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Editorial Publié le lundi 11 janvier 2016 | Ivoire-Presse

Débat sur la limitation de la durée du mandat présidentiel, André Silver Konan à Cissé Bacongo: « Vos arguments sont d’une vacuité étonnante, voici les preuves »

Débat sur la limitation de la durée du mandat présidentiel, André Silver Konan à Cissé Bacongo: « Vos arguments sont d’une vacuité étonnante, voici les preuves »
© Ivoire-Presse Par DR
Débat sur la limitation du mandat présidentiel : La grosse colère d’André Silver Konan
La limitation du mandat présidentiel en Côte d’Ivoire est un acquis démocratique qu’il ne faut absolument pas remettre en cause, pour des intérêts personnels
Je ne voulais pas engager un débat de fond avec Cissé Ibrahim Bacongo, ayant naïvement espéré que cette histoire s’arrêterait à la forme, à savoir qu’« On ne touche pas au verrou de limitation de la durée du mandat présidentiel qui est un acquis démocratique ». Dans cette contribution, je compte user de mon droit de réaction, ayant été nommément cité et implicitement invité à un débat intellectuel, par l’auteur. Ma démarche consistera à démontrer l’étonnante vacuité de la thèse de l’abrogation, avec et à partir des arguments-opinions avancés par l’auteur lui-même et à montrer les limites de sa démarche ( ?) intellectuelle, toujours avec et à partir de ses propres exemples.

D’ores et déjà, je mets tout le monde à l’aise. Je suis favorable à la révision de notre Constitution, je l’ai maintes fois répété. Certaines dispositions dont celles résumées prosaïquement dans le « Et » et « Ou » sont conflictuelles et elles doivent être réformées. Je suis aussi favorable à l’instauration d’un régime à ticket présidentiel (Président et Vice-Président) fort, qui aurait pour originalité, à la différence du système anglophone, de maintenir une institution comme la Primature, dont le chef serait désigné par le Parlement, du moins par le parti ou la coalition qui aurait remporté les législatives. Son rôle serait exclusivement technique. Bref. Là n’est pas le débat.

Je ne vais pas insister sur la deuxième contribution-réponse de l’auteur, inutilement longue, fortement médiatisée et parsemée d’expressions violentes, puisqu’elle reprend presque mot pour mot la première (preuve que les arguments sont rares) dont l’essentiel du message se résume en quelques mots bien choisis : « Le Président de la République Alassane Ouattara n’est pas concerné ». Un déplacement suspect du débat et une précaution bien inutile puisque j’avais relevé dans mon billet d’humeur « incriminé » (un billet d’humeur est bref et rageur, et n’a pas vocation à s’étaler dans des démonstrations lassantes) que celui-ci s’était déjà engagé à ne pas toucher à cette clause. Il est de notoriété qu’il est homme à ne pas dire une chose importante les jours pairs et à la remettre en cause, les jours impairs. Mais cette précieuse précaution, comme je le démontrerai dans les lignes qui vont suivre, renferme en elle-même l’une des nombreuses limites de l’argumentation de l’auteur.

A présent, voyons les arguments avancés, qui sont en fait des opinions. Rien de plus. Il y en a (que) trois, sur plusieurs paragraphes consacrés au sujet. Difficile de défendre l’indéfendable, autrement que par la diversion.

Allégation sans fait précis
Première opinion: “En limitant la durée du mandat présidentiel à dix (10) ans, suivant un modèle standard sans originalité en vigueur globalement sous les tropiques, l’alinéa 1er peut être contre-productif pour la promotion de la démocratie, voire s’avérer mortifère, dans son application stricte”.

En journalisme, cela s’appelle une allégation qui n’est fondée sur aucun fait. Euphémisme pour dire que c’est un alignement de mots, non étayés par des exemples “mortifères” concrets. Dans quel pays d’Afrique, la limitation de la durée du mandat présidentiel n’a pas contribué à y promouvoir la démocratie et s’y est avérée mortifère. Aucun, et l’auteur le sait très bien. Le Ghana, le Nigéria, le Bénin, pour ne citer que ces pays-là, qui ont instauré cette clause et la respectent, depuis plusieurs années, sont cités en exemple en Afrique et ne reculent pas sur le plan démocratique. Bien au contraire.

Deuxième opinion: “En l’absence de cadres politiques charismatiques, compétents, crédibles et intègres, pouvant assurer la relève, le peuple peut se trouver comme contraint d’élire un Président de la République par défaut, dont la gestion peut le conduire à un désastre, sur tous les plans. Alors que, dans le même temps, le Président sortant est exclu, d’emblée, de la course, après ses deux mandats, bien qu’il remplisse, notamment, les conditions d’âge, de moralité et de nationalité et malgré son charisme imposant, sa gestion irréprochable, sa gouvernance impeccable, son leadership reconnu et le soutien dont il bénéficie auprès de l’ensemble de la classe politique et des populations”.

Présomption d’incompétence
Ici, on n’est plus dans l’opinion, on est carrément dans la fiction. Et cette romance de mauvais goût est de loin la plus risible. Je vais vous dire pourquoi. L’auteur dit que sa proposition ne concerne pas le Président Ouattara, dont le mandat prend fin en 2020. Ce qui veut dire que la question du mandat illimité ne se posera qu’en 2030, après les deux quinquennats (s’il est réélu après son premier mandat bien sûr) du successeur du Président Ouattara. Dans un pays de plus de 20 millions d’habitants en 2015, sous-entendre qu’il pourrait se trouver dans moins de quinze ans, qu’aucun Ivoirien ne soit capable de diriger le pays; relève soit de la mauvaise foi, soit de l’injure pour soi-même. Je penche pour la deuxième hypothèse. L’auteur est libre d’assumer ses réticences quant à ses propres capacités d’homme d’Etat, mais étendre cette présomption de non intégrité et de non crédibilité à toute la classe politique actuelle et future, à tous ces brillants cadres ivoiriens ; est une sacrée injure à l’intelligentsia ivoirienne. Non, la Côte d’Ivoire compétente que je connais, celle qui n’utilise pas de raccourcis funestes, encore moins de fielleuses compromissions, pour se glisser, avec un détestable penchant pour la forfaiture, dans les mielleux méandres du pouvoir ; regorge de cadres aux qualités redoutables qui peuvent former autant de gouvernements que de semaines dans l’année. Une bonne short-list parmi ceux-ci, quand bien même elle n’a pas, à l’heure où j’écris ces lignes, l’incontestable charisme planétaire du Président Ouattara (j’assume entièrement cette opinion personnelle), aura le profil du poste présidentiel et pourra valablement poursuivre sa belle oeuvre, dans cinq, dix ou quinze ans, sans que le ciel du recul du développement ne tombe sur la tête des Ivoiriens.

Contre-exemples du parfait
Troisième argument: “Elle (la disposition limitative) peut déboucher sur des crises résurgentes encore plus graves que celles qu’elle est sensée résoudre, comme on a pu le constater dans de nombreux pays d’Afrique qui l’ont adoptée, puis l’ont remise en cause, avec plus ou moins de réussite. Le Burkina-Faso, le Burundi, le Congo-Brazaville, le Rwanda, le Sénégal, le Togo en sont des illustrations”.

Ici se trouve la plus grosse erreur (ou arnaque, c’est selon) de l’intellectuel et sans doute la preuve suprême qu’il décrypte mal, très mal la “conscience historique” de l’Afrique. En effet, les exemples donnés sont justement des contre-exemples du parfait. Ils sont d’ailleurs la preuve qu’il n’est absolument pas nécessaire de faire sauter le verrou limitatif. Démonstration.

De fait, dans aucun pays en Afrique, y compris ceux cités plus haut, la limitation de la durée du mandat présidentiel n’a créé une quelconque tension. Aucun. Les faits sont là, historiques, immuables et sacrés. C’est justement l’abrogation ou la tentative d’abrogation de ce verrou (ce que propose justement l’auteur) qui crée des tensions “mortifères”. L’exemple historique qui obéit à l’implacable loi de proximité est celui du Burkina Faso voisin. 2002: modification de la constitution en vue, entre autres, de l’instauration de la limitation de la durée du mandat présidentiel: zéro mort. 2014: tentative de modification de la constitution pour faire sauter le verrou du mandat limitatif: plusieurs dizaines de morts, des centaines de blessés, des biens matériels détruits, une révolution qui a chassé opportunément du pouvoir, des sortes de “Bacongo” locaux qui s’étaient donnés pour impossible mission, d’inoculer sournoisement dans l’opinion, l’insultante idée selon laquelle, en dehors de Blaise Compaoré, point de “cadres politiques charismatiques, compétents, crédibles et intègres, pouvant assurer la relève” (sic) au palais de Kosyam. La suite est connue dans ce pays. Un triumvirat improbable composé d’un journaliste, d’un militaire et d’un diplomate (les deux premiers n’ayant aucune expérience gouvernementale), a réussi à faire aboutir, avec une rare lucidité, l’une des transitions les plus réussies d’Afrique, en dépit des assauts foireux d’obscurantistes qui étaient justement parmi ceux qui proclamaient un an plus tôt, qu’il n’y avait pas de “cadres politiques charismatiques, compétents, crédibles et intègres, pouvant assurer la relève” au Faso.

Exemples contradictoires
Je m’arrête là, en ce qui concerne les limites de l’argumentation de l’auteur. A présent, je vais utiliser ses propres exemples pour soutenir ma position personnelle (pour l’heure, je ne vois pas la nécessité de développer mes propres arguments puisque j’espère que ce débat inconséquent et inutile va prendre fin et vite), et démontrer que sans le vouloir, il a lui-même apporté de l’eau au moulin de sa propre contradiction.
La phrase suivante est la preuve incontestable que l’auteur n’arrive pas à cerner sa propre argumentation, preuve s’il en est, que l’exercice de contorsion de l’acquis démocratique est plus difficile qu’il ne paraît. “Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément” (Nicolas Boileau), c’est connu. “Certes, a-t-il écrit, dans un contexte de démocratie factice, comme dans de nombreux pays, particulièrement d’Afrique, où les Chefs d’Etat sont enclins à se maintenir au pouvoir, ad vitam aeternam, généralement au moyen d’artifices électoraux, la limitation du mandat présidentiel dans la constitution peut être considéré comme un compromis salutaire entre le règne de la dictature déguisée et l’alternance au moyen des armes”.

C’est ici que l’auteur aurait dû avoir le courage intellectuel d’admettre que proposer l’abrogation de la durée du mandat présidentiel relève de l’hérésie démocratique, surtout que nous sommes justement en Afrique (et pas en Europe, ni aux Etats-Unis). Je répète: ce débat anachronique et malsain ne mérite pas d’être soulevé. Son unique mérite sera de pourrir le dernier quinquennat du Président Ouattara (comme c’est le cas actuellement en République démocratique du Congo, comme cela a failli être le cas au Bénin) et de le gêner dans son ambition de “faire de la Côte d’Ivoire, un pays émergent à l’horizon 2020”. Tout compte fait, peut-être est-ce cela la réelle intention de l’auteur... Et c’est pour cette raison que j’ai demandé dans mon billet d’humeur, qu’on aille lui dire d’arrêter ce petit jeu, tout de suite.

Pour conclure, je répète que je m’abstiens, pour l’heure, de développer mes propres arguments, étant donné que j’espère que ce débat prendra fin avec le retour à la raison politique de son initiateur, heureusement seul jusque-là, parmi l’élite, à soutenir cette idée du passé et dépassée. Pour ma part, ma position politique est sous-tendue par une obsession: la non remise en cause des acquis démocratiques qui promeuvent l’alternance politique et le renouvellement en douceur de la classe dirigeante. Vous aurez compris que l’auteur, pour sa part, semble subtilement n’admettre que deux options en matière de gouvernance politique en Afrique: la “dictature déguisée” ou “l’alternance au moyen des armes” (dixit). J’ignore sa préférence, mais dans les deux cas, nous ne sommes pas en démocratie. Dans le fond, et je l’ai bien compris, nous sommes dans deux écoles différentes... Qui vivra verra !

André Silver Konan
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