«Yabê» ou fête de génération est une célébration guerrière en pays Akyé. A quoi rime cette célébration ? Comment s’articule-t-elle, et quels en sont les intérêts et les retombées pour les participants et pour le village? Incursion au cœur d’une pratique culturelle érigée en tradition.
Il est exactement 4h30mn, ce vendredi 16 août 2024. Les premiers chants des coqs transpercent l'aube du village de Memni, dans le département d'Alépé situé à environ 56 km d’Abidjan. Des bruits de tambours retentissent pour rompre le silence de cette aube glaciale. Par le rythme qu’ils impriment, on reconnait le son des tam-tams parleurs dénommés ''Koundou-Kanda''. Les sons de ces deux tam-tams confirment la tenue du Yabê (la célébration guerrière en pays Akyé) ce jour à Memni.
La veille, les acteurs s’y étaient déjà préparés. La génération M'Béchoué, celle qui doit faire la procession dans le village ce jour, a échangé avec ses aînés, les Djigbô. Au cours de ces discussions qui font partie de la tradition, les M'Béchoué et les Djigbô vident leurs contentieux avant que les derniers cités n’autorisent leurs cadets à effectuer la procession du village. '' Biabi, Han beu mou kiya bié pa, han ni sun koê'', qui veut dire « Biabi, nous sommes venus de demander la permission afin d’emprunter la rue principale du village pour notre procession de demain » est la formule de politesse qu'adresse le premier responsable des M'Béchoué, Biabi Akichi Landry à la première autorité des Djigbô, Biabi Aie Severin. Après, la permission est accordée grâce à des caisses de boissons, de la liqueur, accompagnées de l'argent en espèce comme l'exige la tradition. Les M'Béchoué s'activent ensuite pour la procession.
Torses nus, morceaux de pagne noués à la hanche, une castagnette en main, les membres de la génération M'Béchoué se dirigent chacun chez le chef guerrier de sa catégorie. Pour cette première étape de leur initiation, les M'Béchoué font leur procession avec trois (3) catégories d'âge, à savoir les Guiêhouê, les Tchôgba et les Bonto. Deux autres catégories de la génération, c'est-à-dire les Assoungba et les Agbri, elles, doivent attendre la cinquième année de la procession officielle des M'Béchoué.
«Les deux catégories ne sortent pas au même moment que les autres car, elles sont considérées comme les derniers enfants, ont leur donnent donc le temps de grandir. Pendant ce temps les Assoungba apprennent auprès des Tchôgba de même que les Agbri se forment auprès des Guiêhouê. Quand le moment de leur sortie arrivera, les Guiêhouê comme Tchôgba désigneront un des leûrs pour accompagner Agbri et Assoungba devant leurs maîtres pour les échanges pratiques. Il arrive des fois où ces personnes désignées restent définitivement dans les catégories où elles ont été détachées», explique Abou Vitrice, chef de catégorie Assoungba des Djigbô.
Rassemblés autour de leurs chefs guerriers par catégorie, les membres de la génération font retentir leurs castagnettes dans une symphonie harmonieuse. Ils signalent ainsi leur présence et témoignent leur allégeance au chef guerrier. Le tout accompagné d'une rythmique de deux tam-tams (san-mi), qui signifie en langue akyé "le tam-tam des guerriers".
Pendant ce temps, le chef guerrier est badigeonné d'une argile noir et de ses apparats. Plus d'une heure après, cap est mis sur le lieu de rassemblement pour débuter la procession.
Pendant tout ce temps, aucune action des femmes appartenant à la génération M'Béchoué n’est constatée. « Nous les femmes, nous participons à la fête de génération mais pas au même titre que nos amis garçons. À l’origine la participation de cette fête est réservée uniquement aux garçons puisque c’est une danse guerrière. Et le nom l’indique bien « san mi ». Dans notre tradition, les femmes n'exécutent pas la danse guerrière. Elles portent le kaolin, les œufs et de l’eau qu’elles donnent aux participants pendant la procession. », explique Sopie Aboa, membre de catégorie Tchôgba M'Béchoué.
Top départ pour la procession générationnelle
Les différentes catégories se mettent en ordre de bataille pour débuter la procession, tout juste après une série de libations pour confier l’instant solennel aux mânes. Le dispositif mis en place obéit à un nouvel ordre hiérarchique établi à l’intérieur de la génération. En tête de la colonne de guerriers prêts pour la procession, viennent d’abord les Bonto. Ensuite les Tchôgba et les Guiêhouê bouclent la file sous le regard vigilant des responsables des M'Béchoué. Dans ce dispositif, plusieurs jeunes de la génération, le corps badigeonné de kaolin blanc, dressés en deux colonnes de part et d'autre, tiennent dans la main un long bâton appelé '' Baké-gbin''. Selon les initiés, ce bâton délimite la frontière entre les catégories, mais également il symbolise l'arche de protection mystique des catégories. Ce bâton, également badigeonné de kaolin, joue un rôle fondamental dans le cheminement de la génération. Il incarne la puissance de toute la génération. Autrement dit, c'est le cordon ombilical de chaque génération. C'est pourquoi les porteurs de ce bâton ne sont ni désignés par un parent, ni par un parrain encore moins par le chef suprême de la génération. « C'est le Baké-gbin même qui désigne de manière mystérieuse son porteur », a confié Valérie Abou, un cadre du village de Memni.
Sur le parcours, les Djigbô transmettent leur savoir et les codes du «fakué» aux M'Béchoué. Ils dressent ensuite des barrages et des pièges mystiques pour éprouver leurs cadets. « Les pièges que nous tendons à nos jeunes frères visent juste à tester leur capacité à venir à bout de l'ennemi. C'est une manière pour nous de leur transmettre nos forces, ce que nous ont transmis les générations passées. Celà n'a aucune intention de nuire ou d'arracher la vie à quelqu'un. C'est juste une tradition que nous perpétuons. », révèle Yapo Gonat Irénée, bâtonnier Tchôgba de la génération Djigbô.
Après des heures passées à déjouer des pièges et tentations de leurs initiateurs, les membres des différentes catégories de la génération M'Béchoué arrivent enfin à la fin de la procession. Cette fin de procession est marquée par les battements de deux principaux tambours, notamment le ''Abraman'' qui est un long tam-tam de plus de 2 mètres avec une fine sonorité annonçant l'arrivée des guerriers, et le "Odo", gros tambour moins long que le premier cité qui confirment l'arrivée effective des groupes.
Parvenus au niveau de ces deux tambours, les teneurs du ''Baké-gbin'' lèvent leur bâton de manière verticale, avec des cris de soulagement, synonyme de leur bravoure. Cette étape marque la fin de la procession et de la célébration du «Yabê».
Cyprien K.