Abidjan (AIP) - La pêche artisanale, qui était exercée notamment par des ressortissants de la sous-région ouest-africaine, n’a plus de secret pour Bakayoko Mamadou, un jeune Ivoirien, qui se bat pour la promotion de ce secteur d’activité. Président de la Fédération nationale des sociétés coopératives et acteurs de la filière pêche en Côte d’Ivoire (FENASCOOP-CI), il présente, dans cette interview, les opportunités offertes par ce secteur d’activité notamment pour les jeunes.
Très jeune et vous êtes l’un des rares Ivoiriens à prospérer dans le secteur de la pêche artisanale. Comment a démarré votre histoire ?
Bakayoko Mamadou: Cela fait 15 ans que je suis dans ce secteur. Tout est parti d’une curiosité. J’étais allé à Mondoukou à proximité de Grand-Bassam pour un week-end et j’ai vu une embarcation de pêche traditionnelle en mer. Et par curiosité, j’ai demandé des informations sur le secteur aux enfants qui étaient aux alentours. Ils m’ont dit que l’embarcation que je voyais pratiquait la pêche traditionnelle. Et tous ceux qui pratiquaient cette pêche étaient majoritairement des Ghanéens. C’est ainsi que je suis allé payer une embarcation au Ghana, à Tema. J’ai payé également des filets. La seule embarcation de pêche traditionnelle m’a coûté autour de 10 millions de Francs CFA. Vous voyez ! Lorsque j’ai commencé à travailler, j’ai vu la rentabilité du projet. Du coup, d’une embarcation, je suis passé à cinq embarcations. C’est comme cela que j’ai eu une passion pour le métier. Je me suis dit qu’avec une bonne organisation, on peut faire beaucoup de choses.
Aujourd’hui, vous êtes le président de la FENASCOOP-CI, comment évolue les choses actuellement dans le secteur ?
BM: Les choses vont très bien. Nous avons eu un résultat extrêmement positif en 2020. Nous avons réussi à installer près de 12 coopératives de pêche. Nous avons reçu tous les documents appropriés. De même, nous sommes en parfaite harmonie avec l’Administration. En plus de la Fédération qui comprend les pêcheurs, il y a les mareyeuses à qui le poisson est livré après la pêche.
Concrètement, est-ce qu’il y a de la place pour les jeunes qui veulent s’adonner à ce métier ?
BM: Le secteur est encore vierge. Pour ma part, je pense que les jeunes n’ont pas encore compris dans leur ensemble, l’importance de la pêche artisanale. On a cru dès le départ que c’était une affaire de Ghanéens, Béninois et Togolais. Et pourtant, la pêche est ouverte à tous les Ivoiriens que tu sois lagunaire ou pas. Même, nous remarquons que cette pêche est abandonnée par les lagunaires qui, selon l’histoire, avaient pour activité principale ce métier. Nous sommes en train de nous battre pour que les jeunes de la côtière puissent s’adonner à ce métier qui nourrit véritablement son homme et même une région. Nous avons l’expertise et les preuves.
Pourquoi selon vous, les jeunes ne s’intéressent pas aux métiers de la pêche ?
BM: C’est le manque d’information qui favorise cela. Il faut que les structures soient dirigées par des Ivoiriens. Au début, toutes les sociétés coopératives étaient dans la main de nos frères étrangers. Et lorsque nous avons fait notre entrée dans le secteur, il nous appartient de montrer aux Ivoiriens l’importance de cette pêche et ses avantages.
En tant que devancier, que faites-vous pour attirer les jeunes dans le secteur ?
BM: Je vous informe qu’il y a un partenariat entre le Lycée professionnel des métiers de la pêche de Grand-Lahou et mon entreprise. Après la formation théorique des élèves, nous les formons sur la pratique de la pêche dans les eaux continentales et lagunaires et nous insérons certains d’entre eux. Chaque année, nous avons entre 30 et 40 jeunes que nous formons. Imaginez-vous depuis une quinzaine d’années, les personnes que nous avions formées. Et ces jeunes formés sont là. Il nous faut des moyens pour acquérir des embarcations pour leur autonomisation. C’est pourquoi, l’Etat doit nous appuyer pour qu’on puisse avoir plus d’embarcations pour aller en mer en vue de pêcher beaucoup de poissons pour nourrir les populations.
Pensez-vous que les jeunes Ivoiriens sont bien motivés pour assurer la relève dans ce secteur d’activité ?
BM: Oui, il y a beaucoup d’engouement au niveau des jeunes. Il y a tellement de motivation à leur niveau, qu’on ne peut même pas les satisfaire tous. Et cela crée des mécontentements en leur sein. A Guessabo, nous sommes en partenariat avec les pêcheurs Bozo qui y exercent. Ils sont prêts à accueillir les jeunes que nous formons. Il y a autant d’engouement pour les jeunes pour la pêche continentale que lagunaire. Toutes les écoles qui forment à la pêche peuvent nous saisir. Tous ceux que nous avons formés ont eu l’envie d’aller pêcher en mer. Mais avec combien d’embarcations ? Nous sommes limités. C’est pourquoi, nous appelons l’aide de l’Etat pour avoir plus d’embarcations. J’encourage le gouvernement à organiser des séminaires avec nous les acteurs pour expliquer l’importance de ce métier à la jeunesse ivoirienne. Moi, je suis un exemple palpable pour les jeunes. Je ne suis pas lagunaire. Je suis originaire du Nord de la Côte d’Ivoire. Je suis parti de rien. J’ai une quinzaine d’embarcations à ce jour à ma possession. Tous ceux qui veulent oser peuvent bien réussir dans la pêche.
Concrètement, qu’est-ce que vous attendez de l’Etat de Côte d’Ivoire ?
BM: D’abord, nous remercions le gouvernement à travers le ministère des Ressources animales et halieutiques. Car dans toute chose, il faut doter les structures d’une loi sur la pêche. Bientôt, nous serons convoqués à un atelier pour valider les nouvelles lois sur la pêche. En plus, le ministre Moussa Dosso annonce la création d’une Agence de pêche, de l’aquaculture et de l’élevage. C’est un projet très important car en dehors des lois, il faut être autonome. Et avec cela, nous pensons que la pêche prendra véritablement toute sa place dans l’économie ivoirienne. Nous attendons des fonds de l’Etat. Nous avons exigé que seuls les Ivoiriens doivent diriger les sociétés coopératives. Et Dieu merci, nous avons réussi ce challenge. Depuis 15 ans, l’honneur a été fait à ma modeste personne de mettre en œuvre ce projet. Je suis allé d’étape en étape pour organiser le secteur. L’Etat nous a fait un don de 400 millions FCFA de matériels. Ce qui nous a d’ailleurs bien soulagé mais reste encore très insuffisant. Il nous faut des fonds de roulement pour acquérir de nouvelles embarcations, des chambres froides, des véhicules frigorifiques pour que le poisson soit distribué sur toute l’étendue du territoire national, car on ne doit plus se concentrer sur Abidjan. Il faut décentraliser ce projet.
Au sein de votre Fédération se trouvent les femmes mareyeuses. Etes-vous satisfait de leur rendement ?
BM: Je suis très satisfaite des femmes. Nous avons eu des femmes en stage qui pour la première fois sont allées en mer. Elles ont pêché comme si elles avaient déjà pratiqué le métier. Certaines ont piloté les navettes pour la première fois. C’est pourquoi, j’exhorte toutes les femmes à aimer ce métier. Concernant les mareyeuses, je suis très satisfait de leur rendement. Je leur demande de continuer à se mettre en coopérative pour mieux exercer leur métier. Partout, nous avons des coopératives. Nous sommes en train de mettre tout le district d’Abidjan en coopérative. A Marcory, nous avons deux coopératives, à Abobo, une coopérative, à Yopougon, nous en avons trois, à Koumassi, une, à Port-Bouët, nous en avons deux. Il nous reste Treichville et Adjamé. Lorsque toutes ces femmes sont en coopérative, il sera facile pour nous d’écouler le poisson facilement.
Comment votre poisson pêché arrive-t-il dans les marchés et
quelles sont les localités ou votre Fédération est représentée?
BM: Lorsque notre poisson arrive au quai du débarcadère, nous le reversons aux sociétés coopératives constituées des mareyeuses. Il revient de plein droit à ces coopératives de distribuer le poisson à travers leur réseau sur les marchés. C’est pourquoi, nous souhaitons que toutes ces femmes se mettent en société coopérative. En dehors d’Abidjan, nous sommes sur toute la côtière à savoir Dabou, Jacqueville, Sassandra, San-Pedro, Grand-Bereby, Tabou … et même Daloa.
•
La pêche n’a pas de secret pour Bakayoko Mamadou.
Est-ce que ce secteur est menacé par l’avènement des bateaux pirates ?
BM: Il y a plutôt un problème d’environnement. Il y a les sachets, les huiles, le carburant qui polluent la mer et qui sont une menace pour le poisson et les produits halieutiques. Il y a le changement climatique qui joue sur la production. Les bateaux pirates constituent un danger mais pour moi, ce n’est pas un facteur clé.
Les carpes dites ‘’chinoises’’ ont envahi depuis un moment le marché local. Est-ce que cette pratique à une incidence sur vos activités ?
BM: Non pas du tout et c’est pour cela que nous encourageons chaque Ivoirien à s’adonner à la pisciculture. Le poisson pêché dans les fleuves, les lagunes et la mer n’ont pas les mêmes goûts que ceux dont vous parlez. Il y a une grande différence. Et c’est pourquoi, je demande à chaque Ivoirien de faire la pisciculture chez lui à la maison. Il faut que cela soit une culture dans nos habitudes. Pour nous, les Ivoiriens doivent se mobiliser autour de cette activité comme si on élevait des poulets. Il faut une volonté politique pour y parvenir.
Quel est le volume de poisson que vous pêchez annuellement ?
BM: Nous avons une estimation qui se situe entre 200 à 300 mille tonnes que nous pêchons annuellement. Nous allons arriver très prochainement à de vraies statistiques. C’est pour cela que nous avons préconisé le recensement de tous les acteurs de la pêche. Et le ministre des Ressources animales et halieutiques a promis le recensement des acteurs et des embarcations. Si tout cela est fait, on peut facilement connaître le volume de la production de notre poisson exactement.
Est-ce que les poissons pêchés suivent les conditions hygiéniques avant d’être mis sur le marché ?
BM: Lorsque le poisson arrive au quai du débarcadère, il y a un service vétérinaire de la direction de la pêche et de l’aquaculture du ministère des Ressources animales et Halieutiques qui s’assurent de la qualité du poisson avant qu’il ne soit mis à la disposition des mareyeuses pour l’écouler sur le marché.
La COVID-19 a-t-elle eu un impact sur vos activités ?
BM: Oui la COVID-19 a eu un impact très grave sur nos activités. Chaque embarcation doit respecter un certain nombre de pêcheurs. Les pêcheurs de la sardine par exemple doivent être entre 20 à 23 personnes dans l’embarcation. Avec la COVID, nous sommes obligés de nous limiter à 12 personnes au plus pour le respect des mesures barrières. Le problème, c’est que le nombre n’a pas la force requise pour tirer le filet et pêcher une bonne quantité de poisson. Et pire, lorsqu’il y avait le couvre-feu, nos productions n’arrivaient pas à être bien écoulées car les marchés sont fermés.
Quel rapport avez-vous avec les acteurs de la pêche industrielle ?
BM: Nous sommes en train de nous battre pour que ce secteur connaisse une bonne organisation comme la nôtre. Si la pêche industrielle n’est pas organisée, elle agit indirectement sur notre secteur d’activité, c’est-à-dire la pêche artisanale. Lorsque nos deux secteurs sont mieux organisés, ensemble nous serons forts pour faire face aux défis. Tant qu’il n’y a pas d’organisation, il n’y aura pas de cohérence et de financement.
Est-ce que vous bénéficiez de leur expertise ?
BM: Au contraire, c’est eux qui nous sollicitent. Nous sommes déjà mieux organisés et c’est eux qui attendent notre expertise.
La FAO et de l’Union Européenne apportent leur appui pour la bonne marche de la pêche à travers des projets. Qu’est-ce que vous attendez exactement de ces organisations ?
BM: Je voulais remercier ces structures qui apportent leur appui pour une autosuffisance en protéine halieutique. J’aimerais dire à ces organisations que les structures de pêche sont régies par des textes. Si ces organisations veulent des interlocuteurs fiables dans notre milieu, qu’elles s’adressent au ministère des Ressources animales et halieutiques qui va leur montrer les acteurs reconnus. Car, souvent on entend dire souvent qu’il y a du bicéphalisme à la tête des structures. Entre-temps, il n’en est rien. Les structures reconnues par l’Etat doivent être présentées à la FAO et l’UE qui doivent travailler uniquement avec ces acteurs.
Votre mérite a été reconnu ces derniers jours à travers une récompense. Quel sera l’impact de ce prix sur vos activités ?
BM: Je dédie ce prix à ma maman, au ministre des Ressources animales et halieutiques, Dosso Moussa et à tous les membres de la grande famille de la pêche en Côte d’Ivoire. Ce prix m’encourage à persévérer et à innover dans mon secteur d’activité. Cela prouve que nous sommes très suivis dans ce que nous faisons. Cette distinction nous galvanise. Nous allons redoubler d’efforts dans notre travail et notre façon de voir les choses. Je promets que nous allons transformer cette pêche en une activité mieux vue dans toute l’Afrique. Nous avons les moyens, la vision et les hommes et c’est ensemble que nous allons relever les défis. C’est un début. Je pense que les prix viendront chaque année.
Quels sont vos grands projets à venir ?
BM: Nous avons pour ambition d’accroître la production ivoirienne en vue de permettre à l’Etat de réduire les importations car c’est un manque à gagner. On peut prendre cet argent pour permettre à notre secteur de se développer. Nous voulons nous doter d’équipements performants avec des sondeurs, des GPS. Nous voulons améliorer les conditions de vie de nos employés et trouver des embarcations adéquates pour la pêche car actuellement, on ne prend pas toute sorte d’embarcation pour aller à la pêche. La pêche est une activité de précision, on ne se lève pas par hasard pour aller pêcher. On doit avoir les conditions météorologiques, un équipement adapté avant d’y aller. Nous profitions pour exprimer notre gratitude à l’Etat qui a mis à notre disposition des prêts de 400 millions de FCFA de matériel. Cela permettra d’accroître notre capacité et de nous rendre performant malgré la pandémie. Nous voulons installer des chambres froides sur toute l’étendue du territoire national pour avoir en permanence le poisson partout en Côte d’Ivoire. Cela permettra à ces villes d’avoir suffisamment du poisson pour ne plus être dépendant d’Abidjan. C’est une politique que nous mettons en place et nous allons réussir.
Nous pouvons transformer le thon comme ce que l’entreprise Airone fait à Abidjan. On peut donner le Label Côte d’Ivoire et le vendre à travers le monde. Ce sont des étapes et nous ne sommes qu’à la première phase.
Interview réalisée par Benjamin SORO
bsp/kkf/cmas
Très jeune et vous êtes l’un des rares Ivoiriens à prospérer dans le secteur de la pêche artisanale. Comment a démarré votre histoire ?
Bakayoko Mamadou: Cela fait 15 ans que je suis dans ce secteur. Tout est parti d’une curiosité. J’étais allé à Mondoukou à proximité de Grand-Bassam pour un week-end et j’ai vu une embarcation de pêche traditionnelle en mer. Et par curiosité, j’ai demandé des informations sur le secteur aux enfants qui étaient aux alentours. Ils m’ont dit que l’embarcation que je voyais pratiquait la pêche traditionnelle. Et tous ceux qui pratiquaient cette pêche étaient majoritairement des Ghanéens. C’est ainsi que je suis allé payer une embarcation au Ghana, à Tema. J’ai payé également des filets. La seule embarcation de pêche traditionnelle m’a coûté autour de 10 millions de Francs CFA. Vous voyez ! Lorsque j’ai commencé à travailler, j’ai vu la rentabilité du projet. Du coup, d’une embarcation, je suis passé à cinq embarcations. C’est comme cela que j’ai eu une passion pour le métier. Je me suis dit qu’avec une bonne organisation, on peut faire beaucoup de choses.
Aujourd’hui, vous êtes le président de la FENASCOOP-CI, comment évolue les choses actuellement dans le secteur ?
BM: Les choses vont très bien. Nous avons eu un résultat extrêmement positif en 2020. Nous avons réussi à installer près de 12 coopératives de pêche. Nous avons reçu tous les documents appropriés. De même, nous sommes en parfaite harmonie avec l’Administration. En plus de la Fédération qui comprend les pêcheurs, il y a les mareyeuses à qui le poisson est livré après la pêche.
Concrètement, est-ce qu’il y a de la place pour les jeunes qui veulent s’adonner à ce métier ?
BM: Le secteur est encore vierge. Pour ma part, je pense que les jeunes n’ont pas encore compris dans leur ensemble, l’importance de la pêche artisanale. On a cru dès le départ que c’était une affaire de Ghanéens, Béninois et Togolais. Et pourtant, la pêche est ouverte à tous les Ivoiriens que tu sois lagunaire ou pas. Même, nous remarquons que cette pêche est abandonnée par les lagunaires qui, selon l’histoire, avaient pour activité principale ce métier. Nous sommes en train de nous battre pour que les jeunes de la côtière puissent s’adonner à ce métier qui nourrit véritablement son homme et même une région. Nous avons l’expertise et les preuves.
Pourquoi selon vous, les jeunes ne s’intéressent pas aux métiers de la pêche ?
BM: C’est le manque d’information qui favorise cela. Il faut que les structures soient dirigées par des Ivoiriens. Au début, toutes les sociétés coopératives étaient dans la main de nos frères étrangers. Et lorsque nous avons fait notre entrée dans le secteur, il nous appartient de montrer aux Ivoiriens l’importance de cette pêche et ses avantages.
En tant que devancier, que faites-vous pour attirer les jeunes dans le secteur ?
BM: Je vous informe qu’il y a un partenariat entre le Lycée professionnel des métiers de la pêche de Grand-Lahou et mon entreprise. Après la formation théorique des élèves, nous les formons sur la pratique de la pêche dans les eaux continentales et lagunaires et nous insérons certains d’entre eux. Chaque année, nous avons entre 30 et 40 jeunes que nous formons. Imaginez-vous depuis une quinzaine d’années, les personnes que nous avions formées. Et ces jeunes formés sont là. Il nous faut des moyens pour acquérir des embarcations pour leur autonomisation. C’est pourquoi, l’Etat doit nous appuyer pour qu’on puisse avoir plus d’embarcations pour aller en mer en vue de pêcher beaucoup de poissons pour nourrir les populations.
Pensez-vous que les jeunes Ivoiriens sont bien motivés pour assurer la relève dans ce secteur d’activité ?
BM: Oui, il y a beaucoup d’engouement au niveau des jeunes. Il y a tellement de motivation à leur niveau, qu’on ne peut même pas les satisfaire tous. Et cela crée des mécontentements en leur sein. A Guessabo, nous sommes en partenariat avec les pêcheurs Bozo qui y exercent. Ils sont prêts à accueillir les jeunes que nous formons. Il y a autant d’engouement pour les jeunes pour la pêche continentale que lagunaire. Toutes les écoles qui forment à la pêche peuvent nous saisir. Tous ceux que nous avons formés ont eu l’envie d’aller pêcher en mer. Mais avec combien d’embarcations ? Nous sommes limités. C’est pourquoi, nous appelons l’aide de l’Etat pour avoir plus d’embarcations. J’encourage le gouvernement à organiser des séminaires avec nous les acteurs pour expliquer l’importance de ce métier à la jeunesse ivoirienne. Moi, je suis un exemple palpable pour les jeunes. Je ne suis pas lagunaire. Je suis originaire du Nord de la Côte d’Ivoire. Je suis parti de rien. J’ai une quinzaine d’embarcations à ce jour à ma possession. Tous ceux qui veulent oser peuvent bien réussir dans la pêche.
Concrètement, qu’est-ce que vous attendez de l’Etat de Côte d’Ivoire ?
BM: D’abord, nous remercions le gouvernement à travers le ministère des Ressources animales et halieutiques. Car dans toute chose, il faut doter les structures d’une loi sur la pêche. Bientôt, nous serons convoqués à un atelier pour valider les nouvelles lois sur la pêche. En plus, le ministre Moussa Dosso annonce la création d’une Agence de pêche, de l’aquaculture et de l’élevage. C’est un projet très important car en dehors des lois, il faut être autonome. Et avec cela, nous pensons que la pêche prendra véritablement toute sa place dans l’économie ivoirienne. Nous attendons des fonds de l’Etat. Nous avons exigé que seuls les Ivoiriens doivent diriger les sociétés coopératives. Et Dieu merci, nous avons réussi ce challenge. Depuis 15 ans, l’honneur a été fait à ma modeste personne de mettre en œuvre ce projet. Je suis allé d’étape en étape pour organiser le secteur. L’Etat nous a fait un don de 400 millions FCFA de matériels. Ce qui nous a d’ailleurs bien soulagé mais reste encore très insuffisant. Il nous faut des fonds de roulement pour acquérir de nouvelles embarcations, des chambres froides, des véhicules frigorifiques pour que le poisson soit distribué sur toute l’étendue du territoire national, car on ne doit plus se concentrer sur Abidjan. Il faut décentraliser ce projet.
Au sein de votre Fédération se trouvent les femmes mareyeuses. Etes-vous satisfait de leur rendement ?
BM: Je suis très satisfaite des femmes. Nous avons eu des femmes en stage qui pour la première fois sont allées en mer. Elles ont pêché comme si elles avaient déjà pratiqué le métier. Certaines ont piloté les navettes pour la première fois. C’est pourquoi, j’exhorte toutes les femmes à aimer ce métier. Concernant les mareyeuses, je suis très satisfait de leur rendement. Je leur demande de continuer à se mettre en coopérative pour mieux exercer leur métier. Partout, nous avons des coopératives. Nous sommes en train de mettre tout le district d’Abidjan en coopérative. A Marcory, nous avons deux coopératives, à Abobo, une coopérative, à Yopougon, nous en avons trois, à Koumassi, une, à Port-Bouët, nous en avons deux. Il nous reste Treichville et Adjamé. Lorsque toutes ces femmes sont en coopérative, il sera facile pour nous d’écouler le poisson facilement.
Comment votre poisson pêché arrive-t-il dans les marchés et
quelles sont les localités ou votre Fédération est représentée?
BM: Lorsque notre poisson arrive au quai du débarcadère, nous le reversons aux sociétés coopératives constituées des mareyeuses. Il revient de plein droit à ces coopératives de distribuer le poisson à travers leur réseau sur les marchés. C’est pourquoi, nous souhaitons que toutes ces femmes se mettent en société coopérative. En dehors d’Abidjan, nous sommes sur toute la côtière à savoir Dabou, Jacqueville, Sassandra, San-Pedro, Grand-Bereby, Tabou … et même Daloa.
•
La pêche n’a pas de secret pour Bakayoko Mamadou.
Est-ce que ce secteur est menacé par l’avènement des bateaux pirates ?
BM: Il y a plutôt un problème d’environnement. Il y a les sachets, les huiles, le carburant qui polluent la mer et qui sont une menace pour le poisson et les produits halieutiques. Il y a le changement climatique qui joue sur la production. Les bateaux pirates constituent un danger mais pour moi, ce n’est pas un facteur clé.
Les carpes dites ‘’chinoises’’ ont envahi depuis un moment le marché local. Est-ce que cette pratique à une incidence sur vos activités ?
BM: Non pas du tout et c’est pour cela que nous encourageons chaque Ivoirien à s’adonner à la pisciculture. Le poisson pêché dans les fleuves, les lagunes et la mer n’ont pas les mêmes goûts que ceux dont vous parlez. Il y a une grande différence. Et c’est pourquoi, je demande à chaque Ivoirien de faire la pisciculture chez lui à la maison. Il faut que cela soit une culture dans nos habitudes. Pour nous, les Ivoiriens doivent se mobiliser autour de cette activité comme si on élevait des poulets. Il faut une volonté politique pour y parvenir.
Quel est le volume de poisson que vous pêchez annuellement ?
BM: Nous avons une estimation qui se situe entre 200 à 300 mille tonnes que nous pêchons annuellement. Nous allons arriver très prochainement à de vraies statistiques. C’est pour cela que nous avons préconisé le recensement de tous les acteurs de la pêche. Et le ministre des Ressources animales et halieutiques a promis le recensement des acteurs et des embarcations. Si tout cela est fait, on peut facilement connaître le volume de la production de notre poisson exactement.
Est-ce que les poissons pêchés suivent les conditions hygiéniques avant d’être mis sur le marché ?
BM: Lorsque le poisson arrive au quai du débarcadère, il y a un service vétérinaire de la direction de la pêche et de l’aquaculture du ministère des Ressources animales et Halieutiques qui s’assurent de la qualité du poisson avant qu’il ne soit mis à la disposition des mareyeuses pour l’écouler sur le marché.
La COVID-19 a-t-elle eu un impact sur vos activités ?
BM: Oui la COVID-19 a eu un impact très grave sur nos activités. Chaque embarcation doit respecter un certain nombre de pêcheurs. Les pêcheurs de la sardine par exemple doivent être entre 20 à 23 personnes dans l’embarcation. Avec la COVID, nous sommes obligés de nous limiter à 12 personnes au plus pour le respect des mesures barrières. Le problème, c’est que le nombre n’a pas la force requise pour tirer le filet et pêcher une bonne quantité de poisson. Et pire, lorsqu’il y avait le couvre-feu, nos productions n’arrivaient pas à être bien écoulées car les marchés sont fermés.
Quel rapport avez-vous avec les acteurs de la pêche industrielle ?
BM: Nous sommes en train de nous battre pour que ce secteur connaisse une bonne organisation comme la nôtre. Si la pêche industrielle n’est pas organisée, elle agit indirectement sur notre secteur d’activité, c’est-à-dire la pêche artisanale. Lorsque nos deux secteurs sont mieux organisés, ensemble nous serons forts pour faire face aux défis. Tant qu’il n’y a pas d’organisation, il n’y aura pas de cohérence et de financement.
Est-ce que vous bénéficiez de leur expertise ?
BM: Au contraire, c’est eux qui nous sollicitent. Nous sommes déjà mieux organisés et c’est eux qui attendent notre expertise.
La FAO et de l’Union Européenne apportent leur appui pour la bonne marche de la pêche à travers des projets. Qu’est-ce que vous attendez exactement de ces organisations ?
BM: Je voulais remercier ces structures qui apportent leur appui pour une autosuffisance en protéine halieutique. J’aimerais dire à ces organisations que les structures de pêche sont régies par des textes. Si ces organisations veulent des interlocuteurs fiables dans notre milieu, qu’elles s’adressent au ministère des Ressources animales et halieutiques qui va leur montrer les acteurs reconnus. Car, souvent on entend dire souvent qu’il y a du bicéphalisme à la tête des structures. Entre-temps, il n’en est rien. Les structures reconnues par l’Etat doivent être présentées à la FAO et l’UE qui doivent travailler uniquement avec ces acteurs.
Votre mérite a été reconnu ces derniers jours à travers une récompense. Quel sera l’impact de ce prix sur vos activités ?
BM: Je dédie ce prix à ma maman, au ministre des Ressources animales et halieutiques, Dosso Moussa et à tous les membres de la grande famille de la pêche en Côte d’Ivoire. Ce prix m’encourage à persévérer et à innover dans mon secteur d’activité. Cela prouve que nous sommes très suivis dans ce que nous faisons. Cette distinction nous galvanise. Nous allons redoubler d’efforts dans notre travail et notre façon de voir les choses. Je promets que nous allons transformer cette pêche en une activité mieux vue dans toute l’Afrique. Nous avons les moyens, la vision et les hommes et c’est ensemble que nous allons relever les défis. C’est un début. Je pense que les prix viendront chaque année.
Quels sont vos grands projets à venir ?
BM: Nous avons pour ambition d’accroître la production ivoirienne en vue de permettre à l’Etat de réduire les importations car c’est un manque à gagner. On peut prendre cet argent pour permettre à notre secteur de se développer. Nous voulons nous doter d’équipements performants avec des sondeurs, des GPS. Nous voulons améliorer les conditions de vie de nos employés et trouver des embarcations adéquates pour la pêche car actuellement, on ne prend pas toute sorte d’embarcation pour aller à la pêche. La pêche est une activité de précision, on ne se lève pas par hasard pour aller pêcher. On doit avoir les conditions météorologiques, un équipement adapté avant d’y aller. Nous profitions pour exprimer notre gratitude à l’Etat qui a mis à notre disposition des prêts de 400 millions de FCFA de matériel. Cela permettra d’accroître notre capacité et de nous rendre performant malgré la pandémie. Nous voulons installer des chambres froides sur toute l’étendue du territoire national pour avoir en permanence le poisson partout en Côte d’Ivoire. Cela permettra à ces villes d’avoir suffisamment du poisson pour ne plus être dépendant d’Abidjan. C’est une politique que nous mettons en place et nous allons réussir.
Nous pouvons transformer le thon comme ce que l’entreprise Airone fait à Abidjan. On peut donner le Label Côte d’Ivoire et le vendre à travers le monde. Ce sont des étapes et nous ne sommes qu’à la première phase.
Interview réalisée par Benjamin SORO
bsp/kkf/cmas