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Société Publié le mardi 13 janvier 2009 | Le Temps

N`Guettia Yao Bah, directeur de l`ecole ivoirienne des sourds - “Les sourds mendiants ne sont pas nos pensionnaires”

35 ans après sa création, l'Ecole ivoirienne des sourds demeure dans une situation hybride. Elle n'est ni publique, ni privée. Une situation de fait qui entrave l'épanouissement des pensionnaires de cette école. Les loteries nationales des pays de l'espace Uemoa viennent de réhabiliter deux de vos bâtiments, quel sentiment cela vous fait ?
C'est une cérémonie sans doute symbolique pour le public, mais très importante pour nous. Car depuis 1974, date de la création de cette école, c'est seulement cette année que des hommes de bonne volonté viennent la réhabiliter. Je suis un homme comblé. Lors de la cérémonie, vous avez dit que grâce à la Lonaci vous allez dire adieu à des mots comme médiocrité (…).
Que vouliez-vous dire concrètement ?
Tous ceux qui venaient nous voir ici disaient que notre école était une école à l'image de ses bâtiments. Ce qui ne sera plus le cas après sa réhabilitation. Désormais, l'école présentera une nouvelle image, et tous ceux qui viendront sauront que l'école veut faire du sérieux en ayant des infrastructures adaptées. Pour former des enfants handicapés pour leur intégration sociale et économique.
Combien de pensionnaires compte votre structure ?
Nous avons 183 pensionnaires dont l'âge varie entre 6 et 11 ans
De quoi souffre votre école, 35 ans après sa création ?
Nous avons un sérieux problème de nourriture. Car, nourrir 183 pensionnaires avec seulement 30 millions de subvention par an, qui vient d'ailleurs en décembre, cela n'est pas du tout facile. A ces difficultés s'ajoute le problème d'équipement en matériels didactiques pour l'éducation de nos pensionnaires. C'est-à-dire des logiciels qu'on utilise pour faire parler les sourds. Quand on veut parler d'iglou, il faut des images, nous avons besoin de concret. Donc la subvention de 30 millions que nous recevons est une goutte d'eau dans la mer. Car il y a des structures sœurs qui ont seulement une population de 60 élèves, mais qui ont une subvention avoisinant 100 à 150 millions de Fcfa par an. A qui faites-vous allusion ?
Je veux dire que ça existe tout près de nous. Il faut dire que notre école ne bénéficie pas d'une subvention budgétaire. Etant donné que nous ne jouissons malheureusement pas encore d'un statut formel, je veux dire qu'il n'y a même pas un décret portant création, organisation et fonctionnement de cette école. Nous sommes une institution spécialisée publique, étatique, de fait.
Et comment expliquez-vous cela ?
Cela a son histoire, car l'administration fonctionne avec un certain nombre de règles et quand les règles sont faussées au départ, pour rattraper cela il faut quand même du temps. Et il y a des démarches qui sont en train d'être entreprises par le ministère en charge des affaires sociales pour que ce décret là puisse être signé. Car jusqu'à présent, l'Etat affecte certes dans cette école des enseignants, donne le minimum de matériel, contribue financièrement aux charges de l'école à travers une petite subvention, mais l'école n'est pas reconnue par un décret d'Etat.
C'est quand même paradoxal…
Oui ! Mais il faut corriger cette situation. Car, nous en souffrons énormément. Quand vous voyez notre école, vous avez l'impression que c'est une institution publique à part entière. L'électricité est payée, les fonctionnaires sont payés et affectés par l'Etat, mais ce petit décret pour reconnaître officiellement l'institution, n'existe pas. Comment vous vous êtes retrouvé à la tête de cette école ?
Moi, je suis éducateur spécialisé de formation. J'ai travaillé à la direction des personnes handicapées. Et étant là-bas, j'intervenais dans cette école, ce qui a fait que je connaissais mieux les problèmes de cette école que beaucoup de personnes. C'est ainsi que j'ai été nommé par arrêté ministériel comme le directeur de cette école. Depuis combien de temps dirigez-vous l'école ?
Je suis là depuis 6 mois. Qu'avez-vous apporté de façon concrète à cette école puisque vous connaissiez mieux les problèmes de l'école avant votre nomination ?
Personnellement, je n'ai pas apporté grand-chose. Depuis 1974, cette école n'avait que des bâtiments de type Sogefia et en moins de 6 mois, les dortoirs ont été réhabilités grâce à mon prédécesseur qui avait entrepris des démarches dans ce sens. Et pendant que je suis là encore, la Lonaci vient de réhabiliter deux bâtiments, et ce n'est pas rien. Il suffit d'arrondir les bords.
On voit dans les rues des enfants sourds qui demandent de l'aide aux passants. Quelle impression cela vous fait de voir ces enfants dans la rue ?
C'est une situation que nous connaissons que nous essayons de juguler. Donc ces enfants qui font la manche sont certains de vos pensionnaires ?
Non. Ceux-ci ne sont pas de notre école.
D'où viennent-ils ?
Les sourds sont des citoyens comme vous et moi. On naît sourd dans une famille, si on a la chance on va à l'école. Dans le cas contraire, on reste à la maison. Mais les sourds qui sont ici, vont à l'école, suivent les programmes de l'école normale et leur alphabet est reconnu au niveau international. Donc, ils ne vont pas dans la rue pour s'adonner aux phénomènes dont vous parlez. Les sourds comme tous les autres handicapés ont des associations et ensemble, nous sommes en train de conjuguer nos efforts pour juguler ce phénomène de mendicité. Le problème des sourds est un peu plus compliqué, c'est un problème de communication. On sait communiquer avec eux. Ils sont capables de choses extraordinaires. Il y a des sourds docteurs, ingénieurs. J'en veux pour preuve notre maintenancier en informatique, c'est un sourd, de même que notre économe. Revenons au sujet de la mendicité...
Je veux dire que le problème de la communication a fait que certains sourds qui ne viennent pas dans notre école n'avancent pas dans les études et il se limite souvent au CM2. Et quand l'enfant se limite au CM2, qu'il ne peut plus continuer l'école, qu'est-ce qu'il fait ? Soit, on trouve un endroit pour apprendre un métier, soit, lui-même se cherche un métier, c'est ce qui fait que vous retrouvez ces enfants dans la rue en train de vous tendre la main. Souvent, ceux qui ont appris un métier, quand ils viennent vers vous, c'est pour vous demander de les aider à s'installer. Malheureusement, les gens n'arrivent pas à comprendre ce qu'ils disent. Pour répondre plus concrètement à votre question, je peux vous dire qu'aucun de nos pensionnaires ne s'adonne à la mendicité. Et par la même occasion, j'interpelle les opérateurs économiques et les parents à aider ces enfants à mieux s'intégrer après leur formation. A combien pourrait-on évaluer la prise en charge complète d'un enfant sourd ?
Je ne suis pas trop à mesure de vous le dire. Cette information peut mieux vous être donnée par notre économe. Je veux parler de la scolarité. Ça fait 60 mille Fcfa pour ceux qui dorment ici toute l'année. Ceux qui mangent ici et qui retournent le soir à la maison, payent 30 mille Fcfa, et les externes payent 15 mille Fcfa. En principe, la scolarité devait être gratuite. Mais vous savez que notre statut hybride fait que nous ne pouvons pas prendre d'engagement auprès de nos fournisseurs. Nous sommes obligés de nous appuyer sur les frais de scolarité et les legs des personnes de bonne volonté. 35 ans après la création de votre école, cette dernière n'est ni privée, ni publique. A qui profite alors le statut hybride de cette école ?
Ce statut n'arrange personne. Elle retarde au contraire les enfants sourds. Je sais que la volonté politique y ait. Mais, il suffit d'appuyer cette volonté par une décision ferme pour voir les choses s'améliorer. Combien vous dépensez par mois pour nourrir vos pensionnaires ?
Nous avons 183 enfants et sur ce chiffre, il y a 153 enfants internes. Nous utilisons au moins une tonne de riz par mois. Un appel à lancer aux bonnes volontés
A l'Etat, je voudrais dire que les sourds sont des personnes qui ont les mêmes Droits que tous les autres citoyens. Quand vous prenez le Cafop, on ne forme que des enseignants qui doivent enseigner des enfants normaux. " Les enfants sourds sont laissés-pour-compte ". Et souvent, les parents sont aussi à la base de cette marginalisation en fermant la route de l'école à leurs enfants handicapés. Pourtant, ces enfants sont très intelligents. Et leur intelligence est introvertie de sorte que rien ne peut venir les perturber. Un aveugle, un sourd qui est à un bon poste, avec du matériel adapté, est plus efficace qu'une personne dite normale. Donc que tous nous aident à bien encadrer ces enfants.
Interview réalisée par
Gninlkita Coulibaly
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