Dans un pays normal, les conclusions d’une enquête ouvrent la voix à des poursuites disciplinaires, pénales ou civiles. Que cette enquête soit menée par le parquet ne déroge en rien à la règle. Dans un pays qui se respecte, le parquet est sous l’autorité du garde des sceaux. Et le procureur général agit sous la responsabilité de celui-ci. Patron du parquet, le procureur général commande au procureur de la république et bien entendu à ses substituts. En Côte d’Ivoire, il en va autrement. L’enquête sur les supposés malversations à la Commission électorale indépendante a été actionnée par le ministre de l’intérieur. Désiré Tagro a saisi le procureur de la république sur l’affaire dite des quatre cent vingt neuf mille cas frauduleux que le président de la commission électorale indépendante, CEI, M. Robert Beugré Mambé est accusé d’avoir introduits frauduleusement dans la liste électorale définitive. Le premier flic de la Côte d’ivoire s’est emparé du contrôle du parquet et a affirmé publiquement agir sous les ordres de sa hiérarchie. Cette hiérarchie, c’est d’abord le premier ministre et ensuite le chef de l’état. Soro Guillaume, le locataire de la primature, a officiellement opté, depuis l’éclatement de cette affaire à la CEI montée en épingle par le clan de Laurent Gbagbo, le chef de l’état sortant et candidat à sa succession, pour un traitement à l’amiable et annoncé même des solutions consensuelles avec les structures techniques impliquées dans le processus de confection de la liste électorale. Difficile dans ces conditions de le voir être le donneur d’ordre à Tagro. Les regards se tournent donc vers celui dont le ministre de l’intérieur a été le porte parole jusqu'à son entrée dans le gouvernement Soro à la faveur de l’accord politique de Ouagadougou signé en mars 2007 dans la capitale du Burkina Faso. Laurent Gbagbo est donc bel et bien à la manœuvre. La détermination du ministre de l’intérieur, il prétend agir pour la préservation de l’ordre public, la célérité du parquet, tout procède de la main du prince qui tient à avoir toutes les cartes en main. Il ne faut pas se leurrer ! La CEI et la liste électorale qui est de son ressort donnent des nuits blanches remplies de cauchemars au palais. Malgré les multiples sondages commandités par ses soins, et qui le présentent gagnant dans tous les cas de figures à l’élection présidentielle avenir, Laurent Gbagbo sait plus que quiconque que la réalité est tout autre. Les parkings politiques en Côte d’ivoire sont très fermement marqués et occupés. Les blocs sont établis. Les opérations de débauchage de cadres, même parmi les plus prestigieux, ne sont pas de nature à faire bouger ostensiblement les lignes. Et les données actuelles du fichier électoral ne permettent au locataire actuel du palais que d’envisager un honorable troisième rang, au meilleur des cas, derrière ses adversaires les plus en vue du rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix. Une perspective qui vaut tous les risques et qui explique la charge contre la commission électorale et son président. Les ivoiriens ont pu voir ainsi une commission d’enquête aller à la quatrième vitesse et désigner en quelques jours des coupables. Parmi lesquels un président d’institution. Ces mêmes ivoiriens avaient assisté aux difficultés d’une autre commission d’enquête dont les recommandations sur les responsabilités dans l’affaire des déchets toxiques, ils ont endeuillé des dizaines de familles et intoxiqué des milliers de personnes, ont été jetées à la poubelle par le chef de l’état en personne. Le parquet aux ordres du ministre de l’intérieur a fini son travail. La CEI a ainsi désormais la tête à la merci du pouvoir. Ce dernier peut tranquillement voir venir. Qui pourrait demander de maintenir à la tête de la commission électorale indépendante une personnalité dont le parquet réclame la condamnation pour fraude ? Au bout du compte, Gbagbo attend au moins une recomposition de la CEI avec une majorité acquise à son camp. Une assurance tout risque pour l’homme qui a pour lui tout seul les forces de défense et de sécurité, les médias publics et la cour constitutionnelle. Au même moment que l’action contre la CEI, les hommes du candidat-président ont lancé des opérations de radiation massive de citoyens « à la mauvaise senteur politique » des listes électorales. Avec la complicité de certains magistrats en violation de toutes les procédures en vigueur, et malgré les rappels à l’ordre de la chancellerie. Une entreprise qui a commencé à embraser le pays. Le prix à payer ici pourrait être lourd. Très lourd. De quoi alors pousser à décapiter la CEI et la dompter. Sauvegarder un fauteuil présidentiel vaut tous les sacrifices n’est ce pas ? Un homme politique alors dans l’opposition qualifiait le père de la nation ivoirienne « d’empereur sans couronne ». Il s’agissait de brocarder les abus de Houphouët Boigny. Aujourd’hui, celui qui tient les leviers du pays porte bien sa couronne d’empereur ! sans sourciller.
D. Al Seni
D. Al Seni