Elle est belle et à la tête pleine. À seulement 35 ans, Edith Mala Diop, ex-pilote d’avion sur Qatar Airways, est la seule Ivoirienne habilitée à prendre les commandes de long-courriers et d’avion-cargo. Formée à l’Institut aéronautique à Amaury de Lagrange (France), elle était déjà à 23 ans la plus jeune pilote de la compagnie Air Ivoire. Également passée par Sénégal Airlines, celle qui est basée à Doha, n’a pas cessé d’acquérir de l’expérience. Fille d’un ancien commandant de bord de l’ex-multinationale Air Afrique, Edith Mala Diop a donc été bercée dans le monde de l’aviation depuis son enfance. Elle raconte sa passion pour l’aviation…
Diasporas-News : Fille d’un père pilote d’avion (malheureusement décédé) et épouse d’un pilote d’avion… Votre vie n’est-elle pas finalement liée aux avions ?
Edith Mala Diop : D’aussi longtemps que je me souvienne, l’aviation a toujours été une partie intégrale de ma vie. J’ai été exposée depuis mon plus jeune âge à cet univers extraordinaire qu’est l’aviation, entourée de pilotes de lignes dont mon père et mes oncles. Cependant, ce n’est véritablement qu’à mon entrée au collège que j’ai décidé de devenir pilote de ligne. Cela a fait suite à la disparition prématurée de mon père, M’Barrick Lucien Diop, ancien Commandant de Bord à la multinationale Air Afrique.
D-N : Quels étaient vos liens avec votre père ?
EMD : Lorsque j’étais toute petite, mon père me prenait souvent avec lui lors de ses différents voyages. Á cette époque, les restrictions sévères concernant le poste de pilotage n’existaient pas. Depuis les années 1980 et plusieurs détournements d'avions et encore plus depuis les attentats à New York du 11 Septembre 2001, l'accès à la cabine de pilotage fait l'objet de très sévères restrictions, en l’occurrence une porte blindée et verrouillée avec un accès réservé uniquement aux membres d’équipage selon les compagnies. Pour moi, le poste de pilotage est un bureau extraordinaire avec une vue exceptionnelle accessible à peu de monde. Je n'ai jamais l'impression d'aller travailler et je suis toujours autant enthousiaste à chaque vol ! Alors oui, il est bien vrai que l’aviation est une partie intégrale de ma vie. Cependant, je m’efforce après avoir retiré mon uniforme, d’être une femme comme les autres.
D-N : Pensez-vous avoir atteint vos objectifs ?
« Au fur et à mesure que vous atteignez vos objectifs, fixez-vous en de nouveaux. C’est ainsi que vous grandissez et devenez une personne plus puissante ». Cette citation de Leslie « Les » Brown (Ndlr ; conférencier motivateur américain) reflète précisément mon état d’esprit. Pour atteindre un objectif, il ne faut pas se concentrer sur l'objectif en lui-même. Il faut tomber amoureux du processus pour y arriver et continuellement le renouveler. Parfois les objectifs que l’on se fixe ne peuvent être atteints dans l’immédiat, sont retardés ou changent de priorité. Nous pouvons d’ailleurs subir des échecs sur le court terme mais ces échecs vous permettront d'atteindre un objectif plus grand sur le long terme. La conjoncture actuelle ne permet pour l’instant aucune perspective de promotion. Cependant, chaque vol effectué contribue à la préparation de ce passage commandant de bord. Fonder une famille était ma priorité après être rentrée dans la meilleure compagnie au monde. Ceci étant chose faite, je peux complètement me consacrer à cette prochaine grande étape, ainsi que mes ambitions d’occuper des rôles de management et le développement des STEMS (Sciences/technologie/engineering/ mathématiques) chez les jeunes filles africaines.
D-N : À quoi ressemble votre quotidien ?
Mon quotidien est défini par mon planning horaire. Lorsque je suis en mission, je transporte avec mes collègues des passagers d’un point A à un point B, dans des conditions de sécurité optimales. Je me dois de me reposer avant un vol et particulièrement lorsque celui-ci est opéré de nuit. Aussi, je dois préparer à l’avance le vol en étudiant minutieusement la météo, le plan de vol, les particularités et difficultés du trajet. Cette préparation est peaufinée quelques heures avant le vol en salle d’opérations avant de se rendre à l’avion. Arrivée à destination, mon programme de la journée est basé sur mon état de fatigue, l’heure à laquelle nous arrivons, le décalage horaire et la durée de notre séjour. Après la réception de la clef de ma chambre d’hôtel, je vais soit immédiatement me reposer, soit m’apprêter à découvrir une nouvelle destination ou commencer mes activités favorites de la destination connue. Dans tous les cas je m’impose la discipline d’effectuer une activité physique pour m’aider à maintenir une bonne hygiène de vie. Contrairement aux personnels navigants commerciaux, nous restons assis plusieurs heures et ce malgré de nombreux étirements et mouvements de flexion- extensions des pieds dans le poste de pilotage. Ces précautions en combinaison avec le port de bas de contention et une bonne hydratation (qui permet d’augmenter la fluidité sanguine) permettent de diminuer le risque de phlébite. Lorsque je suis de repos, je suis principalement une maman. Je rattrape le temps perdu et me dédie à mon fils pour lequel je suis totalement présente. Aussi, je prends le temps d’avoir une vie sociale avec mes amis, cette famille que je me suis créée dans ma vie d’expatriée.
D-N : Votre parcours pourrait influencer vos cadettes africaines. Racontez-nous…
Mon parcours a été plutôt linéaire. Après avoir obtenu mon Baccalauréat scientifique au Lycée français Blaise Pascal d’Abidjan en 2004, et réussi les examens d’entrée, j’ai intégrée une école d’aviation. L’Institut aéronautique à Amaury de La Grange était la meilleure école privée en France qui formait les cadets d’Air France ainsi que des élèves en formation privée comme moi. Cependant, le monde de l’aéronautique d’un point de vue opportunité est cyclique. À la sortie de l’école de pilotage, être embauché en tant que pilote n’est pas garanti, à moins d’avoir déjà un contrat en tant que cadet pour une compagnie. Je n’ai pas eu cette chance.
D-N : Que s’est-il alors passé ?
Diplômée, j’ai tout de suite voulu rentrer chez moi en Côte d’Ivoire. Le commandant Claude Obré m’a donné en 2007 l’opportunité de travailler en tant qu’assistante du directeur du bureau d’études et du responsable de formation à Air Ivoire. Cela m’a permis très tôt d’avoir une perspective différente de l’industrie aéronautique pendant un an et demi avant de pouvoir commencer à voler en tant qu’officier pilote de ligne sur Airbus A320. J’ai d’ailleurs cumulé ces différents rôles après ma période de consolidation sur cet appareil. Puis, la compagnie Air Ivoire a fait faillite. J’ai alors eu la possibilité de rejoindre la compagnie nationale de ma deuxième patrie Sénégal Airlines en 2011, avant de m’expatrier au Qatar. L'aviation est un virus, soit vous l'avez, soit vous ne l'avez pas. Pour commencer il faut être passionné et impliqué. Il y a une maxime de Saint-Exupéry qui m’inspire : "Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité". Il n'y a rien d'impossible. Il faut avoir de la persévérance, de la motivation et surtout de la confiance en soi. Ne vous sous-estimez pas et ne vous laissez pas décourager et vous faire dire que c’est un métier exclusivement masculin. Vous êtes les maîtresses de votre destinée et vous pouvez faire de vos rêves une réalité. J’encourage toutes les jeunes filles et plus particulièrement les jeunes filles africaines à embrasser ce magnifique métier.
D-N : Les études d’aviation sont-elles difficiles ? Quelles qualités doit avoir une pilote d’avion ? Combien de vols faites-vous par mois ?
Derrière ce métier « de rêve » se cache un poste à grandes responsabilités, de grande technicité et de précision. De ce fait, nous avons une formation et des contrôles réguliers tout au long de notre carrière. Le système nerveux et physique du pilote doit être apte à toute épreuve. Une hygiène de vie d’une grande rigueur pour être toujours au maximum de ses capacités au moment de voler est donc indispensable, avec une visite médicale poussée et renouvelée chaque année. En cas de faiblesse sa licence peut lui être refusée. Les principales qualités pour être pilote sont la maturité, la rigueur, la maîtrise de soi, avoir du sang froid en toute circonstance, le sens du travail en équipe, de bonnes qualités relationnelles, de la disponibilité, ainsi que de l'humilité et une forte capacité d’adaptation et de résilience. Bien entendu il faut sans cesse que le pilote de ligne gère l’incertitude technique et météorologique, ce qui peut entraîner un certain état de stress pendant un vol même si celui-ci diminue avec l’expérience. Il faut être au bout du compte un excellent manager et leader, n’ayant pas peur de prendre des décisions, d’être prêt à assumer toute la responsabilité qui lui incombe et ses conséquences. Le métier de pilote au-delà du glamour, est une profession exigeante physiquement, humainement et intellectuellement. La routine est inexistante dans cette profession avec des emplois du temps uniques chaque semaine, et singuliers d’un mois à l’autre. Le secret comme j’aime à le dire, et ceci est valable pour tout métier : Il faut être passionné. Comme disait Confucius « Choisis un travail que tu aimes et tu n’auras jamais à travailler un seul jour de ta vie ».
D-N : Seule Ivoirienne à piloter les avion-cargo, qu’est-ce qui fait leur spécificité comparativement aux avions long-courriers ?
Six mois après avoir été transférée sur l’Airbus A330, j’ai suivi une formation pour des opérations sur avion dédié cargo. Suite à la pandémie du COVID 19, les opérations cargo sont devenues primordiales et ont été intensifiées. J’ai de ce fait effectué principalement des vols cargo au lieu de vol passagers. Les opérations complètement cargo ont été pour moi une très belle expérience : les sensations sont différentes sans les passagers, ni le personnel navigant commercial. Nous ne sommes que deux pilotes parfois plus, avec ou sans un mécanicien de bord en plus ou un responsable chargement en fonction du type de destination.
Lorsque j’ai intégré Qatar Airways, j’étais déjà qualifiée sur la famille Airbus A320 et c’est donc tout naturellement que j’ai commencé sur le même type de machine. J’ai ensuite été qualifiée sur A340-600 sur lequel j’ai volé pendant quatre ans et demi. Il a été l’appareil le plus long au monde jusqu’à l’arrivée du Boeing 747-8. Puis, suite à la mise en retraite des A340, j’ai été transférée sur Airbus A330. Sur ce type d’appareil je totalise 630 heures de vol sur un total de 5920 heures d’Airbus.
D-N : Préférez-vous piloter la nuit ou le jour ?
Préférer voler de jour ou de nuit est fondamentalement lié au type de vol que j’effectue et la perturbation qu’elle aura sur mon cycle circadien. Par exemple, je préfère effectuer un vol de jour en aller- retour sur Beyrouth qui me permet de partir tôt le matin et de rentrer en fin d’après-midi et d’avoir une journée de travail à des horaires semblables à un métier plus « classique ». Néanmoins, décoller en pleine nuit à ma base pour ensuite poursuivre la majeure partie du vol de jour vers l’Est avec un fuseau horaire en avance et le soleil qui se lève beaucoup plus tôt, par exemple Bangkok, lorsqu’il fait encore nuit à ma base, n’est pas une chose que j’apprécie particulièrement. Mais cela fait partie des aléas de ce métier extraordinaire.
D-N : Ressentez-vous la crise sanitaire liée au Coronavirus dans votre activité ?
Au début de la pandémie nous avons fortement ressenti les perturbations avec un réseau qui a été réduit de 170 destinations à 33 destinations du jour au lendemain. Toutefois, la compagnie n’a jamais arrêté de voler et s’est imposée sur le marché mondial avec une résilience exemplaire et opère aujourd’hui 130 destinations. Étant qualifiée sur avion dédié cargo, j’ai opéré à cette période pendant plus d’un an uniquement sur ce type d’appareil qui était en très forte demande. J’ai d’ailleurs effectué plus d’heure de vol qu’à mon habitude contrairement à la croyance populaire. Malgré cela, j’ai été victime des répercussions comme beaucoup de mes collègues dans le monde. La compagnie avait déjà prévu de se séparer de ses Airbus A330 en 2022 et de les remplacer par les Airbus A350. La pandémie a donc accéléré la mise en retraite de ces avions de plus de 13 ans en moyenne et sur lesquels j’étais qualifiée. Tous les pilotes de l’Airbus A330 ont donc été remerciés de facto. Ce type d’appareil ainsi que l’Airbus A380 ont malheureusement été les avions les plus affectés de la flotte et par ricochet tous ces équipages. En comparaison l’A350 consomme 25% de moins de kérosène et émet 25% de CO2 de moins.
Comprenez-vous la décision de la compagnie Qatar Airways ?
D’un point de vue purement managérial et financier, je comprends la décision de la compagnie. Ce n’est pas de gaîté de cœur que notre CEO, son Excellence Monsieur Akbar Al Baker, a choisi de se séparer de certains pilotes. Cependant, j’ai bon espoir d’une éclaircie dans l’industrie aéronautique grâce au vaccin et au passeport de santé digital. Je suis absolument certaine que Qatar Airways qui rebondit déjà, conservera sa place de leader, toujours dans l’excellence et continuera de rappeler ses pilotes émérites au fur et mesure de la normalisation des activités aériennes.
D-N : Être pilote d’une ligne internationale suppose que vous connaissez le monde… Laquelle des destinations appréciez-vous le plus et pourquoi ?
Le voyage nous expose à de nouveaux horizons, aux contextes sociaux, économiques, historiques et culturels différents. Il modifie en profondeur non seulement notre vision du monde et de ses réalités mais il nous donne également l’opportunité de nous découvrir nous-mêmes sous un autre angle et de nous consacrer à l’essentiel. De par la nature intrinsèque de ce métier, nous voyageons de villes en villes. The world is my oyster ! De ce fait j’ai développé un certain désenchantement de l’amour des villes que j’avais auparavant et je préfère de loin me retrouver en pleine nature, loin des foules et de la technologie. J’ai donc une affection particulière pour les Seychelles, son calme et sa volupté, ses magnifiques plages sauvages aux sables blancs éclatants, sa végétation tropicale luxuriante et son récif délicat. Cependant je ne perds par de vue l’essentiel : ma Côte d’Ivoire. La terre de mon enfance, ma patrie où réside une bonne partie de ma famille, mes amis et mes souvenirs. Comme nous disons chez moi, Abidjan est le plus « doux » au monde.
D-N : Qu’est-ce qui explique le fait qu’il y ait si peu de femmes pilotes de ligne ?
Si quelques pionnières ont joué un rôle important dans l’histoire de l’aviation, les femmes peinent toujours à s’imposer dans les cockpits des avions de ligne. La proportion de pilotes professionnels de sexe féminin tournait mondialement autour de 5 % en 2020, avec 1,4% de femmes commandant de bord d’après les statistiques de l’International Society of Women Airline Pilots (ISA). Pourtant, les mentalités commencent à changer et ce d’autant plus qu’un besoin estimé à plus de 800.000 pilotes était en demande pour 2038 avant la pandémie. Mais les campagnes de recrutement ne suffiront pas à augmenter le nombre de femmes pilotant des avions.
D-N : Pourquoi ?
Il faudra une approche à plusieurs volets. Changer la perception, présenter des modèles positifs dans les médias, amener les jeunes filles à réfléchir à leur propre avenir et leur montrer à un âge précoce que devenir pilote est un choix de carrière viable sous tous les facettes clés d’une vie, au travers des forums de métier, de visite d’écoles et de classes pour assurer un avenir solide aux femmes dans cette industrie. Marian Wright Edelman, une militante activiste Américaine pour les droits des enfants a dit : “You can't be what you can't see.” Je pense qu’il faut plus d’exposition des femmes pour que les jeunes filles réalisent que cela est possible. Maintenant les avions sont tellement compensés que la force physique n’est pas nécessaire.
D-N : Comment réagissent les passagers lorsqu’ils savent qu’une femme est aux commandes ?
Pour la plupart des passagers, voir une femme aux commandes d’un avion suscite une grande stupéfaction et une curiosité colossale. Personnellement, je n’ai que des réactions positives, empreintes d’encouragements et de fierté surtout venant des femmes.
D-N : Est-il facile d’avoir une vie de famille lorsqu’on exerce ce métier ?
Le métier de pilote requiert en soit une certaine organisation ainsi qu’une rigueur. J’ai instauré un système qui me permet de pouvoir concilier ma vie de famille et ma passion. J’ai également un excellent support de ma famille. Mon fils âgé de quatre ans aujourd’hui est né dans ce système. Il me parait évident que cette singularité pour certains représente sa normalité. Je mets un point d’honneur à rentrer le plus souvent en Côte d’ivoire pour nous ressourcer, mon fils et moi et garder cet enracinement à notre culture, nos valeurs et notre famille.
Interview réalisée par Thomas De Messe ZINSOU