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Société Publié le vendredi 8 mai 2009 | Nord-Sud

Rites initiatiques - Dr Coulibaly Djakalidja (Anthropologue) : “Voici la menace qui guette le Poro”

Pour le Dr Coulibaly Djakalidja, le poro ne disparaîtra jamais tant que le peuple senoufo existera. Il ne cache pas cependant ses appréhensions face à l`éloignement progressif entre la jeunesse senoufo et ce rite initiatique.

•Dr Coulibaly Quels sont les rites initiatiques en pays sénoufo ?

L`on regroupe généralement les rites initiatiques sénoufo dans ce qu`on appelle communément le « poro ». Mais en sénoufo, on dit «pôr» qui signifie « épouser ». Cela veut dire que c`est quelque chose qu`on épouse toute sa vie. Donc quand on naît, en plus de sa femme, sur le plan social, voici ce qu`on épouse. Et dans cette initiation, il y a un ensemble de pratiques. Elles ne concernent généralement que les jeunes garçons. Il y a également des femmes, mais leur cas diffère. Maintenant, quand on dit le poro, l`on voit d`une façon générale des initiés. Mais, dans cette catégorie poro, il y a plusieurs sous- ensembles. Il y a le premier poro que tout le monde connaît et qui apparaît à toutes les funérailles avec les initiés et la danse. C`est ce que nous appelons le « tchologo » Ce sont des initiés, mais dans un domaine bien spécifique. Ce qui n`a rien à voir par exemple avec les initiés de poro de « Wabéné » qui est l`emblème de l`université de Côte d`Ivoire. Les initiations sont différentes. La même personne fait tout mais de façon différente. Il y a un autre type de poro qu`on appelle le « gnar ». Il est encore plus spécifique.

•Quelle est justement la spécificité de chaque poro ?

La spécificité est liée au clan ou au lignage. Chaque clan choisit un type de poro spécifique. Vous pouvez avoir dans un village le clan fondateur qui a des ramifications dans d`autres villages. Parce que certains originaires se sont déplacés pour créer d`autres villages. Au niveau du poro en tant qu`initiation, généralement ce sont des jeunes garçons qui sont concernés. Il peut arriver que certaines femmes fassent l`initiation. Cependant, ces femmes doivent être des descendantes directes du chef de clan. C`est-à-dire qu`elles appartiennent à la généalogie du fondateur. Ceux qui ne le savent pas peuvent être surpris de voir des femmes devant les masques. On ne les voit pas souvent en pays sénoufo, mais il y a des femmes qu`on appelle les propriétaires. Tout poro a des propriétaires. C`est la famille du fondateur au sein du clan ou lignage. Le type de l`initiation est lié au rang qu`on occupe dans la hiérarchie du clan qu`on appelle également ``grande famille``. Le lieu d`initiation, c`est le bois sacré. Chez les Sénoufo on ne dit pas forêt mais bois parce qu`on est en région de savane. Tout autour, on peut faire des champs. Mais, cette partie reste toujours intacte. Donc elle constitue une sorte de forêt.

•A quel âge commence l`initiation?

Pour les garçons, il suffit d`être membre du clan pour être apte à rentrer dans le poro. A l`époque, on rentrait dans le bois sacré à 15 ou 16 ans, c`est-à-dire en pleine adolescence. Parce qu`on estimait que c`est à cet âge que l`individu a besoin d`un certain nombre de valeurs. Donc, qu`il fallait le socialiser au maximum. C`est une éducation qui dure dans le temps. Il faut 21 ans pour boucler le cycle, divisé en trois grandes parties. Et à chaque fois qu`on finit une première partie, on fait rentrer une nouvelle génération. Les Blancs parleraient de promotion. Et au moment où la 3ème promotion est au stade préliminaire de son initiation, les anciens ont déjà fait 14 ans.


•Il peut donc y avoir un écart d`âge entre les membres d`une même promotion ?

Oui, mais, cela importe peu. Même si vous avez 30 ans et que vous faites l`initiation avec des plus jeunes, vous êtes de la même promotion. Du moment où vous n`avez jamais été initié, vous êtes de la même génération. Voilà comment ça se passe. Ce n`est pas en terme d`âge, mais de période. Normalement, si vous avez 30 ans, on considère que votre génération est passée. Donc, vous faites votre initiation avec la génération des plus jeunes. Et vous faites partie de la génération de ceux avec qui vous avez fait votre initiation.


•Vous dites que les 21 ans se divisent en trois périodes. Est-ce tous les 7 ans que l`initié revient ?

Oui, tous les 7 ans. Mais, ce qu`il faut comprendre, c`est que ceux qui sont au premier stade d`initiation, après les 7 ans, ils passent à un niveau supérieur. C`est comme à l`école. C`est pourquoi l`on dit que le poro est une école. C`est comme si vous faisiez le préscolaire, le primaire et toutes les autres étapes jusqu`à l`université. A chaque classe correspond un stade d`initiation et de connaissance et également un niveau de valeurs qu`on vous inculque.


•Quel est le contenu de chaque étape ?

On vous apprend à connaître l`ascendance ou le clan. Pour que vous sachiez qui est de quel clan, d`où vous êtes issu. Même parmi les initiés, il y en a qu`on appelle ``propriétaires``. Et il y a des initiés qui appartiennent au clan mais ne sont pas descendants du fondateur. Donc, même au sein des initiés, il y a encore des catégorisations qui se font. L`initiation, on dit que c`est une école. Donc, on vous apprend évidemment tout ce qu`il faut connaître sur votre propre société. Comment se maîtriser face aux situations ? Comment devenir véritablement un homme dans la société ? En somme, un ensemble de connaissances. Il y a surtout le respect. C`est la raison pour laquelle vous constaterez qu`en pays sénoufo il y a beaucoup de respect. Je ne parle pas des exceptions. Il est très rare de voir dans la société sénoufo un cadet lever la voix sur son aîné.


•C`est aussi ce respect-là qui caractérise les filles sénoufo…

Tout à fait. Parce que ces jeunes filles vivent dans une société qui s`y prête. Toute la société sénoufo est régie par le poro. Même si elles ne font pas l`initiation comme les hommes, ces jeunes filles sont incluses dans le poro. Elles font partie intégrante du poro. Il y a tout un ensemble d`actes qu`elles doivent poser parce qu`elles ont leurs fiancés dans le poro. Mais, chacun a son rôle, selon son sexe, selon qu`on soit initié ou non. Qu`on soit maître de bois ou non.


•Au chapitre des connaissances, touche-t-on à la vie de couple ? Comment devenir par exemple un bon mari ou une bonne épouse?

La société sénoufo est régie de sorte que les droits et devoirs de l`épouse sont connus. De même que ceux de l`époux. Cela est déjà codifié. Il y a un certain nombre de symboles qui représentent cela. Donc, quand on est dans une société sénoufo, on connaît déjà sa place. Lorsqu`on prend pour indicateur le sexe, quand on est un homme, on connait déjà sa place. Quand on est une femme, on connait également la sienne. Voilà comment les choses sont organisées. Maintenant, les femmes, elles, ont leur rôle. Il y a des travaux qu`elles font. Il y en a qu`elles ne font pas parce que réservés aux hommes.


•La formation n`a-t-elle pas aussi une dimension religieuse voire mystique ?

Le poro relève du domaine du sacré et non du domaine du profane. A partir du moment où il y a un ensemble de rites qui se font dans des conditions particulières. Et quand on rentre dans le domaine du sacré, automatiquement, on rentre dans l`irrationnel. Et l`irrationnel, comme son nom l`indique, renferme des éléments qui ne sont pas à révéler. Je vous ai dit que le poro, c`est quelque chose qu`on épouse. Vous l`épousez toute votre vie. En son sein, il y a un certain nombre de règles qu`il faut respecter.


•Et que vous êtes obligé de vous protéger quand vous sortez…

Absolument. Et cela n`est pas propre au poro. Prenons le cas d`une institution régalienne comme l`armée. Ce qui la caractérise, c`est le secret. Le secret n`est pas le sacré. Mais il n`en est pas loin. L`armée, on l`appelle la grande muette. C`est-à-dire qu`elle ne parle pas comme cela. Et quand elle le fait, elle sait ce qu`elle doit dire. Alors qu`ici, on est dans une institution républicaine, internationale et mondialement reconnue. Mais, qui a ce côté irrationnel de la chose. Donc, le poro rentre dans cet ordre d`idée. Pour vous dire que toutes les connaissances acquises au cours de l`initiation ne peuvent pas être révélées.


•On dit aussi que ceux qui ont fait le poro sont d`une certaine façon protégés de certains dangers par rapport aux non initiés…

Ce n`est pas qu`ils sont protégés contre certains dangers. Ce que fait le poro, c`est d`apprendre à éviter le danger. Vu que c`est une initiation, on inculque à l`individu certaines valeurs.


•Ne donne-t-on pas aux initiés des instruments mystiques de protection?

Le poro n`a pas pour rôle de donner des instruments de protection. Ça, ce sont des pouvoirs qu`on prête au poro.


•Les initiés ne sont-ils pas lavés avec des décoctions pour leur protection?

Cela est lié aux conditions de l`initiation. Vous savez que pendant la formation les initiés n`ont pas de vêtement.


•Quel rôle joue le masque dans l`initiation ?

Toute l`initiation est chapotée par les masques. Quand on dit le poro, c`est un ensemble. Mais l`élément qui est au-devant des choses, c`est le masque.


•Qui est divinisé…

Tous les masques sont divinisés. Cela est lié à la fonction même du masque. Parce que le masque est vu comme un être suprême et souvent même comme un intermédiaire entre Dieu et les hommes. Donc, généralement, on met le village, la population, la région sous la protection du masque. C`est dire que le masque a un pouvoir surnaturel. Voilà la première fonction du masque. Il permet donc de réguler la société, de régler les conflits. Les grands conflits en pays sénoufo ne sont pas réglés chez le chef du village. Lorsque le conflit est grave, il se règle chez le masque.


•Avec autant de pouvoirs accordés au masque, quels sont ses rapports entre la tradition sénoufo avec les religions révélées ? Y a-t-il compatibilité ?

Chez les Sénoufo, il n`y a pas d`incompatibilité. J`ai insisté sur l`aspect « épouser » du poro. Chez les Sénoufo, on considère que le jeune qui naît appartient d`abord au poro. Cela est irréfutable. Maintenant, puisqu`il est dans un monde qui évolue, un environnement moderne avec l`école et les religions révélées, le jeune sénoufo peut se retrouver dans un environnement autre que celui de l`éducation sénoufo. C`est ce qu`on constate aujourd`hui. Beaucoup de jeunes ne savent même pas de quoi il s`agit quand on parle de poro.

Maintenant, lorsque cet enfant évolue et qu`il devient musulman ou chrétien, il est amené à suivre les préceptes de sa nouvelle religion. Et là, peut être qu`il sera amené à abandonner certains enseignements du poro. Mais, à ce niveau, il y a deux situations : l`individu est libre de faire le poro ou non. Car, aujourd`hui, ce n`est pas obligatoire. Avant, ça l`était. Mais de nos jours, non. Maintenant, les pratiques du poro au niveau par exemple des décès où le masque doit intervenir, votre génération doit venir pour faire des cérémonies, car chez les Sénoufo, les morts ne sont pas morts, mais font partie des ancêtres du village. Ils surveillent le comportement de chacun des membres du village, et que vous avez choisi une religion révélée qui donne un certain nombre de conditions ou de règles de fonctionnement. Vous l`acceptez ou vous ne l`acceptez pas.


•N`y a-t-il pas de dangers liés au choix d`une religion révélée tout en restant dans le poro ?

Je ne dirais pas qu`il n`y a pas de dangers. Cela dépend du rapport que l`individu a avec le poro. Je vous ai dit que parmi les initiés, il y en a qui sont des propriétaires. Ce sont les descendants directs de l`ancêtre fondateur. Si quelqu`un est directement de la lignée du fondateur, en tant que propriétaires, du bois, il peut y avoir des forces surnaturelles qui peuvent agir s`il s`engage dans une autre religion. Moi, je suis scientifique. Mais, on sait qu`en Afrique cela existe. Donc, ces forces surnaturelles peuvent agir, puisque j`ai dit que le village est sous la protection des ancêtres, à tel point qu`il peut arriver qu`on dise à quelqu`un que les problèmes qu`il connaît sont liés à l`abandon du poro. Et qu`on lui demande d`aller se réconcilier avec lui pour retrouver sa plénitude. Mais, il y a des cas aussi où des Sénoufo choisissent l`Islam ou le Christianisme et il n`y a rien. Le seul inconvénient, c`est qu`à leur décès, ils ne bénéficient pas du cérémonial qu`on fait en temps normal parce qu`ils n`en remplissent plus les conditions. C`est peut-être les membres de leur nouvelle religion qui vont leur accorder des funérailles appropriées. Cependant, ce qu`on a remarqué en pays sénoufo, c`est que l`on a tendance à pratiquer toutes les religions. C`est-à-dire qu`on est d`abord dans le poro avant de devenir chrétien ou musulman. Cela ne gêne pas.


•Peut-on suivre deux dieux à la fois?

En tout cas, on a remarqué que le Sénoufo est chrétien ou musulman, mais il a toujours un pied dans le poro. Cela peut s`expliquer. Quand on repart au village, on ne va pas causer avec les chrétiens ou les musulmans. On va causer avec des animistes qui sont adeptes du poro. Et donc, si vous voulez être intégré, vous êtes obligé de garder un lien avec le poro. C`est là que vous êtes né, et c`est là que se trouve votre famille. Alors, le senoufo pour ne pas se sentir étranger dans son propre village, préfère garder un lien. Ainsi, quand il est dans son milieu naturel, il cause avec tout le monde. Il a sa génération. Il garde un lien tout étant de l`autre côté.


•Comment voyez-vous l`avenir du poro?

Il n`y a aucun souci à ce niveau. Tant qu`il y aura des enfants sénoufo, il y aura toujours le poro.


•Les risques sont réels pourtant. Korhogo, le cœur du pays sénoufo, est aujourd`hui une cité moderne…

Oui ! Mais, Korhogo a toujours ses initiés. Korhogo a toujours son bois sacré. L`on sait où se trouve le bois sacré de Korhogo. L`année dernière, j`étais dans la ville pour des funérailles. Tous les masques de Korhogo étaient sortis. C`est dire que chez le Sénoufo, le risque de disparition du poro ne se pose même pas. Parce que c`est quelque chose qui est en lui. Le poro représente la première femme du Sénoufo en quelque sorte. C`est-à-dire que c`est la première chose qu`il épouse avant d`aller épouser une femme. Maintenant, là où le problème se pose, c`est par rapport au taux de scolarisation. Souvent, certaines personnes ne comprennent pas pourquoi au Nord, les chefs de familles ont du mal à envoyer leurs enfants à l`école. Du point de vue anthropologique, voilà la vraie raison. Ou du moins l`une des raisons. Lorsque le Sénoufo envoie son enfant à l`école, cet enfant qui, s`il est né homme est prédestiné à l`initiation du poro, donc à perpétuer la société du point de vue de la connaissance au niveau traditionnel, il n`est plus soumis au même principe du poro que celui qui n`est pas allé à l`école. Celui qui va à l`école ne peut pas faire 7 ans dans le bois sacré. Il a une initiation d`à peu près une demi-journée. C`est-à-dire qu`il ne fait même pas de séjour dans le bois sacré. Donc, il y a un certain nombre de connaissances qu`il n`a pas. Eux, ils sont dévoués corps et âme au poro. Le poro se manifeste plus lors des funérailles. Il faut des initiés. Ce n`est pas celui qui va à l`école qui va aller organiser les cérémonies au village. Donc, il y a un éloignement par rapport au poro, c`est ce qui peut justement menacer l`avenir du poro.


•La communauté sénoufo ne cherche-t-elle pas une solution à ce problème ? Ne faut-il pas par exemple permettre aux Sénoufo de la diaspora de pouvoir suivre l`initiation là où ils se trouvent?

En pays sénoufo, les choses ne se mélangent pas. Il y a quelque chose qui fait la différence, c`est le clan. En matière de poro, on sait par exemple qui sont ceux qui sont destinés à l`initiation par exemple dans le bois sacré de Sinématiali. On sait ceux qui sont destinés à l`initiation dans le bois sacré de Gnompêkaha, mon village. Cela est su dès votre naissance. Dès votre naissance, on sait à quel clan vous appartenez. Et tout de suite, on sait dans quel bois vous allez faire votre initiation. Voilà la particularité de l`initiation en pays sénoufo. Le Silué, qui vient de Napié, et moi ne pouvons pas faire une initiation commune dans un poro ici à Abidjan. Ce n`est pas possible. C`est quelque chose qui ne passe pas chez les Sénoufo. On ne peut pas mélanger tout le monde de cette façon. Parce que chez les Silué, l`initiation est différente. Les modes opératoires sont différents.


•La base reste pourtant la même…

La base consiste à inculquer un ensemble de connaissances à l`individu. Comment il doit se comporter dans la société. Voilà les valeurs du poro. L`humilité, le respect de l`aîné et même le respect de son épouse. Mais, il y a quelques différences. Les masques de Sinématiali sont différents des masques de Korhogo. Alors que les deux localités ne sont distantes que de 32 km. Et ceux de Sinématiali sont différents de ceux de Ferké, alors que c`est à 18 km. Les ressortissants de Ferké, de Korhogo, de Sinématiali se retrouvent tous à Abidjan. Pour le profane, ils sont tous Sénoufo. Mais, entre nous, on se connaît. Nous sommes tous des initiés, mais il y a des différences. Ce ne sont pas des différences de supériorité, d`infériorité. Non, cela n`existe pas. Mais des différences de connaissance et de spécificité.


Interview réalisée par Cissé Sindou
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