x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Faits Divers Publié le jeudi 22 octobre 2009 | Nord-Sud

Cour d’Assise : Le manque d’argent empêche l’éclatement de la vérité

Depuis des années, les assises ne se tiennent pas régulièrement. Une situation qui n’est pas sans conséquences sur le sort des détenus et le rendu de la justice. Enquête.

Tiécouré Binco Romain a passé 7 ans de détention préventive pour tentative d’assassinat à Tiassalé. Il a été jugé le 23 septembre 2008, lors des assises et condamné à 15 ans fermes. A la barre, le prévenu a toujours nié les faits. Coup de théâtre ! Les témoins qui, 7 ans plus tôt, indexaient Romain comme un meurtrier, se sont rétractés lors du procès. Ce qui n’a empêché pas l’épée de Damoclès de s’abattre sur le prévenu. Même crime, même traitement, même sort : Moudjo Yao, aujourd’hui 39 ans, a purgé 8 ans de détention préventive. Il a été jugé 7 jours avant Tiécouré Binco Romain, par la Cour d’assises du Plateau, pour viol et meurtre. Ivre, Yao s’est infiltré un soir de l’an 2000 chez Mlle Amah, une vendeuse de boisson alcoolisée à Grand-Lahou. Il l’a violée, tout en serrant son cou. Si bien qu’elle est morte sans qu’il n’en prenne conscience. Me Houphouët Ange, qui assurait sa défense, n’a pu le faire libérer. Il a été condamné à 12 ans de prison ferme. Et qui ne se souvient de Aka Koffi dit «Chef de village» ? Accusé des pires crimes : viol, extorsion de fonds et vol à main armée ? Ce prévenu est cité dans plusieurs vols à main armée en réunion à Grand-Bassam. «Chef du village» n’a jamais été pris sur les faits. Il est présumé innocent. Pourtant, arrêté, il a rejoint la Maca en juillet 1998 pour n’en ressortir que le 4 septembre 2008, afin d’être jugé à la Cour d’assises du Plateau. Après 10 ans de détention préventive, il a été condamné à 15 ans fermes.

Condamnés avant jugement…

Tous ces prévenus n’étaient-ils pas condamnés avant même d’avoir été jugés?

Tous les « présumés criminels » pendant ces assises étaient amochés. Marqués par la prison. Et, pendant leur procès, beaucoup finissaient par avouer qu’ils ne se rappelaient plus de grande chose après une décennie passée en détention préventive. Encore que les conditions de détention laissent à désirer. Un rapport du Mouvement ivoirien pour la défense des droits de l’Homme (Midh) sur les prisons décrie les mauvaises conditions de détention des prisonniers en Côte d’Ivoire. Toutefois, le problème ne se limite pas à l’état des prisons.

Il n’y a plus d’assises régulières en Côte d’Ivoire depuis près de 10 ans. Tenir des assises est devenu rare comme une mouche blanche. Le blocage a commencé depuis 2002. Au lieu de 21 assises, avec une périodicité de 3 mois, il n’y en a eu que 3. Avec les dernières assises de septembre 2008. Et encore ! « Ces assises ont été tenues à cause de l’affaire des déchets toxiques », explique Me Doumbia Yacouba, avocat au barreau de Côte d’Ivoire. Faut-il attendre le prochain scandale national pour voir la prochaine Cour d’assises siéger ?


…Parce que la Cour d’assises ne siège pas

Non. Parce que, même le drame du « Félicia » en mars 2009 qui a fait 20 morts et 132 blessés, a été jugé en flagrants délits. Les raisons de ce blocage ne sont pas inconnues. Le cabinet du ministère de la Justice, joint, nous a renvoyé au tribunal.

Là, les magistrats sont prudents. Toutefois, selon un procureur qui désire garder l’anonymat, la cause est purement d’ordre financier. Avec la crise, les 4 juridictions que sont celles de Korhogo, Bouaké, Daloa et Abidjan ont été réduites à seulement deux : Abidjan et Daloa. La concentration des détenus, a haussé le budget d’une assise. Et elle revient chère à l’Etat qui doit faire face aux dépenses de la sortie de crise. Il faut prendre en charge les frais des jurés, des magistrats, payer les perdiems des avocats, faire l’instruction. Contrairement aux flagrants délits, le prévenu fait d’abord l’objet d’une instruction, avant d’être amené devant la chambre d’accusation. D’où le volume considérable des dossiers. Mais, selon Me Gohi-Bi Iriet Raoul, avocat au barreau, cet argument est à la fois fallacieux et honteux pour un Etat comme la Côte d’Ivoire. «Lors des dernières assises que j’ai suivies, des détenus avaient déjà passé 10 à 15 ans en détention préventive. La loi dit qu’un individu ne doit pas passer plus de 18 mois en détention préventive. S’il doit y avoir prolongation, cela ne doit pas excéder 4 mois», rappelle-t-il. Par ailleurs, il cite l’article 139 qui demande le respect strict de ces bornes.

Mais, comme on l’a constaté aux dernières assises, les prévenus « présumés innocents », ont eu des périodes de détention préventive longues. Des faits contre lesquels luttent les associations de droits de l’Homme telles que le Midh et la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (Lidho). « Nous avons constaté qu’il y a, à la Maca et dans toutes les prisons de la Côte d’Ivoire, des détentions préventives au-delà des délais légaux», s’indigne le Dr Kamagaté Bohouman André, président de la Lidho.


Des détentions hors délais

Faute d’assises, les détenus qui attendent la manifestation de la vérité doivent parfois déchanter dans leurs géôles. Et quand bien même ils en sortent, une question se pose : Comment arriver à la manifestation de cette vérité tant d’années après les faits ? Le manque criant de moyen n’altère-t-il pas la vérité au fil du temps ? N’est-ce pas une raison de plus pour condamner « obligatoirement » un prévenu qui a déjà passé près de 10 ans en détention préventive ? Même si Me Traoré Drissa, avocat et président du Midh, se veut rassurant sur la question: « Le plus souvent, tout le monde est entendu au moment des faits et tout consigné sur Pv ». Me Gohi-Bi Iriet, lui, est sceptique. « Nous respectons la décision des juges », commence-t-il. Mais, ajoute l’avocat, il y a des cas où le magistrat est « gêné » de libérer le prévenu qui a déjà purgé la peine de son délit en détention préventive. Ce que nie un procureur . « Dire que la justice peut se tromper, c’est difficile. Le premier objectif quand on prend un délinquant, c’est son identité », ajoute-t-il. Si malgré tout, le juge se trompe, ce qui n’est pas à exclure, il y a d’autres recours, tels que l’appel.

Seulement voilà, après une décennie passée en détention préventive, les prévenus n’ont plus rien à espérer. Surtout que le même procureur, sous le coup de l’anonymat, insiste que la justice ne peut rien pour un prévenu innocenté après plusieurs années de détention préventive. Lors de leurs procès, ces prévenus sont très souvent projetés dans un autre temps, où ils ne se rappellent plus des faits. Pendant les procès des dernières assises, il était parfois difficile pour les victimes de se souvenir des détails. Si bien qu’ils étaient tout le temps contrariés par le procès-verbal. Les avocats, pour leur part, ne reçoivent parfois les dossiers que pendant les assises, selon Me Gohi-Bi, se retrouvant ainsi devant le fait accompli…

Des crimes requalifiés ?

Lors de notre enquête, nous sommes tombé sur une information assez inquiétante sur la requalification de crime en délit lié à la non tenue des assises. En effet, selon des avocats du tribunal, des faits de viol sont parfois requalifiés en attentat à la pudeur afin d’être jugés aux flagrants délits. « En raison du principe de la légalité des peines et des infractions, faire une requalification par analogie, est interdit par la loi. Ce n’est pas parce que les assises ne se tiennent pas qu’il faut trouver une parade pour envoyer des gens qui doivent être jugés par la cour d’assises dans les juridictions correctionnelles », explique un procureur. Si c’est interdit par la loi, ce n’est pas pour autant impraticable. « Il faut des preuves », selon Me Gouamené Maxime. Pour Me Gohi-Bi, c’est tout simplement une correctionnalisation des faits. Ce qui est tout à fait normal. Quoi qu’il en soit, si les assises ne sont pas rétablies dans leurs droits, c’est vers une « correctionnalisation » de tous les autres crimes que l’on tendra…

Une enquête de Raphaël Tanoh
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Titrologie

Toutes les vidéos Titrologie à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ