L’interpellation est venue de là où on pouvait l’attendre le moins. A l’intérieur du système ; et pas ailleurs. Elle a d’autant eu de force que son auteur n’est pas réputé être un faire-valoir. Pendant les moments de braise de la lutte contre « les assaillants et les forces extérieures qui veulent s’emparer de la Côte d’ivoire et ses richesses », Mamadou Koulibaly, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était aux avant-postes. A travers meetings et déclarations, interventions publiques et sorties sur les lignes du front, le président de l’Assemblée nationale a bataillé comme un forcené. Pas question de négocier avec les rebelles. Pas de compromis avec leurs parrains d’ici et d’ailleurs. Le père de l’économie sociale de marché, la théorie économique et sociale du front populaire ivoirien, le parti dont il est le vice-président chargé des questions gouvernementales, ne porte pas de gant. A cheval sur ses convictions, il a une audace et une fermeté qui le confinent, aux yeux de certains, à l’extrémisme. Pour tous, c’est un dur. Un homme qui ne fléchit pas. Il en donne très souvent la mesure. Les Ivoiriens et les observateurs de la vie politique de ce pays ont encore en mémoire son retrait fracassant des assises de Linas Marcoussis en 2003 dans la banlieue parisienne où les protagonistes de la crise ivoirienne étaient réunis sous les auspices de l’ancienne puissance coloniale pour une solution négociée. Devant ce qu’il a considéré comme « un coup d’Etat constitutionnel », le natif d’Azaguié dans la périphérie d’Abidjan, la capitale politique ivoirienne, a claqué la porte. Koulibaly était pourtant membre de la délégation officielle du parti au pouvoir dont le président et chef de mission, Affi N’Guessan, a continué les débats et paraphé les conclusions. Le samedi vingt quatre octobre 2010, à la place Inch’allah de Koumassi, c’est cet homme, fidèle à lui-même, qui a osé. Devant les femmes de Béoumi dont il parrainait la sortie officielle, il a posé, cru et sans œillères, les maux auxquels le pays est confronté. Que doit faire la Côte d’Ivoire du presque deux millions de citoyens recensés lors de l’enrôlement et qui l’ont fait avec les documents exigés mais dont on ne trouve trace dans les fichiers historiques ? Faut-il pousser les citoyens à se dénoncer les uns les autres après l’affichage des listes électorales provisoires ? Que faire des étrangers qui se sont enracinés dans le pays depuis des générations ? A-t-on tiré les bonnes leçons de la guerre ? Et que doit-on faire pour consolider la paix, développer le pays et éviter de sombrer à nouveau ? Des questions de fond, bien embarrassantes pour beaucoup. Y compris pour certains de l’opposition ivoirienne réunie au sein du rassemblement des Houphouétistes pour la paix et le développement. Mamadou Koulibaly sait pertinemment que dans son parti, le FPI, la tactique est de louvoyer avec ces dossiers et de jouer efficacement les élections. La décision, non discutée au sein du parti, a été prise de jeter l’anathème sur les « fraudeurs de nationalité qui veulent devenir électeurs » pour seulement récupérer du lot les politiquement corrects. C’est-à-dire les personnes susceptibles de grossir le rang des partisans du champion du camp, Laurent Gbagbo. En posant frontalement les questions comme il l’a fait, le militant Koulibaly s’éclipse et fait place au citoyen, à l’intellectuel. Il se positionne, lui, au niveau du pays et de son devenir. Il diagnostique le présent au regard du passé et se projette dans l’avenir. Et là, seul l’intérêt général prime. Contrairement au militant pour qui tout ce qui doit permettre de gagner les élections à venir est le bienvenu, l’homme libre, soucieux d’un pays entier refuse de s’embarquer dans les dérives et les faux fuyants. Koulibaly va alors proposer, rien de moins, que l’intégration à la liste électorale « des suspectés », la renonciation à l’inquisition entre les populations, l’acceptation des étrangers comme une composante de la nation ivoirienne. Des solutions qui ont le chic bien entendu de mettre à mal les stratégies et les calculs électoraux de ses camarades de parti. Le risque est grand de voir l’appareil du Fpi, à défaut de l’écraser, le pousser dans le décor. Les problèmes que Koulibaly a soulevés ne disparaitront pas pour autant. Loin de là ! La Côte d’Ivoire les aura, tôt ou tard, à la face. Avec un prix à payer beaucoup plus onéreux que la facture actuelle telle que proposée par l’inclassable président de l’Assemblée nationale.
D. Al Seni
D. Al Seni