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Politique Publié le samedi 16 janvier 2010 | Nord-Sud

Après la saisine du procureur de la République - Roland Dagher : “Mambé, démissionnez pour l`honneur”

M. Roland Dagher, membre du Conseil économique et social, intervient dans le scandale qui secoue actuellement la Cei. Il propose à Beugré Mambé de rendre son tablier pour s'expliquer devant la Justice.


Aujourd'hui, il y a une situation de crise au niveau de la Cei, avec des accusations récurrentes de tentative de fraude contre le président. On l'accuse d'avoir voulu introduire 429.000 noms sur le fichier électoral définitif. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Roland Dagher : Effectivement, il y a un malaise au niveau de la Cei. Un malaise important dû à une personne de cette institution. A mon humble avis, au lieu de chercher à envenimer les choses, que la personne concernée accepte, par amour-propre, de démissionner de ses fonctions, sans y être contrainte. Et de se mettre d'elle-même à la disposition de la justice. Autant il y a des accusations de fraude contre lui, autant toute personne est présumée innocente, jusqu'à preuve du contraire par la Justice. Ma conviction est qu'il faut qu'on laisse la justice faire son travail et qu'on ne donne à personne un alibi pour retarder ces élections.

Le président de la Cei hier, a été reçu par la communauté Ebrié, sa communauté d'origine. Devant cette communauté, il a déclaré qu'il n'a jamais fraudé et qu'il ne se sent coupable de rien. C'est clair donc qu'il ne démissionnera pas…
Je ne demande pas à M. Mambé de suivre absolument mon point de vue, mais je voudrais dire une chose. Il faut que nous sortions de cet esprit ethnique. Il faut que nos ethnies soient des ancrages culturels pour nous-mêmes et pour la nation toute entière. Mais il ne faudrait pas, chaque fois que nous avons un membre d'une communauté, qui occupe une parcelle de pouvoir, à qui l'on demande des comptes, que tout de suite, son ethnie se mobilise pour le protéger. Nous n'avons pas besoin de ça. Nous sommes en train de bâtir une nation. Quand on veut bâtir une nation, l'ethnie ne doit pas devenir une chaîne, un frein, un facteur discriminant. On doit considérer la citoyenneté avant tout.


Le ministre de l'intérieur déclare qu'il a décelé des risques réels de fraude et décide de saisir la justice. Ce qui peut aboutir à des interpellations au niveau de la Cei. Ne pensez-vous pas que cette décision va aggraver les choses ?

Je crois qu'il est dans son rôle. Il faut comprendre une chose. La Cei n'est pas une institution ordinaire en tant que telle. Elle a été créée pour contrôler les élections. Ce n'est pas une structure constitutionnelle. Elle a été créée sous cette forme par le président de la République, peut-être, sous la pression de la communauté internationale et de la classe politique locale. Mais, connaissant le président Gbagbo, je peux dire qu'il l'a fait parce que c'était conforme à sa vision. Demandez-vous, si Houphouët-Boigny, si fier de son pays, aurait accepté que des personnes étrangères ou une commission électorale à part le ministère de l'Intérieur, organise des élections dans ce pays. Nous avons encore des survivants de cette époque. Ipaud Lago est là. Il a été le directeur chargé de l'organisation des élections. Nous savons très bien comment ça se passait. Pour les risques de fraude évoqués par le ministre de l'Intérieur, ce n'est pas une vue de l'esprit, puisque même dans les pays très développés cela existe. Rappelez-vous ce qui s'est passé il y a huit ans aux Etats Unis, lors de la première élection de Georges W. Bush. La Cei a été créée dans l'esprit qu'il faudrait que la compétition électorale soit la plus loyale possible. Que le président Mambé qui est au centre d'un scandale national pense à alléger le fardeau de la Côte d'Ivoire. Qu'il pense à la Côte d'Ivoire uniquement. Qu'il remette ses charges. Si après jugement, il est déclaré responsable de ce qu'on lui reproche, il assumera les conséquences. S'il est blanchi, il reprend ses fonctions avec plus d'honneur et de gloire. Mais on ne doit pas gripper le processus électoral à cause de lui.


Justement, M. Dagher. Tout le monde craint que si le président de la Cei quitte son poste par démission volontaire ou par arrestation, le processus électoral soit perturbé. Ce qui entrainerait un autre report des élections.

Demandons à nos hommes politiques de faire preuve d'ouverture d'esprit. Aujourd'hui, un scandale a été révélé à la nation. Des preuves, apparemment, sont en train d'être démontrées de jour en jour. Je voudrais préciser que je n'accuse en rien M. Mambé qui est, outre mesure, un ami. Je voudrais simplement qu'il soit le premier dans ce pays à donner l'exemple du comportement que devrait avoir chaque personne qui assume des responsabilités au titre de la Nation. Ceci dit, j'insiste pour ajouter qu'il ne faudrait absolument pas qu'on arrête le processus électoral. Il faut qu'on aille aux élections d'une manière ou d'une autre. Tous les hommes politiques (Rdr, Pdci, Fpi…) doivent engager une concertation pour qu'on avance. S'il faut aller avec les 5.900.000 électeurs validés, s'il faut y ajouter la moitié des 1.033.000 personnes retrouvées, s'il faut laisser les 429.000 de côté, … il faut qu'on décide en commun et qu'on aille aux élections. C'est le plus important. Nous savons que nous ne sortirons de la crise qu'avec des élections libres et transparentes.

La majorité présidentielle réclame la vérification des 5.300.000 personnes qui ont déjà été validées sur la liste provisoire. N'est-ce pas une manœuvre pour aller au-delà de 2010 ?

Je pense que nos dirigeants et en premier le président Laurent Gbagbo et les responsables du Fpi, n'iront pas jusqu'à demander le recomptage des 5.300.000 personnes qui ont été déjà répertoriées, enrôlées et pour qui le croisement a été positif, exact et confirmé. Je pense que le problème ne se pose que pour les 1.033.000 personnes. Une solution peut se trouver pour cette question. Ceci dit, on peut comprendre l'énervement de chaque personne et la fougue de notre jeunesse. C'est pourquoi je lance un appel à mon jeune frère Blé Goudé, qui à un moment donné de la vie de la nation, a su jouer un rôle très important. Si la Côte d'Ivoire est débout aujourd'hui, c'est grâce à Blé Goudé et ses amis. Mais il y a eu aussi des femmes venues du Pdci comme Bro-Grébé, Agnès Kraidy, Henriette Lagou… des personnes de tout bord. Je lui demande aujourd'hui de ne pas être le porte-parole des autorités en charge de ladite élection. C'est certain qu'une injustice amène une injustice.


Le camp présidentiel menace d'appeler l'ensemble de ses partisans à se retirer de la Cei. Une demande de retrait total si Mambé est maintenu à la tête de la Cei. De l'autre côté, l'opposition pense qu'il faut que Mambé reste car victime d'une cabale. Ne sommes nous pas en phase d'entrer dans une grave crise politique qui peut déstabiliser le pays ?

Il faut avoir l'honnêteté de dire et de reconnaître que ce que ce président Gbagbo a accepté, tous les présidents qui se sont succédé ne l'auraient pas fait. Je ne pense pas qu'il soit là pour aggraver la crise. Il saura faire raisonner sa famille politique pour aller vers des élections libres et transparentes. Quant aux frères des autres partis politiques, je leur dis : de grâce, que chacun oublie son intérêt personnel et pense à la nation ivoirienne, qui a trop souffert. On ne va pas paralyser un pays à cause d'un individu.

Que le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) comprenne que nul n'est infaillible. Une faute a été commise. Est-elle grave oui ou non ? Je demande à nos leaders politiques s'ils étaient à la place du président de la République, comment auraient-ils réagi si cette faute avait été commise par un membre du Fpi au sein de la Cei?


Avec ces crises politiques à répétition, le pays ne va-t-il pas vers une déstabilisation profonde ?
Ne soyons pas pessimistes. Ce pays nous a tout donné. A notre tour de tout lui donner, pour lui montrer notre amour. Je me suis posé des questions sur les raisons de ces crises à répétition, qui ont conduit au coup d'état puis à la guerre. C'est ce qui m'a amené à écrire un livre dans lequel j'explique les fondements de cette guerre. Ma conviction est que c'est l'appétit politique du pouvoir qui nous a amené à la guerre. Le pouvoir ne doit pas être une fin en soi. Ça doit être la recherche du bien être de ses compatriotes. Chacun a un idéal politique. Si nous ne voulions pas de Gbagbo qui a été élu, pourquoi n'avoir pas attendu cinq ans pour élire un nouveau président si nous n'étions pas satisfaits de lui ? Pourquoi a-t-il fallu qu'on ait de nombreux morts ? En 2002, il y a eu un coup d'Etat militaire. Puis nous avons dit que c'est la guerre. En ce momen-là, notre chance est que nous avons eu un grand président. Sinon nous aurions sombré comme le Liberia et la Sierra Leone. Nous ne serions pas là, vous et moi à discuter. Je continuerai à dire, que Dieu protège cette nation. Aux politiciens, je dis : oubliez vos intérêts personnels. Pensons à la Côte d'Ivoire, notre bateau à tous. Car si elle coule, nous coulerons tous avec.


Interview réalisée par Touré Moussa
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