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Santé Publié le dimanche 11 août 2024 | AIP

Dr Christophe Kpoulédé (Expert en fistule obstétricale) : Les fistules peuvent aussi êtres causées par les avortements provoqués

Le médecin-chef du service Gynéco obstétrique de l’Etablissement public hospitalier régional (EPHR) de Gagnoa, docteur Christophe Kpoulédé, point focal de la prise en charge de la fistule obstétricale dans la région du Goh, expert en fistule, à la faveur de la caravane pour les opérations de fistules organisée par le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) qui est l’agence directrice des Nations Unies en charge des questions de santé sexuelle et reproductive, à Gagnoa, courant juillet 2024, a présenté l’état des lieux de la fistule dans le Gôh.


Pouvez-vous partager avec les ivoiriens, votre expérience sur la fistule obstétricale ?


C'est une très belle expérience médicale. J’ai commencé les soins de la fistule obstétricale pour la première fois en 2011 à Bouaké. Cela m’a intéressé, j’y suis resté, dans l'idée d'apporter ma contribution dans la lutte contre cette maladie. Aujourd’hui, cela fait 13 ans et une somme d'expériences vraiment enrichissante car j’ai appris beaucoup de choses.


Dans quel cadre avez-vous appris la fistule?


Je suis à Gagnoa depuis 2007. Une mission conjointe du ministère de la Santé et de l’UNFPA est arrivé en 2014 dans le but d'ériger l’EPHR de Gagnoa en centre de prise en charge de la fistule obstétricale. D’autres centres existaient déjà en Côte d’Ivoire et nous étions le sixième ou septième centre, je crois. C’est ainsi que l’on m’a choisi comme point focal de ce centre. Je précise que j’avais traité la fistule à Bouaké en 2011 lors d’une première caravane à laquelle j’avais pris part. Disons que c’est grâce à l’UNFPA qui avait déjà créé les centres de Bouaké, de Korhogo et de Man que nous avons été invités à participer en 2011 à une première caravane de la fistule à Bouaké.


Donc, c’est lors de la caravane que vous avez découvert véritablement la fistule ?


Non. En tant que médecin, j'avais déjà une idée de la fistule de façon théorique, dans la littérature scientifique. Mais véritablement, sur le plan clinique, c’est en 2011 que j’ai vu cette maladie.


Quel sont vos motivations dans la lutte contre la fistule?


D'abord sur le plan de la pratique. C’est quelque chose de nouveau qu’on apprend. Cela ne faisait pas partie de ma formation de gynécologue obstétricien. En fait, le traitement de la fistule est une spécialité d’urologie. La cause est certes, obstétricale, c’est-à-dire qu’elle est provoquée par les accouchements difficiles. Mais le traitement est urologique, donc, normalement, ce sont des chirurgiens urologues qui pratiquent ce traitement chirurgical. Mais j’ai été très heureux, moi en tant que gynécologue, d'avoir l'expertise de le pratiquer. Certains le font, mais ce n’est pas tous les urologues qui pratiquent cette intervention ici en Côte d’ Ivoire. Donc, c’est une joie pour moi.


Diakité Kadidjatou atoum, 26 ans, en compagnie des responsables de Koica et UNFPA. Opérée de la fistule en 2021, elle est heureuse d’avoir pu concevoir à nouveau un enfant en 2024 (Photo AIP Gagnoa Juillet 2024)


Quelle a été votre plus grande intervention chirurgicale depuis que vous luttez contre cette maladie ?


Toutes les opérations ont été grandes, parce qu’on a fait beaucoup de sorties terrain. Et ça continue. On regroupe par exemple des patientes dans le centre de Man et on te désigne comme opérateur principal. Depuis 2011, j’étais apprenant et ma première mission, c’était à Man en 2017-2018. C’est-à-dire que lorsque j’arrive, je suis le chef. On compte sur moi pour traiter ces malades.


Evidemment, nous avions des superviseurs-formateurs, les professeurs Gnananzan Gabriel, Manzan Konan, Djahan Yao, Boni Serges, Lebeau Roger, et docteur Kouamé Bilé, affectueusement appelé Bilé-fistule, car ayant été notre premier formateur (ancien coordonnateur du programme fistule à l’UNFPA) et depuis l’année 2023, professeurs Konan Paul Gérard, Noël Coulibaly, Eric Bohoussou et Séringue Magueye du Sénégal. Nos maîtres à qui nous rendons un vibrant hommage ici.


Mais lorsque tu es désigné opérateur principal, tout repose sur toi. Et donc, c’est à partir de là, comme j’ai bien travaillé, que je suis demeuré à ce poste. Nous avons participé à des missions opératoires à travers les différentes localités dédiées à leur prise en charge (Man, Séguéla, Bouaké, Korhogo, Bondoukou, San Pedro, Bouna, Bodo et Gagnoa).


Que ressentez-vous de cette expérience ?


Ce qui est important et qui est à retenir d’abord, c’est de l’humanisme. Nombreux sont les médecins qui étaient avec nous, qui ont abandonné pour des raisons diverses. Nous, nous sommes restés parce que nous savons que la majorité des femmes atteintes de fistules n’ont pas les moyens matériels et financiers pour se faire soigner. C’est une satisfaction pour nous de pouvoir les prendre en charge et de les guérir. Donc, c’est une bonne expérience pour nous.


Quels sont les défis que vous devez surmonter dans la prise charge de ces fistules ?


Ce sont les difficultés chirurgicales. Quand vous arrivez, vous êtes confrontés à plusieurs types de cas de fistules. Lorsque vous réussissez à opérer avec succès un cas, vous êtes content. Il y a des cas simples, des cas moyens et des cas complexes. Il y a même des cas que l’on nomme de compliqués. Donc, lorsque vous parvenez à gravir des échelons, bien évidemment, il s’agit de défis que vous arrivez à maîtriser. Donc, aujourd’hui, je suis fier d’être parmi cette élite là.


Qu’est-ce qui fait la différence entre ces différents cas de fistules ?


C’est une question de classification. D’abord, il y a deux types qui sont connus. Il y a la fistule qui consiste à perdre des urines. C’est un trou entre l’appareil génital féminin et la vessie. Puis, il y a un deuxième cas, où elle perd les selles, parce que c’est le rectum qui est en contact avec le vagin, qui fait un trou là où passent des selles. Le troisième type, ce sont les uretères, c’est-à-dire les tuyaux qui quittent les reins, pour envoyer les urines vers la vessie. Ces tuyaux peuvent être attachés ou coupés. Il faut donc intervenir pour réparer la fistule. On part de la fistule la plus abordable à celle la plus compliquée. Précisons qu’une même femme peut avoir les deux types de fistules, c’est-à-dire perdre à la fois les urines et les selles de façon involontaire.


Les interruptions volontaires de grossesses ont-elles aussi un impact sur les fistules?


Oui, très certainement. Les fistules peuvent aussi êtres causées par les avortements provoqués, les accidents traumatiques, les cas de viol et même certaines erreurs chirurgicales.


Quels sont vos espoirs dans la lutte contre la fistule ?


En Côte d’Ivoire, pour ceux qui ont été formés, et qui sont aptes à agir contre la fistule de façon chirurgicale, nous sommes huit praticiens. Nous étions plus nombreux, mais bon…Avec deux ou trois nouveaux qui s’ajoutent, il y a de l’espoir. Mais j’ai quand même une crainte, parce qu’on aurait souhaité que cette technique soit apprise depuis les universités, notamment dans les spécialités. Je souhaite que pour les gynécologues qui sont en formation, les chirurgiens qui sont en formation, qui sont dans les CHU, dans les universités, l’on incluse ces techniques dans la formation afin d’assurer la relève. Parce que demain, si nous ne sommes plus là, à la retraite ou dans d’autres domaines de la vie, il n’y aura plus vraiment de spécialistes. Il faut donc que l’on forme de nouvelles personnes. Donc, l’espoir est vraiment mitigé.


Que pensez-vous de la prise en charge des malades ?


C’est une très bonne chose. Il y a des femmes que l’on opère de fibrome par exemple. On appelle cela un programme opératoire. La fistule aussi peut être considérée comme un programme opératoire. C’est-à-dire que le temps que l’on prend pour opérer un fibrome un lundi, un mardi ou un vendredi, l’on pourrait aussi prendre ce temps pour opérer une fistule. Donc, on pourrait le mettre dans le circuit normal. Le seul problème, est qu’il n’y a pas beaucoup de personnes qui sachent opérer.


Deuxièmement, et particulièrement pour Gagnoa, on a un problème d’infrastructures. Notre bloc opératoire est très sollicité pour les urgences. Si nous n’avons opéré que 23 fistules en près de dix ans, dans le cas des routines, contre 342 (Ndlr : au moment de l’interview) en mission opératoire, cela traduit les difficultés liées au manque d'infrastructures. C’est vraiment minime. On aurait même pu en faire deux par semaine. Cela ferait huit par mois. En dix mois, on aurait fait 80 opérations. Ce qui signifie qu’en une seule année, nous aurions opéré plus de 80 fistules. Voilà la difficulté.


Ainsi, si je récapitule, il faut trouver des gens pour opérer, mais surtout du personnel motivé, parce que tout ce qu’on fait, il y a la motivation en arrière. S’il n’y a pas de motivation, ça ne marche pas. Il faut trouver les kits d’opération. Souvent, il n'y en a pas. Actuellement (Ndlr : juin 2024), avec cette dernière mission ou caravane, nous n’avons plus de kits opératoires.


Quel message au gouvernement, à la Koïca, à l’UNFPA ?


Je dirais qu’en toute chose, il faut avoir un plan d’action. Depuis plusieurs années, nous luttons contre la fistule obstétricale malgré tous les programmes, les accouchements dystociques demeurent. Tout le peuple qui vit sur la terre ivoirienne n’est pas lettré, n’est pas intellectuel, n’est pas riche. Il y a plus de pauvres que de riches dans le pays de toute façon. C’est dans ce premier groupe que ces fistules surviennent. On sait que c’est par des accouchements difficiles que la fistule naît. Donc, il faut agir en amont. Il faut agir par la prévention d’abord, en formant davantage de sages-femmes et d’infirmiers à la connaissance de la fistule, à la prévention de la fistule et surtout par la formation d´experts en fistules pour assurer la relève. L’idée est de leur communiquer de bonnes pratiques dans le métier et notamment les accouchements.


Ensuite procéder à une recherche approfondie, c’est-à-dire, faire des consultations foraines. Nous autres, on pourrait aller vers les malades dans les forêts et les gros villages. Procéder à des consultations sur place, puis détecter les fistules, puisque ce sont des femmes malades qui se cachent. Mais il faut qu’on soit doté de moyens logistiques, en mobilité et tout ce qui va avec. Aussi former une équipe et puis aller chercher à examiner ces femmes, détecter les cas de fistules et les conduire au centre de référence de Gagnoa. Troisièmement, il faut que nous ayons des blocs opératoires à disposition et enfin, une motivation financière est nécessaire, ainsi que songer à la décoration des experts qui travaillent dans ce secteur depuis plusieurs années.


Que voulez-vous dire ?


Par exemple, pour Gagnoa, on pourrait faire un bloc, rien que pour les programmes opératoires, de sorte que les urgences de chirurgie se passent en chirurgie, les urgences de gynécologie se passent en gynécologie. Un bloc, rien que pour les programmes opératoires. Ainsi, celui qui a le temps peut aller opérer une ou deux fistules par jour. Enfin, la motivation, car il faut encourager ceux qui s’y intéressent. C’est la raison pour laquelle, beaucoup ne pratiquent pas d’intervention chirurgicale et/ou beaucoup ont désisté.


dd/fmo


Dogad Dogoui

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