L’affaire dite "des 429.000 cas litigieux" (expression reprise au quotidien Fraternité-Matin du Samedi 16 janvier 2010) a pris un tour judiciaire, par la volonté du Ministre de l'Intérieur dont un communiqué lu à la télévision le 15 janvier dernier a informé " les ivoiriennes, ivoiriens et amis de la Côte d'Ivoire " de ce qu'il avait saisi, ès qualité, le Procureur de la République d'Abidjan pour " diligenter ", selon un objet prédéterminé, " une enquête dans les plus brefs délais " sur l'affaire, et lui en communiquer les résultats afin d'informer le Président de la République , le Premier Ministre et les ivoiriens, crédités d'un droit de savoir, sans préjudice des poursuites qui pourraient être exercées par le Procureur de la République.
Du même quotidien, on apprend que celui-ci aurait requis la Police Judiciaire de convoquer et auditionner entre autres, le Président de la CEI et ses commissaires.
Sur cette forme, pour le moins inédite de saisine du Procureur de la République , il y aurait beaucoup à dire car s'il est permis à toute autorité constituée qui acquiert dans l'exercice de ses fonctions, la connaissance d'un crime ou d'un délit d'en aviser sans délai le Procureur de la République et de lui transmettre les renseignements et actes y relatifs (article 40 cpp), le Ministre de l'Intérieur affirme avoir eu connaissance des faits à la lecture des articles de presse et non à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, lesquelles, on le rappelle, n'embrassent pas les élections, en tout cas depuis l'institution en Côte d'Ivoire d'une commission électorale indépendante.
La police administrative dont il est en charge ne lui donne pas un droit de regard sur les opérations électorales, mais simplement, comme sa fonction l'ordonne, de maintenir l'ordre au cours de celles-ci.
C'est d'ailleurs le propre de toute police administrative que d'assurer le maintien de l'ordre public pour prévenir les infractions.
Faut-il alors voir en la requête du ministre, une simple dénonciation de faits à parquet comme le prévoit l'article 40 du cpp ? Mais alors la suite à donner devrait appartenir au Procureur de la République et à lui seul, qui ne saurait être lié par quelque recommandation ou injonction, sauf celles écrites de ses supérieurs hiérarchiques que sont le Procureur Général près la Cour d'Appel et le Ministre de la Justice (articles 36 et 37 cpp).
Inédite aussi, la revendication des résultats de l'enquête en vue d'informer les ivoiriens, d'abord parce que l'enquête " préliminaire ", comme on la nomme, qui ressortit à la compétence de la police judiciaire n'a pas pour but d'informer, mais de constater les infractions, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs. Au surplus, la procédure qui s'y déroule est secrète et toute personne qui y concourt est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines de l'article 383 du Code Pénal (article 11 cpp). On ajoutera avec l'article 19 cpp que les procès-verbaux y établis le sont à l'attention du Procureur de la République.
Les résultats de l'enquête ne peuvent donc être remis en d'autres mains qu'aux siennes pour juger de l'opportunité des poursuites des personnes impliquées aux faits.
Encore faudrait-il qu'elles y soient accessibles.
Nul n'étant censé ignorer la loi, on rappellera pour mémoire que la CEI est régie par celle, non abrogée à ce jour et donc en vigueur du 14 décembre 2004 modifiant celle du 09 octobre 2001. Cette loi qui lui permet, entre autres, de solliciter toute personne physique ou morale dont l'expertise est nécessaire à l'exécution de sa mission, comporte un article 25 nouveau disposant que " les membres de la Commission électorale indépendante ne peuvent être poursuivis, recherchés, détenus ou jugés pour leurs opinions ou pour les actes relevant de l'exercice de leurs fonctions. ", non abrogé par l'article 25 nouveau de la Décision présidentielle n°2005-06 du 15 juillet 2005 auquel il n'est pas contraire - il est différent, ce qui n'est pas la même chose -, la Décision ayant énoncé en son article 3 déroger aux seules dispositions antérieures contraires. En fait les deux articles n'ont pas le même objet, ce qui interdit d'inférer l'abrogation de l'un par l'autre.
En réalité, la disposition concernée de la Décision présidentielle reprend simplement l'article 23 nouveau de la loi relative à la CEI en supprimant la révocation de ses membres à l'initiative du Conseil Constitutionnel. L'article 23 - à le rapprocher de l'article 25 de la Décision , on s'en convainc - est donc le siège de la Décision présidentielle - modificative et complétive de la loi du 14 décembre 2004 dont l'article 25 nouveau n'a été ni modifié, ni complété, ni abrogé, n'étant contraire à aucune des dispositions de ladite Décision -, qui a visé, à l'évidence par erreur, l'article 25 nouveau plutôt que l'article 23 nouveau. On peut donc affirmer sans risque, que l'immunité des membres de la CEI consacrée à l'article 25 nouveau de la loi du 14 décembre 2004 est restée inchangée.
Ainsi donc, les membres de la CEI , jouissent, dans l'exercice de leurs fonctions, d'une immunité (qu'on pourrait qualifier d'absolue, en tout cas plus large que celle des députés), de nature à les protéger de toute convocation de la police judiciaire, ne pouvant être recherchés, ainsi que de toute poursuite, cette dernière immunité étant même renforcée en période électorale qui s'étend aux faits antérieurs (non liés à l'exercice de la fonction), à plus forte raison aux faits présents (rappel article 25).
C'est que, et l'économie générale de la loi le révèle (même la révocation des membres de la CEI est rendue difficile), la nation qui a su garder en mémoire l'importance des élections, a voulu mettre ses commissaires à l'abri des tracasseries en tout genre pour leur assurer le plein emploi au service de leur mission.
Des conquêtes de notre jeune démocratie, on rappelle volontiers le pluralisme politique et celui de la presse. La CEI aussi en est une, au moins d'égale importance qu'il n'est pas sans intérêt de rappeler.
Emmanuel ASSI est avocat et ancien Bâtonnier
Du même quotidien, on apprend que celui-ci aurait requis la Police Judiciaire de convoquer et auditionner entre autres, le Président de la CEI et ses commissaires.
Sur cette forme, pour le moins inédite de saisine du Procureur de la République , il y aurait beaucoup à dire car s'il est permis à toute autorité constituée qui acquiert dans l'exercice de ses fonctions, la connaissance d'un crime ou d'un délit d'en aviser sans délai le Procureur de la République et de lui transmettre les renseignements et actes y relatifs (article 40 cpp), le Ministre de l'Intérieur affirme avoir eu connaissance des faits à la lecture des articles de presse et non à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, lesquelles, on le rappelle, n'embrassent pas les élections, en tout cas depuis l'institution en Côte d'Ivoire d'une commission électorale indépendante.
La police administrative dont il est en charge ne lui donne pas un droit de regard sur les opérations électorales, mais simplement, comme sa fonction l'ordonne, de maintenir l'ordre au cours de celles-ci.
C'est d'ailleurs le propre de toute police administrative que d'assurer le maintien de l'ordre public pour prévenir les infractions.
Faut-il alors voir en la requête du ministre, une simple dénonciation de faits à parquet comme le prévoit l'article 40 du cpp ? Mais alors la suite à donner devrait appartenir au Procureur de la République et à lui seul, qui ne saurait être lié par quelque recommandation ou injonction, sauf celles écrites de ses supérieurs hiérarchiques que sont le Procureur Général près la Cour d'Appel et le Ministre de la Justice (articles 36 et 37 cpp).
Inédite aussi, la revendication des résultats de l'enquête en vue d'informer les ivoiriens, d'abord parce que l'enquête " préliminaire ", comme on la nomme, qui ressortit à la compétence de la police judiciaire n'a pas pour but d'informer, mais de constater les infractions, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs. Au surplus, la procédure qui s'y déroule est secrète et toute personne qui y concourt est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines de l'article 383 du Code Pénal (article 11 cpp). On ajoutera avec l'article 19 cpp que les procès-verbaux y établis le sont à l'attention du Procureur de la République.
Les résultats de l'enquête ne peuvent donc être remis en d'autres mains qu'aux siennes pour juger de l'opportunité des poursuites des personnes impliquées aux faits.
Encore faudrait-il qu'elles y soient accessibles.
Nul n'étant censé ignorer la loi, on rappellera pour mémoire que la CEI est régie par celle, non abrogée à ce jour et donc en vigueur du 14 décembre 2004 modifiant celle du 09 octobre 2001. Cette loi qui lui permet, entre autres, de solliciter toute personne physique ou morale dont l'expertise est nécessaire à l'exécution de sa mission, comporte un article 25 nouveau disposant que " les membres de la Commission électorale indépendante ne peuvent être poursuivis, recherchés, détenus ou jugés pour leurs opinions ou pour les actes relevant de l'exercice de leurs fonctions. ", non abrogé par l'article 25 nouveau de la Décision présidentielle n°2005-06 du 15 juillet 2005 auquel il n'est pas contraire - il est différent, ce qui n'est pas la même chose -, la Décision ayant énoncé en son article 3 déroger aux seules dispositions antérieures contraires. En fait les deux articles n'ont pas le même objet, ce qui interdit d'inférer l'abrogation de l'un par l'autre.
En réalité, la disposition concernée de la Décision présidentielle reprend simplement l'article 23 nouveau de la loi relative à la CEI en supprimant la révocation de ses membres à l'initiative du Conseil Constitutionnel. L'article 23 - à le rapprocher de l'article 25 de la Décision , on s'en convainc - est donc le siège de la Décision présidentielle - modificative et complétive de la loi du 14 décembre 2004 dont l'article 25 nouveau n'a été ni modifié, ni complété, ni abrogé, n'étant contraire à aucune des dispositions de ladite Décision -, qui a visé, à l'évidence par erreur, l'article 25 nouveau plutôt que l'article 23 nouveau. On peut donc affirmer sans risque, que l'immunité des membres de la CEI consacrée à l'article 25 nouveau de la loi du 14 décembre 2004 est restée inchangée.
Ainsi donc, les membres de la CEI , jouissent, dans l'exercice de leurs fonctions, d'une immunité (qu'on pourrait qualifier d'absolue, en tout cas plus large que celle des députés), de nature à les protéger de toute convocation de la police judiciaire, ne pouvant être recherchés, ainsi que de toute poursuite, cette dernière immunité étant même renforcée en période électorale qui s'étend aux faits antérieurs (non liés à l'exercice de la fonction), à plus forte raison aux faits présents (rappel article 25).
C'est que, et l'économie générale de la loi le révèle (même la révocation des membres de la CEI est rendue difficile), la nation qui a su garder en mémoire l'importance des élections, a voulu mettre ses commissaires à l'abri des tracasseries en tout genre pour leur assurer le plein emploi au service de leur mission.
Des conquêtes de notre jeune démocratie, on rappelle volontiers le pluralisme politique et celui de la presse. La CEI aussi en est une, au moins d'égale importance qu'il n'est pas sans intérêt de rappeler.
Emmanuel ASSI est avocat et ancien Bâtonnier