En observateur avisé du processus électoral, Yao Kouassi Aboubakar réagit ici par rapport au croisement parallèle opéré par la Cei et qui suscite en ce moment une vive polémique.
Dans sa publication du jeudi 14 janvier 2010, le journal Fraternité Matin faisait état de ce que le contentieux judiciaire de la liste électorale constituait un véritable casse-tête pour l`appareil judiciaire.
Au soir de ce jeudi 14 janvier 2010, le Ministre de l`Intérieur, intervenant au journal de 20 heures et en ignorance des déclarations du Premier Ministre relativement à l`affaire dite « des croisements frauduleux » du Président de la Cei, annonçait la saisine de monsieur le procureur de la République à l`effet de diligenter une enquête sur lesdits croisements.
C`est l`occasion, pour nous, de rappeler notre première réflexion citoyenne publiée dans le journal Nord-Sud du lundi 02 novembre 2009 et dans laquelle nous nous inquiétions de la publication concomitante de deux listes dont l`une contiendrait les identités des personnes enrôlées et croisées positivement avec les fichiers historiques mis à la disposition des deux opérateurs techniques, et l`autre, les identités des personnes enrôlées mais ne figurant sur aucun desdits fichiers. Nous faisions remarquer que cette dernière publication serait contraire aux textes en vigueur et constituerait une source d`injustice et de contestation.
Les débats, les émotions et les prises de position que suscite l`affaire dite« des croisements frauduleux de la Cei » nous conduisent aux réflexions suivantes.
L`élection permet au peuple d`exprimer sa souveraineté.
Aux termes de l`article 13 de la constitution ivoirienne, « le suffrage est universel, libre, égal et secret.
Sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux ivoiriens des deux sexes âgés d`au moins 18 ans et jouissant de leurs droits civiques et politiques. » Il en découle que le vote dans notre pays est un droit pour le citoyen qui en remplit les conditions prévues par la loi.
Quelle est cette loi?
Il s`agit du code électoral et des décrets qui y ont trait notamment l`Ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au Code électoral et le décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale. Ce sont ces deux textes qui régissent l`établissement de la liste électorale définitive qui nous intéresse.
Celle-ci part de l`enrôlement des électeurs à la distribution des cartes d`électeur en passant par la procédure des réclamations et le contentieux de la liste électorale provisoire.
De la lecture des textes ci-dessus visés, on s`apercevra que la liste électorale définitive s`établit à partir du seul référent qu`est la liste électorale provisoire. Dès lors que vous ne figurez pas sur la liste électorale provisoire, vous êtes en droit d`user des voies de recours offertes par les textes sus-visés à l`effet de réclamer votre inscription sur ladite liste. Au demeurant, si vous y figurez et que vous ne remplissez pas les conditions requises par la loi, votre radiation peut être demandée.
Malheureusement, la Cei qui a la responsabilité du processus électoral, faisant droit à une volonté politique, a institué et publié une seconde liste dite « liste noire ou grise » sur laquelle figurent les identités de personnes régulièrement enrôlées mais croisées négativement avec les fichiers historiques.
Si le sort des personnes figurant sur la liste provisoire est légalement encadré par les textes en vigueur tant en ce qui concerne les réclamations que le contentieux, il n`en est pas de même pour celles qui sont sur la noire ou grise. La Cei pourra toujours arguer de la volonté politique et dire qu`elle s`est soumise à celle-ci. Mais la volonté politique n`est pas une licence, elle ne dispense pas d`y mettre la forme et le fond. Dans un domaine éminemment encadré par les textes en raison de sa délicatesse, la décision politique se devait d`être matérialisée par des normes afin de faire corps avec l`ordonnancement juridique existant.
Pourtant, depuis le départ, cette liste noire ou grise n`a été ni prévue ni organisée par un texte. Il s`en suit qu`elle est en réalité une liste juridiquement inexistante. Comme nous l`avions indiqué auparavant, le traitement de cette liste aurait dû, à l`origine, être différencié aussi bien dans la forme que dans le temps, de celui de la liste provisoire. Il ne pouvait s`agir que d`un traitement administratif relevant de la compétence de la Cei en relation avec les autres structures concernées. Cela dans le seul but de parfaire la liste électorale provisoire à venir.
Un tel mécanisme aurait alors abouti à une seule liste provisoire soumise au seul régime prévu pour les réclamations et le contentieux de la liste électorale provisoire.
Aujourd`hui, nous constatons que les personnes figurant sur la liste noire ou grise sont soumises à des procédures parallèles de réclamations déterminées unilatéralement par la Cei et aboutissant à la saisine des juridictions dans les mêmes conditions que celles prévues pour les personnes figurant sur la liste électorale provisoire.
C`est l`occasion de dire et d`affirmer que la situation des personnes figurant sur la liste noire n`étant prévue par aucun texte, les procédures parallèles de réclamations déterminées par la Cei sont illégales car manquant de bases légales.
La saisine des juridictions par les intéressés et les décisions qui y sont rendues ne peuvent se faire que sur la base du droit commun. Cette saisine n`étant enfermée dans aucun des délais prévus pour le contentieux de la liste électorale provisoire.
En effet, à l`égard de ces personnes, ni l`Ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au Code électoral, ni le décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale ne peut valablement s`appliquer car ne s`agissant pas de la liste électorale provisoire prévue par la loi.
Les juges saisis par les concernés doivent avant tout s`interroger sur les fondements qui justifient leur saisine et procéder au règlement de la situation des intéressés conformément au droit commun.
En judiciarisant sans aucun texte le traitement de la situation des personnes figurant sur la liste noire ou grise, la CEI court le risque de voir allonger la période d`établissement de la liste électorale définitive.
Il revient à l`autorité judiciaire de dire le droit et d`assurer la protection des citoyens qui figurent sur cette liste illégale, car nul ne peut être injustement privé de son droit de vote pour des raisons de croisement des fichiers auquel il est totalement étranger.
Les perturbations que suscitent l`institution et la publication concomitante de la liste noire ou grise en dehors de toute règlementation étaient largement prévisibles.
En effet, l`objectif recherché pour la sortie de crise étant d`aboutir à des élections transparentes et justes, celui-ci commandait le respect de la loi, la rigueur et le refus de l`informel.
Notre pays, soulignons-le, n`est pas à sa première organisation d`élections et toutes celles qui l`ont précédée avaient l`avantage et le mérite d`être encadrées dans leurs différentes étapes par des textes fussent-ils injustes ou critiquables.
Comment comprendre qu`un processus aussi délicat et sensible que l`établissement d`une liste électorale définitive pour des élections censées mettre fin à une crise comme la nôtre puisse s`accommoder de tant de légèreté et d`amateurisme.
En sortant du cadre légal de l`Ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au Code électoral et du décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale, la Cei a permis qu`advienne tout ce remue-ménage politico-juridique.
Cependant, de là à susciter la saisine du Procureur de la République pour l`ouverture d`une enquête administrative et ou pénale, il y a un océan que le ministre de l`intérieur ne saurait franchir.
En effet, quel est le fondement de la saisine du procureur ? S`il y a eu manipulation de la liste provisoire, la phase des réclamations et de contentieux de la liste provisoire prévue par les textes n`étant pas achevée, c`est à la Cei ou au juge de régler la question et non au Procureur de la République.
En outre, le Ministre de l`Intérieur ne peut institutionnellement saisir directement le Procureur de la République. Il n`est pas le ministre de la Justice sous l`autorité duquel se trouvent placés les procureurs. En sa qualité de magistrat, le ministre de l`intérieur ne saurait ignorer que la saisine du Procureur par le gouvernement dont il fait partie, ne peut se faire que par le canal de Garde des sceaux, ministre de la justice.
Le recours brumeux et confus à la « police administrative des opérations électorales de toute nature » pour asseoir sa compétence, cache mal l`absence de fondement juridique à l`intervention du ministre de l`Intérieur en la matière.
Le fondement tiré de la « police administrative des opérations électorales de toute nature » est d`autant plus inopérant que nous sommes dans la phase préparatoire des élections qui est celle de l`établissement de la liste électorale définitive. Le cadre légal du traitement des contestations relatives à cette phase est l`Ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au Code électoral et le décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale. Et le Décret n° 2007-458 du 20 avril 2007 portant attributions des membres du Gouvernement n`est pas supérieur à l`ordonnance sus-visée.
En recourant abusivement à l`intervention du procureur de la République dans des matières qui ne ressortissent pas de sa compétence pénale, l`on foule du pied le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. Cette intrusion répétée du procureur de la République dans le domaine administratif est une violation flagrante de la constitution.
Quand comprendrons-nous qu`il faut s`en tenir aux textes, rien qu`aux textes en vigueur si l`on veut sortir de cette crise qui n`a que trop duré.
Yao Kouassi Aboubacar
Enseignant à Duékoué
Dans sa publication du jeudi 14 janvier 2010, le journal Fraternité Matin faisait état de ce que le contentieux judiciaire de la liste électorale constituait un véritable casse-tête pour l`appareil judiciaire.
Au soir de ce jeudi 14 janvier 2010, le Ministre de l`Intérieur, intervenant au journal de 20 heures et en ignorance des déclarations du Premier Ministre relativement à l`affaire dite « des croisements frauduleux » du Président de la Cei, annonçait la saisine de monsieur le procureur de la République à l`effet de diligenter une enquête sur lesdits croisements.
C`est l`occasion, pour nous, de rappeler notre première réflexion citoyenne publiée dans le journal Nord-Sud du lundi 02 novembre 2009 et dans laquelle nous nous inquiétions de la publication concomitante de deux listes dont l`une contiendrait les identités des personnes enrôlées et croisées positivement avec les fichiers historiques mis à la disposition des deux opérateurs techniques, et l`autre, les identités des personnes enrôlées mais ne figurant sur aucun desdits fichiers. Nous faisions remarquer que cette dernière publication serait contraire aux textes en vigueur et constituerait une source d`injustice et de contestation.
Les débats, les émotions et les prises de position que suscite l`affaire dite« des croisements frauduleux de la Cei » nous conduisent aux réflexions suivantes.
L`élection permet au peuple d`exprimer sa souveraineté.
Aux termes de l`article 13 de la constitution ivoirienne, « le suffrage est universel, libre, égal et secret.
Sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux ivoiriens des deux sexes âgés d`au moins 18 ans et jouissant de leurs droits civiques et politiques. » Il en découle que le vote dans notre pays est un droit pour le citoyen qui en remplit les conditions prévues par la loi.
Quelle est cette loi?
Il s`agit du code électoral et des décrets qui y ont trait notamment l`Ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au Code électoral et le décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale. Ce sont ces deux textes qui régissent l`établissement de la liste électorale définitive qui nous intéresse.
Celle-ci part de l`enrôlement des électeurs à la distribution des cartes d`électeur en passant par la procédure des réclamations et le contentieux de la liste électorale provisoire.
De la lecture des textes ci-dessus visés, on s`apercevra que la liste électorale définitive s`établit à partir du seul référent qu`est la liste électorale provisoire. Dès lors que vous ne figurez pas sur la liste électorale provisoire, vous êtes en droit d`user des voies de recours offertes par les textes sus-visés à l`effet de réclamer votre inscription sur ladite liste. Au demeurant, si vous y figurez et que vous ne remplissez pas les conditions requises par la loi, votre radiation peut être demandée.
Malheureusement, la Cei qui a la responsabilité du processus électoral, faisant droit à une volonté politique, a institué et publié une seconde liste dite « liste noire ou grise » sur laquelle figurent les identités de personnes régulièrement enrôlées mais croisées négativement avec les fichiers historiques.
Si le sort des personnes figurant sur la liste provisoire est légalement encadré par les textes en vigueur tant en ce qui concerne les réclamations que le contentieux, il n`en est pas de même pour celles qui sont sur la noire ou grise. La Cei pourra toujours arguer de la volonté politique et dire qu`elle s`est soumise à celle-ci. Mais la volonté politique n`est pas une licence, elle ne dispense pas d`y mettre la forme et le fond. Dans un domaine éminemment encadré par les textes en raison de sa délicatesse, la décision politique se devait d`être matérialisée par des normes afin de faire corps avec l`ordonnancement juridique existant.
Pourtant, depuis le départ, cette liste noire ou grise n`a été ni prévue ni organisée par un texte. Il s`en suit qu`elle est en réalité une liste juridiquement inexistante. Comme nous l`avions indiqué auparavant, le traitement de cette liste aurait dû, à l`origine, être différencié aussi bien dans la forme que dans le temps, de celui de la liste provisoire. Il ne pouvait s`agir que d`un traitement administratif relevant de la compétence de la Cei en relation avec les autres structures concernées. Cela dans le seul but de parfaire la liste électorale provisoire à venir.
Un tel mécanisme aurait alors abouti à une seule liste provisoire soumise au seul régime prévu pour les réclamations et le contentieux de la liste électorale provisoire.
Aujourd`hui, nous constatons que les personnes figurant sur la liste noire ou grise sont soumises à des procédures parallèles de réclamations déterminées unilatéralement par la Cei et aboutissant à la saisine des juridictions dans les mêmes conditions que celles prévues pour les personnes figurant sur la liste électorale provisoire.
C`est l`occasion de dire et d`affirmer que la situation des personnes figurant sur la liste noire n`étant prévue par aucun texte, les procédures parallèles de réclamations déterminées par la Cei sont illégales car manquant de bases légales.
La saisine des juridictions par les intéressés et les décisions qui y sont rendues ne peuvent se faire que sur la base du droit commun. Cette saisine n`étant enfermée dans aucun des délais prévus pour le contentieux de la liste électorale provisoire.
En effet, à l`égard de ces personnes, ni l`Ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au Code électoral, ni le décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale ne peut valablement s`appliquer car ne s`agissant pas de la liste électorale provisoire prévue par la loi.
Les juges saisis par les concernés doivent avant tout s`interroger sur les fondements qui justifient leur saisine et procéder au règlement de la situation des intéressés conformément au droit commun.
En judiciarisant sans aucun texte le traitement de la situation des personnes figurant sur la liste noire ou grise, la CEI court le risque de voir allonger la période d`établissement de la liste électorale définitive.
Il revient à l`autorité judiciaire de dire le droit et d`assurer la protection des citoyens qui figurent sur cette liste illégale, car nul ne peut être injustement privé de son droit de vote pour des raisons de croisement des fichiers auquel il est totalement étranger.
Les perturbations que suscitent l`institution et la publication concomitante de la liste noire ou grise en dehors de toute règlementation étaient largement prévisibles.
En effet, l`objectif recherché pour la sortie de crise étant d`aboutir à des élections transparentes et justes, celui-ci commandait le respect de la loi, la rigueur et le refus de l`informel.
Notre pays, soulignons-le, n`est pas à sa première organisation d`élections et toutes celles qui l`ont précédée avaient l`avantage et le mérite d`être encadrées dans leurs différentes étapes par des textes fussent-ils injustes ou critiquables.
Comment comprendre qu`un processus aussi délicat et sensible que l`établissement d`une liste électorale définitive pour des élections censées mettre fin à une crise comme la nôtre puisse s`accommoder de tant de légèreté et d`amateurisme.
En sortant du cadre légal de l`Ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au Code électoral et du décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale, la Cei a permis qu`advienne tout ce remue-ménage politico-juridique.
Cependant, de là à susciter la saisine du Procureur de la République pour l`ouverture d`une enquête administrative et ou pénale, il y a un océan que le ministre de l`intérieur ne saurait franchir.
En effet, quel est le fondement de la saisine du procureur ? S`il y a eu manipulation de la liste provisoire, la phase des réclamations et de contentieux de la liste provisoire prévue par les textes n`étant pas achevée, c`est à la Cei ou au juge de régler la question et non au Procureur de la République.
En outre, le Ministre de l`Intérieur ne peut institutionnellement saisir directement le Procureur de la République. Il n`est pas le ministre de la Justice sous l`autorité duquel se trouvent placés les procureurs. En sa qualité de magistrat, le ministre de l`intérieur ne saurait ignorer que la saisine du Procureur par le gouvernement dont il fait partie, ne peut se faire que par le canal de Garde des sceaux, ministre de la justice.
Le recours brumeux et confus à la « police administrative des opérations électorales de toute nature » pour asseoir sa compétence, cache mal l`absence de fondement juridique à l`intervention du ministre de l`Intérieur en la matière.
Le fondement tiré de la « police administrative des opérations électorales de toute nature » est d`autant plus inopérant que nous sommes dans la phase préparatoire des élections qui est celle de l`établissement de la liste électorale définitive. Le cadre légal du traitement des contestations relatives à cette phase est l`Ordonnance n°2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustements au Code électoral et le décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale. Et le Décret n° 2007-458 du 20 avril 2007 portant attributions des membres du Gouvernement n`est pas supérieur à l`ordonnance sus-visée.
En recourant abusivement à l`intervention du procureur de la République dans des matières qui ne ressortissent pas de sa compétence pénale, l`on foule du pied le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. Cette intrusion répétée du procureur de la République dans le domaine administratif est une violation flagrante de la constitution.
Quand comprendrons-nous qu`il faut s`en tenir aux textes, rien qu`aux textes en vigueur si l`on veut sortir de cette crise qui n`a que trop duré.
Yao Kouassi Aboubacar
Enseignant à Duékoué