Le camp présidentiel vient de porter le fer dans les flancs de la Cei et notamment de son président, Beugré Mambé, en saisissant la justice pour faire la lumière sur l'affaire des 429.000 enrôlés clandestins. Révélations sur une affaire qui risque de déraper.
La décision du ministère de l'Intérieur de saisir le bureau du Procureur général pour enquêter sur des tripatouillages éventuels de la liste électorale provisoire est plus grave qu'elle n'y paraît. Le ministre Désiré Tagro, qui dans cette affaire est le bras armé du chef de l'Etat, abat ses cartes avec assurance car il devine d'avance celles que détiennent ses adversaires. En effet, selon des sources proches de la Cei, le ministère de l'Intérieur a accumulé un certain nombre d'éléments - des preuves, affirme-t-on - qui lui permettent d'envisager aujourd'hui une action judiciaire contre la Cei et ses responsables avec quelque chance de succès. Ainsi, plusieurs des informaticiens mêlés à cette opération de repêchage clandestin de 429.000 électeurs sur la liste des 1,033 million de personnes rejetées par le croisement, ont été arrêtés. Selon notre source, c'est l'arrestation d'un d'entre eux qui a permis d'interpeller les autres. «On dit le malfaiteur retourne toujours sur les lieux du crime. C'est ce qui s'est passé. Un des informaticiens qui avaient été déployés sur le terrain, certainement pris de peur face au battage médiatique orchestré autour de cette affaire, est retourné sur l'ordinateur de la commission locale où il avait travaillé. Il voulait effacer les traces de son intervention quand il a été dénoncé et arrêté. Quand les gens l'ont pris, il s'est mis à parler. Il a dit que c'est Mambé qui les a envoyés. Et il a cité les noms de certains de ses camarades. Eux aussi ont été arrêtés » révèle-t-il. Selon notre interlocuteur, la Police veut interpeller tous les informaticiens impliqués dans cette affaire et les entendre. Dans un tel cas de figure, Désiré Tagro sait pertinemment qu'il remontera jusqu'à Beugré Mambé. En effet, tous les gens interpellés étaient munis d'ordres de mission signés du président de la Cei. Et surtout, certains d'entre eux ont présenté les fameuses disquettes contenant les noms des repêchés. Il suffira de leur demander comment ils sont entrés en possession de ces fichiers confidentiels qui sont des documents de travail internes de la Commission centrale de la Cei, l'identité de la ou des personnes qui les leur ont fourni et dans quel but ils sont allés sur le terrain avec ces disquettes. Un interrogatoire ferait ressortir bien des responsabilités. Voire des culpabilités. D'ores et déjà, nous apprenons que l'ensemble des membres de la commission centrale de la Cei (31 personnes) ainsi que le Président de cette institution, seront auditionnés par les magistrats. La structure qui a fourni les informaticiens sera également entendue. Comme l'expliquent nos différents interlocuteurs, seule une solution politique peut sauver la tête de Mambé. Car « il lui sera difficile de soutenir que ce n'est pas lui qui a envoyé ces gens sur le terrain puisqu'on a trouvé sur eux des ordre de mission signé de lui et des frais de missions, qu'ils ont perçus », affirme notre source policière.
Au sein de la Cei, on commence à prendre ses distances avec le président. Ce membre de la commission centrale, d'ordinaire très peu visible, que nous avons joint au téléphone, ne peut s'empêcher cependant d'exprimer son courroux. «On a fait une réunion aujourd'hui (hier, ndlr). Il persiste à dire qu'il n'a rien à voir avec cette affaire, qu'il n'a rien fait. Alors qu'on a attrapé des gens sur le terrain avec des disquettes. A chaque fois, il cite le nom de Dieu, il jure devant Dieu et les hommes. Moi-même qui suis chrétien, je trouve qu'il exagère un peu et qu'il n'est pas sincère avec nous. Car on sent bien qu'il y a eu quelque chose» soutient-il.
Une autre réunion est convoquée aujourd'hui avec tous les coordonateurs centraux de la Cei pour parler encore de cette affaire. «S'il reconnaît ce qui s'est passé, qu'il a envoyé des gens sur le terrain, mais que ce n'était pas dans le but de tricher, nous on va faire bloc autour de lui. Mais s'il persiste à dire qu'il ne sait rien, alors chacun va chercher à se défendre individuellement, et on ira individuellement devant la justice pour s'expliquer. Moi dans tous les cas, je ne me reproche rien. J'ai les mains absolument propres. J'ai la conscience tranquille» conclut-il.
Le risque majeur de cette situation de suspicion généralisée, c'est le danger du dérapage politique et judiciaire. En effet, saisissant au bond cette occasion inespérée, le camp présidentiel réclame aujourd'hui la vérification de l'ensemble de la liste électorale provisoire. C'est-à-dire aussi bien les 5, 3 millions de personnes qui ont été reconnues comme des citoyens ivoiriens, au terme des différents croisements, que le 1,033 million de personnes considérées comme sujettes à caution. C'est un calcul aventureux car une telle vérification s'étalerait sur plusieurs mois. Et dans le meilleur des cas, l'élection présidentielle se tiendrait en octobre 2010. Déjà, ils posent comme exigence incompressible la prorogation du terme du contentieux. Exigence qui risque fort d'être satisfaite. Le dérapage judiciaire qui pointe, c'est qu'on risque à terme une inculpation du président de la Cei. Même s'il n'est pas arrêté, l'inculpation de Beugré Mambé ruinerait son crédit personnel, et partant, celui de toute la structure chargée de conduire les élections. Il faudrait qu'il démissionne, qu'une nouvelle commission centrale soit mise en place et que les commissaires élisent un nouveau président de la Cei. Cela est-il souhaitable à moins de trois mois des élections ? Dans tous les cas, cette affaire a déjà fait une victime de taille : la Cei elle-même. Comme nous explique un commissaire : «à cause de cette affaire de Mambé, le Premier ministre a installé des comités de suivi et d'arbitrage du contentieux. La Cei se trouve ainsi dépouillée. Toutes les structures auront maintenant leur mot à dire : où se trouve donc notre indépendance?».
Laurent Gbagbo fait de cette question une affaire personnelle. Malgré les tentatives d'apaisement de Blaise Compaoré et Guillaume Soro, il ne décolère pas. Il s'est convaincu que la Cei complote contre lui pour le faire perdre. Et un de ses conseillers très écoutés livre cette confidence. «J'ai rarement vu le Président dans une telle colère. Personnellement, c'est deux fois seulement que je l'ai vu atteindre un tel niveau de colère. La première fois, c'est quand Charles Banny a pris la décision de révoquer les directeurs du Port, de la Douane, etc. sans l'en avoir avisé. Et qu'il n'a appris la nouvelle qu'à la télé. La deuxième fois, c'est cette affaire de liste électorale. Il est persuadé que des gens à la Cei travaillent à ce qu'il perde les élections et il a décidé de ne pas les laisser faire» indique notre source. Une bataille politico-juridique vient de s'engager dont la plus grosse victime risque d'être la crédibilité des futures élections.
Touré Moussa
La décision du ministère de l'Intérieur de saisir le bureau du Procureur général pour enquêter sur des tripatouillages éventuels de la liste électorale provisoire est plus grave qu'elle n'y paraît. Le ministre Désiré Tagro, qui dans cette affaire est le bras armé du chef de l'Etat, abat ses cartes avec assurance car il devine d'avance celles que détiennent ses adversaires. En effet, selon des sources proches de la Cei, le ministère de l'Intérieur a accumulé un certain nombre d'éléments - des preuves, affirme-t-on - qui lui permettent d'envisager aujourd'hui une action judiciaire contre la Cei et ses responsables avec quelque chance de succès. Ainsi, plusieurs des informaticiens mêlés à cette opération de repêchage clandestin de 429.000 électeurs sur la liste des 1,033 million de personnes rejetées par le croisement, ont été arrêtés. Selon notre source, c'est l'arrestation d'un d'entre eux qui a permis d'interpeller les autres. «On dit le malfaiteur retourne toujours sur les lieux du crime. C'est ce qui s'est passé. Un des informaticiens qui avaient été déployés sur le terrain, certainement pris de peur face au battage médiatique orchestré autour de cette affaire, est retourné sur l'ordinateur de la commission locale où il avait travaillé. Il voulait effacer les traces de son intervention quand il a été dénoncé et arrêté. Quand les gens l'ont pris, il s'est mis à parler. Il a dit que c'est Mambé qui les a envoyés. Et il a cité les noms de certains de ses camarades. Eux aussi ont été arrêtés » révèle-t-il. Selon notre interlocuteur, la Police veut interpeller tous les informaticiens impliqués dans cette affaire et les entendre. Dans un tel cas de figure, Désiré Tagro sait pertinemment qu'il remontera jusqu'à Beugré Mambé. En effet, tous les gens interpellés étaient munis d'ordres de mission signés du président de la Cei. Et surtout, certains d'entre eux ont présenté les fameuses disquettes contenant les noms des repêchés. Il suffira de leur demander comment ils sont entrés en possession de ces fichiers confidentiels qui sont des documents de travail internes de la Commission centrale de la Cei, l'identité de la ou des personnes qui les leur ont fourni et dans quel but ils sont allés sur le terrain avec ces disquettes. Un interrogatoire ferait ressortir bien des responsabilités. Voire des culpabilités. D'ores et déjà, nous apprenons que l'ensemble des membres de la commission centrale de la Cei (31 personnes) ainsi que le Président de cette institution, seront auditionnés par les magistrats. La structure qui a fourni les informaticiens sera également entendue. Comme l'expliquent nos différents interlocuteurs, seule une solution politique peut sauver la tête de Mambé. Car « il lui sera difficile de soutenir que ce n'est pas lui qui a envoyé ces gens sur le terrain puisqu'on a trouvé sur eux des ordre de mission signé de lui et des frais de missions, qu'ils ont perçus », affirme notre source policière.
Au sein de la Cei, on commence à prendre ses distances avec le président. Ce membre de la commission centrale, d'ordinaire très peu visible, que nous avons joint au téléphone, ne peut s'empêcher cependant d'exprimer son courroux. «On a fait une réunion aujourd'hui (hier, ndlr). Il persiste à dire qu'il n'a rien à voir avec cette affaire, qu'il n'a rien fait. Alors qu'on a attrapé des gens sur le terrain avec des disquettes. A chaque fois, il cite le nom de Dieu, il jure devant Dieu et les hommes. Moi-même qui suis chrétien, je trouve qu'il exagère un peu et qu'il n'est pas sincère avec nous. Car on sent bien qu'il y a eu quelque chose» soutient-il.
Une autre réunion est convoquée aujourd'hui avec tous les coordonateurs centraux de la Cei pour parler encore de cette affaire. «S'il reconnaît ce qui s'est passé, qu'il a envoyé des gens sur le terrain, mais que ce n'était pas dans le but de tricher, nous on va faire bloc autour de lui. Mais s'il persiste à dire qu'il ne sait rien, alors chacun va chercher à se défendre individuellement, et on ira individuellement devant la justice pour s'expliquer. Moi dans tous les cas, je ne me reproche rien. J'ai les mains absolument propres. J'ai la conscience tranquille» conclut-il.
Le risque majeur de cette situation de suspicion généralisée, c'est le danger du dérapage politique et judiciaire. En effet, saisissant au bond cette occasion inespérée, le camp présidentiel réclame aujourd'hui la vérification de l'ensemble de la liste électorale provisoire. C'est-à-dire aussi bien les 5, 3 millions de personnes qui ont été reconnues comme des citoyens ivoiriens, au terme des différents croisements, que le 1,033 million de personnes considérées comme sujettes à caution. C'est un calcul aventureux car une telle vérification s'étalerait sur plusieurs mois. Et dans le meilleur des cas, l'élection présidentielle se tiendrait en octobre 2010. Déjà, ils posent comme exigence incompressible la prorogation du terme du contentieux. Exigence qui risque fort d'être satisfaite. Le dérapage judiciaire qui pointe, c'est qu'on risque à terme une inculpation du président de la Cei. Même s'il n'est pas arrêté, l'inculpation de Beugré Mambé ruinerait son crédit personnel, et partant, celui de toute la structure chargée de conduire les élections. Il faudrait qu'il démissionne, qu'une nouvelle commission centrale soit mise en place et que les commissaires élisent un nouveau président de la Cei. Cela est-il souhaitable à moins de trois mois des élections ? Dans tous les cas, cette affaire a déjà fait une victime de taille : la Cei elle-même. Comme nous explique un commissaire : «à cause de cette affaire de Mambé, le Premier ministre a installé des comités de suivi et d'arbitrage du contentieux. La Cei se trouve ainsi dépouillée. Toutes les structures auront maintenant leur mot à dire : où se trouve donc notre indépendance?».
Laurent Gbagbo fait de cette question une affaire personnelle. Malgré les tentatives d'apaisement de Blaise Compaoré et Guillaume Soro, il ne décolère pas. Il s'est convaincu que la Cei complote contre lui pour le faire perdre. Et un de ses conseillers très écoutés livre cette confidence. «J'ai rarement vu le Président dans une telle colère. Personnellement, c'est deux fois seulement que je l'ai vu atteindre un tel niveau de colère. La première fois, c'est quand Charles Banny a pris la décision de révoquer les directeurs du Port, de la Douane, etc. sans l'en avoir avisé. Et qu'il n'a appris la nouvelle qu'à la télé. La deuxième fois, c'est cette affaire de liste électorale. Il est persuadé que des gens à la Cei travaillent à ce qu'il perde les élections et il a décidé de ne pas les laisser faire» indique notre source. Une bataille politico-juridique vient de s'engager dont la plus grosse victime risque d'être la crédibilité des futures élections.
Touré Moussa