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Faits Divers Publié le lundi 6 juillet 2009 | Nord-Sud

Fragrant délit du Plateau : Dans l`enfer des parents des prisonniers

Il est 13h. La pluie vient de s'achever sur la commune du Plateau. Les automobilistes inondent les artères. L'air humide qui traîne le carburant brûlé monte fortement au nez. Après les nombreuses tours administratives et la Cathédrale Saint Paul, le Palais de justice nous ouvre ses bras. Plusieurs jeunes défilent devant le temple de Thémis. Les margouillats hèlent les passants. Ce sont des jeunes intermédiaires qui aident les demandeurs de documents administratifs. Devant la première entrée se tient un vigile à la face barrée de lunettes noires, il porte un chapeau de cow-boy. Ici, seul le personnel du palais a droit à l'accès. « Les autres, par derrière », indique-t-il scrupuleusement aux arrivants qui viennent par dizaines. « Par derrière », veut dire la seconde entrée, à 200 mètres. En un quart de tour du palais vers l'extrême gauche et on y parvient. Il y a un rang à l'entrée. On se bouscule pour passer. Un policier se tient au seuil, il demande à chacun le but de sa visite. Une mauvaise réponse et vous êtes priés de rebrousser chemin. « Vous, c'est pourquoi ? », demande-t-il à un monsieur. « …euh…Je suis venu voir le juge P… », répond un type bedonnant. « Vous avez rendez-vous ? », reprend le policier. L'autre se gratte la tête : mauvaise réponse. Il n'entrera pas. « Et vous ? ». La question s'adresse à nous. « Flagrants délit!» Bonne réponse ! Pendant que nous traversons la guérite, le tumulte à l'entrée se fait de plus en plus grandissant. Nous montons de longues marches pour entrer dans le grand hall. Des personnes de tous âges discutent, arrêtées sur les marches. Le hall donne accès à la Cour d'appel et à la salle d'audience du tribunal de 1er instance. Mais, il y a un monde fou !

L'inquiétude…

Des personnes attendent, assises sur les sièges en béton, d'autres ont pris place sur les murs qui servent de parapet. Les plus nombreuses sont débout ou déambulent. Ce sont des adolescents, des adultes, des mères de familles, des vieilles personnes souvent du troisième âge. Sur les regards, on peut lire de l'inquiétude, de l'indignation ou même des sentiments proches de la révolte. Chacun a son but de présence en ce lieu. Un groupe de jeunes bavardent accoudés à l'un des gros piliers du hall. Ils parlent de leur frère, accusé d'escroquerie. Sur leurs visages, c'est l'inquiétude et le désarroi. « Il sera libéré, on a pris un bon avocat », rassurent certains. Soupir pour les autres. « On l'espère, parce qu'on aura tout fait. Moi, je n'ai plus d'argent », avance l'un d'entre eux qui semble pessimiste. Un autre quarteron, cette fois-ci un groupe de femmes. Elles sont venues assister au procès de leurs filles, sœurs et nièces. Il s'agit selon leurs dires, de Koffi Mireille et Koffi Amina Adèle, accusées toutes deux de coups et blessures volontaires.
Pour certaines, les deux jeunes filles ont la raison en leur faveur, elles seront relaxées. Mais, pour les autres, il faut s'en remettre à Dieu. Lui seul décidera. A côté de ces petits groupes, quelques personnes isolées réfléchissent seules, arrêtées ou accoudées aux murs. Elles ont l'esprit lointain à telle enseigne que certaines ne prêtent pas attention quand vous leur dites « bonsoir». K., par exemple, a porté plainte contre son neveu pour lui avoir escroqué la somme de 1,8 million de Fcfa. Il est taciturne. Sa présence ce vendredi au tribunal est pénible. Au milieu de cette cohue de personnes, il y a quelques curieux. Ceux-là, ce sont les passionnés des tribunaux, ils y viennent pour se divertir. C'est le cas de Justin K. « Je suis diplômé en Bts. Pour l'instant, je n'ai pas encore d'emploi. Les vendredi, quand je n'ai rien à faire, je prends mon bus pour venir assister aux procès », raconte-t-il. On y apprend beaucoup de choses, dit-il. « Grâce à mes venues ici, par exemple, j'apprends à me contrôler dans ma vie et à faire attention, parce que je sais qu'on peut condamner quelqu'un pour une paire de gifle ou pour une injure publique », explique-t-il. Beaucoup d'Ivoiriens ne connaissent pas leurs droits et leurs devoirs, selon Justin. Il dit avoir remarqué que bon nombre d'entre eux sont condamnés parce qu'ils ne savaient pas, par exemple, qu'on ne couche pas avec une fille de moins de 15 ans, ou qu'on n'a pas le droit de frapper quelqu'un même quand on a raison. « Et, quand vous connaissez bien les inconvénients des procès, vous apprenez à régler vos problèmes à l'amiable », ajoute-t-il. Ce garçon, souriant, qui a consommé la vingtaine, ajoute : « J'ai aussi remarqué que beaucoup de personnes ne savent pas se tenir devant le juge pendant le procès. D'autres tiennent un langage ou une attitude qui les enfoncent alors qu'ils pouvaient être relaxés. En plus de cela, certaines personnes, qui sont sures de gagner une affaire, la perdent parce qu'elles ne savaient pas qu'un avocat était indispensable ». Justin touche du bois : « Avec tout ce que j'ai appris ici, le jour où je serai devant un juge, je pourrais assurer convenablement ma défense ». Comme on peut le voir, il y a des parents venus soutenir leurs proches, des plaignants, des spectateurs commes Justin et même quelques témoins oculaires.
Soudain, des plaintes fusent dans la mêlée de personnes qui attendent. Les regards sont fixés sur l'énorme porte close du tribunal de 1e Instance. Il est 13h25. « Les audiences débutent à 13h. Qu'est-ce qu'on attend pour ouvrir les portes », s'interrogent certaines personnes. Quelques minutes après cette remarque, un policier, détaché au parquet d'Abidjan, donne l'ordre à certaines personnes de libérer les places assises. Il s'agit de ceux qui se trouvaient près du hall qui mène à l'entrée des juges et des prévenus. « C'est pour ne pas qu'à leur sortie, les prisonniers se mèlent à eux pour se sauver », tente d'expliquer un homme à son compagnon. « Attention, les prisonniers arrivent », scandent des langues. En un éclair, tout le monde se rue à la porte. Nous sommes emportés par la vague humaine, nos pieds ne touchent presque plus le sol, à cause de la marée de corps déchainés. Il faut jouer des coudes pour se maintenir. Chacun veut être le premier à entrer dès que la porte sera ouverte afin de bénéficier d'une place assise.
La lutte…

Mais, pour ce faire, il faut être le plus proche possible de la porte. « Toi, arrêtes de bousculer les gens, nous ne sommes pas à un arrêt de bus », lance un jeune homme à son voisin de derrière. Au milieu de cette foule, la sueur de certaines personnes colle à la peau. Un mélange d'odeurs corporelles, de parfums et de pommades nous fait monter une nausée à la gorge. Une femme devant nous, qui porte de longues mèches de cheveux, nous les enfonce dans le visage tellement nous sommes coincés. Mais, il faut tenir bon ! C'est le prix pour avoir une place assise, sinon, c'est arrêté que vous assisterez au procès. Une trentaine de minutes après la fausse alerte à la porte, les plus fragiles commencent à se lamenter: « Qu'est-ce qu'on attend pour ouvrir, je suis fatigué de m'arrêter ». Des vieilles femmes fatiguées retournent s'assoir et perdent leur place. Les pieds commencent à trembler de fatigue et les reins ne tiennent plus. Malgré la pluie, la chaleur étouffe. Celui qui se tient devant nous se penche de temps en temps pour regarder à travers la fente de l'énorme porte en acajou. « Le technicien arrange le micro et place des dossiers », informe-t-il. Des murmures de nervosité accueillent ces propos. Soudain, un bruit attire les regards vers le hall, à gauche. Les prévenus, ils arrivent! Une trentaine environ. Ils sont menottés et marchent la tête basse. Ils sont de tout âge. Homme comme femme. Une femme qui avoisine la cinquantaine marche devant. Elle est simplement habillée d'un corsage, d'un pagne et d'un foulard sur la tête. Elle n'a pas de menotte. « C'est sûrement parce que son délit n'est pas grave », s'hasarde une personne dans la foule devant la porte. « C'est plutôt parce qu'elle est âgée », contredit un autre. « Et l'autre là-bas, reprend le premier qui n'abandonne pas son idée, il est âgé mais il porte des menottes ».
Les pleurs…

Il désigne un monsieur qui marche au milieu des jeunes garçons vêtus la plupart de vêtements crasseux. Quelques uns sont émus à la vue de leurs parents menottés qui marchent vers l'entrée de la salle d'audience sous la garde de deux policiers armés de pistolets automatiques. Certaines personnes n'arrivent pas à retenir leurs larmes. D'autres font des prières. Quand à nous, ce sont les jambes qui commencent à crier gare ! Enfin, la porte s'ouvre 5 mn après le passage des détenus. L'agent venu l'ouvrir fait un signe de la main : « Entrer doucement !». Mais, qui l'écoute ! Le mouvement déchaîné de corps que nous faisons pour entrer l'effrai si bien qu'il libère le passage. Nous occupons dans un vacarme les quelques sièges assis que compte la salle d'audience. Le calme revient. Plusieurs personnes qui n'ont pas eu la force de pousser sont débout, à l'entrée. Parmi elles, quelques personnes âgées. Un policier qui les a vus, balade sévèrement les yeux sur les places assises. Il désigne deux jeunes gens et leur demande de céder la place aux plus âgés. « Éteignez vos potables. Celui qui fait sonner son portable on le bloque !», prévint le policier. Chacun s'exécute. Tous les portables sont éteints. Le policier insiste encore pour s'assurer que son ordre a été compris. Le procureur, puis le juge et ses assistants font leur entrée. Un policier signale l'arrivée du tribunal qui siègera ce jour. « La cour ! », dit-il. On se lève. Le juge demande ensuite de s'asseoir. Les audiences des flagrants délits de ce vendredi 3 juin peuvent débuter. Pendant l'audience, un téléphone sonne. L'un des policiers, qui a repéré l'indiscipliné, lui prend l'appareil pour le remettre au juge. Les murmures et commentaires accueillent ce trouble. « Silence dans la salle ! », lance le juge. Soudain, un tonnerre d'applaudissement fait trembler la pièce. Koffi Amenan Mireille et Koffi Amenan Adèle accusées de coups et blessures sont relaxées pour délits non établis. La famille qui avait bondé la salle sort, heureuse. Au fur et à mesure que les prévenus passent à la barre, la salle se vide. Certains ont eu gain de cause, comme la famille des sœurs Amenan, d'autres sont tristes bien qu'ayant gagné. C'est le cas de K., qui vient de voir son neveu Koffi Tiéné Porquet (qui lui a escroqué 1,8 million de Fcfa), condamné à 2 ans fermes. Mais, il est triste en quittant la salle. Beaucoup d'autres personnes sortent en pleurant. Leurs enfants, leurs époux ou leurs parents ont été jugés coupables. C'est un pan de leur vie qui s'écroule autour d'eux. A côté de nous, notre voisin ne cesse de rire devant les justifications des prévenus à la barre. C'est un simple spectateur comme Justin. « N'importe quoi ! N'importe quoi ! dit-il. Tenez, j'ai assité un jour au procès d'un certain Bakayoko accusé de braquage. Il a été condamné à 20 ans. Son oncle Y., qui ne pouvait pas supporter cela est sorti tout furieux en frappant son siège des pieds. Le juge l'a rappelé sur le champ à la barre. Ça faisait rire. Mais, il n'est pas allé en prison comme son neveu, il a juste reçu des mises en garde », raconte le voisin exalté. Les derniers prévenus passent à la barre, le juge clos l'audience de ce jour. Il est 17h. Nous rencontrons Justin à la porte. Comment a-t-il trouvé l'audience. « Beaucoup de condamnés, mais c'est la vie ! », dit-il de son air optimiste.

Raphaël Tanoh
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