Mesdames et messieurs
les journalistes,
je voudrais, au nom des avocats des mis en cause dans l`affaire abusivement appelée "fraude sur la liste électorale", vous remercier d`avoir honoré de votre présence cette rencontre de clarification.
Nous envisageons de faire, dans un premier temps, des observations sur la procédure telle qu`engagée dans cette affaire, puis dans un second temps, nous toucherons au fond pour montrer en quoi il n`y a pas eu fraude contrairement à ce que le Procureur de la République laisse croire.
I/ De la procédure
Les observations porteront sur les points ci-après:
Les conditions de la saisine du procureur de la République; La saisine de la police criminelle par le Procureur;
Le rapport fait à la presse;
Les conclusions du rapport ;
A) Les conditions de la saisine du procureur de la République
Le samedi 9 janvier 2010, dans un communiqué, le porte-parole du Président de la République, monsieur Coulibaly Gervais a annoncé à la télévision ivoirienne que le Président de la CEI, monsieur BEUGRE MAMBE s`est rendu coupable de fraude sur les listes électorales provisoires pour avoir inséré, unilatéralement, 429 000 personnes en dehors des procédures prescrites en la matière.
Alors que le Premier Ministre Guillaume SORO, saisi, a invité toutes les parties à l`apaisement se faisant fort de conduire le processus à son terme dans la transparence, le Ministre de l`Intérieur Désiré TAGRO, dans un communiqué télévisé en date du 14 janvier 2010, annonçait qu`il avait saisi le Procureur de la République pour diligenter une enquête à l`effet:
"Premièrement, de vérifier si une entreprise parallèle du traitement des données de la liste électorale a été mise sur pied en dehors de la SAGEM et de l`INS, opérateurs techniques désignés par les accords de paix et les lois de la République;
Deuxièmement, d`indiquer les noms et le nombre de personnes qui ont pris l`initiative de cette entreprise et qui y ont participé;
Troisièmement, de vérifier si cette entreprise avait pour objet de faire des ajouts, des rajouts ou des soustractions sur la liste électorale;
Quatrièmement, de déterminer le mécanisme par lequel cette entreprise entendait parvenir à cette fin;
Cinquièmement enfin, de déterminer la date exacte de la mise en place de cette entreprise et les activités qu`elle a entreprises sur la liste électorale avant l`opération. "
Eu égard à son contenu, c`est une véritable injonction qui est adressée à monsieur le Procureur de la République par le Ministre de l`Intérieur.
Manifestement cette injonction du Ministre de l`Intérieur est illégale en ce qu`elle viole les articles 36 et 37 du code de procédure pénale.
En effet, aux termes des dispositions de l`article 36, "le Ministre de la justice peut dénoncer au Procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre d`engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le Ministre juge opportunes. "
Quant à l`article 37, il dispose que "le Procureur Général a autorité sur tous les officiers du ministère public du ressort de la cour d`appel.
A l`égard de ces magistrats il a les mêmes prérogatives que celles reconnues au ministre de la Justice à l`article précédent."
Il résulte de ce qui précède que seul le ministre de la Justice peut faire injonction aux procureurs d`engager des poursuites.
En exécution de l`injonction manifestement illégale du Ministre de l`intérieur, le Procureur de la République a saisi la police criminelle aux fins d`enquête.
La saisine de la Police criminelle
Le Procureur de la République saisi, dans les conditions qui viennent d`être décrites a confié l`enquête à la police criminelle.
Or, aux termes des dispositions de l`article 612 du code de procédure pénale, en matière de faux en écriture publique, c`est le Procureur de la République luimême qui se déplace pour prendre possession des pièces arguées de faux ou se les fait communiquer. Après quoi, par réquisitoire, il saisit le juge d`instruction pour l`ouverture d`une information.
Il ne peut déléguer ses pouvoirs à un officier de police judiciaire.
En effet aux termes des dispositions dudit texte, "Lorsqu`il est porté à la connaissance du procureur de la République qu`une pièce arguée de faux figure dans un dépôt public ou a été établie dans un dépôt public, le Procureur de la République peut se transporter dans ce dépôt pour procéder à tous examens et vérifications.
Le procureur de la République ne peut déléguer les pouvoirs cidessus à un officier de police judiciaire.
Le procureur de la République peut, en cas d`urgence, ordonner le transport au greffe des documents suspectés."
Or en l`espèce, en violation des dispositions de l`article 612 susvisé, la direction de la police criminelle a été saisie pour diligenter l`enquête sous l`autorité du Procureur de la République.
Là aussi, il y a manifestement violation du code de procédure pénale.
Le rapport fait à la presse
En faisant son rapport à la presse, on est en droit de s`interroger sur la nature de la déclaration qui a été lue par le Procureur de la République.
Le Procureur de la République commence sa déclaration ainsi qu`il suit: "Mesdames et messieurs les journalistes, j`ai l`honneur de vous rendre compte du résultat de l`enquête sur les fraudes commises sur la liste électorale par le bureau de la Commission Centrale de la Commission électorale Indépendante."
Ainsi, c`est à la presse que le procureur de la République rend compte des résultats de son enquête alors même que cette enquête n`a pas été commandée par la presse et qu`en plus la presse n`est pas le destinataire habituel des enquêtes du Procureur de la République.
En effet, en matière de faux en écriture publique et aux termes des dispositions des articles 612 et suivants du code de procédure pénale, lorsque le parquet diligente une enquête à l`effet de se faire remettre les pièces arguées de faux, c`est à l`effet de saisir le juge d`instruction, en cas de nécessité, qui va instruire le dossier à charge et à décharge.
Le destinataire des conclusions est donc le juge d`instruction, si le procureur estime nécessaire d`ouvrir une information.
Aucune disposition de la loi n`autorise le Procureur de la République à animer une conférence de presse pour livrer les conclusions des enquêtes préliminaires conduites sous son autorité. Bien au contraire, aux termes des dispositions de l`article 11 du code de procédure pénale, "Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l`enquête et de l`instruction est secrète."
Curieusement, c`est à la presse et donc au public qu`il est rendu compte des conclusions d`une enquête.
Il y a là également violation du code de procédure pénale.
Les conclusions du rapport
Le rôle de la CEI dans l`établissement de la liste électorale
En examinant les conclusions du rapport du Procureur de la république, nulle part, il n`a fait état d`une déclaration de reconnaissance par monsieur MAMBE des faits incriminés.
Curieusement, c`est toujours par personne interposée que monsieur MAMBE aurait donné telle instruction. Ce qui est tout à fait insuffisant pour tirer les conclusions auxquelles il est parvenu.
Le Procureur de la République en prétextant que la CEI n`a pas compétence pour faire des croisements a conclu que l`ayant fait, alors il y a fraude.
Par cette conclusion le Procureur laisse croire que la CEI n`intervient pas dans le processus d`établissement de la liste électorale.
Une telle conclusion est, pourtant, contredite par les dispositions des articles 4 et 6 du décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale de même que par l`article 3 du décret 2008-135 du 14 avril 2008 fixant les modalités de la collaboration entre l`INS et la SAGEM sous l`autorité et la responsabilité de la CEI.
En effet, l`article 4 dispose: "Sous la responsabilité de la commission Electorale Indépendante, l`inscription sur la nouvelle liste électorale est établie par l`Institut National de la Statistique et la société SAGEM-SECURITE."
Quant à l`article 6, il dispose: "Sous l`autorité de la commission Electorale Indépendante, l`Institut National de la Statistique et la société SAGEM-SECURITE exécutent les opérations d`inscription sur la liste électorale."
L`article 3 du décret n02008-135 du 14 avril 2008 dispose, quant à lui, que "la collaboration entre l`INS et la société SAGEM-Sécurité, est faite sous l`autorité et la responsabilité de la CEI, conformément à l`Accord de Ouagadougou.
Dans ce cas la CEI en assure la maîtrise d`ouvrage... "
II résulte de ce qui précède que la CEI, en sa qualité de maître d`ouvrage, est impliquée dans le processus d`étab1issement de la liste électorale.
La recommandation
En guise de conclusions, le Procureur de la République fait plutôt une recommandation qui est la suivante: "Il convient donc de faire procéder à une expertise des listes à compter de la date de la mission des techniciens de la CEI sur le terrain et en tenant compte des CD incriminés pour extirper ces pétitionnaires litigieux de la liste électorale en cours."
N`est-il pas surprenant qu`une enquête criminelle qui établit qu`il y a eu faute tombant sous le coup de la loi pénale aboutisse à une recommandation alors qu`en pareille circonstance, la faute ayant été retenue par le parquet, il s`agit d`un renvoi en police correctionnelle?
Si l`enquête diligentée devait aboutir à des recommandations n`était-ce pas une enquête administrative qu`il eut fallu?
Au demeurant, dès l`entame de la déclaration, on est frappé par l`affirmation de monsieur le Procureur de la République au sujet de l`existence des fraudes et des personnes qui les ont commises, ce que l`enquête a, précisément, pour objet d`établir.
En effet, lors de sa conférence de presse, le Procureur de la République a déclaré ce qui suit: "Mesdames et messieurs les journalistes, j`ai l`honneur de vous rendre compte du résultat de l`enquête sur les fraudes commises sur la liste électorale par le bureau de la Commission Centrale de la Commission électorale Indépendante."
On se demande alors pourquoi monsieur le Procureur de la République a perdu, si on peut se le permettre, du temps pour diligenter une enquête dès lors qu`il affirme que les fraudes existent et qu`il a connaissance des personnes qui les ont commises.
On comprend donc le contenu du rapport d`où il apparaît évident que l`enquête a été diligentée exclusivement à charge. Le Procureur de la République n`enquêtait-il pas sur des fraudes déjà établies et les auteurs connus. ?
Mais même en pareille circonstance, le procureur ne peut affirmer que les mis en cause sont coupables en raison de la présomption d`innocence dont bénéficie chaque citoyen.
En effet, aux termes des dispositions de l`article 22 de la Constitution ivoirienne, "Nul ne peut être arbitrairement détenu.
Tout prévenu est présumé innocent jusqu`à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d`une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense."
Monsieur MAMBE et tous les autres sont donc présumés innocents. Seul un tribunal régulièrement saisi peut les déclarer coupables à la suite d`un procès équitable au cours duquel ils ont pu se défendre.
Or en l`espèce, monsieur MAMBE ne peut être traduit devant un quelconque tribunal puisqu`il est couvert par une immunité en application des dispositions de l`article 25 de la loi n°2004-642 du 14 décembre 204 modifiant la loi n°2001-634 du 9 octobre 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Electorale Indépendante.
A ce sujet, pour justifier les poursuites contre monsieur MAMBE, le Procureur de la République avait annoncé publiquement que les membres de la CEI ne bénéficient plus de l`immunité depuis la décision n°2005-06/PR du 15 juillet 2005.
Il s`agit là d`une erreur manifeste d`analyse des dispositions de cette décision. En effet, l`immunité dont bénéficient les membres de la CEI est prévue par l`article 25 de la loi n°2004-642 du 14 décembre 2004 modifiant la loi n°2001-634 du 9 février 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la CEI.
L`article 23 de cette même loi prescrivait, quant à lui, les conditions de révocation des membres de la CEI
En 2005, il s`est agi de renforcer la protection des membres de la CEI et donc leur indépendance en expurgeant de l`article 23, relatif aux conditions de révocation, la possibilité d`une révocation par le Conseil constitutionnel.
Il est manifeste que c`est par inadvertance que l`article 25, qui a pour objet l`immunité des membres de la CEI, a été visé, plutôt que l`article 23. C`est la raison pour laquelle dans le texte actuels articles 23 et 25 ont le même objet.
Au demeurant, le législateur ne peut pas vouloir renforcer la protection des membres de la CEI en supprimant l`immunité dont ils bénéficient.
C`est donc une grossière anomalie qui devrait être corrigée.
En tout état de cause, l`article 2 de la décision 2005-06 dispose que les dispositions antérieures qui lui sont contraires sont abrogées.
Or, cette décision présidentielle ne contient aucune disposition contraire à l`article 25 de la loi qui consacre l`immunité.
Il en résulte que les membres de la CEI bénéficient bel et bien de l`immunité.
Il suit de tout ce qui précède que les poursuites envisagées et même entreprises n`ont pas lieu d`être.
Le Procureur qui a compris cela par la suite n`a pas ordonné que monsieur MAMBE soit traduit devant lui par la force publique, à la suite de sa convocation, comme on l`aurait fait pour n`importe quel justiciable ordinaire.
Et si monsieur MAMBE ne s`est pas présenté ce n`est certainement pas parce qu`il avait des choses à se reprocher, comme a cru devoir le dire monsieur le Procureur de la République, mais c`est tout simplement parce que de par la loi, il ne devait pas se présenter à une telle enquête
D`ailleurs, par lettre adressée au directeur de la police criminelle qui l`avait convoqué, ses avocats ont opposé à celui-ci l`immunité dont monsieur MAMBE est bénéficiaire.
Le Procureur de la République n`a donc pas pu l`entendre. Monsieur MAMBE n`a donc pas pu exercer son droit à la défense qui est un droit de valeur constitutionnelle.
Il est donc surprenant, au regard de ce qui précède que le Procureur de la République déclare monsieur MAMBE coupable.
Non. Monsieur le Procureur de la République ne peut pas déclarer un prévenu coupable. Il ne dispose pas de pouvoirs lui permettant de prendre une telle décision.
Même à supposer que monsieur MAMBE ait pu être traduit devant le Procureur de la République, celui-ci, s`il estime qu`il existe à son encontre des éléments à charge suffisants, ne dispose que du pouvoir de saisir le juge d`instruction ou de le traduire devant une formation de jugement.
Même le juge d`instruction qui est une juridiction ne peut pas déclarer un individu coupable. Il ne peut que le renvoyer en police correctionnelle qui a pouvoir pour juger et décider de la culpabilité.
Cette enquête et ses conclusions sont donc tout à fait singulières en ce qu`elles violent les règles particulières d`organisation et de fonctionnement de la CEI de même que les règles habituelles de procédure en pareille matière.
C`est la raison pour laquelle on est en droit de se demander si les moyens de l`Etat n`ont pas été mis en œuvre pour résoudre un problème qui est loin de la sphère judiciaire.
Au fond
Voir document joint
les journalistes,
je voudrais, au nom des avocats des mis en cause dans l`affaire abusivement appelée "fraude sur la liste électorale", vous remercier d`avoir honoré de votre présence cette rencontre de clarification.
Nous envisageons de faire, dans un premier temps, des observations sur la procédure telle qu`engagée dans cette affaire, puis dans un second temps, nous toucherons au fond pour montrer en quoi il n`y a pas eu fraude contrairement à ce que le Procureur de la République laisse croire.
I/ De la procédure
Les observations porteront sur les points ci-après:
Les conditions de la saisine du procureur de la République; La saisine de la police criminelle par le Procureur;
Le rapport fait à la presse;
Les conclusions du rapport ;
A) Les conditions de la saisine du procureur de la République
Le samedi 9 janvier 2010, dans un communiqué, le porte-parole du Président de la République, monsieur Coulibaly Gervais a annoncé à la télévision ivoirienne que le Président de la CEI, monsieur BEUGRE MAMBE s`est rendu coupable de fraude sur les listes électorales provisoires pour avoir inséré, unilatéralement, 429 000 personnes en dehors des procédures prescrites en la matière.
Alors que le Premier Ministre Guillaume SORO, saisi, a invité toutes les parties à l`apaisement se faisant fort de conduire le processus à son terme dans la transparence, le Ministre de l`Intérieur Désiré TAGRO, dans un communiqué télévisé en date du 14 janvier 2010, annonçait qu`il avait saisi le Procureur de la République pour diligenter une enquête à l`effet:
"Premièrement, de vérifier si une entreprise parallèle du traitement des données de la liste électorale a été mise sur pied en dehors de la SAGEM et de l`INS, opérateurs techniques désignés par les accords de paix et les lois de la République;
Deuxièmement, d`indiquer les noms et le nombre de personnes qui ont pris l`initiative de cette entreprise et qui y ont participé;
Troisièmement, de vérifier si cette entreprise avait pour objet de faire des ajouts, des rajouts ou des soustractions sur la liste électorale;
Quatrièmement, de déterminer le mécanisme par lequel cette entreprise entendait parvenir à cette fin;
Cinquièmement enfin, de déterminer la date exacte de la mise en place de cette entreprise et les activités qu`elle a entreprises sur la liste électorale avant l`opération. "
Eu égard à son contenu, c`est une véritable injonction qui est adressée à monsieur le Procureur de la République par le Ministre de l`Intérieur.
Manifestement cette injonction du Ministre de l`Intérieur est illégale en ce qu`elle viole les articles 36 et 37 du code de procédure pénale.
En effet, aux termes des dispositions de l`article 36, "le Ministre de la justice peut dénoncer au Procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre d`engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le Ministre juge opportunes. "
Quant à l`article 37, il dispose que "le Procureur Général a autorité sur tous les officiers du ministère public du ressort de la cour d`appel.
A l`égard de ces magistrats il a les mêmes prérogatives que celles reconnues au ministre de la Justice à l`article précédent."
Il résulte de ce qui précède que seul le ministre de la Justice peut faire injonction aux procureurs d`engager des poursuites.
En exécution de l`injonction manifestement illégale du Ministre de l`intérieur, le Procureur de la République a saisi la police criminelle aux fins d`enquête.
La saisine de la Police criminelle
Le Procureur de la République saisi, dans les conditions qui viennent d`être décrites a confié l`enquête à la police criminelle.
Or, aux termes des dispositions de l`article 612 du code de procédure pénale, en matière de faux en écriture publique, c`est le Procureur de la République luimême qui se déplace pour prendre possession des pièces arguées de faux ou se les fait communiquer. Après quoi, par réquisitoire, il saisit le juge d`instruction pour l`ouverture d`une information.
Il ne peut déléguer ses pouvoirs à un officier de police judiciaire.
En effet aux termes des dispositions dudit texte, "Lorsqu`il est porté à la connaissance du procureur de la République qu`une pièce arguée de faux figure dans un dépôt public ou a été établie dans un dépôt public, le Procureur de la République peut se transporter dans ce dépôt pour procéder à tous examens et vérifications.
Le procureur de la République ne peut déléguer les pouvoirs cidessus à un officier de police judiciaire.
Le procureur de la République peut, en cas d`urgence, ordonner le transport au greffe des documents suspectés."
Or en l`espèce, en violation des dispositions de l`article 612 susvisé, la direction de la police criminelle a été saisie pour diligenter l`enquête sous l`autorité du Procureur de la République.
Là aussi, il y a manifestement violation du code de procédure pénale.
Le rapport fait à la presse
En faisant son rapport à la presse, on est en droit de s`interroger sur la nature de la déclaration qui a été lue par le Procureur de la République.
Le Procureur de la République commence sa déclaration ainsi qu`il suit: "Mesdames et messieurs les journalistes, j`ai l`honneur de vous rendre compte du résultat de l`enquête sur les fraudes commises sur la liste électorale par le bureau de la Commission Centrale de la Commission électorale Indépendante."
Ainsi, c`est à la presse que le procureur de la République rend compte des résultats de son enquête alors même que cette enquête n`a pas été commandée par la presse et qu`en plus la presse n`est pas le destinataire habituel des enquêtes du Procureur de la République.
En effet, en matière de faux en écriture publique et aux termes des dispositions des articles 612 et suivants du code de procédure pénale, lorsque le parquet diligente une enquête à l`effet de se faire remettre les pièces arguées de faux, c`est à l`effet de saisir le juge d`instruction, en cas de nécessité, qui va instruire le dossier à charge et à décharge.
Le destinataire des conclusions est donc le juge d`instruction, si le procureur estime nécessaire d`ouvrir une information.
Aucune disposition de la loi n`autorise le Procureur de la République à animer une conférence de presse pour livrer les conclusions des enquêtes préliminaires conduites sous son autorité. Bien au contraire, aux termes des dispositions de l`article 11 du code de procédure pénale, "Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l`enquête et de l`instruction est secrète."
Curieusement, c`est à la presse et donc au public qu`il est rendu compte des conclusions d`une enquête.
Il y a là également violation du code de procédure pénale.
Les conclusions du rapport
Le rôle de la CEI dans l`établissement de la liste électorale
En examinant les conclusions du rapport du Procureur de la république, nulle part, il n`a fait état d`une déclaration de reconnaissance par monsieur MAMBE des faits incriminés.
Curieusement, c`est toujours par personne interposée que monsieur MAMBE aurait donné telle instruction. Ce qui est tout à fait insuffisant pour tirer les conclusions auxquelles il est parvenu.
Le Procureur de la République en prétextant que la CEI n`a pas compétence pour faire des croisements a conclu que l`ayant fait, alors il y a fraude.
Par cette conclusion le Procureur laisse croire que la CEI n`intervient pas dans le processus d`établissement de la liste électorale.
Une telle conclusion est, pourtant, contredite par les dispositions des articles 4 et 6 du décret n°2008-136 du 14 avril 2008 fixant les modalités d`établissement de la nouvelle liste électorale de même que par l`article 3 du décret 2008-135 du 14 avril 2008 fixant les modalités de la collaboration entre l`INS et la SAGEM sous l`autorité et la responsabilité de la CEI.
En effet, l`article 4 dispose: "Sous la responsabilité de la commission Electorale Indépendante, l`inscription sur la nouvelle liste électorale est établie par l`Institut National de la Statistique et la société SAGEM-SECURITE."
Quant à l`article 6, il dispose: "Sous l`autorité de la commission Electorale Indépendante, l`Institut National de la Statistique et la société SAGEM-SECURITE exécutent les opérations d`inscription sur la liste électorale."
L`article 3 du décret n02008-135 du 14 avril 2008 dispose, quant à lui, que "la collaboration entre l`INS et la société SAGEM-Sécurité, est faite sous l`autorité et la responsabilité de la CEI, conformément à l`Accord de Ouagadougou.
Dans ce cas la CEI en assure la maîtrise d`ouvrage... "
II résulte de ce qui précède que la CEI, en sa qualité de maître d`ouvrage, est impliquée dans le processus d`étab1issement de la liste électorale.
La recommandation
En guise de conclusions, le Procureur de la République fait plutôt une recommandation qui est la suivante: "Il convient donc de faire procéder à une expertise des listes à compter de la date de la mission des techniciens de la CEI sur le terrain et en tenant compte des CD incriminés pour extirper ces pétitionnaires litigieux de la liste électorale en cours."
N`est-il pas surprenant qu`une enquête criminelle qui établit qu`il y a eu faute tombant sous le coup de la loi pénale aboutisse à une recommandation alors qu`en pareille circonstance, la faute ayant été retenue par le parquet, il s`agit d`un renvoi en police correctionnelle?
Si l`enquête diligentée devait aboutir à des recommandations n`était-ce pas une enquête administrative qu`il eut fallu?
Au demeurant, dès l`entame de la déclaration, on est frappé par l`affirmation de monsieur le Procureur de la République au sujet de l`existence des fraudes et des personnes qui les ont commises, ce que l`enquête a, précisément, pour objet d`établir.
En effet, lors de sa conférence de presse, le Procureur de la République a déclaré ce qui suit: "Mesdames et messieurs les journalistes, j`ai l`honneur de vous rendre compte du résultat de l`enquête sur les fraudes commises sur la liste électorale par le bureau de la Commission Centrale de la Commission électorale Indépendante."
On se demande alors pourquoi monsieur le Procureur de la République a perdu, si on peut se le permettre, du temps pour diligenter une enquête dès lors qu`il affirme que les fraudes existent et qu`il a connaissance des personnes qui les ont commises.
On comprend donc le contenu du rapport d`où il apparaît évident que l`enquête a été diligentée exclusivement à charge. Le Procureur de la République n`enquêtait-il pas sur des fraudes déjà établies et les auteurs connus. ?
Mais même en pareille circonstance, le procureur ne peut affirmer que les mis en cause sont coupables en raison de la présomption d`innocence dont bénéficie chaque citoyen.
En effet, aux termes des dispositions de l`article 22 de la Constitution ivoirienne, "Nul ne peut être arbitrairement détenu.
Tout prévenu est présumé innocent jusqu`à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d`une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa défense."
Monsieur MAMBE et tous les autres sont donc présumés innocents. Seul un tribunal régulièrement saisi peut les déclarer coupables à la suite d`un procès équitable au cours duquel ils ont pu se défendre.
Or en l`espèce, monsieur MAMBE ne peut être traduit devant un quelconque tribunal puisqu`il est couvert par une immunité en application des dispositions de l`article 25 de la loi n°2004-642 du 14 décembre 204 modifiant la loi n°2001-634 du 9 octobre 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Electorale Indépendante.
A ce sujet, pour justifier les poursuites contre monsieur MAMBE, le Procureur de la République avait annoncé publiquement que les membres de la CEI ne bénéficient plus de l`immunité depuis la décision n°2005-06/PR du 15 juillet 2005.
Il s`agit là d`une erreur manifeste d`analyse des dispositions de cette décision. En effet, l`immunité dont bénéficient les membres de la CEI est prévue par l`article 25 de la loi n°2004-642 du 14 décembre 2004 modifiant la loi n°2001-634 du 9 février 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la CEI.
L`article 23 de cette même loi prescrivait, quant à lui, les conditions de révocation des membres de la CEI
En 2005, il s`est agi de renforcer la protection des membres de la CEI et donc leur indépendance en expurgeant de l`article 23, relatif aux conditions de révocation, la possibilité d`une révocation par le Conseil constitutionnel.
Il est manifeste que c`est par inadvertance que l`article 25, qui a pour objet l`immunité des membres de la CEI, a été visé, plutôt que l`article 23. C`est la raison pour laquelle dans le texte actuels articles 23 et 25 ont le même objet.
Au demeurant, le législateur ne peut pas vouloir renforcer la protection des membres de la CEI en supprimant l`immunité dont ils bénéficient.
C`est donc une grossière anomalie qui devrait être corrigée.
En tout état de cause, l`article 2 de la décision 2005-06 dispose que les dispositions antérieures qui lui sont contraires sont abrogées.
Or, cette décision présidentielle ne contient aucune disposition contraire à l`article 25 de la loi qui consacre l`immunité.
Il en résulte que les membres de la CEI bénéficient bel et bien de l`immunité.
Il suit de tout ce qui précède que les poursuites envisagées et même entreprises n`ont pas lieu d`être.
Le Procureur qui a compris cela par la suite n`a pas ordonné que monsieur MAMBE soit traduit devant lui par la force publique, à la suite de sa convocation, comme on l`aurait fait pour n`importe quel justiciable ordinaire.
Et si monsieur MAMBE ne s`est pas présenté ce n`est certainement pas parce qu`il avait des choses à se reprocher, comme a cru devoir le dire monsieur le Procureur de la République, mais c`est tout simplement parce que de par la loi, il ne devait pas se présenter à une telle enquête
D`ailleurs, par lettre adressée au directeur de la police criminelle qui l`avait convoqué, ses avocats ont opposé à celui-ci l`immunité dont monsieur MAMBE est bénéficiaire.
Le Procureur de la République n`a donc pas pu l`entendre. Monsieur MAMBE n`a donc pas pu exercer son droit à la défense qui est un droit de valeur constitutionnelle.
Il est donc surprenant, au regard de ce qui précède que le Procureur de la République déclare monsieur MAMBE coupable.
Non. Monsieur le Procureur de la République ne peut pas déclarer un prévenu coupable. Il ne dispose pas de pouvoirs lui permettant de prendre une telle décision.
Même à supposer que monsieur MAMBE ait pu être traduit devant le Procureur de la République, celui-ci, s`il estime qu`il existe à son encontre des éléments à charge suffisants, ne dispose que du pouvoir de saisir le juge d`instruction ou de le traduire devant une formation de jugement.
Même le juge d`instruction qui est une juridiction ne peut pas déclarer un individu coupable. Il ne peut que le renvoyer en police correctionnelle qui a pouvoir pour juger et décider de la culpabilité.
Cette enquête et ses conclusions sont donc tout à fait singulières en ce qu`elles violent les règles particulières d`organisation et de fonctionnement de la CEI de même que les règles habituelles de procédure en pareille matière.
C`est la raison pour laquelle on est en droit de se demander si les moyens de l`Etat n`ont pas été mis en œuvre pour résoudre un problème qui est loin de la sphère judiciaire.
Au fond
Voir document joint