La Constitution ivoirienne doit être débarrassée de ses points confligènes afin de la rendre plus consensuelle. C’est la substance du discours prononcé par Mamadou Koné, président du Conseil constitutionnel ce mardi 3 novembre 2015 dans le cadre de la prestation de serment d’Alassane Ouattara, élu vainqueur de l’élection présidentielle du 25 octobre. (L’intégralité de son discours ci-dessous)
Excellence, Monsieur le Président de la République.
Le serment que vous venez de prêter marque solennellement la fin officielle de votre premier mandat et, concomitamment, le début du second.
Au terme de cette importante cérémonie, il m’échoit l’honneur et le privilège devant cette auguste assemblée, et dans cette prestigieuse enceinte, témoin de tous les faits marquants de la glorieuse histoire de notre pays, de vous adresser les vives et chaleureuses félicitations du Conseil constitutionnel :
- Félicitations d’abord, parce que, par le scrutin apaisé du 25 Octobre dernier, le peuple ivoirien vous a renouvelé sa confiance de manière éclatante, réitérant ainsi, de la façon la plus explicite possible, sa volonté de reconnaitre en vous son chef incontesté ;
- Félicitations également, pour l’ensemble de votre parcours présidentiel, car l’histoire retiendra que votre marche vers la Présidence de la République aura commencé par le rejet de votre candidature, un certain 06 Octobre 2000, pour se poursuivre aujourd’hui avec votre élection, dès le premier tour, pour un second mandat d’affilée, obtenu avec le somptueux score de 83,66%, gage indiscutable du soutien univoque de vos concitoyens.
Ce remarquable itinéraire politique, qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, nous donne l’occasion de méditer avec VOLTAIRE, DIDEROT, KANT, HEIDEGGER, AMADOU HAMPATE BÂ, et tous les autres philosophes du destin, sur le destin de l’homme ; ce destin que son semblable peut maltraiter, mais qu’il ne peut jamais fléchir, parce que tracé par la main experte de Dieu, le Tout-Puissant et infaillible architecte de l’univers, dépositaire de toutes les destinées, avec Son crayon qui n’a pas de gomme, et en faisant même parfois usage d’instruments courbes pour réaliser des lignes droites.
Excellence, Monsieur le Président de la République.
Un adage ancien nous enseigne que « derrière tout grand Homme se tient toujours une grande Dame ». En effet, point n’est besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’œuvre grandiose à laquelle vous vous attelez de toutes vos forces, est soutenue avec constance, lucidité et engagement par celle qui, à vos côtés, illumine chaque jour votre présence à la tête de l’Etat ; votre fidèle compagne des jours de gloire et des jours sombres ; la sentinelle vigilante qui, les soirs de doute, éloigne de vous le spectre du découragement, et humanise la fonction de Président de la République ; j’ai nommé: Madame Dominique OUATTARA, Première Dame de la République de Côte d’Ivoire, votre distinguée épouse, que je salue très respectueusement, et que j’associe pleinement aux félicitations que vous adresse le Conseil constitutionnel.
Excellence, Monsieur le Président de la République.
L’un des chantiers que vous avez annoncés pour votre second mandat, à savoir la révision de la Constitution, intéresse au plus haut point le Conseil constitutionnel.
En effet, gardien et utilisateur quotidien de cette loi fondamentale, le Conseil constitutionnel lit dans votre initiative une opportunité de se voir doter d’un instrument de travail certainement plus performant, mais aussi et surtout, votre ferme volonté de doter la Côte d’Ivoire d’un contrat social plus consensuel, et donc moins confligène.
Dans la perspective de cette importante réforme, le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l’article 88 de la Constitution qui fait de lui « l’organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics », croit devoir rappeler les circonstances de l’adoption de l’actuelle loi fondamentale, à celles et ceux à qui incombera la noble mais lourde mission de conduire ce chantier vital pour la nation ivoirienne afin que, instruit de l’expérience du passé, ils en évitent les erreurs pour ne retenir que les avantages.
En effet, Excellence, Monsieur le Président de la République, il vous souvient certainement que, courant 2000, le Gouvernement militaire de transition alors au pouvoir, avait mis en place une Commission Consultative, Constitutionnelle et Electorale, dite CCCE, avec pour mission d’élaborer un projet de Constitution à soumettre à référendum.
A la fin de ses travaux, cette Commission avait soumis au Gouvernement un avant-projet de Constitution dont l’article 35, relatif aux conditions d’éligibilité à la Présidence de la République, et devenu plus tard une véritable pomme de discorde, disposait que, entre autres :
« - Il, c’est-à-dire, le candidat à l’élection présidentielle, doit être ivoirien d’origine, né de parents non naturalisés.
- Il doit avoir la nationalité ivoirienne à titre exclusif.
- Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne.
- Il doit avoir résidé en Côte d’Ivoire de façon continue pendant cinq ans au moins, et avoir totalisé dix ans de présence effective ».
Après examen, le Gouvernement avait retenu la version suivante :
« Le candidat à l’élection présidentielle doit être ivoirien d’origine, né de père ou de mère eux-mêmes ivoiriens.
- Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne ;
- Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité », etc…
Cette version, avec le « OU », avait emporté l’adhésion de la classe politique tout entière de l’époque. Tous les partis politiques avaient appelé leurs militants à voter massivement « OUI » au référendum, puis le texte avait été publié dans l’édition spéciale N°5 du Journal Officiel du Vendredi 26 Mai 2000, et la date du référendum avait été fixée au dimanche 23 Juillet 2000, précédée d’une campagne d’une semaine, ouverte le 15 Juillet 2000.
Cependant, le 17 Juillet 2000, soit deux jours après l’ouverture de la campagne référendaire, qui se faisait sur la base de la conjonction de coordination « OU », et cinq jours avant la date du référendum, un Conseil des Ministres extraordinaire s’était réuni pour adopter le décret N°2000-497 du 17 Juillet 2000 modifiant l’article 35 du projet de Constitution, et remplacer le « OU » par le « ET ».
Cette modification substantielle, survenue en pleine campagne référendaire, et publiée dans le quotidien pro-gouvernemental Fraternité Matin N°10719 du 20 Juillet 2000, c’est-à-dire, à trois jours seulement du référendum, n’a pas manqué de perturber profondément les électeurs, qui ne savaient plus sur quel pied danser.
Excellence, Monsieur le Président de la République,
Si aujourd’hui les ivoiriens sont fiers, à juste titre d’ailleurs, de dire qu’ils ont adopté leur Constitution par un taux de 86%, en revanche, bien malin celui qui pourra dire combien d’entre nous ont voté « OUI » à ce référendum, en pensant qu’ils choisissaient le « ET » et combien d’entre nous ont voté « OUI » au même référendum en pensant qu’ils optaient pour le « OU ».
Lorsque, dans un pays, une Constitution est assise sur un si grand quiproquo,
- Le contrat social qu’elle est censée porter est vicié « ab initio » ;
- L’Etat a un caillou dans son soulier ;
- La République a un point de côté ;
- Et la démocratie est sujette à de bien regrettables bégaiements, pour ne pas dire, à des soubresauts.
Le premier de ces bégaiements est survenu lors de la première élection présidentielle organisée sous l’égide de cette Constitution, deux mois seulement après son entrée en vigueur le 1er août 2000.
Cette consultation électorale s’était achevée par des tueries massives de populations civiles, mieux connues sous l’appellation de « Charnier de Yopougon », et avait même été qualifiée de « calamiteuse » par celui-là même qui l’avait remportée.
Le moins que l’on puisse dire est que la Côte d’Ivoire, avec cette Constitution confligène, est mal entrée dans sa deuxième République.
Des ajustements sont donc nécessaires, pour éviter d’autres bégaiements de notre démocratie, car les légitimes ambitions que vous nourrissez pour votre pays dont, entre autres, l’émergence d’un ivoirien nouveau, ne sauraient s’accommoder d’une Constitution consacrant la division des ivoiriens et le tango mortel de deux conjonctions qui n’auront jamais autant failli à leur vocation de coordination.
Pour toutes ces raisons, Excellence, Monsieur le Président de la République, le Conseil constitutionnel soutient votre initiative de modification de la Constitution. Il souhaite que, tenant compte des erreurs du passé, cette révision se fasse dans les meilleures conditions de transparence possibles afin que, lors du référendum à venir, le peuple ivoirien sache avec précision le contrat social qui lui est proposé, et se prononce donc en parfaite connaissance de cause, et qu’au final, nul n’ait le sentiment désagréable d’avoir été entrainé malgré lui dans un traquenard.
Excellence, Monsieur le Président de la République.
En vous réitérant ses félicitations, le Conseil constitutionnel vous souhaite plein succès pour votre second mandat.
Que Dieu, le Tout-Puissant, le Dieu de votre cœur, de votre intelligence et de votre compréhension vous accompagne et inspire toutes vos décisions.
Je vous remercie de votre bienveillante attention.
Fait à Abidjan le 03 novembre 2015
Mamadou Koné, président du Conseil constitutionnel
Excellence, Monsieur le Président de la République.
Le serment que vous venez de prêter marque solennellement la fin officielle de votre premier mandat et, concomitamment, le début du second.
Au terme de cette importante cérémonie, il m’échoit l’honneur et le privilège devant cette auguste assemblée, et dans cette prestigieuse enceinte, témoin de tous les faits marquants de la glorieuse histoire de notre pays, de vous adresser les vives et chaleureuses félicitations du Conseil constitutionnel :
- Félicitations d’abord, parce que, par le scrutin apaisé du 25 Octobre dernier, le peuple ivoirien vous a renouvelé sa confiance de manière éclatante, réitérant ainsi, de la façon la plus explicite possible, sa volonté de reconnaitre en vous son chef incontesté ;
- Félicitations également, pour l’ensemble de votre parcours présidentiel, car l’histoire retiendra que votre marche vers la Présidence de la République aura commencé par le rejet de votre candidature, un certain 06 Octobre 2000, pour se poursuivre aujourd’hui avec votre élection, dès le premier tour, pour un second mandat d’affilée, obtenu avec le somptueux score de 83,66%, gage indiscutable du soutien univoque de vos concitoyens.
Ce remarquable itinéraire politique, qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, nous donne l’occasion de méditer avec VOLTAIRE, DIDEROT, KANT, HEIDEGGER, AMADOU HAMPATE BÂ, et tous les autres philosophes du destin, sur le destin de l’homme ; ce destin que son semblable peut maltraiter, mais qu’il ne peut jamais fléchir, parce que tracé par la main experte de Dieu, le Tout-Puissant et infaillible architecte de l’univers, dépositaire de toutes les destinées, avec Son crayon qui n’a pas de gomme, et en faisant même parfois usage d’instruments courbes pour réaliser des lignes droites.
Excellence, Monsieur le Président de la République.
Un adage ancien nous enseigne que « derrière tout grand Homme se tient toujours une grande Dame ». En effet, point n’est besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’œuvre grandiose à laquelle vous vous attelez de toutes vos forces, est soutenue avec constance, lucidité et engagement par celle qui, à vos côtés, illumine chaque jour votre présence à la tête de l’Etat ; votre fidèle compagne des jours de gloire et des jours sombres ; la sentinelle vigilante qui, les soirs de doute, éloigne de vous le spectre du découragement, et humanise la fonction de Président de la République ; j’ai nommé: Madame Dominique OUATTARA, Première Dame de la République de Côte d’Ivoire, votre distinguée épouse, que je salue très respectueusement, et que j’associe pleinement aux félicitations que vous adresse le Conseil constitutionnel.
Excellence, Monsieur le Président de la République.
L’un des chantiers que vous avez annoncés pour votre second mandat, à savoir la révision de la Constitution, intéresse au plus haut point le Conseil constitutionnel.
En effet, gardien et utilisateur quotidien de cette loi fondamentale, le Conseil constitutionnel lit dans votre initiative une opportunité de se voir doter d’un instrument de travail certainement plus performant, mais aussi et surtout, votre ferme volonté de doter la Côte d’Ivoire d’un contrat social plus consensuel, et donc moins confligène.
Dans la perspective de cette importante réforme, le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l’article 88 de la Constitution qui fait de lui « l’organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics », croit devoir rappeler les circonstances de l’adoption de l’actuelle loi fondamentale, à celles et ceux à qui incombera la noble mais lourde mission de conduire ce chantier vital pour la nation ivoirienne afin que, instruit de l’expérience du passé, ils en évitent les erreurs pour ne retenir que les avantages.
En effet, Excellence, Monsieur le Président de la République, il vous souvient certainement que, courant 2000, le Gouvernement militaire de transition alors au pouvoir, avait mis en place une Commission Consultative, Constitutionnelle et Electorale, dite CCCE, avec pour mission d’élaborer un projet de Constitution à soumettre à référendum.
A la fin de ses travaux, cette Commission avait soumis au Gouvernement un avant-projet de Constitution dont l’article 35, relatif aux conditions d’éligibilité à la Présidence de la République, et devenu plus tard une véritable pomme de discorde, disposait que, entre autres :
« - Il, c’est-à-dire, le candidat à l’élection présidentielle, doit être ivoirien d’origine, né de parents non naturalisés.
- Il doit avoir la nationalité ivoirienne à titre exclusif.
- Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne.
- Il doit avoir résidé en Côte d’Ivoire de façon continue pendant cinq ans au moins, et avoir totalisé dix ans de présence effective ».
Après examen, le Gouvernement avait retenu la version suivante :
« Le candidat à l’élection présidentielle doit être ivoirien d’origine, né de père ou de mère eux-mêmes ivoiriens.
- Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne ;
- Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité », etc…
Cette version, avec le « OU », avait emporté l’adhésion de la classe politique tout entière de l’époque. Tous les partis politiques avaient appelé leurs militants à voter massivement « OUI » au référendum, puis le texte avait été publié dans l’édition spéciale N°5 du Journal Officiel du Vendredi 26 Mai 2000, et la date du référendum avait été fixée au dimanche 23 Juillet 2000, précédée d’une campagne d’une semaine, ouverte le 15 Juillet 2000.
Cependant, le 17 Juillet 2000, soit deux jours après l’ouverture de la campagne référendaire, qui se faisait sur la base de la conjonction de coordination « OU », et cinq jours avant la date du référendum, un Conseil des Ministres extraordinaire s’était réuni pour adopter le décret N°2000-497 du 17 Juillet 2000 modifiant l’article 35 du projet de Constitution, et remplacer le « OU » par le « ET ».
Cette modification substantielle, survenue en pleine campagne référendaire, et publiée dans le quotidien pro-gouvernemental Fraternité Matin N°10719 du 20 Juillet 2000, c’est-à-dire, à trois jours seulement du référendum, n’a pas manqué de perturber profondément les électeurs, qui ne savaient plus sur quel pied danser.
Excellence, Monsieur le Président de la République,
Si aujourd’hui les ivoiriens sont fiers, à juste titre d’ailleurs, de dire qu’ils ont adopté leur Constitution par un taux de 86%, en revanche, bien malin celui qui pourra dire combien d’entre nous ont voté « OUI » à ce référendum, en pensant qu’ils choisissaient le « ET » et combien d’entre nous ont voté « OUI » au même référendum en pensant qu’ils optaient pour le « OU ».
Lorsque, dans un pays, une Constitution est assise sur un si grand quiproquo,
- Le contrat social qu’elle est censée porter est vicié « ab initio » ;
- L’Etat a un caillou dans son soulier ;
- La République a un point de côté ;
- Et la démocratie est sujette à de bien regrettables bégaiements, pour ne pas dire, à des soubresauts.
Le premier de ces bégaiements est survenu lors de la première élection présidentielle organisée sous l’égide de cette Constitution, deux mois seulement après son entrée en vigueur le 1er août 2000.
Cette consultation électorale s’était achevée par des tueries massives de populations civiles, mieux connues sous l’appellation de « Charnier de Yopougon », et avait même été qualifiée de « calamiteuse » par celui-là même qui l’avait remportée.
Le moins que l’on puisse dire est que la Côte d’Ivoire, avec cette Constitution confligène, est mal entrée dans sa deuxième République.
Des ajustements sont donc nécessaires, pour éviter d’autres bégaiements de notre démocratie, car les légitimes ambitions que vous nourrissez pour votre pays dont, entre autres, l’émergence d’un ivoirien nouveau, ne sauraient s’accommoder d’une Constitution consacrant la division des ivoiriens et le tango mortel de deux conjonctions qui n’auront jamais autant failli à leur vocation de coordination.
Pour toutes ces raisons, Excellence, Monsieur le Président de la République, le Conseil constitutionnel soutient votre initiative de modification de la Constitution. Il souhaite que, tenant compte des erreurs du passé, cette révision se fasse dans les meilleures conditions de transparence possibles afin que, lors du référendum à venir, le peuple ivoirien sache avec précision le contrat social qui lui est proposé, et se prononce donc en parfaite connaissance de cause, et qu’au final, nul n’ait le sentiment désagréable d’avoir été entrainé malgré lui dans un traquenard.
Excellence, Monsieur le Président de la République.
En vous réitérant ses félicitations, le Conseil constitutionnel vous souhaite plein succès pour votre second mandat.
Que Dieu, le Tout-Puissant, le Dieu de votre cœur, de votre intelligence et de votre compréhension vous accompagne et inspire toutes vos décisions.
Je vous remercie de votre bienveillante attention.
Fait à Abidjan le 03 novembre 2015
Mamadou Koné, président du Conseil constitutionnel