En Afrique, et jamais dans le monde occidental, dès que vous sortez d’une rencontre avec une personnalité politique, votre entourage se précipite vers vous pour demander combien vous avez reçu comme argent. C’est si grave que des personnes les plus intelligentes sont convaincues qu’on vous a remis des millions. Toute rencontre professionnelle est considérée comme une distribution d’argent. Tous ceux dont l’apparence fait croire qu’il est un possédant est harcelé à longueur de journées par les siens, les amis et même les inconnus pour servir de distributeur de billets de banque. Et surtout de billets neufs. La nouveauté incarne le puissant. Toute rencontre avec une personnalité politique, dans l’imaginaire du peuple, est forcément un achat de conscience. On ne s’imagine pas que deux êtres différents ne puissent pas parler de politique. Dans la vie il y a plus et mieux que la politique. Dieu, les femmes, les sports, la lecture, la marche et le marché et mille autres choses qui ne sont pas des causes de conflits et de divisions entre les êtres. Cette tendance des Africains à voir des distributeurs de billets dans tous les bureaux des dirigeants politiques et socio-économiques s’explique par le parasitisme social enfui dans la conscience du négro-africain qui remonte à des siècles. Ces siècles où les empereurs, les roitelets et les chefs de tous acabits avaient droit de vie et de mort sur tous les habitants. Par conséquent, ces chefs nourrissaient et habillaient leur population. Les chefs modernes sont vus encore et toujours sous cet angle. On retrouve le même schéma avec les villageois ou les provinciaux. Pour eux, tous ceux qui habitent la ville et les grandes villes ne peuvent être que des nantis. Comment peuvent-ils posséder des maisons aussi modernes avec de l’eau qui jaillit quand on tourne un bouton et ne pas pouvoir satisfaire le besoin d’argent permanent d’un pauvre ? Combien de personnes bien portantes ont subitement perdu la vie parce qu’incapables de financer le projet de construction, au village, d’une villa à huit chambres d’un oncle. Dans certaines villes africaines des fonctionnaires, parce que possédant un véhicule de l’Etat avec un chauffeur et portant veste et cravate au quotidien, ont vu leur maison devenue un annexe de leur village. Ils se voient obligés et même contraints de nourrir vieux et jeunes dont l’ambition est de passer toute la journée à regarder des émissions de télévision. Et pourtant, la main d’œuvre est abondamment recherchée dans les villes et les campagnes. Tout le monde veut vivre à l’occidental sans fournir le moindre effort. Cette mentalité d’assistés se prolonge dans les activités sociales et récréatives. Rien ne s’organise financièrement et matériellement par ses propres efforts. Il faut demander les moyens à une personnalité de toutes sortes sans demander un effort aux membres de l’association. Et ce genre de demande est devenu un vrai racket dans la société pour s’enrichir et surtout de ne rien organiser. Ils savent d’avance que ceux qui ont financé n’y viendront pas et même envoyé l’un de leurs collaborateurs pour attester de l’organisation de la cérémonie. Oui, l’argent s’envole dans nos pays. J’imagine un peu toutes les sommes sorties chaque jour pour venir en aide aux démunis et aux nantis. L’argent circule beaucoup et comment le canaliser. Dans certains pays, les griots peuvent recevoir, par mois, plus que le salaire mensuel de trois ou quatre ministres. Si toute la masse d’argent envolé toute la semaine était dirigée vers des projets constructifs, l’Afrique fera un long chemin sur la voie de son émergence. Je pense à l’épargne. Jeune, je me disais que lorsque je serai dans l’appareil gouvernemental, je ferai en sorte qu’on trouve un mécanisme pour obliger le citoyen à faire une épargne obligatoire. Devant les dépenses quotidiennes, les charges diverses, personne n’arrive à épargner, même en le faisant, le social en Afrique contraint à « casser » son épargne. Or, on sait que c’est par l’épargne individuelle et collective qu’on réussit des projets. Devant son importance, les gouvernements africains doivent imposer cela. Prélever trois pour cent du salaire des fonctionnaires et des travailleurs n’amènera pas une grève. Et lorsque les épargnants rentreront, dans les années prescrites, en possession de leurs « butins », avec intérêts compris, ils verront l’importance de l’épargne. Personne ne se suffit financièrement. Même quand vous atteignez votre but financièrement, la société africaine viendra vous rappeler que vous ne sauriez être riche tout seul. C’est ainsi que celui qui a un revenu mensuel de deux cents mille aura des dépenses de trois cents mille. La vie est une course permanente à la recherche d’un trésor qui se dérobe en permanence. La seule solution, c’est de casser les pattes de cet oiseau volant par se contraindre soi-même ou par obligation à une épargne bloquée. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Par Isaïe Biton Koulibaly
Par Isaïe Biton Koulibaly