Un véritable cours d’Histoire. Jean Vincent Zinsou, retrace dans cette interview, les grands moments de la création de la Nation haïtienne. Il nous fait revisiter les pages de l’histoire de cette nation pleine de contradictions jusqu’à la période douloureuse du récent séisme.
Comment expliquez-vous qu’un pays comme Haïti, qui est l’un des premiers pays noirs à avoir acquis l’indépendance, il y a 200 ans, soit aussi pauvre ?
L’histoire d’Haïti est une histoire très tourmentée. Haïti est né en 1492 quand Christophe Colomb donne le nom d’ « Hispaniola » à l’île qu’on appelait la « Reine des Caraïbes ». Et puis, l’histoire s’est emballée très vite. En 1697, les Français prennent possession d’Haïti. En 1804, comme vous dites, c’est l’indépendance d’Haïti. Et c’est un pays très tourmenté, parce que près de 80 % de la population est d’origine noire-esclave. C’est pour cela je l’habitude de dire que Haïti est un morceau de l’Afrique à la remorque de l’Amérique. Si vous le voulez aussi, Haïti est la fille aînée de l’Afrique. Et quand vous regardez la diplomatie d’un pays comme Haïti, la seule ambassade qu’il a en Afrique, c’est au Benin. Parce que les rites spirituels s’inspirent du Vaudou et l’origine du vaudou, c’est le Benin.
Troisième chose qui me paraît importante, c’est la dictature de Duvalier-père. De 1957 à 1971, il instaure une dictature féroce, il crée même un groupe parallèle, les « Tontons Macoutes ». Quand il meurt en 1991, son fils Jean Claude Duvalier, bébé-Doc, arrive au pouvoir et continue avec les « Tontons Macoutes ». On assiste alors à une vague de répressions terribles. En 1990, il est renversé. Et c’est le père Jean-Bertrand Aristide, un Père défroqué, qui arrive au pouvoir. Mais très vite illuminé, il pense lui aussi que pour gérer un pays comme Haïti, il faut créer un groupe armé. Il crée alors les « Chimères » et est renversé par un coup d’Etat. Et quand il est renversé par ce coup d’Etat, il y a une intervention américaine pour le replacer, mais il est renversé par un mouvement populaire et se réfugie en Afrique du Sud. Mais à la faveur des évènements qui se passent en Haïti, il tente d’y revenir. Mais, je crois que ce sera vraiment difficile, car la page Aristide est définitivement tournée en Haïti. Et aujourd’hui, celui qui dirige le pays, c’est René Préval avec un Premier ministre.
Mais voilà un pays qui, aujourd’hui, est décimé. Il n y a plus de police, plus de douane. Tous les ministères sont décimés. C’est une grande catastrophe qui doit interpeller tout le monde.
Doit-on conclure, de facto, comme certains observateurs, qu’Haïti est une terre maudite ?
Non ! Une terre de souffrance, peut-être. Parce que c’est un pays qui fait preuve de créativité. Jugez-en vous-mêmes par les journalistes, artistes et musiciens et autres natifs de ce pays. C’est une société qui a aussi connu l’instabilité politique. Et ajouter à cela, toutes les catastrophes naturelles. Vous avez Saint Domingue, à côté, qui se développe bien. Ensuite, c’est un pays qui a connu trop d’interventionnisme. Sinon, aucun pays au monde n’est maudit.
Comment expliquez-vous cette caractéristique d’Haïti, c’est-à-dire, être sur le continent américain, mais conserver les traits d’un pays africain avec tous les soubresauts socio-économiques et politiques ?
C’est l’instabilité politique qui en est la cause. Dès le départ, c’est un pays où la violence a été introduite avec les Duvalier, père et fils. Dans cette circonstance, c’est vraiment difficile de se rattraper. Et aujourd’hui, tout le monde veut soutenir Haïti, c’est honorable. Mais, l’impression que cela donne, c’est que les meilleurs interlocuteurs des institutions financières, ce sont les morts. Tout le monde savait qu’Haïti était un pays pauvre parmi les pauvres. La seule industrie qui pouvait faire redémarrer ce pays, c’était le tourisme. Malheureusement, avec l’instabilité politique qu’il y a, c’est un secteur d’activités que les Haïtiens n’ont pu faire décoller. Mais, je crois que le Président René Préval était en train de redresser la situation. Il a opposé la force à ses forces parallèles que sont les Chimères et les Tontons Macoutes. Haïti commençait à voir le bout du tunnel, parce que c’est un pays qui allait avoir 3 % de croissance. Vous me direz que 3 % de croissance, c’est insuffisant. Mais, c’est un pays qui, sur l’Indice de Développement Humain (IDH) que conçoit chaque année le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), était 154ème. Il dépassait déjà 22 pays dans le monde. Sur les 22 pays, vous avez un pays africain et deux pays asiatiques. Vous avez par exemple, le revenu par habitant qui est près de 1.300 $ et qui est supérieur à celui du Burkina Faso, du Niger. Et quatre fois supérieur à la République Démocratique du Congo (RDC), qui est pourtant un scandale géologique. Donc, c’est un pays qui commençait à amorcer son développement. Malheureusement, il y a eu ce séisme. Je pense que tout est à refaire.
Quel pourrait être l’impact de ce séisme sur la vie politique ? Allons-nous assister à sa recomposition, surtout qu’on a vu les populations très critiques vis-à-vis du président René Préval, par rapport à sa gestion de la crise ?
Ce n’est pas parce qu’il y a eu un séisme que tous les problèmes politiques vont être résolus. Regardez par exemple ce qui s’est passé avec le tsunami en 2004, cela n’a pas empêché qu’il y ait des problèmes en Thaïlande, au Sri-Lanka, avec les Tigres Tamouls. Mais quand vous avez une catastrophe comme celle-ci avec tous les prisonniers, qu’il s’agisse des crimes économiques ou des homicides, qui se retrouvent en liberté, ces derniers ont tendance à reconstituer leurs groupes. Et cette situation évidemment, crée une instabilité. Je pense que le relèvement d’Haïti sera très lent.
Le Président Wade a proposé une émigration vers l’Afrique. Est-ce que vous pensez que c’est une solution ?
J’ai beaucoup de respect pour le Président Wade, mais je pense que c’est une solution qui est difficile à réaliser. C’est un pays qui est indépendant et souverain depuis 1804. Je ne vois pas des Haïtiens venir en Afrique. D’abord, quelle terre va les accueillir ? Et quand il leur parle du Libéria, le contexte est bien différent. Il a dit qu’il allait proposer cette alternative aux instances africaines, l’Union Africaine (UA) en particulier. Attendons de voir ce qu’il en sera.
Quelle lecture faites-vous de l’appel de Jean-Bertrand Aristide ?
En politique, je ne crois pas aux hommes providentiels. Je pense que sa page est déjà tournée. C’est un opposant qui est arrivé au pouvoir et il n’a pas fait ses preuves. Ça n’a pas été facile pour lui. Je crois que Bertrand Aristide est bien au chaud là où il se trouve.
On a vu le monde entier au chevet d’Haïti. Comment expliquez-vous cette guéguerre de positionnement entre Sarkozy et Obama, entre la France et les Etats-Unis ?
Ce combat à fleuret moucheté est dérisoire. Les Etats-Unis, qu’on le veuille ou pas, sont une hyper puissance. Les fondamentaux de la diplomatie américaine sont-là, elle date de 1823 avec la doctrine Monroe, qui dit que partout où l’Occident est en danger, les Etats-Unis doivent intervenir. Vous avez d’autres fondamentaux de la diplomatie américaine, c’est le « arm power », le pouvoir fort. Notamment, c’est ce que George Bush a utilisé à satiété. Vous avez maintenant le « soft power », le pouvoir doux. Ensuite, le « smart power », qui est un mélange des deux, un pouvoir de séduction. Compte tenu du degré de développement d’un pays comme l’Amérique. Le dernier pouvoir est celui de la négociation. Aujourd’hui, quand vous regardez la diplomatie mondiale, vous avez trois agendas planétaires fondamentaux. Le premier, c’est l’agenda stratégique. Les Etats-Unis dominent cet agenda. Le deuxième, c’est l’agenda économique où aujourd’hui, le consensus de Washington de 1993 commence à s’effilocher. De sorte qu’on parle maintenant d’un G2, c’est-à-dire, Etats-Unis - Chine pour dominer le monde sur le plan économique et financier. Et le troisième agenda, c’est l’agenda climatique où les Etats-Unis sont sur la défensive. Il faut dire que les Caraïbes occupent une place prépondérante dans la diplomatie américaine. Ces derniers veulent dominer cette région. Et Haïti fait partie de cette sphère. Les Américains sont installés à Porto-Rico. Ils sont installés aussi à Guantanamo Bay. En fait, ils continuent leur diplomatie. C’est leur sphère d’influence. Il y a la proximité géographique. De Port-au-Prince au port de Floride, c’est 1100 kilomètres.
Deuxièmement, c’est un interventionnisme récurrent. Les Etats-Unis sont habitués à intervenir d’une façon régulière en Haïti. Troisièmement, il y a le poids des immigrés haïtiens aux Etats-Unis. Vous avez plus de 300.000 haïtiens qui sont déjà en Floride. Vous avez 200.000 qui sont à New York sans compter les clandestins. Donc ce sont de potentiels électeurs pour gagner une élection. Et puis le dernier point, c’est la méthode Obama. Aux Etats-Unis, on juge un Président quand il y a une crise. Il y a eu la crise des fusées à Cuba dans les années 1960 avec le Président Kennedy. Il y a eu aussi dans les 1980, la crise des aiguilleurs du ciel avec Reagan. Donc aujourd’hui, pour les « spin doctors » de l’équipe Obama, leur leader a pris une très bonne décision. Et c’est quelqu’un sur qui on peut compter pour voler au secours des peuples en difficulté. Au bout d’un an de mandat, c’est la première épreuve qu’Obama connait. Alors, il veut montrer par-là que ce qui s’est passé avec Katrina aux Etats-Unis en 2005, a été mal géré par George Bush. Et partant de là, qu’il peut mieux faire. Au bout d’un an de mandat, je crois que c’est un bon signal. Parce que, qu’on le veuille ou pas, l’Occident est assimilé à l’Amérique. C’est pourquoi, si le bilan d’Obama est catastrophique, ce sera un vrai gâchis pour le monde entier.
Comment expliquez-vous l’interventionnisme Français ?
Haïti a des liens culturels avec la France. Ce sont ces liens qui peuvent expliquer l’interventionnisme Français. Il y a plus de 70.000 haïtiens en France. Et la France aussi veut garder son rôle de puissance. Mais, c’est une grande puissance, mais une grande puissance moyenne. Elle veut donc maintenir son rôle. Les ont aussi une dette envers Haïti. Parce que pour reconnaître l’indépendance d’Haïti, la France a demandé à être dédommagée. C’est l’équivalent aujourd’hui d’un milliard d’Euro que les haïtiens ont dû payer. Ce qui a dû plomber pendant des années, leur économie.
Raison stratégiques ou militaires pour ces deux grands pays ?
Je pense qu’il s’agit de raisons géostratégiques. Pour maintenir leur influence dans les Caraïbes. Vous savez aujourd’hui, quand vous regardez, cette zone deale beaucoup avec l’Amérique du Sud. Quand vous allez en Amérique du sud vous voyez qu’un homme comme Hugo Chavez ressuscite « l’Alba », c’est-à-dire la nouvelle révolution bolivarienne pour contrecarrer ce que les Américains avaient mis en place dans cette région, c’est-à-dire « l’Alca », la zone de libre échange. La preuve, vous avez vu le balbutiement de Barack Obama, en ce qui concerne sa politique en Amérique du Sud. Il y a eu ce coup d’Etat à Tegucigalpa au Honduras.
Le continent Africain n’est pas resté en marge de cet élan de solidarité qui s’est manifesté en faveur des haïtiens. Quelle lecture faites-vous de cette intervention africaine ?
Haïti, je l’ai dit, c’est la fille aînée de l’Afrique. Mais, voyez-vous, ce qui est important, c’est qu’un pays comme la République Démocratique du Congo (RDC) a réagi vite. Parce que la reconstruction de la RDC après les indépendances a été faite par les haïtiens. Tous les professeurs et les médecins étaient originaires d’Haïti. Même en Côte d’Ivoire, il y avait des haïtiens qui étaient médecins. Je pense que c’est normal. Je ne veux pas rentrer dans ces débats, où certaines personnes prétendent qu’en Afrique on crève de faim. Je pense que c’est un acte de générosité. J’aurai bien voulu que ça se passe au niveau de l’Union Africaine. C’est-là qu’on voit un peu l’impuissance de ces institutions internationales quand il y a une catastrophe quelque part. C’est le cas de l’ONU. Qui ne sait pas comment elle va recommencer encore cette notion des opérations de maintien de la paix. C’est ce qu’ils appellent la « Nation building », c’est-à-dire, le programme de reconstruction. Et puis, depuis 2004, l’ONU, à travers la MUNISTAH, est en Haïti. Il avait recommencé, mais-là aujourd’hui, l’ONU est décimée. Et c’est une occasion de penser à ce grand représentant de l’ONU Anaby qui était quand même l’idéal Onusien. Mais il avait compris que dans ce genre d’opération, il faut mettre sur pied une deuxième génération qui s’appelle la reconstruction du pays après le maintien de la paix.
Vous avez parlé de reconstruction. Pouvons-nous savoir qui va reconstruire ce pays ?
Ils ont déjà amassé un milliard d’Euros. Maintenant, comment et qui va le gérer ? C’est cela le grand problème. Est-ce que les puissances qui ont financé ce fonds ne vont pas penser qu’il faut un retour sur investissement ? Est-ce que tous les travaux qui vont se dérouler, ne seront pas comme en Iraq où ce seront les entreprises américaines qui viendront reconstruire le pays ? Maintenant, il faut le reconstruire avec des normes sismiques parce que ce n’est pas le seul pays où il y a des tremblements de terre. On connait le Japon, c’est tous les jours qu’il y a des tremblements de terre. Et ça va coûter très cher.
Il a été prévu une conférence
Vous savez ces genres de conférences ne sont que des promesses. Je n’y crois pas trop. Combien de fois n’ont-ils pas fait de conférence sur la reconstruction de l’Afghanistan, sur le Pakistan ? Ils ont 1 milliard d’Euros et donc ils peuvent déjà commencer la reconstruction. Parce que tout a été détruit. Tout ce qui est socio, santé, école. Déjà que l’école ne tenait pas bien, parce que 80 % des établissements d’Haïti se sont écroulés.
Le gros problème dans ce genre de situation, c’est que les Américains sont là-bas. Environ 12.500 GI’ S. Est-ce qu’ils vont y durer ? Est-ce que si c’est le cas, ce ne sera pas une force d’occupation ? Est-ce que les Haïtiens seront toujours heureux de voir les Américains occuper l’aéroport et les points stratégiques ? Il risque d’y avoir un retour du bâton. Et je pense qu’il faut attendre de voir. Mais je pense quand même que dès l’instant où ils y ont mis de l’argent, ils seront obligés de voir s’il n y a pas un retour sur investissement.
Que peut-on attendre d’un pays qui n’a pas de ressources ?
Ce sont les dons. Déjà un milliard d’Euros ça vous fait trois ou quatre fois le budget de la Côte d’Ivoire. Il y a beaucoup de choses à faire. On peut reprendre le gouvernement, les écoles, la santé. Et puis, au niveau de l’ONU, ils ont quand même quelque chose de très bien aujourd’hui, c’est les financements innovants qui ont été confiés à Douste-Blazy. C’est-à-dire que quand vous payez un billet d’avion, il y a une petite taxe qu’on leur reverse. C’est ce qu’ils appellent des financements innovants. Ça pourra servir à reconstruire le pays.
Réalisée par Charles Sanga et Coulibaly Brahima
Comment expliquez-vous qu’un pays comme Haïti, qui est l’un des premiers pays noirs à avoir acquis l’indépendance, il y a 200 ans, soit aussi pauvre ?
L’histoire d’Haïti est une histoire très tourmentée. Haïti est né en 1492 quand Christophe Colomb donne le nom d’ « Hispaniola » à l’île qu’on appelait la « Reine des Caraïbes ». Et puis, l’histoire s’est emballée très vite. En 1697, les Français prennent possession d’Haïti. En 1804, comme vous dites, c’est l’indépendance d’Haïti. Et c’est un pays très tourmenté, parce que près de 80 % de la population est d’origine noire-esclave. C’est pour cela je l’habitude de dire que Haïti est un morceau de l’Afrique à la remorque de l’Amérique. Si vous le voulez aussi, Haïti est la fille aînée de l’Afrique. Et quand vous regardez la diplomatie d’un pays comme Haïti, la seule ambassade qu’il a en Afrique, c’est au Benin. Parce que les rites spirituels s’inspirent du Vaudou et l’origine du vaudou, c’est le Benin.
Troisième chose qui me paraît importante, c’est la dictature de Duvalier-père. De 1957 à 1971, il instaure une dictature féroce, il crée même un groupe parallèle, les « Tontons Macoutes ». Quand il meurt en 1991, son fils Jean Claude Duvalier, bébé-Doc, arrive au pouvoir et continue avec les « Tontons Macoutes ». On assiste alors à une vague de répressions terribles. En 1990, il est renversé. Et c’est le père Jean-Bertrand Aristide, un Père défroqué, qui arrive au pouvoir. Mais très vite illuminé, il pense lui aussi que pour gérer un pays comme Haïti, il faut créer un groupe armé. Il crée alors les « Chimères » et est renversé par un coup d’Etat. Et quand il est renversé par ce coup d’Etat, il y a une intervention américaine pour le replacer, mais il est renversé par un mouvement populaire et se réfugie en Afrique du Sud. Mais à la faveur des évènements qui se passent en Haïti, il tente d’y revenir. Mais, je crois que ce sera vraiment difficile, car la page Aristide est définitivement tournée en Haïti. Et aujourd’hui, celui qui dirige le pays, c’est René Préval avec un Premier ministre.
Mais voilà un pays qui, aujourd’hui, est décimé. Il n y a plus de police, plus de douane. Tous les ministères sont décimés. C’est une grande catastrophe qui doit interpeller tout le monde.
Doit-on conclure, de facto, comme certains observateurs, qu’Haïti est une terre maudite ?
Non ! Une terre de souffrance, peut-être. Parce que c’est un pays qui fait preuve de créativité. Jugez-en vous-mêmes par les journalistes, artistes et musiciens et autres natifs de ce pays. C’est une société qui a aussi connu l’instabilité politique. Et ajouter à cela, toutes les catastrophes naturelles. Vous avez Saint Domingue, à côté, qui se développe bien. Ensuite, c’est un pays qui a connu trop d’interventionnisme. Sinon, aucun pays au monde n’est maudit.
Comment expliquez-vous cette caractéristique d’Haïti, c’est-à-dire, être sur le continent américain, mais conserver les traits d’un pays africain avec tous les soubresauts socio-économiques et politiques ?
C’est l’instabilité politique qui en est la cause. Dès le départ, c’est un pays où la violence a été introduite avec les Duvalier, père et fils. Dans cette circonstance, c’est vraiment difficile de se rattraper. Et aujourd’hui, tout le monde veut soutenir Haïti, c’est honorable. Mais, l’impression que cela donne, c’est que les meilleurs interlocuteurs des institutions financières, ce sont les morts. Tout le monde savait qu’Haïti était un pays pauvre parmi les pauvres. La seule industrie qui pouvait faire redémarrer ce pays, c’était le tourisme. Malheureusement, avec l’instabilité politique qu’il y a, c’est un secteur d’activités que les Haïtiens n’ont pu faire décoller. Mais, je crois que le Président René Préval était en train de redresser la situation. Il a opposé la force à ses forces parallèles que sont les Chimères et les Tontons Macoutes. Haïti commençait à voir le bout du tunnel, parce que c’est un pays qui allait avoir 3 % de croissance. Vous me direz que 3 % de croissance, c’est insuffisant. Mais, c’est un pays qui, sur l’Indice de Développement Humain (IDH) que conçoit chaque année le Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), était 154ème. Il dépassait déjà 22 pays dans le monde. Sur les 22 pays, vous avez un pays africain et deux pays asiatiques. Vous avez par exemple, le revenu par habitant qui est près de 1.300 $ et qui est supérieur à celui du Burkina Faso, du Niger. Et quatre fois supérieur à la République Démocratique du Congo (RDC), qui est pourtant un scandale géologique. Donc, c’est un pays qui commençait à amorcer son développement. Malheureusement, il y a eu ce séisme. Je pense que tout est à refaire.
Quel pourrait être l’impact de ce séisme sur la vie politique ? Allons-nous assister à sa recomposition, surtout qu’on a vu les populations très critiques vis-à-vis du président René Préval, par rapport à sa gestion de la crise ?
Ce n’est pas parce qu’il y a eu un séisme que tous les problèmes politiques vont être résolus. Regardez par exemple ce qui s’est passé avec le tsunami en 2004, cela n’a pas empêché qu’il y ait des problèmes en Thaïlande, au Sri-Lanka, avec les Tigres Tamouls. Mais quand vous avez une catastrophe comme celle-ci avec tous les prisonniers, qu’il s’agisse des crimes économiques ou des homicides, qui se retrouvent en liberté, ces derniers ont tendance à reconstituer leurs groupes. Et cette situation évidemment, crée une instabilité. Je pense que le relèvement d’Haïti sera très lent.
Le Président Wade a proposé une émigration vers l’Afrique. Est-ce que vous pensez que c’est une solution ?
J’ai beaucoup de respect pour le Président Wade, mais je pense que c’est une solution qui est difficile à réaliser. C’est un pays qui est indépendant et souverain depuis 1804. Je ne vois pas des Haïtiens venir en Afrique. D’abord, quelle terre va les accueillir ? Et quand il leur parle du Libéria, le contexte est bien différent. Il a dit qu’il allait proposer cette alternative aux instances africaines, l’Union Africaine (UA) en particulier. Attendons de voir ce qu’il en sera.
Quelle lecture faites-vous de l’appel de Jean-Bertrand Aristide ?
En politique, je ne crois pas aux hommes providentiels. Je pense que sa page est déjà tournée. C’est un opposant qui est arrivé au pouvoir et il n’a pas fait ses preuves. Ça n’a pas été facile pour lui. Je crois que Bertrand Aristide est bien au chaud là où il se trouve.
On a vu le monde entier au chevet d’Haïti. Comment expliquez-vous cette guéguerre de positionnement entre Sarkozy et Obama, entre la France et les Etats-Unis ?
Ce combat à fleuret moucheté est dérisoire. Les Etats-Unis, qu’on le veuille ou pas, sont une hyper puissance. Les fondamentaux de la diplomatie américaine sont-là, elle date de 1823 avec la doctrine Monroe, qui dit que partout où l’Occident est en danger, les Etats-Unis doivent intervenir. Vous avez d’autres fondamentaux de la diplomatie américaine, c’est le « arm power », le pouvoir fort. Notamment, c’est ce que George Bush a utilisé à satiété. Vous avez maintenant le « soft power », le pouvoir doux. Ensuite, le « smart power », qui est un mélange des deux, un pouvoir de séduction. Compte tenu du degré de développement d’un pays comme l’Amérique. Le dernier pouvoir est celui de la négociation. Aujourd’hui, quand vous regardez la diplomatie mondiale, vous avez trois agendas planétaires fondamentaux. Le premier, c’est l’agenda stratégique. Les Etats-Unis dominent cet agenda. Le deuxième, c’est l’agenda économique où aujourd’hui, le consensus de Washington de 1993 commence à s’effilocher. De sorte qu’on parle maintenant d’un G2, c’est-à-dire, Etats-Unis - Chine pour dominer le monde sur le plan économique et financier. Et le troisième agenda, c’est l’agenda climatique où les Etats-Unis sont sur la défensive. Il faut dire que les Caraïbes occupent une place prépondérante dans la diplomatie américaine. Ces derniers veulent dominer cette région. Et Haïti fait partie de cette sphère. Les Américains sont installés à Porto-Rico. Ils sont installés aussi à Guantanamo Bay. En fait, ils continuent leur diplomatie. C’est leur sphère d’influence. Il y a la proximité géographique. De Port-au-Prince au port de Floride, c’est 1100 kilomètres.
Deuxièmement, c’est un interventionnisme récurrent. Les Etats-Unis sont habitués à intervenir d’une façon régulière en Haïti. Troisièmement, il y a le poids des immigrés haïtiens aux Etats-Unis. Vous avez plus de 300.000 haïtiens qui sont déjà en Floride. Vous avez 200.000 qui sont à New York sans compter les clandestins. Donc ce sont de potentiels électeurs pour gagner une élection. Et puis le dernier point, c’est la méthode Obama. Aux Etats-Unis, on juge un Président quand il y a une crise. Il y a eu la crise des fusées à Cuba dans les années 1960 avec le Président Kennedy. Il y a eu aussi dans les 1980, la crise des aiguilleurs du ciel avec Reagan. Donc aujourd’hui, pour les « spin doctors » de l’équipe Obama, leur leader a pris une très bonne décision. Et c’est quelqu’un sur qui on peut compter pour voler au secours des peuples en difficulté. Au bout d’un an de mandat, c’est la première épreuve qu’Obama connait. Alors, il veut montrer par-là que ce qui s’est passé avec Katrina aux Etats-Unis en 2005, a été mal géré par George Bush. Et partant de là, qu’il peut mieux faire. Au bout d’un an de mandat, je crois que c’est un bon signal. Parce que, qu’on le veuille ou pas, l’Occident est assimilé à l’Amérique. C’est pourquoi, si le bilan d’Obama est catastrophique, ce sera un vrai gâchis pour le monde entier.
Comment expliquez-vous l’interventionnisme Français ?
Haïti a des liens culturels avec la France. Ce sont ces liens qui peuvent expliquer l’interventionnisme Français. Il y a plus de 70.000 haïtiens en France. Et la France aussi veut garder son rôle de puissance. Mais, c’est une grande puissance, mais une grande puissance moyenne. Elle veut donc maintenir son rôle. Les ont aussi une dette envers Haïti. Parce que pour reconnaître l’indépendance d’Haïti, la France a demandé à être dédommagée. C’est l’équivalent aujourd’hui d’un milliard d’Euro que les haïtiens ont dû payer. Ce qui a dû plomber pendant des années, leur économie.
Raison stratégiques ou militaires pour ces deux grands pays ?
Je pense qu’il s’agit de raisons géostratégiques. Pour maintenir leur influence dans les Caraïbes. Vous savez aujourd’hui, quand vous regardez, cette zone deale beaucoup avec l’Amérique du Sud. Quand vous allez en Amérique du sud vous voyez qu’un homme comme Hugo Chavez ressuscite « l’Alba », c’est-à-dire la nouvelle révolution bolivarienne pour contrecarrer ce que les Américains avaient mis en place dans cette région, c’est-à-dire « l’Alca », la zone de libre échange. La preuve, vous avez vu le balbutiement de Barack Obama, en ce qui concerne sa politique en Amérique du Sud. Il y a eu ce coup d’Etat à Tegucigalpa au Honduras.
Le continent Africain n’est pas resté en marge de cet élan de solidarité qui s’est manifesté en faveur des haïtiens. Quelle lecture faites-vous de cette intervention africaine ?
Haïti, je l’ai dit, c’est la fille aînée de l’Afrique. Mais, voyez-vous, ce qui est important, c’est qu’un pays comme la République Démocratique du Congo (RDC) a réagi vite. Parce que la reconstruction de la RDC après les indépendances a été faite par les haïtiens. Tous les professeurs et les médecins étaient originaires d’Haïti. Même en Côte d’Ivoire, il y avait des haïtiens qui étaient médecins. Je pense que c’est normal. Je ne veux pas rentrer dans ces débats, où certaines personnes prétendent qu’en Afrique on crève de faim. Je pense que c’est un acte de générosité. J’aurai bien voulu que ça se passe au niveau de l’Union Africaine. C’est-là qu’on voit un peu l’impuissance de ces institutions internationales quand il y a une catastrophe quelque part. C’est le cas de l’ONU. Qui ne sait pas comment elle va recommencer encore cette notion des opérations de maintien de la paix. C’est ce qu’ils appellent la « Nation building », c’est-à-dire, le programme de reconstruction. Et puis, depuis 2004, l’ONU, à travers la MUNISTAH, est en Haïti. Il avait recommencé, mais-là aujourd’hui, l’ONU est décimée. Et c’est une occasion de penser à ce grand représentant de l’ONU Anaby qui était quand même l’idéal Onusien. Mais il avait compris que dans ce genre d’opération, il faut mettre sur pied une deuxième génération qui s’appelle la reconstruction du pays après le maintien de la paix.
Vous avez parlé de reconstruction. Pouvons-nous savoir qui va reconstruire ce pays ?
Ils ont déjà amassé un milliard d’Euros. Maintenant, comment et qui va le gérer ? C’est cela le grand problème. Est-ce que les puissances qui ont financé ce fonds ne vont pas penser qu’il faut un retour sur investissement ? Est-ce que tous les travaux qui vont se dérouler, ne seront pas comme en Iraq où ce seront les entreprises américaines qui viendront reconstruire le pays ? Maintenant, il faut le reconstruire avec des normes sismiques parce que ce n’est pas le seul pays où il y a des tremblements de terre. On connait le Japon, c’est tous les jours qu’il y a des tremblements de terre. Et ça va coûter très cher.
Il a été prévu une conférence
Vous savez ces genres de conférences ne sont que des promesses. Je n’y crois pas trop. Combien de fois n’ont-ils pas fait de conférence sur la reconstruction de l’Afghanistan, sur le Pakistan ? Ils ont 1 milliard d’Euros et donc ils peuvent déjà commencer la reconstruction. Parce que tout a été détruit. Tout ce qui est socio, santé, école. Déjà que l’école ne tenait pas bien, parce que 80 % des établissements d’Haïti se sont écroulés.
Le gros problème dans ce genre de situation, c’est que les Américains sont là-bas. Environ 12.500 GI’ S. Est-ce qu’ils vont y durer ? Est-ce que si c’est le cas, ce ne sera pas une force d’occupation ? Est-ce que les Haïtiens seront toujours heureux de voir les Américains occuper l’aéroport et les points stratégiques ? Il risque d’y avoir un retour du bâton. Et je pense qu’il faut attendre de voir. Mais je pense quand même que dès l’instant où ils y ont mis de l’argent, ils seront obligés de voir s’il n y a pas un retour sur investissement.
Que peut-on attendre d’un pays qui n’a pas de ressources ?
Ce sont les dons. Déjà un milliard d’Euros ça vous fait trois ou quatre fois le budget de la Côte d’Ivoire. Il y a beaucoup de choses à faire. On peut reprendre le gouvernement, les écoles, la santé. Et puis, au niveau de l’ONU, ils ont quand même quelque chose de très bien aujourd’hui, c’est les financements innovants qui ont été confiés à Douste-Blazy. C’est-à-dire que quand vous payez un billet d’avion, il y a une petite taxe qu’on leur reverse. C’est ce qu’ils appellent des financements innovants. Ça pourra servir à reconstruire le pays.
Réalisée par Charles Sanga et Coulibaly Brahima