Le bon sens n’est pas la chose la mieux partagée à Wassakara, un sous-quartier très agité de la commune de Yopougon. Là-bas, pour régler les différends, l’on a recours à la violence. Surtout quand le conflit tourne autour d’espèces sonnantes et trébuchantes. En tout cas c’est ce qui a été donné de constater le 2 octobre. Mme Konaté Sanata et son groupe ont roué à coups de morceaux de bois Mme Traoré Massandjé, l’une des adhérentes de la tontine. Sanata est la responsable de cette caisse d’épargne informelle qui regroupe quinze femmes. Les cotisations sont fixées à 10.000 Fcfa tous les cinq jours à raison de 2.000 Fcfa par jour. Selon le principe arrêté, chaque adhérente a droit à la cagnotte en fonction de sa régularité dans les cotisations. « Mon tour était donc arrivé pour prendre la tontine. Je devais recevoir 100.000 Fcfa. J’ai attiré l’attention de Sanata à ce sujet. Elle m’avait dit de patienter un bout de temps. Ma patience a duré deux semaines sans que je ne reçoive mon argent », rapporte dame Traoré. C’est de plein droit que je suis allée lui réclamer mon argent, poursuit-elle. Une grosse erreur de sa part. En lieu et place des billets de banque craquants, ce sont des morceaux de bois et des lames qui l’accueillent sur le seuil de la porte de Mme Sanata. « Elle a refusé de me donner mon argent. Pis, Sanata et Koné Gnamou se sont ruées sur moi. Elles m’ont frappé avec des bois, puis elles m’ont taillé le visage avec une lame », affirme-t-elle, en ajoutant qu’elle n’a fait que se débattre entre les griffes de « ces lionnes ». L’affaire passe en jugement, mercredi 14 octobre, au tribunal des flagrants délits de Yopougon. Mme Traoré Massandjé réitère ses déclarations faites à la police. La juge appelle les prévenues à la barre. Elles sont poursuivies pour coups et blessures volontaires entraînant une Incapacité temporaire de travail de quinze jours. La magistrate demande à Mme Konaté Sanata de donner sa version de l’histoire. La prévenue indique au juge qu’elle ne comprend pas le français. Elle se met à débiter en langue malinké mais la présidente du tribunal ne lui laisse pas le temps de continuer. « Mme, parlez le peu de français que vous connaissez. Sinon vous irez en prison », menace la juge, mais Sanata maintient qu’elle ne sait pas s’exprimer dans la langue de Molière. A défaut d’interprète, la juge dit à la prévenue : « Mettez-vous de côté. Réfléchissez bien Sanata ». Koné Gnamou qui s’exprime bien en français laisse entendre qu’elle ne s’est jamais battue avec la plaignante. « Je ne l’ai pas tailladée encore moins frappée. On ne lui doit aucun centime. Nous sommes au nombre de 15 personnes. Elle venait d’être inscrite sur la liste. Son tour n’était pas encore arrivé. Je reconnais que je me suis battue avec sa petite sœur », précise Gnamou qui soutient qu’elle ne sait pas battue avec la victime. Mais, le témoignage de Fonga Nikiéma, le blanchisseur du quartier où la bagarre a eu lieu, confond ces déclarations. « Je les ai bien vues. Ce sont ces dames qui ont frappé la plaignante. Notamment Sanata, elle a utilisé un morceau de bois pour sommer de coups la victime. Donc, j’ai reçu à m’interposer pour sauver la dame qui avait le visage ensanglanté. Je ne sais pas exactement parmi les deux femmes celle qui possédait la lame. En tout cas, elles lui ont découpé le visage. Et puis, Sanata comprend et parle couramment le français. Je suis étonné qu’elle soutient le contraire ce matin (mercredi, Ndlr) », témoigne Fonga. Pour la seconde fois, la juge appelle Sanata à la barre. Mais celle-ci reste sur sa position. Elle dit à la magistrate d’un geste de la tête qu’elle ne parle pas la langue française. Malgré cela, le procès continue. La victime reprend la parole à la demande de la juge. «Je réclame 350.000 Fcfa à titre de dommages et intérêts », déclare-t-elle. Le ministère Public requit à l’encontre des prévenues six mois de prison avec sursis assortis d’une amende de 30.000 Fcfa. L’affaire est renvoyée par la juge au 28 octobre pour délibération. Pour illustrer leur attitude belliqueuse, les mis en cause, accompagnées d’un groupe de femmes, se sont mises dans la cour du tribunal à proférer des menaces verbales à l’endroit de Mme Traoré Massandjé. C’est donc sous la gueule de bois qu’elle a quitté le temple de Themis. Affaire à suivre.
OM
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