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Santé Publié le vendredi 7 mai 2021 | AIP

“La loi sur la santé de la reproduction doit être votée pour réduire de façon drastique le taux des avortements clandestins, source de tragédie féminine” (Dr Sosthène Dougrou)

Dr Sosthène Dougrou est expert international en santé d’urgence et actuellement Directeur exécutif de la section Afrique francophone de l’ONG américaine IPAS International, une structure spécialisée dans le planning familial et la prévalence de la mortalité maternelle. Il nous instruit, au détour d’un atelier organisé à Dabou à l’attention des hommes/femmes de médias, sur les méfaits des avortements clandestins en Côte d’Ivoire et de la nécessité du vote d’une loi sur la santé de la reproduction avec comme point d’orgue, celle contre les violences basées sur le genre. Interview

Qu’est-ce que le Protocole de Maputo et selon vous, qu’est-ce qui bloque son application en Côte d’Ivoire ?

Le Protocole de Maputo à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples est un protocole international de l’Union africaine, amenant les États signataires à garantir les droits des femmes, y compris le droit de participer au processus politique, l’égalité sociale et politique avec les hommes, une autonomie améliorée dans leurs décisions en matière de santé et la fin des mutilations génitales féminines et autres pratiques traditionnelles préjudiciables aux femmes.

Le Protocole de Maputo n’est pas la porte ouverte à toutes les dérives, il vient plutôt pour encadrer. Dans la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples de l’Union Africaine, les femmes n’avaient pas été véritablement prises en compte. Ce Protocole est comme une révision sur les questions de succession de leur mari, de possession de terre, de violences basées sur le genre, de santé de la reproduction, etc.

En 2019, la ministre ivoirienne du Plan et du Développement, Kaba Nialé, était à Nairobi (Kenya, ndlr). Elle a pris l’engagement au nom de la Côte d’Ivoire à la Chaire, pour que la loi sur la santé de la reproduction soit votée et appliquée. Cette loi doit alors être intégrée dans le Protocole de Maputo et suivre la suite du processus qui avait commencé en 1993 en Côte d’Ivoire pour les pays francophones. Malgré cela, la Côte d’Ivoire est l’un des rares pays africains à être en retard sur cette thématique.

L’article 14 du Protocole de Maputo met à la charge des États, l’obligation de donner l’accès à l’avortement médicalisé aux femmes et aux filles enceintes à la suite d’un inceste, un viol ou toute autre forme d’agression sexuelle, ou lorsque la santé mentale ou physique de la femme ou de la fille enceinte est en danger ;ou encore lorsqu’il y a risque pour la vie de la femme, de la fille enceinte ou du fœtus.

Le Code pénal ivoirien a été révisé en juin 2018 et le viol a été introduit. Auparavant, l’avortement médicalisé n’était autorisé que dans le cas où la grossesse mettait en danger la vie de la mère. Avec la révision du code pénal, l’avortement en cas de viol est maintenant autorisé. Pour exemple, une enfant mineure qui a été violée peut-être autorisée à faire un avortement médicalisé avec l’accord de ses parents.

Pourtant, les religieux et les chefs coutumiers sont réticents à cette loi sur la santé de la reproduction dont l’avortement sécurisé ?

La position des religieux et autres autorités coutumières doit être prise très au sérieux dans le cadre de l’avortement médicalisé, mais nous ne devons pas mélanger les questions de Droit et les questions de Religion.

Le système de santé a plusieurs groupes, à savoir, le Ministère de la Santé et ses démembrements tels que les formations sanitaires et autre personnels médicales, etc. A côté, il y a le système éducatif, et enfin, il y a les Parlementaires. En face de tout ce beau monde, il y a les communautaires dont les religieux, les leaders traditionnels et la société civile.

Prenons l’exemple du préservatif et la position du Clergé qui est contre l’usage, sous prétexte que cela entraînera la débauche sexuelle. Mais s’il y a un vaccin contre le Sida, est-ce que ce même Clergé dira aux fidèles de ne pas se faire vacciner sous prétexte d’une débauche ?

Dans notre éducation religieuse, lorsqu’on nous offense, on nous demande de pardonner alors que le Droit nous dit que lorsqu’on nous offense, nous devons porter plainte. Donc, les religieux ne doivent pas s’opposer vaille que vaille à des lois que le pays même a ratifiées. L’Etat est laïc et est signataire du Protocole de Maputo en 2003. Ce même Protocole a été ratifié et publié dans le Journal Officiel en 2012. Nous devons être dans une dynamique républicaine et de Droit : là où ni la tradition, ni la religion ne peuvent s’inviter.

Pourquoi parle-t-on de santé publique dans le cas des avortements clandestins ?

En termes de santé publique, 20% des avortements se font de manière clandestine avec tous les risques encourus. C’est la tranche des 15-49 ans, avec un accent particulier chez les jeunes filles élèves, promises à un bel avenir. Généralement, les suites catastrophiques de ces avortements sont placés sous les termes génériques « d’infection » (parce que les patientes font de fortes fièvres) ou d’« hémorragie », alors que nous pouvons éviter cela. L’Etat a le droit et les moyens, sous la conduite d’un gynécologue, de donner la pilule abortive dans certains cas tels que le viol ou l’inceste. Nul ne va vers une interruption de grossesse de façon volontaire, de gaieté de cœur.

Nous voulons rompre le silence car c’est un sujet tabou. Nous devons réduire les avortements clandestins et leurs lots de décès. Sans vouloir s’accrocher à l’éthique, ce phénomène existe bel et bien et il faut l’aborder de façon très franche et responsable.

Prenons pour exemple les trois pays africains très bien avancés sur la loi sur la santé de la reproduction que sont la Tunisie, l’Afrique du Sud et le Cap Vert où il n’y a pratiquement aucun cas de décès maternel lié aux avortements clandestins. Tout y est transparent et les indicateurs de santé maternelle y sont très bons.

Dans le Protocole de Maputo, il a l’angle du droit qui permet à la femme de contrôler sa sexualité et sa maternité. Cependant, avant l’acte d’avortement, il y a un counseling qui est fait car ce n’est pas toutes celles qui viennent pour cette prestation qui en bénéficient. Nous mettons l’accent surtout sur les contraceptifs et avoir une oreille attentive.

Une difficulté sociale est aussi que depuis qu’il n’y a plus d’internats dans la plupart des lycées en Côte d’Ivoire, les jeunes filles sont plus vulnérables. Des élèves, tous sexes confondus et sans lien de parenté, louent ensemble un « entrer-coucher » dans une contrée; une grossesse est vite arrivée!

Quels sont les enjeux économiques de l’avortement médicalisé ?

Un avortement médicalisé dans un centre médical agréé dans le cadre de ce projet coûte en moyenne 7.000 Francs CFA; ce qui est nettement abordable que celui pratiqué de façon clandestine.

Qui parle de soins post-avortement parle d’abord d’acte médical clandestin. Pour exemple, lorsqu’on veut rattraper un utérus perforé, il faut anesthésier, opérer, mettre sous antibiotiques pendant 21 jours. Cela peut entraîner une incapacité de temporaire de travail et même malheureusement la mort. Bien vrai que les personnels de santé arrivent souvent à rattraper le pire, mais on doit éviter d’arriver à ce stade. Il faut faciliter l’accès à ce service. Néanmoins, le premier travail de fond, c’est d’abord l’éducation complète à la sexualité, ensuite les soins contraceptifs bien contrôlés.

Que préconisez-vous pour un meilleur système de santé ?

En matière de décès maternels en Côte d’Ivoire, il y a 35% dus aux hémorragies de la délivrance, 19% aux éclampsies (hypertension sur la grossesse) et 9% aux infections, soit un taux de mortalité maternelle des plus élevés de la sous-région avec 614 décès pour 100.000 naissances vivantes. Le nombre élevé de décès maternels est le reflet de la qualité du système de santé d’un pays. Mais, attention, la qualité de ce système n’est pas absolument liée aux infrastructures!

Au Burkina Faso par exemple, dans sa formation universitaire, un médecin-généraliste sait faire au moins deux opérations, à savoir, la césarienne et l’appendicite. Cela évite les évacuations et permet de sauver promptement des vies. Ils ont aussi le mentorat : les sages-femmes qui sortent de l’école sont coachées, accompagnées sur une bonne période. Ce système doit être vraiment appliqué ici, ce qui permettra d’améliorer notre système de santé.

Aussi, pendant notre formation de médecin, lorsqu’on prêtait serment, il fallait absolument prester pendant au moins deux ans sous un ancien pour être mieux accompagné et expérimenté.

Il nous faut aussi l’application de l’audit des décès maternels, qui permet de trouver le fond du problème et de savoir si le décès de la parturiente est dû aux retards des parents ou à la négligence médicale. Tout cela est une question de prise de conscience. Une vie est en jeu et une vie, ça n’a pas de prix.

Il faut une application du Protocole de Maputo, il y va de la vie de nos concitoyennes et d’expliquer sans démagogie les avantages d’avoir une loi sur la santé de la reproduction.

(AIP)

Interview réalisée par Tra Lou Sonia

tls/cmas
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