience de telles énergies, ils n’agissaient pas pour contrebalancer les déficits de la pacification, de l’intégration et de la stabilisation de leurs sociétés respectives, puis de la société mondiale, par l’Administration et de l’Argent.