Après une année d’exercice difficile, l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, Kipré Pierre fait le bilan de ses activités diplomatiques.
Excellence, quel bilan faites-vous de votre première année d’exercice à l’ambassade de Côte d’Ivoire en France?
Je dirai qu’en arrivant à Paris, le Président de la République m’avait fixé quatre objectifs. Premièrement était de faire en sorte que nos rapports avec la France s’améliorent le mieux possible. Deuxièmement, contribuer à améliorer l’image de notre pays. Troisièmement, contribuer à relancer, voire renforcer la cohésion entre nos compatriotes. Quatrièmement, faire en sorte que le respect mutuel soit de mise dans tous nos rapports. Voilà un peu les quatre grands objectifs qui m’ont été assignés. Pour cette première année, et s’agissant du premier point, je dois dire que je me réjouis de la qualité des rapports entre la Côte d’Ivoire et la France. Leur amélioration dans tous les domaines, et les perspectives qui couvrent cette amélioration sont, de mon point de vue, très grandes.
Peut-être qu’en raison des changements politiques intervenus dans les deux pays – aussi bien au niveau des élections que de la sortie de crise – les bonnes relations se favorisent.
Mais je crois qu’au-delà de tout cela, comme dans tous les bons ménages, il y a parfois quelques incompréhensions, quelques frictions…
Vous parlez justement de relations qui s’améliorent entre les deux pays; or jusqu’ici, il n’y a que des seconds couteaux du gouvernement français qui se rendent à Abidjan. Pensez-vous sérieusement qu’une visite officielle de Laurent Gbagbo à Paris ou de Nicolas Sarkozy à Abidjan est possible cette année par exemple?
De mon point de vue, il est bon qu’il n’y ait pas de concessions dans les relations entre Etats. Lorsqu’un Chef d’Etat se déplace, c’est pour ouvrir de nouvelles perspectives, pour renforcer la situation de bonne qualité des relations qui existent entre lui et son homologue. Ceci est vrai tant pour la France, que pour la Côte d’Ivoire. Beaucoup ne souhaiteraient pas qu’une visite du Président Sarkozy avant les élections en Côte d’Ivoire soit mal interprétée. Inversement, qu’une visite du Président Gbagbo en France le soit également. Il vaut, peut-être, mieux qu’on attende que la présidentielle se passe chez nous pour que les relations des deux Etats soient replacées dans un cadre qui soit le plus efficace.
Vous avez indiqué que c’étaient des seconds couteaux qui venaient à Abidjan. Je vous réponds que non ! Ce sont des responsables politiques. Il ne faut pas minimiser leur rôle dans le renforcement des relations entre nos deux pays.
Un ministre ivoirien qui vient ici à Paris, c’est la voix du gouvernement de Côte d’Ivoire. De même, un secrétaire d’Etat ou un ministre français qui va en Côte d’Ivoire, c’est la voix de la France. Donc ce ne sont pas des seconds couteaux.
On parlerait de «seconds couteaux» si c’était des directeurs d’administration qui effectuaient ces déplacements.
La France est une grande puissance et ses responsables ont une très haute idée de leurs rôles et de tout ce qu’ils font pour leur pays et dans les relations de leur pays avec le reste du monde.
Nous ne sommes peut-être pas une grande puissance mais nous comptons en Afrique noire. Je ne crois pas ici que les responsables qui se déplacent soient de simples perroquets. Et c’est un énorme progrès par rapport au début de la crise !
Voulez-vous signifier que la Côte d’Ivoire a retrouvé la normalité avec la France?
Certainement. Et je dois dire que je me réjouis fortement de l’amélioration de ces relations qui – ce n’est aujourd’hui un secret pour personne – montre que la France, dans le gros dossier de la négociation que notre pays a engagé avec les institutions financières internationales, est notre principal avocat. C’est donc dire que nous avons retrouvé la normalité des relations avec la France. Maintenant il faut approfondir tout cela, faire une toilette complète de pas mal de choses, de telle sorte à être en phase avec la période historique dans laquelle se trouvent les deux peuples aujourd’hui.
Avez-vous un plan pour cela, vous, en votre qualité d’ambassadeur ivoirien en France?
L’ambassadeur, comme son nom l’indique, est astreint à appliquer les instructions. Je n’ai donc pas de plan à proposer.
Mais concernant l’amélioration de notre image en France, les choses s’améliorent lentement. Parce que cela devrait s’accompagner d’une série d’actions au niveau des médias et de la communication. Tout cela est très coûteux; or notre pays connaît des difficultés financières. Nous essayons donc, avec des bouts de ficelles, de faire ce que nous pouvons.
Et nos compatriotes aussi, par leur attitude dans leur vie quotidienne et dans leurs rapports quotidiens avec les Français, aident beaucoup à donner une image positive de la Côte d’Ivoire.
Comment cela?
J’ai effectué de juin à novembre dernier, une longue tournée à travers toute le France. Partout, vraiment partout, les préfets ont dit n’avoir aucun problème avec la communauté ivoirienne. Ce sont des gens qui travaillent, qui sont sérieux. Cela est très important à savoir !
Combien d’Ivoiriens y a-t-il en France aujourd’hui?
Officiellement, 30 000. Mais en réalité un peu plus car beaucoup d’Ivoiriens ne s’étaient pas fait enregistrer au moment où j’ai suspendu la délivrance des cartes consulaires. Suspension due au fait qu’il y avait beaucoup trop de faux papiers. Avec l’autorisation du ministre des Affaires étrangères qui a mis au point de nouveaux documents, à partir de la fin du mois d’avril, nous allons reprendre la délivrance des cartes consulaires en même temps que, comme vous le savez, depuis le samedi 14 mars et jusqu’à la fin du mois, l’identification de nos compatriotes. Pour la délivrance des cartes d’électeur et la délivrance des cartes nationales d’identité. De manière à nous donner une radiographie à peu près approchante de la population adulte sur place. Donnons-nous jusqu’à décembre 2009 pour avoir un chiffre approchant la réalité de cette diaspora.
Nos compatriotes, je le disais tout à l’heure, sont bien vus en tous cas en province.
Quelle est la situation à Paris, la capitale?
A Paris, les choses paraissent un peu plus compliquées car il y a du monde, beaucoup plus d’Africains. Ce sont donc des rapports intercommunautaires différents. Mais si j’en crois les réactions du préfet de police à l’occasion de cette malheureuse affaire de la fermeture de la Meci (Maison des étudiants de Côte d’Ivoire), la réaction de nos compatriotes qui habitaient cet immeuble-là a vraiment agréablement surpris les autorités de la police française. Ils sont restés très dignes devant la situation. C’est cela qui explique qu’aujourd’hui, presque tous nos compatriotes qui vivaient à la Meci ont été relogés et les cas de ceux qui étaient en situation particulière sont en train d’être examinés par la préfecture de police.
Des Ivoiriens n’opèrent-ils pas dans la cybercriminalité ?
Vous savez que la cybercriminalité fait beaucoup de dégâts à travers le monde. Et un Guatémaltèque peut se trouver à Abidjan et lancer des messages pour arnaquer les gens en se faisant passer pour un Ivoirien. Et lorsque vous n’avez rien pour prouver qu’il n’est pas Ivoirien, c’est difficile. C’est un peu ça qui explique que certains de nos amis Français nous écrivent en condamnant certains escrocs qui salissent l’image de la Côte d’Ivoire. Mais ça c’est quelque chose que vous voyez dans tous les grands pays.
La Côte d’Ivoire est un petit pays qui n’a pas les moyens de lutter contre ce genre de pratiques. Nous avons commencé à engager des discussions avec Interpol pour que cette agence puisse aider notre pays à lutter efficacement contre la cybercriminalité. En dehors de ces cas isolés, globalement je dois dire que l’amélioration de l’image de la Côte d’Ivoire est en cours. Il faut des moyens plus conséquents pour que les choses puissent avoir l’ampleur que nous souhaitons et que veut, en tous cas, le Président de la république.
Pensez-vous pouvoir disposer de ces moyens-là?
Vous me demandez là d’aller sur un terrain qui n’est pas de mon ressort. Il faut d’abord que je reçoive mon budget et que je puisse voir ce qui peut être alloué à cet effet.
Quels efforts menez-vous pour renforcer la cohésion entre les Ivoiriens?
Vous m’obligez à revenir sur le troisième objectif de ma mission, à savoir la cohésion nationale. Nous avons essayé, mes collaborateurs et moi, de faire un plaidoyer auprès de la diaspora ivoirienne pour qu’elle se regroupe en fédérations ou confédérations d’associations. Nous comptons près de 320 associations ivoiriennes. C’est beaucoup trop ! Il faut se regrouper. Quitte à ce que chaque association conserve sa liberté de mouvement et d’activités artistiques particulières. Pour ensemble débattre des problèmes communs. Et surtout pour bien montrer que les Ivoiriens de France sont réconciliés entre eux. Et là, je pense que nous avons du pain sur la planche. Parce qu’il y a encore des crispations ici et là. Même si aujourd’hui, tout Ivoirien, en arrivant à l’ambassade, se sent chez lui, il faut que cette réconciliation se vérifie hors de l’ambassade.
En province tout va pour le mieux, mais dans la région parisienne, ce n’est pas encore tout à fait ça.
Au niveau des représentations de partis politiques, nous essayons, comme avec les associations, de faire passer le message de la fin de la guerre, de la paix. Malgré tous mes efforts et ceux de mes collaborateurs, les choses patinent. J’essuie même des critiques. Mais cela fait partie de l’ambiance préélectorale qui, hélas, ne favorise pas la fraternisation.
En tous cas, pour moi, l’essentiel, c’est que nous ayons à cœur de nous rassembler, d’être à l’écoute de cette solidarité ivoirienne.
Quand je suis arrivé, il y avait plusieurs associations d’artistes. Aujourd’hui, ils se sont regroupés en deux fédérations. Et je crois même que l’une des fédérations se rapproche de l’autre, petit à petit, pour fusionner. C’est un exemple encore minime certes, mais qui mérite d’être signalé.
Le dernier point porte sur le respect mutuel des Ivoiriens. Nous, au niveau de l’ambassade, essayons d’améliorer l’accueil de nos compatriotes. Pour que le respect mutuel soit concret ; il faut que le travail des usagers de l’ambassade soit efficace.
Les agents de l’ambassade, dans leur grande majorité, apprécient votre touche paternaliste qui les rassure.
C’est peut-être dû au fait que dans ma vie, j’ai eu la chance d’avoir un père qui me l’a inculqué très tôt. Et aussi un prêtre, l’abbé Paul Kodjo, qui m’a inculqué le respect de l’autre.
Ces deux personnes me répétaient toujours ceci: «Quelle que soit sa taille ou son âge, une personne a droit à sa part de respect.»
La deuxième chose, c’est que je me dis que pour le temps que Dieu nous donne à vivre sur terre, l’autre peut m’enrichir d’une façon ou d’une autre.
A partir de ce moment-là, j’essaie toujours d’établir des rapports ouverts. Et par principe, je fais confiance. Il y en a qui trouvent cela bien, et d’autres qui trouvent cela ringard. Cela dit, j’ai un bien grand défaut qui est le fait de dire crûment ce que je pense. Pour éviter qu’il y ait des ambiguïtés par la suite sur tel ou tel sujet.
Il fut un temps où les coupures d’eau et d’électricité étaient courantes à l’ambassade. Doit-on mettre cela aussi sur le dos de la crise?
Le budget total de l’ambassade se chiffre exactement à 1,750 milliard de F CFA par an. Y compris les salaires des agents. Avec pour le fonctionnement de l’ambassade, 1,100 milliard de Fcfa. Or, au cours de l’année 2008, je n’ai reçu que 20% du budget, c’est-à-dire 200 millions de F CFA en tout et pour tout !
Comment donc jongler avec tout cela? Je ne m’en plains pas – pas parce que ce n’est pas le montant qu’on devait m’envoyer - mais je dois m’estimer heureux parce que d’autres ambassades ivoiriennes, à travers le monde, ont des problèmes dix fois plus énormes ! Mais comme on dit chez nous, quand il pleut chacun protège sa tête.
Quelle est la situation des étudiants ivoiriens en France?
Voilà un autre point qui me fait vraiment souffrir. Cela fait cinq mois qu’ils n’ont plus leurs bourses. Ils n’ont personne chez qui aller. Ils ne peuvent pas aller dans une banque pour contracter des prêts. Les parents au pays se disent: «Tu as une bourse, tu es en France, l’Etat s’occupe de toi !» Eh ! bien, ce n’est pas tout à fait le cas actuellement. Des parents essaient de voler au secours de leurs enfants. Mais 200 000 FCFA qu’on envoie à un étudiant correspond à une aide de 300 euros. Ce montant est largement insignifiant.
Il ne se passe pas de semaine sans que j’appelle Abidjan. Pour appeler à l’aide. Tout récemment, j’ai reçu un coup de fil de province où un de nos étudiants est tombé dans les pommes parce qu’il n’avait pas mangé depuis trois jours ! C’est une assistante sociale de la république française qui a appelé ici, furieuse. C’est cela le point noir au niveau du fonctionnement de l’ambassade. Même si l’on comprend très bien que la situation financière du pays est difficile. Quand les étudiants viennent manifester devant l’ambassade, on leur tient un langage un peu ferme mais au fond de moi, non seulement en tant qu’ambassadeur, mais aussi en tant qu’enseignant, et père de famille, c’est très difficile, croyez-moi.
Excellence, vous êtes rentré récemment de Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous dire si la présidentielle se déroulera cette année comme prévu?
Rien ne permet d’en douter. En tous cas la Cei (Commission électorale indépendante) qui a à charge l’organisation des élections, n’a pas encore dit le contraire. Moi, je respecte cette institution de la république. Mais ce serait une très grosse déception pour les Ivoiriens de la diaspora et pour nos amis Français si les élections ne se tenaient pas en 2009.
Où et comment voteront les Ivoiriens de France?
Normalement, la Cei qui est un organe indépendant, aurait dû louer des locaux. C’est dans cette perspective que nous avons entretenu une longue correspondance avec eux depuis pratiquement septembre 2008.
Et malheureusement, la Cei m’a répondu qu’elle n’avait pas d’argent. Et que tout se passera dans les locaux de l’ambassade. Premier problème d’ordre juridique: l’ambassade, c’est d’abord la représentation du pouvoir exécutif. Ce qui est distinct de la Cei. Deuxième problème d’ordre pratique : nous avons des activités régulières au sein de l’ambassade ! Venir immobiliser une partie des locaux, comme c’est le cas actuellement, pose d’énormes problèmes. Surtout que nous avons lancé l’opération des passeports biométriques. Pour lesquels nous sommes en train de terminer des travaux. Il faut que mes services continuent de fonctionner normalement ! J’ai même demandé au chef de la délégation de la Cei de contribuer au paiement des factures d’eau et d’électricité puisqu’ils utilisent nos locaux. Là aussi, ils m’ont répondu qu’ils n’ont pas d’argent. Et que de toute façon, l’ambassade est une structure de l’Etat. Tout comme la Cei. Pour faire en sorte que leur mission soit un succès, nous avons accepté de collaborer.
Mais si aucun moyen n’est accordé à cette commission, il risque d’avoir de gros dérapages à l’ambassade lors des élections. Et qui va payer les dégâts? Déjà en 2000, il y a eu des dégâts. Des gens mécontents des résultats ont tenté d’incendier la chancellerie ! Vraiment, j’ai très peur. Je profite de la question que vous me posez pour demander aux autorités d’aider la Cei à mieux s’organiser. Je vous en parle parce qu’il m’est revenu que certains partis politiques se sont plaints de ce que les réunions de la Cei se tiennent à l’ambassade. En allant même jusqu’à dire que l’ambassadeur veut tripatouiller les textes. Or là, vous voyez bien que ce sont eux qui ne veulent pas quitter l’ambassade. Parce que le pays n’a pas les moyens.
Les passeports biométriques parlons-en justement. Les Ivoiriens de France estiment qu’il coûte trop cher, 65 000 F CFA au lieu de 40 000 F CFA comme au pays?
Ecoutez, les gens ne savent pas comment les choses se passent. L’Etat de Côte d’Ivoire a signé une convention sur la base du BOT (procédé qui consiste à concéder à une entreprise privée, la réalisation d’un service d’Etat moyennant le versement de royalties pour une période bien donnée) avec une société privée. Dans le cas présent, cette convention doit durer quinze ans.
Il faut savoir que l’opération coûte plus de 40 milliards de F CFA. Ce que l’Etat ne peut mobiliser actuellement.
Cette société installée à Abidjan, a fixé le coût du passeport à 40 000 FCFA. Et verse des royalties à l’Etat de Côte d’Ivoire. Certains ambassadeurs dont moi ont souhaité que cela se passe hors du pays. J’ai particulièrement insisté pour que nos compatriotes puissent en profiter. Le fait est que lors de la réalisation de ce document, vous devez être physiquement présent ! Si mes compatriotes n’ont pas les moyens d’effectuer le voyage d’Abidjan, il est pour eux plus aisé d’obtenir leur passeport sur place à Paris. Car à partir du 31 décembre 2009, leur passeport n’est plus valable. Aujourd’hui, nous avons eu gain de cause : Paris sert l’ensemble de l’Europe et Washington sert les Amériques.
L’opérateur doit venir à Paris installer son matériel, il y a un coût ! Au lieu de 40 000 F CFA, il y a 25 000 F CFA de surcoût puisque d’ici les documents doivent partir au ministère de l’Intérieur à Abidjan pour revenir à Paris. Nous ne pouvons pas demander, chaque fois, à l’Etat de nous assister. Entre prendre un billet d’avion à 300 000 F CFA et payer 25 000 f CFA de surcoût, je crois qu’il n’y a pas de discussion. C’est cela que je m’efforce à expliquer à mes compatriotes.
Interview réalisée par Momo Louis
Correspondant permanent en France
Excellence, quel bilan faites-vous de votre première année d’exercice à l’ambassade de Côte d’Ivoire en France?
Je dirai qu’en arrivant à Paris, le Président de la République m’avait fixé quatre objectifs. Premièrement était de faire en sorte que nos rapports avec la France s’améliorent le mieux possible. Deuxièmement, contribuer à améliorer l’image de notre pays. Troisièmement, contribuer à relancer, voire renforcer la cohésion entre nos compatriotes. Quatrièmement, faire en sorte que le respect mutuel soit de mise dans tous nos rapports. Voilà un peu les quatre grands objectifs qui m’ont été assignés. Pour cette première année, et s’agissant du premier point, je dois dire que je me réjouis de la qualité des rapports entre la Côte d’Ivoire et la France. Leur amélioration dans tous les domaines, et les perspectives qui couvrent cette amélioration sont, de mon point de vue, très grandes.
Peut-être qu’en raison des changements politiques intervenus dans les deux pays – aussi bien au niveau des élections que de la sortie de crise – les bonnes relations se favorisent.
Mais je crois qu’au-delà de tout cela, comme dans tous les bons ménages, il y a parfois quelques incompréhensions, quelques frictions…
Vous parlez justement de relations qui s’améliorent entre les deux pays; or jusqu’ici, il n’y a que des seconds couteaux du gouvernement français qui se rendent à Abidjan. Pensez-vous sérieusement qu’une visite officielle de Laurent Gbagbo à Paris ou de Nicolas Sarkozy à Abidjan est possible cette année par exemple?
De mon point de vue, il est bon qu’il n’y ait pas de concessions dans les relations entre Etats. Lorsqu’un Chef d’Etat se déplace, c’est pour ouvrir de nouvelles perspectives, pour renforcer la situation de bonne qualité des relations qui existent entre lui et son homologue. Ceci est vrai tant pour la France, que pour la Côte d’Ivoire. Beaucoup ne souhaiteraient pas qu’une visite du Président Sarkozy avant les élections en Côte d’Ivoire soit mal interprétée. Inversement, qu’une visite du Président Gbagbo en France le soit également. Il vaut, peut-être, mieux qu’on attende que la présidentielle se passe chez nous pour que les relations des deux Etats soient replacées dans un cadre qui soit le plus efficace.
Vous avez indiqué que c’étaient des seconds couteaux qui venaient à Abidjan. Je vous réponds que non ! Ce sont des responsables politiques. Il ne faut pas minimiser leur rôle dans le renforcement des relations entre nos deux pays.
Un ministre ivoirien qui vient ici à Paris, c’est la voix du gouvernement de Côte d’Ivoire. De même, un secrétaire d’Etat ou un ministre français qui va en Côte d’Ivoire, c’est la voix de la France. Donc ce ne sont pas des seconds couteaux.
On parlerait de «seconds couteaux» si c’était des directeurs d’administration qui effectuaient ces déplacements.
La France est une grande puissance et ses responsables ont une très haute idée de leurs rôles et de tout ce qu’ils font pour leur pays et dans les relations de leur pays avec le reste du monde.
Nous ne sommes peut-être pas une grande puissance mais nous comptons en Afrique noire. Je ne crois pas ici que les responsables qui se déplacent soient de simples perroquets. Et c’est un énorme progrès par rapport au début de la crise !
Voulez-vous signifier que la Côte d’Ivoire a retrouvé la normalité avec la France?
Certainement. Et je dois dire que je me réjouis fortement de l’amélioration de ces relations qui – ce n’est aujourd’hui un secret pour personne – montre que la France, dans le gros dossier de la négociation que notre pays a engagé avec les institutions financières internationales, est notre principal avocat. C’est donc dire que nous avons retrouvé la normalité des relations avec la France. Maintenant il faut approfondir tout cela, faire une toilette complète de pas mal de choses, de telle sorte à être en phase avec la période historique dans laquelle se trouvent les deux peuples aujourd’hui.
Avez-vous un plan pour cela, vous, en votre qualité d’ambassadeur ivoirien en France?
L’ambassadeur, comme son nom l’indique, est astreint à appliquer les instructions. Je n’ai donc pas de plan à proposer.
Mais concernant l’amélioration de notre image en France, les choses s’améliorent lentement. Parce que cela devrait s’accompagner d’une série d’actions au niveau des médias et de la communication. Tout cela est très coûteux; or notre pays connaît des difficultés financières. Nous essayons donc, avec des bouts de ficelles, de faire ce que nous pouvons.
Et nos compatriotes aussi, par leur attitude dans leur vie quotidienne et dans leurs rapports quotidiens avec les Français, aident beaucoup à donner une image positive de la Côte d’Ivoire.
Comment cela?
J’ai effectué de juin à novembre dernier, une longue tournée à travers toute le France. Partout, vraiment partout, les préfets ont dit n’avoir aucun problème avec la communauté ivoirienne. Ce sont des gens qui travaillent, qui sont sérieux. Cela est très important à savoir !
Combien d’Ivoiriens y a-t-il en France aujourd’hui?
Officiellement, 30 000. Mais en réalité un peu plus car beaucoup d’Ivoiriens ne s’étaient pas fait enregistrer au moment où j’ai suspendu la délivrance des cartes consulaires. Suspension due au fait qu’il y avait beaucoup trop de faux papiers. Avec l’autorisation du ministre des Affaires étrangères qui a mis au point de nouveaux documents, à partir de la fin du mois d’avril, nous allons reprendre la délivrance des cartes consulaires en même temps que, comme vous le savez, depuis le samedi 14 mars et jusqu’à la fin du mois, l’identification de nos compatriotes. Pour la délivrance des cartes d’électeur et la délivrance des cartes nationales d’identité. De manière à nous donner une radiographie à peu près approchante de la population adulte sur place. Donnons-nous jusqu’à décembre 2009 pour avoir un chiffre approchant la réalité de cette diaspora.
Nos compatriotes, je le disais tout à l’heure, sont bien vus en tous cas en province.
Quelle est la situation à Paris, la capitale?
A Paris, les choses paraissent un peu plus compliquées car il y a du monde, beaucoup plus d’Africains. Ce sont donc des rapports intercommunautaires différents. Mais si j’en crois les réactions du préfet de police à l’occasion de cette malheureuse affaire de la fermeture de la Meci (Maison des étudiants de Côte d’Ivoire), la réaction de nos compatriotes qui habitaient cet immeuble-là a vraiment agréablement surpris les autorités de la police française. Ils sont restés très dignes devant la situation. C’est cela qui explique qu’aujourd’hui, presque tous nos compatriotes qui vivaient à la Meci ont été relogés et les cas de ceux qui étaient en situation particulière sont en train d’être examinés par la préfecture de police.
Des Ivoiriens n’opèrent-ils pas dans la cybercriminalité ?
Vous savez que la cybercriminalité fait beaucoup de dégâts à travers le monde. Et un Guatémaltèque peut se trouver à Abidjan et lancer des messages pour arnaquer les gens en se faisant passer pour un Ivoirien. Et lorsque vous n’avez rien pour prouver qu’il n’est pas Ivoirien, c’est difficile. C’est un peu ça qui explique que certains de nos amis Français nous écrivent en condamnant certains escrocs qui salissent l’image de la Côte d’Ivoire. Mais ça c’est quelque chose que vous voyez dans tous les grands pays.
La Côte d’Ivoire est un petit pays qui n’a pas les moyens de lutter contre ce genre de pratiques. Nous avons commencé à engager des discussions avec Interpol pour que cette agence puisse aider notre pays à lutter efficacement contre la cybercriminalité. En dehors de ces cas isolés, globalement je dois dire que l’amélioration de l’image de la Côte d’Ivoire est en cours. Il faut des moyens plus conséquents pour que les choses puissent avoir l’ampleur que nous souhaitons et que veut, en tous cas, le Président de la république.
Pensez-vous pouvoir disposer de ces moyens-là?
Vous me demandez là d’aller sur un terrain qui n’est pas de mon ressort. Il faut d’abord que je reçoive mon budget et que je puisse voir ce qui peut être alloué à cet effet.
Quels efforts menez-vous pour renforcer la cohésion entre les Ivoiriens?
Vous m’obligez à revenir sur le troisième objectif de ma mission, à savoir la cohésion nationale. Nous avons essayé, mes collaborateurs et moi, de faire un plaidoyer auprès de la diaspora ivoirienne pour qu’elle se regroupe en fédérations ou confédérations d’associations. Nous comptons près de 320 associations ivoiriennes. C’est beaucoup trop ! Il faut se regrouper. Quitte à ce que chaque association conserve sa liberté de mouvement et d’activités artistiques particulières. Pour ensemble débattre des problèmes communs. Et surtout pour bien montrer que les Ivoiriens de France sont réconciliés entre eux. Et là, je pense que nous avons du pain sur la planche. Parce qu’il y a encore des crispations ici et là. Même si aujourd’hui, tout Ivoirien, en arrivant à l’ambassade, se sent chez lui, il faut que cette réconciliation se vérifie hors de l’ambassade.
En province tout va pour le mieux, mais dans la région parisienne, ce n’est pas encore tout à fait ça.
Au niveau des représentations de partis politiques, nous essayons, comme avec les associations, de faire passer le message de la fin de la guerre, de la paix. Malgré tous mes efforts et ceux de mes collaborateurs, les choses patinent. J’essuie même des critiques. Mais cela fait partie de l’ambiance préélectorale qui, hélas, ne favorise pas la fraternisation.
En tous cas, pour moi, l’essentiel, c’est que nous ayons à cœur de nous rassembler, d’être à l’écoute de cette solidarité ivoirienne.
Quand je suis arrivé, il y avait plusieurs associations d’artistes. Aujourd’hui, ils se sont regroupés en deux fédérations. Et je crois même que l’une des fédérations se rapproche de l’autre, petit à petit, pour fusionner. C’est un exemple encore minime certes, mais qui mérite d’être signalé.
Le dernier point porte sur le respect mutuel des Ivoiriens. Nous, au niveau de l’ambassade, essayons d’améliorer l’accueil de nos compatriotes. Pour que le respect mutuel soit concret ; il faut que le travail des usagers de l’ambassade soit efficace.
Les agents de l’ambassade, dans leur grande majorité, apprécient votre touche paternaliste qui les rassure.
C’est peut-être dû au fait que dans ma vie, j’ai eu la chance d’avoir un père qui me l’a inculqué très tôt. Et aussi un prêtre, l’abbé Paul Kodjo, qui m’a inculqué le respect de l’autre.
Ces deux personnes me répétaient toujours ceci: «Quelle que soit sa taille ou son âge, une personne a droit à sa part de respect.»
La deuxième chose, c’est que je me dis que pour le temps que Dieu nous donne à vivre sur terre, l’autre peut m’enrichir d’une façon ou d’une autre.
A partir de ce moment-là, j’essaie toujours d’établir des rapports ouverts. Et par principe, je fais confiance. Il y en a qui trouvent cela bien, et d’autres qui trouvent cela ringard. Cela dit, j’ai un bien grand défaut qui est le fait de dire crûment ce que je pense. Pour éviter qu’il y ait des ambiguïtés par la suite sur tel ou tel sujet.
Il fut un temps où les coupures d’eau et d’électricité étaient courantes à l’ambassade. Doit-on mettre cela aussi sur le dos de la crise?
Le budget total de l’ambassade se chiffre exactement à 1,750 milliard de F CFA par an. Y compris les salaires des agents. Avec pour le fonctionnement de l’ambassade, 1,100 milliard de Fcfa. Or, au cours de l’année 2008, je n’ai reçu que 20% du budget, c’est-à-dire 200 millions de F CFA en tout et pour tout !
Comment donc jongler avec tout cela? Je ne m’en plains pas – pas parce que ce n’est pas le montant qu’on devait m’envoyer - mais je dois m’estimer heureux parce que d’autres ambassades ivoiriennes, à travers le monde, ont des problèmes dix fois plus énormes ! Mais comme on dit chez nous, quand il pleut chacun protège sa tête.
Quelle est la situation des étudiants ivoiriens en France?
Voilà un autre point qui me fait vraiment souffrir. Cela fait cinq mois qu’ils n’ont plus leurs bourses. Ils n’ont personne chez qui aller. Ils ne peuvent pas aller dans une banque pour contracter des prêts. Les parents au pays se disent: «Tu as une bourse, tu es en France, l’Etat s’occupe de toi !» Eh ! bien, ce n’est pas tout à fait le cas actuellement. Des parents essaient de voler au secours de leurs enfants. Mais 200 000 FCFA qu’on envoie à un étudiant correspond à une aide de 300 euros. Ce montant est largement insignifiant.
Il ne se passe pas de semaine sans que j’appelle Abidjan. Pour appeler à l’aide. Tout récemment, j’ai reçu un coup de fil de province où un de nos étudiants est tombé dans les pommes parce qu’il n’avait pas mangé depuis trois jours ! C’est une assistante sociale de la république française qui a appelé ici, furieuse. C’est cela le point noir au niveau du fonctionnement de l’ambassade. Même si l’on comprend très bien que la situation financière du pays est difficile. Quand les étudiants viennent manifester devant l’ambassade, on leur tient un langage un peu ferme mais au fond de moi, non seulement en tant qu’ambassadeur, mais aussi en tant qu’enseignant, et père de famille, c’est très difficile, croyez-moi.
Excellence, vous êtes rentré récemment de Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous dire si la présidentielle se déroulera cette année comme prévu?
Rien ne permet d’en douter. En tous cas la Cei (Commission électorale indépendante) qui a à charge l’organisation des élections, n’a pas encore dit le contraire. Moi, je respecte cette institution de la république. Mais ce serait une très grosse déception pour les Ivoiriens de la diaspora et pour nos amis Français si les élections ne se tenaient pas en 2009.
Où et comment voteront les Ivoiriens de France?
Normalement, la Cei qui est un organe indépendant, aurait dû louer des locaux. C’est dans cette perspective que nous avons entretenu une longue correspondance avec eux depuis pratiquement septembre 2008.
Et malheureusement, la Cei m’a répondu qu’elle n’avait pas d’argent. Et que tout se passera dans les locaux de l’ambassade. Premier problème d’ordre juridique: l’ambassade, c’est d’abord la représentation du pouvoir exécutif. Ce qui est distinct de la Cei. Deuxième problème d’ordre pratique : nous avons des activités régulières au sein de l’ambassade ! Venir immobiliser une partie des locaux, comme c’est le cas actuellement, pose d’énormes problèmes. Surtout que nous avons lancé l’opération des passeports biométriques. Pour lesquels nous sommes en train de terminer des travaux. Il faut que mes services continuent de fonctionner normalement ! J’ai même demandé au chef de la délégation de la Cei de contribuer au paiement des factures d’eau et d’électricité puisqu’ils utilisent nos locaux. Là aussi, ils m’ont répondu qu’ils n’ont pas d’argent. Et que de toute façon, l’ambassade est une structure de l’Etat. Tout comme la Cei. Pour faire en sorte que leur mission soit un succès, nous avons accepté de collaborer.
Mais si aucun moyen n’est accordé à cette commission, il risque d’avoir de gros dérapages à l’ambassade lors des élections. Et qui va payer les dégâts? Déjà en 2000, il y a eu des dégâts. Des gens mécontents des résultats ont tenté d’incendier la chancellerie ! Vraiment, j’ai très peur. Je profite de la question que vous me posez pour demander aux autorités d’aider la Cei à mieux s’organiser. Je vous en parle parce qu’il m’est revenu que certains partis politiques se sont plaints de ce que les réunions de la Cei se tiennent à l’ambassade. En allant même jusqu’à dire que l’ambassadeur veut tripatouiller les textes. Or là, vous voyez bien que ce sont eux qui ne veulent pas quitter l’ambassade. Parce que le pays n’a pas les moyens.
Les passeports biométriques parlons-en justement. Les Ivoiriens de France estiment qu’il coûte trop cher, 65 000 F CFA au lieu de 40 000 F CFA comme au pays?
Ecoutez, les gens ne savent pas comment les choses se passent. L’Etat de Côte d’Ivoire a signé une convention sur la base du BOT (procédé qui consiste à concéder à une entreprise privée, la réalisation d’un service d’Etat moyennant le versement de royalties pour une période bien donnée) avec une société privée. Dans le cas présent, cette convention doit durer quinze ans.
Il faut savoir que l’opération coûte plus de 40 milliards de F CFA. Ce que l’Etat ne peut mobiliser actuellement.
Cette société installée à Abidjan, a fixé le coût du passeport à 40 000 FCFA. Et verse des royalties à l’Etat de Côte d’Ivoire. Certains ambassadeurs dont moi ont souhaité que cela se passe hors du pays. J’ai particulièrement insisté pour que nos compatriotes puissent en profiter. Le fait est que lors de la réalisation de ce document, vous devez être physiquement présent ! Si mes compatriotes n’ont pas les moyens d’effectuer le voyage d’Abidjan, il est pour eux plus aisé d’obtenir leur passeport sur place à Paris. Car à partir du 31 décembre 2009, leur passeport n’est plus valable. Aujourd’hui, nous avons eu gain de cause : Paris sert l’ensemble de l’Europe et Washington sert les Amériques.
L’opérateur doit venir à Paris installer son matériel, il y a un coût ! Au lieu de 40 000 F CFA, il y a 25 000 F CFA de surcoût puisque d’ici les documents doivent partir au ministère de l’Intérieur à Abidjan pour revenir à Paris. Nous ne pouvons pas demander, chaque fois, à l’Etat de nous assister. Entre prendre un billet d’avion à 300 000 F CFA et payer 25 000 f CFA de surcoût, je crois qu’il n’y a pas de discussion. C’est cela que je m’efforce à expliquer à mes compatriotes.
Interview réalisée par Momo Louis
Correspondant permanent en France