C’est la rentrée des classes en Côte d’Ivoire. Des millions d’élèves du primaire et du secondaire ont repris le chemin de l’école officiellement depuis un mois.
Mais, derrière ce décor d’écoliers en nouvelles tenues qui arpentent les voies pour se rendre à l’école, se cache une bien triste réalité: tous les enfants n’ont pas cette chance d’apprendre. Ce sont pour la plus part des enfants en situation de handicap.
Selon une étude du ministère de l’Éducation nationale réalisée en 2017, au moins 48 000 enfants en situation d’handicap n’avaient pas l’opportunité de jouir de leurs droits à l’éducation du fait de multiples barrières constituant un frein à leur insertion dans les écoles dites ordinaires.
La Côte d’Ivoire a pourtant ratifié la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées dont l’article 24 demande aux États parties de faciliter l’apprentissage de la langue des signes et la promotion de l’identité linguistique des personnes sourdes.
Pour palier à ce problème, le Gouvernement ivoirien a lancé depuis 2017, avec le ministère de l’éducation nationale, le ministère de l’emploi et de la protection sociale, le ministère de la femme, de la famille et de l’Enfant, l’ONG internationale Christoffel Blindenmission (CBM) et l’ONG Société Sans Barrière, le Projet Education Inclusive en Côte d'Ivoire qui vise à promouvoir les droits à l'éducation des Enfants en Situation de Handicap.
Un bilan en février dernier a permis de constater la réalisation de 30 écoles inclusives -contre 2 par le passé-, à Abidjan (Yopougon, Abobo, Koumassi, Port-Bouët, Dabou) et à l’intérieur du pays (Agboville, Toumodi, Yamoussoukro, Bouaké, Oumé, Man, Abengourou et Korhogo) et favorisé l’acquisition de matériel et la formation de 150 enseignants (langue des signes et braille) en vue de l’amélioration des conditions d’encadrement et d’évaluation des enfants en situation de handicap.
Néanmoins, selon les associations et les experts, les efforts sont encore insuffisants pour combler le gap. Il faut aller au delà, comme inscrire le langage des signes en tant qu’une autre langue officielle du pays.
« Nos enfants au collège n’ont pas l’encadrement qu’il faut. Il va falloir trouver les voies et moyens pour que la langue des signes soit instaurée comme la deuxième ou troisième langue nationale » soutient Okou Dieudonné, Directeur exécutif de Société Sans Barrières.
Sa recette pour une bonne école inclusive : « si dans la classe il y a des enfants non-voyant, l’enseignant doit travailler avec des notes vocales et s’il y a des enfants sourds, il doit travailler avec des signes. Après plusieurs années de pratique, les enfants mal-voyant, malentendants ou sourds vont arriver à mieux vivre ensemble dans un environnement dit normal » a-t-il proposé.
Pour Ouattara Yegueleworo, président du comité d’administration de l’Association Nationale des Sourds de Côte d’Ivoire (ANASOCI), la reconnaissance juridique des langues des signes nationales en tant que langue officielle est essentielle pour l’inclusion des personnes sourdes dans leurs sociétés.
« Les personnes sourdent rencontrent très souvent des difficultés dans des domaines liés à l’éducation, à l’accès au transport, à l’emploi, à l’information, à la promotion des langues des signes » a-t-il déploré, invitant les gouvernants à « soutenir l’acquisition précoce de la langue des signes et offrir une éducation bilingue inclusive et de qualité. »
Comme l’explique Tano Jean-Jacques, Enseignant-chercheur de langue, au département de Linguistique à l’université Félix Houphouët Boigny, « la langue des signes, ce ne sont pas juste des petits signes. Une recherche a été faite sur les expressions faciales, la syntaxe, la grammaire, la structure. Au même titre qu’une langue parlée, une langue signée, c’est une langue en soi et pour son développement, il faut encourager les recherches universitaires »
« Même quand le président de la République fait des discours, cela n’est pas traduit en langues de signes. Une frange de la population est ainsi marginalisée » déplore pour sa part, Ouedraogo Mahmoud, vice président de l’association des sourds musulmans de Côte d’Ivoire.
Aussi, une étude du Professeur Therese Mungah Shalo Tchombe (University of Buea, Cameroun) et du Professeur François-Joseph Azoh de l’Ecole Normale Supérieure d’Abidjan a conclu que les connaissances de l’éducation inclusive des acteurs de l’école sont faibles.
« Les compétences actuelles des enseignants ne sont inadaptées pour la réalisation de l’éducation inclusive. De ce fait, les apprenants à besoins spécifiques évoluent dans un cadre scolaire qui leur est souvent hostile. L’éducation inclusive mérite une attention particulière pour assurer l’accès, le maintien et la qualité dans l’offre d’éducation en vue de l’Education pour Tous (EPT) » stipule l’étude.
Après l’école et la formation, un autre défi attend les personnes en situation de handicap : celui d’avoir un emploi. C’est cet autre combat que compte mener l’ANASOCI.
En outre, l’association entend également, prendre une part active pour obtenir la création d’établissements avec la formation et l’éducation secondaires des sourds, pour l’intégration des femmes sourdes dans les institutions de formation et d’éducation féminine, pour la mise en place de programme d’alphabétisation en langue des signes pour les sourds et pour le renforcement des capacités du personnel d’encadrement des sourds,
Il est par ailleurs, demandé aux autorités ivoiriennes le positionnement de l’interprétation du journal télévisé de 13h à 20h, la traduction en langue des signes des émissions télévisées, la prise en compte des sourds dans les campagnes de sensibilisation, la subvention des soins de santé et du transport des bus de la SOTRA et la reconnaissance de la langue dans la constitution ivoirienne.
Le gouvernement de son côté, continue de montrer toute sa bonne foi. A cet effet, une centaine d’élèves en situation de handicap dont 39 malvoyants et 61 malentendants ayant réussi aux différents examens à grand tirage ont été récompensés le mercredi dernier.
PR