Angélique Kidjo, ambassadrice du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) depuis 2002, revient sur la question des jeunes et du sida à l’occasion de la Conférence internationale sur le sida et les infections sexuellement transmissibles qui s’est tenue, du 3 au 7 décembre 2008, à Dakar au Sénégal. La Béninoise ne faiblit pas quand il s’agit de sensibiliser contre le VIH.
L’Unicef a lancé ce jeudi des modules de prévention pour accélérer la protection des jeunes contre le VIH. Que pensez-vous de cette initiative ?
Je pense que toute initiative qu’on peut prendre pour avancer dans la lutte contre le sida est toujours bonne à prendre. Il faut les mettre en œuvre de plus en plus et sur le long terme, et faire de telle sorte que les résultats durent. La prévention, c’est une super bonne chose. […] On a fait beaucoup de prévention. Mais il faut qu’on trouve aussi une autre façon de faire de la prévention dans les langues des pays pour que les gens puissent savoir de quoi on parle. Il faut arriver, avec l’Unicef, moi et d’autres personnes, à réfléchir à faire de la prévention, de la sensibilisation et briser le silence.
L’un des modules d’information de l’Unicef concerne les jeunes et le VIH/sida dans le contexte de crise humanitaire…
On a réagi dans l’urgence quand on a su en 2003 l’ampleur des orphelins du sida, du nombre des enfants atteints du sida et de ce que ça pouvait donner dans quelques années si on ne réagissait pas tout de suite. Donc on a commencé à réagir pour sauver ce qu’on pouvait sauver à ce moment-là. Maintenant on se rend compte qu’il y a beaucoup de choses qui vont avec le sida des enfants, et auxquelles on n’a pas pensé. Quand ils vont à l’école, ils ne peuvent pas y rester parce que les gens les montrent du doigt. Du coup, certains enfants ou certains parents décident de ne pas dire que leurs enfants ont le sida pour qu’ils restent à l’école. D’autres enfants partent de l’école. Au jour d’aujourd’hui, il faut qu’on trouve comment faire pour que ces enfants qui ont le sida ne soient plus montrés du doigt, comment faire pour les récupérer pour qu’ils puissent aller à l’école et garder leur dignité. Parce que si on réussi à le faire, ce n’est pas seulement réussir à sauver leur vie, c’est réussir à sauver d’autres vies puisque ces enfants peuvent aider d’autres enfants. Les enfants que nous aidons aujourd’hui peuvent aider ceux de demain.
Vous croyez donc au système des pairs-éducateurs ?
Absolument. Et il est indispensable que ça soit comme ça. Ces jeunes sont passés par là, ils sont les premiers à avoir connu le silence, la discrimination et la stigmatisation. Si on arrive à se débarrasser du silence, de la discrimination, de la stigmatisation et que la prévention demeure présente dans la tête des enfants d’aujourd’hui, la génération présente servira d’exemple puisqu’elle aura prouvé que ça marche.
Certains parents cachent leur statut sérologique mais dévoilent celui de leur enfant. Qu’en pensez-vous ?
C’est la peur de la société qui provoque ces situations. Ce sont nos sociétés qu’il faut absolument changer. Il faut que les gens se rendent compte que personne ne décide et n’a envie d’avoir le sida. Le problème du sida est très complexe parce que c’est un sujet tabou, notamment parce que ça a à voir avec le sexe. […] Reste que si les femmes parlent de leur statut, elles vont être pointées du doigt. Donc par lâcheté ou par peur, elles ne le disent pas. Mais à partir du moment où on est un adulte et qu’on a un minimum de jugeote, quand une mère dit que son enfant est malade, on sait pourquoi. C’est une relation de cause à effet. Elle est la cause. Mais malheureusement, dans la peur de l’instant on réagi en se disant : « On ne veut pas de cet enfant ! ». Un enfant qui n’y est pour rien !
Le cotrimoxazole permet de diviser environ par deux la mort avant cinq ans des enfants infectés par le VIH. Comment expliquez-vous qu’autant d’enfants meurent encore en Afrique alors qu’il ne coûte que trois cents de dollar ?
Trois cents ça ne veut rien dire pour vous et pour moi. Mais quand on a trois cents pour vivre pendant un mois, ça veut dire beaucoup. Pour moi, la pauvreté tue beaucoup plus que la maladie en tant que telle. Parce que les médicaments, c’est bien sympa de dire que ça coûte trois cents, mais si tu les prends dans un ventre vide, ça ne sert pas à grand-chose : il faut pouvoir manger ! La pauvreté est un gros problème. […] Dès que tu sais ton statut, tu sais qu’il faut que tu achètes des médicaments, que tu manges bien, mais tu n’en n’a pas les moyens… C’est un stress en plus qu’on se rajoute. Donc il faut coûte que coûte que les gens puissent manger au moins trois repas par jour. On est au XXIe siècle et on n’est pas capable de ça ! Pourquoi est-ce qu’on n’aide pas les paysans, les fermiers à faire pousser ce qu’il faut, ce dont on a besoin ? On peut le faire ! Ce problème est devenu aussi politique. Mais c’est quoi ! Où est-ce qu’on va ? On va passer notre vie en Afrique à s’assoir au bord de la route pour tendre la main tout le temps ? Si les gouvernements ne veulent pas agir, les localités doivent le faire, les communautés doivent se mettre ensemble et sauver leur vie. Parce que leur vie est leur responsabilité, pas celle du gouvernement.
Depuis que vous êtes ambassadrice de l’Unicef, avez-vous remarqué des initiatives de lutte contre le sida chez les jeunes que vous jugez assez bonnes pour être pérennisées ?
J’ai appris il y a quelques jours, et ça me donne de l’espoir, qu’ils ont développé une technologie qui permet de tester les enfants dès six semaines. Alors là, pour moi c’est carrément un miracle parce que, le plus tôt on traite un enfant, le plus l’enfant a de chances d’avoir une vie stable et d’être en bonne santé. Le plus tard on le traite, le plus on met sa vie en danger. Pour moi cette technologie, c’est une victoire contre cette maladie. Quant aux initiatives, il y en a. Les gens font ce qu’ils peuvent. J’ai rencontré des gens dans les villages qui combinent tout : pour lutter contre le sida et mettre leurs enfants à l’école, des mères plantent des choses qu’elles vont vendre au marché pour nourrir leur famille et avoir un revenu qui leur permette d’acheter les fournitures et les médicaments. Tout le monde peut faire ça !
Que pensez-vous du mythe des jeunes vierges qui guérissent le sida ?
Je pense que chacun essaye de se raccrocher à des croyances, à des idées pour son propre égo. L’égoïsme est en effet l’un des problèmes dans cette maladie. Je ne sais pas pourquoi les hommes aiment tellement le fantasme des vierges. Comment est-ce qu’un adulte qui a l’âge du père d’un enfant peut aller coucher avec un enfant ? Quelque part, nos législations ne sont pas à la hauteur parce que s’il y avait un endroit où les filles pouvaient parler de ce qui leur arrive… Il ne faut pas profiter de leur pauvreté. Quand un homme qui a l’âge d’être ton grand-père te demande d’avoir un rapport sexuel, c’est mauvais et il faut que l’enfant le sache. Et pour qu’il le sache, il faut l’éduquer et que le fautif passe sa vie en prison. Mais tant que les hommes […] pourront marier leur fille à n’importe quel âge sans pour autant être punis, ça continuera.
Vous parliez de l’égoïsme que génère le sida. Diriez-vous que cette maladie a déstabilisé la « solidarité à l’africaine » ?
Le sida a complètement déstabilisé la solidarité africaine. Quand ton père est mort, ta mère est morte, tes tantes… que tous ceux qui ont l’âge de tes parents sont morts et que ce sont tes grands-parents qui deviennent tes parents, ou bien que les enfants deviennent des parents pour les autres enfants, il y a un problème. On a de plus en plus d’égoïsme par rapport à la survie. Il y a tellement de pauvreté que chacun pense à soi en laissant son enfant sur le côté, en ne faisant pas le maximum pour son enfant. On est alors dans le tort mais la tentation de se faire plaisir à soi-même est beaucoup plus forte que la morale. Donc quelque part, pour rééquilibrer les choses et pour que la solidarité africaine redevienne ce qu’elle était, il faut lutter contre la pauvreté. Car le sida met aujourd’hui en danger la solidarité africaine qui nous a permis de passer à travers toutes les difficultés.
Afrik.com
L’Unicef a lancé ce jeudi des modules de prévention pour accélérer la protection des jeunes contre le VIH. Que pensez-vous de cette initiative ?
Je pense que toute initiative qu’on peut prendre pour avancer dans la lutte contre le sida est toujours bonne à prendre. Il faut les mettre en œuvre de plus en plus et sur le long terme, et faire de telle sorte que les résultats durent. La prévention, c’est une super bonne chose. […] On a fait beaucoup de prévention. Mais il faut qu’on trouve aussi une autre façon de faire de la prévention dans les langues des pays pour que les gens puissent savoir de quoi on parle. Il faut arriver, avec l’Unicef, moi et d’autres personnes, à réfléchir à faire de la prévention, de la sensibilisation et briser le silence.
L’un des modules d’information de l’Unicef concerne les jeunes et le VIH/sida dans le contexte de crise humanitaire…
On a réagi dans l’urgence quand on a su en 2003 l’ampleur des orphelins du sida, du nombre des enfants atteints du sida et de ce que ça pouvait donner dans quelques années si on ne réagissait pas tout de suite. Donc on a commencé à réagir pour sauver ce qu’on pouvait sauver à ce moment-là. Maintenant on se rend compte qu’il y a beaucoup de choses qui vont avec le sida des enfants, et auxquelles on n’a pas pensé. Quand ils vont à l’école, ils ne peuvent pas y rester parce que les gens les montrent du doigt. Du coup, certains enfants ou certains parents décident de ne pas dire que leurs enfants ont le sida pour qu’ils restent à l’école. D’autres enfants partent de l’école. Au jour d’aujourd’hui, il faut qu’on trouve comment faire pour que ces enfants qui ont le sida ne soient plus montrés du doigt, comment faire pour les récupérer pour qu’ils puissent aller à l’école et garder leur dignité. Parce que si on réussi à le faire, ce n’est pas seulement réussir à sauver leur vie, c’est réussir à sauver d’autres vies puisque ces enfants peuvent aider d’autres enfants. Les enfants que nous aidons aujourd’hui peuvent aider ceux de demain.
Vous croyez donc au système des pairs-éducateurs ?
Absolument. Et il est indispensable que ça soit comme ça. Ces jeunes sont passés par là, ils sont les premiers à avoir connu le silence, la discrimination et la stigmatisation. Si on arrive à se débarrasser du silence, de la discrimination, de la stigmatisation et que la prévention demeure présente dans la tête des enfants d’aujourd’hui, la génération présente servira d’exemple puisqu’elle aura prouvé que ça marche.
Certains parents cachent leur statut sérologique mais dévoilent celui de leur enfant. Qu’en pensez-vous ?
C’est la peur de la société qui provoque ces situations. Ce sont nos sociétés qu’il faut absolument changer. Il faut que les gens se rendent compte que personne ne décide et n’a envie d’avoir le sida. Le problème du sida est très complexe parce que c’est un sujet tabou, notamment parce que ça a à voir avec le sexe. […] Reste que si les femmes parlent de leur statut, elles vont être pointées du doigt. Donc par lâcheté ou par peur, elles ne le disent pas. Mais à partir du moment où on est un adulte et qu’on a un minimum de jugeote, quand une mère dit que son enfant est malade, on sait pourquoi. C’est une relation de cause à effet. Elle est la cause. Mais malheureusement, dans la peur de l’instant on réagi en se disant : « On ne veut pas de cet enfant ! ». Un enfant qui n’y est pour rien !
Le cotrimoxazole permet de diviser environ par deux la mort avant cinq ans des enfants infectés par le VIH. Comment expliquez-vous qu’autant d’enfants meurent encore en Afrique alors qu’il ne coûte que trois cents de dollar ?
Trois cents ça ne veut rien dire pour vous et pour moi. Mais quand on a trois cents pour vivre pendant un mois, ça veut dire beaucoup. Pour moi, la pauvreté tue beaucoup plus que la maladie en tant que telle. Parce que les médicaments, c’est bien sympa de dire que ça coûte trois cents, mais si tu les prends dans un ventre vide, ça ne sert pas à grand-chose : il faut pouvoir manger ! La pauvreté est un gros problème. […] Dès que tu sais ton statut, tu sais qu’il faut que tu achètes des médicaments, que tu manges bien, mais tu n’en n’a pas les moyens… C’est un stress en plus qu’on se rajoute. Donc il faut coûte que coûte que les gens puissent manger au moins trois repas par jour. On est au XXIe siècle et on n’est pas capable de ça ! Pourquoi est-ce qu’on n’aide pas les paysans, les fermiers à faire pousser ce qu’il faut, ce dont on a besoin ? On peut le faire ! Ce problème est devenu aussi politique. Mais c’est quoi ! Où est-ce qu’on va ? On va passer notre vie en Afrique à s’assoir au bord de la route pour tendre la main tout le temps ? Si les gouvernements ne veulent pas agir, les localités doivent le faire, les communautés doivent se mettre ensemble et sauver leur vie. Parce que leur vie est leur responsabilité, pas celle du gouvernement.
Depuis que vous êtes ambassadrice de l’Unicef, avez-vous remarqué des initiatives de lutte contre le sida chez les jeunes que vous jugez assez bonnes pour être pérennisées ?
J’ai appris il y a quelques jours, et ça me donne de l’espoir, qu’ils ont développé une technologie qui permet de tester les enfants dès six semaines. Alors là, pour moi c’est carrément un miracle parce que, le plus tôt on traite un enfant, le plus l’enfant a de chances d’avoir une vie stable et d’être en bonne santé. Le plus tard on le traite, le plus on met sa vie en danger. Pour moi cette technologie, c’est une victoire contre cette maladie. Quant aux initiatives, il y en a. Les gens font ce qu’ils peuvent. J’ai rencontré des gens dans les villages qui combinent tout : pour lutter contre le sida et mettre leurs enfants à l’école, des mères plantent des choses qu’elles vont vendre au marché pour nourrir leur famille et avoir un revenu qui leur permette d’acheter les fournitures et les médicaments. Tout le monde peut faire ça !
Que pensez-vous du mythe des jeunes vierges qui guérissent le sida ?
Je pense que chacun essaye de se raccrocher à des croyances, à des idées pour son propre égo. L’égoïsme est en effet l’un des problèmes dans cette maladie. Je ne sais pas pourquoi les hommes aiment tellement le fantasme des vierges. Comment est-ce qu’un adulte qui a l’âge du père d’un enfant peut aller coucher avec un enfant ? Quelque part, nos législations ne sont pas à la hauteur parce que s’il y avait un endroit où les filles pouvaient parler de ce qui leur arrive… Il ne faut pas profiter de leur pauvreté. Quand un homme qui a l’âge d’être ton grand-père te demande d’avoir un rapport sexuel, c’est mauvais et il faut que l’enfant le sache. Et pour qu’il le sache, il faut l’éduquer et que le fautif passe sa vie en prison. Mais tant que les hommes […] pourront marier leur fille à n’importe quel âge sans pour autant être punis, ça continuera.
Vous parliez de l’égoïsme que génère le sida. Diriez-vous que cette maladie a déstabilisé la « solidarité à l’africaine » ?
Le sida a complètement déstabilisé la solidarité africaine. Quand ton père est mort, ta mère est morte, tes tantes… que tous ceux qui ont l’âge de tes parents sont morts et que ce sont tes grands-parents qui deviennent tes parents, ou bien que les enfants deviennent des parents pour les autres enfants, il y a un problème. On a de plus en plus d’égoïsme par rapport à la survie. Il y a tellement de pauvreté que chacun pense à soi en laissant son enfant sur le côté, en ne faisant pas le maximum pour son enfant. On est alors dans le tort mais la tentation de se faire plaisir à soi-même est beaucoup plus forte que la morale. Donc quelque part, pour rééquilibrer les choses et pour que la solidarité africaine redevienne ce qu’elle était, il faut lutter contre la pauvreté. Car le sida met aujourd’hui en danger la solidarité africaine qui nous a permis de passer à travers toutes les difficultés.
Afrik.com