A la demande du secteur privé, le président de la Chambre de commerce et d'industrie de Côte d'Ivoire (Cci-ci), Jean-Louis Billon, a donné, hier, au Plateau, lors d'une conférence de presse, la position des opérateurs économiques sur les maux qui minent le monde des affaires. La crise de l'énergie et les délestages, la hausse du prix du carburant, les incendies récurrents, le nouveau permis de conduire…, tous les sujets brûlants sont passés au crible dans la salle de conférences de cette institution. Jean-Louis Billon est resté fidèle à son style linguistique : incisif.
Crise énergétique et délestages
“(…) Nous sommes arrivés à cette situation qui révolte, il faut le dire, la grande majorité des citoyens et en particulier les opérateurs économiques, par une faute de prévoyance de l'Etat. Il était connu de tous. Et la Cie (Compagnie ivoirienne d'électricité, ndlr) a interpellé les autorités, ici, même à la Chambre de commerce et d'industrie, il y a plus de quatre (4) ans, que les investissements devaient être faits, faute de quoi, nous allons arriver à un déficit d'électricité et la part d'investissement que devait faire l'Etat n'a pas été faite. Aujourd'hui, s'il est vrai qu'il ya des pannes au niveau des turbines d'Azito (la centrale thermique d'Azito, ndlr) et de Ciprel (Compagnie ivoirienne de production d'électricité, ndlr) et que le barrage est endommagé, il n'en reste pas moins que nous aurions pu éviter cette situation-là. Nous sommes à plus de 10 ans de crise que nous traversons. 10 ans, c'est long. Les seules victimes de la crise ivoirienne restent les acteurs économiques et la population ivoirienne. Nous, contribuables, finançons le processus de sortie de crise parce qu'il ne faut pas oublier que depuis de nombreuses années, nous étions coupés de relations avec les bailleurs de fonds et c'est l'activité économique locale qui finance la sortie de crise. Mais, cette sortie de crise est longue et coûteuse et on a l'impression que beaucoup prennent leur temps. Les conséquences sont aujourd'hui ce que nous vivons. Il y a d'énormes problèmes de gouvernance, d'énormes problèmes de gestion de la chose publique et une répercussion sur l'économie et nos activités sont tous les jours de plus en plus dramatiques. (…). Les conséquences sur l'activité économique sont pires que ce que nous avons connu en 1983. En 1983, cela avait duré trois (3) à quatre (4) mois. Aujourd'hui, quand les turbines seront réparées, on pourra momentanément retrouver une capacité d'alimentation en énergie, mais si on ne répond pas aux besoins d'investissement existant au niveau de la Côte d'Ivoire à savoir une augmentation de 100 Mw tous les deux (2) ans. Si on ne répond pas à cela, on sera confronté au même problème dans quelques années voire dans quelques mois. Des hôteliers, des industriels… sont obligés de cesser leurs activités faute d'électricité ; des morts se décomposent à la morgue faute d'électricité. Des équipes entières sur les trois (3) nuits qui ne travaillent pas parce que l'usine ne fonctionnant pas, nous sommes obligés de laisser les travailleurs de côté et de reprendre l'activité au petit matin ou le surlendemain. (…). Ces coupures ont des conséquences sur l'ensemble de la vie de chacun de nous. Nous connaissons des problèmes de coût de la vie et cette situation va majorer ce coût de la vie. Parce que quand nous basculons sur le groupe électrogène, c'est 3 à 4 fois supérieur au coût de l'électricité. Et cela sera forcément répercuté sur les produits.
Hausse du prix du carburant
En même temps que le délestage intervient, il y a augmentation du prix des hydrocarbures. Le pétrole a augmenté, le gasoil aussi, sans omettre le super sans plomb. Le transport va augmenter et quand nous sommes obligés d'arrêter une usine quelque temps avant l'interruption de l'électricité et de rependre quelques instants après le retour du courant, votre temps d'arrêt est donc beaucoup plus important que le temps de délestage. Les personnes qui ne travailleront pas n'auront pas de salaire. Celles-ci vont consommer moins, vous comprenez donc que cela aura des conséquences sur l'ensemble des activités. (…) Depuis quelques années, nous interpellons sur le racket, les barrages qui continuent malgré l'organisation d'un comité d'observation de la fluidité routière au niveau de l'Etat. Nous ne voyons pas la volonté de l'Etat de mettre fin à cette pratique. Vous devez retourner à Bassam, votre lieu d'habitation, la nuit, vous êtes obligés de négocier votre sortie d'Abidjan. Quand un avion arrive tardivement et certains de ses passagers doivent rejoindre leur hôtel à Bassam, il faut négocier à des barrages. Comment voulez-vous que dans ces conditions, on puisse développer un tourisme local ? Ce racket, je le dis, continue, malgré nos interpellations. Et pour y mettre un terme, il faut de la volonté politique, ce qui manque. Et malgré le fait qu'on ait bien montré au niveau de la Banque mondiale, c'est entre 150 et 300 milliards F qui sont pris sur les routes. (…) Les problèmes de gouvernance nous inquiètent et sont insultants pour la dignité des ivoiriens.
Incendies récurrents
Nos amis commerçants subissent des incendies depuis de nombreuses années au niveau des marchés. Le marché black (Black market, ndlr) vient de brûler pour la 2e fois en l'espace de trois (3) ans. Nous avions interpellé à l'époque, rien, rien n'a été mis en place pour éviter que les incendies ne se reproduisent dans les marchés. Il faut savoir qu'il y a eu des incendies de marchés depuis de nombreuses années. Ce sont environ 49 incendies détectés. Neuf (9) incendies ont été enregistrés entre les années 80 et 99. Ces 10 dernières années, il y a eu 40 incendies. C'est vous dire l'état de dégradation avancée de nos infrastructures et le manque de réactivité que peuvent avoir nos sapeurs pompiers militaires, tout simplement parce qu'ils n'ont pas de moyens. Il y a à Abidjan, trois (3) casernes de pompiers, nous les avions déjà dans les années 80. Sauf qu'Abidjan avait 2 millions d'habitants et aujourd'hui, nous approchons les 7 millions pour le nombre de casernes avec moins de matériel qu'au départ…Un incendie dans une tour au Plateau, tout le monde est perdu parce que les pompiers n'ont pas d'échelle pour accéder à une certaine hauteur…Les contribuables que nous sommes sont en droit de recevoir un service public de qualité. C'est pour cela que nous payons nos impôts. Si nous avons des devoirs, nous avons aussi des droits. En retour, un contribuable est en droit d'attendre la sécurité, la justice, l'éducation, des transports en commun de qualité, la santé. En retour, nous ne recevons rien de tout cela…Si on se rend compte que le marché se déplace sur la route, c'est parce qu'il n'y a pas suffisamment de marchés. (…). Nous continuons de payer la facture de la crise pendant que nous assistons à une dégradation de la situation politique et nous ne voyons pas de sortie de crise imminente. La nouvelle loi de finances va nous majorer une contribution de sortie de crise. Nous payons depuis un certain nombre d'années une contribution pour la reconstruction nationale, mais depuis des années, nous ne voyons rien de reconstruit. Donc, nous finançons le processus de sortie de crise, en un mot, nous finançons le train de vie de l'Etat. Mais ce train de vie de l'Etat ne diminue pas malgré la paupérisation grandissante en Côte d'Ivoire. Si nous faisons certains sacrifices, je pense que la plus grande part de sacrifices doit être montrée par ceux qui sont au gouvernement et qui montrent de trop grand train de vie. Comme vous le constatez.
Le permis de conduire, format carte de crédit
Tout ce que je dis ayant été mentionné au cours de notre dernière assemblée générale, nous y avons évoqué la problématique du nouveau permis de conduire. Ce nouveau permis qui coûte environ 30.000 F vient remplacer l'ancien qu'on dit ne plus être valable. Avec environ 1 million de permis de conduire, cela fait 30 milliards F. Pour ceux qui ont eu leur permis de conduire il y a un certain nombre d'années, c'est marqué dessus "permanent". Il y a un principe universel de droit, qui est la non-rétroactivité (des lois). Si on décide de faire un nouveau permis, cela s'adresse à ceux qui font leur permis nouvellement ou ceux qui veulent refaire volontairement un autre permis de conduire. On ne peut pas légalement imposer à tous de refaire le permis. C'est illégal ! La Côte d'Ivoire prend une décision illégale. Nous interpellons donc les ministres des Transports, de la Justice et de l'Intégration africaine. Nous avons un permis format Cedeao. Et puisque la Cedeao travaille en ce moment même sur un nouveau format de permis de conduire qui va concerner l'ensemble des pays de la Cedeao. La Côte d'Ivoire faisant partie de la Cedeao, nous sommes en train de faire un permis qui, dans peu de temps, ne sera plus valable. Allons-nous demander à tous de refaire un nouveau permis ? Comme si nos transporteurs, nos populations étaient les plus riches du monde ? J'ai décidé de faire le nouveau permis de conduire. (…) Nous avons des données sur une puce que seule Starten concessionnaire peut lire. Aucun policier ici n'a d'appareil pour lire ces données contenues sur cette puce. Aux Etats-Unis ou en Allemagne, les policiers ont des terminaux pour lire les données sur la puce. Je n'ai pas encore vu cela chez nos forces de l'ordre. Alors, on nous impose des outils aussi onéreux. Le processus de sortie de crise est long et onéreux. L'élection, nous le savons, va être l'élection la plus chère au monde. Nous avons la pièce d'identité la plus chère du monde. Cette pièce, nous ne l'avons d'ailleurs qu'en théorie puisque nous ne l'avons pas encore en main. Depuis 1999, aucun Ivoirien n'est en possession d'une nouvelle pièce d'identité. Et pourtant, quand vous vous rendez dans une banque, on vous demande votre pièce d'identité pour pouvoir certifier votre opération. (…) Les dysfonctionnements sont nombreux…Nous avons les documents à l'exportation les plus chers au monde aujourd'hui. Le renouvellement du code d'exportation est passé de 10.000 F à 30.000 F ; la licence d'importation occasionnelle qui était à 10.000 F est à 50.000 F ; le carnet de 50.000 F est passé à 2,5 millions F…Je ne pense pas qu'un commerçant puisse faire une telle inflation et penser pouvoir vendre ses produits en Côte d'Ivoire. Pourquoi les chèques ne seraient plus valables ? Pourquoi les paiements par carte ne seraient-ils pas valables ? (…) Nous avons des données biométriques dans les permis de conduire sans qu'on sache quoi faire de ces données. Au niveau de la Douane, alors que la Chambre de commerce est caution au niveau du transit inter-Etats, la douane, de façon unilatérale, décide de suspendre le Trie (transit inter-Etats, ndlr) alors que le Trie a été signé par les chefs d'Etat de la Cedeao. Il n'y a alors que les chefs d'Etat qui peuvent prendre une décision d'arrêter ou de sortir ou d'entrer dans ce dispositif. On a un Dg (directeur général, ndlr) des douanes qui décide comme s'il avait une signature de chef d'Etat. (…) C'est dommage que nous n'ayons pas fêté les 25 ans d'indépendance en 1985, parce que le bilan en ce moment-là était encore positif. Aujourd'hui, nous allons célébrer les 50 ans d'indépendance et 50 ans, c'est l'heure des bilans. Nous allons y participer véritablement pour faire le bilan, pour se remettre en question et se projeter sur l'avenir. Pour enfin être au rendez-vous du développement. A force de ne gérer que la crise ivoirienne, on oublie ce qui est fondamental et ce qui est essentiel pour nous tous, le bien-être des Ivoiriens. Ce qui importe pour la Côte d'Ivoire et tous les pays voisins, c'est le développement économique. Le processus de développement est arrêté depuis de trop nombreuses années : dégradation des systèmes judiciaire, scolaire et universitaire, dégradation des infrastructures. Tout cela a de fortes répercussions sur la compétitivité de notre économie. Et nous ne pouvons pas nous permettre d'être compétitifs si nous ne reprenons pas le processus de développement. (…) Pour revenir sur le délestage, il faut savoir que ce que nous vivons à Abidjan n'est rien à côté de ce que vivent les populations de l'intérieur. A l'intérieur, ce n'est pas 6, 8, 10 heures de coupure d'électricité, ce sont 32 h, 48h, 72h selon la zone. Il n'y a pas d'électricité, ni d'eau. Les conséquences sont terribles. Je pense qu'aujourd'hui (hier, ndlr) il y a une réunion de ceux qui gèrent la crise qui a suffisamment duré. Si nous n'en sortons pas au plus vite, l'économie va s'effondrer de plus en plus. Nous avons eu certes une légère croissance ces dernières années. Mais elle ne s'est pas traduite en développement. Elle est repartie dans le financement de la crise. C'est-à-dire que nos efforts permettent de financer quelque chose qui ne s'améliore pas. N'importe quel opérateur économique qui finance une activité qui n'est pas rémunératrice pour des années, est amené à arrêter cette activité. Si nous acceptons de continuer, c'est parce que nous avons espoir et que nous ne pouvons pas faire autrement. Mais ceux qui ont obligation de nous sortir de la crise, nous devons les juger parce qu'ils ont une obligation de résultats. Lorsque j'ai entendu l'autre matin le Premier ministre dire que ce qui importe pour nous, ce n'est pas trop une date, mais des élections propres, transparentes, paisibles, c'était valable en octobre 2005, mais nous sommes en 2010. Cela fait 5 ans que les élections auraient dû avoir lieu. Ceux qui disent qu'il ne faut pas se précipiter, je ne sais plus de quelle précipitation ils parlent. (…). Nous ne sommes pas le seul pays en crise sur la terre. Nous ne sommes pas les seuls à connaître une rébellion, mais ce n'est pas pour autant que le système s'arrête. Des pays connaissent des crises plus graves. (…) Mais le système ne s'arrête pas. Aujourd'hui, un discours politique moderne est un discours économique. Car, vous le savez, c'est l'économie qui fait vivre la politique. La presse doit interpeller les hommes politiques. Elle doit jouer son rôle de 4e pouvoir dans le pays. Nous ne ferons pas de grève parce que nous ne sommes pas un syndicat, mais nous ne devons pas continuer à payer seuls les conséquences de cette crise.
Voilà ce que nous avons arrêté à notre dernière assemblée et ce qu'on m'a demandé de dire à la presse pour manifester notre mécontentement”.
Le président de la Chambre de commerce et d'industrie de Côte d'Ivoire, Jean-Louis Billon, a reçu le soutien de plusieurs syndicats et associations professionnelles du secteur privé.
Propos retranscrits par Parfait Tadjau
Crise énergétique et délestages
“(…) Nous sommes arrivés à cette situation qui révolte, il faut le dire, la grande majorité des citoyens et en particulier les opérateurs économiques, par une faute de prévoyance de l'Etat. Il était connu de tous. Et la Cie (Compagnie ivoirienne d'électricité, ndlr) a interpellé les autorités, ici, même à la Chambre de commerce et d'industrie, il y a plus de quatre (4) ans, que les investissements devaient être faits, faute de quoi, nous allons arriver à un déficit d'électricité et la part d'investissement que devait faire l'Etat n'a pas été faite. Aujourd'hui, s'il est vrai qu'il ya des pannes au niveau des turbines d'Azito (la centrale thermique d'Azito, ndlr) et de Ciprel (Compagnie ivoirienne de production d'électricité, ndlr) et que le barrage est endommagé, il n'en reste pas moins que nous aurions pu éviter cette situation-là. Nous sommes à plus de 10 ans de crise que nous traversons. 10 ans, c'est long. Les seules victimes de la crise ivoirienne restent les acteurs économiques et la population ivoirienne. Nous, contribuables, finançons le processus de sortie de crise parce qu'il ne faut pas oublier que depuis de nombreuses années, nous étions coupés de relations avec les bailleurs de fonds et c'est l'activité économique locale qui finance la sortie de crise. Mais, cette sortie de crise est longue et coûteuse et on a l'impression que beaucoup prennent leur temps. Les conséquences sont aujourd'hui ce que nous vivons. Il y a d'énormes problèmes de gouvernance, d'énormes problèmes de gestion de la chose publique et une répercussion sur l'économie et nos activités sont tous les jours de plus en plus dramatiques. (…). Les conséquences sur l'activité économique sont pires que ce que nous avons connu en 1983. En 1983, cela avait duré trois (3) à quatre (4) mois. Aujourd'hui, quand les turbines seront réparées, on pourra momentanément retrouver une capacité d'alimentation en énergie, mais si on ne répond pas aux besoins d'investissement existant au niveau de la Côte d'Ivoire à savoir une augmentation de 100 Mw tous les deux (2) ans. Si on ne répond pas à cela, on sera confronté au même problème dans quelques années voire dans quelques mois. Des hôteliers, des industriels… sont obligés de cesser leurs activités faute d'électricité ; des morts se décomposent à la morgue faute d'électricité. Des équipes entières sur les trois (3) nuits qui ne travaillent pas parce que l'usine ne fonctionnant pas, nous sommes obligés de laisser les travailleurs de côté et de reprendre l'activité au petit matin ou le surlendemain. (…). Ces coupures ont des conséquences sur l'ensemble de la vie de chacun de nous. Nous connaissons des problèmes de coût de la vie et cette situation va majorer ce coût de la vie. Parce que quand nous basculons sur le groupe électrogène, c'est 3 à 4 fois supérieur au coût de l'électricité. Et cela sera forcément répercuté sur les produits.
Hausse du prix du carburant
En même temps que le délestage intervient, il y a augmentation du prix des hydrocarbures. Le pétrole a augmenté, le gasoil aussi, sans omettre le super sans plomb. Le transport va augmenter et quand nous sommes obligés d'arrêter une usine quelque temps avant l'interruption de l'électricité et de rependre quelques instants après le retour du courant, votre temps d'arrêt est donc beaucoup plus important que le temps de délestage. Les personnes qui ne travailleront pas n'auront pas de salaire. Celles-ci vont consommer moins, vous comprenez donc que cela aura des conséquences sur l'ensemble des activités. (…) Depuis quelques années, nous interpellons sur le racket, les barrages qui continuent malgré l'organisation d'un comité d'observation de la fluidité routière au niveau de l'Etat. Nous ne voyons pas la volonté de l'Etat de mettre fin à cette pratique. Vous devez retourner à Bassam, votre lieu d'habitation, la nuit, vous êtes obligés de négocier votre sortie d'Abidjan. Quand un avion arrive tardivement et certains de ses passagers doivent rejoindre leur hôtel à Bassam, il faut négocier à des barrages. Comment voulez-vous que dans ces conditions, on puisse développer un tourisme local ? Ce racket, je le dis, continue, malgré nos interpellations. Et pour y mettre un terme, il faut de la volonté politique, ce qui manque. Et malgré le fait qu'on ait bien montré au niveau de la Banque mondiale, c'est entre 150 et 300 milliards F qui sont pris sur les routes. (…) Les problèmes de gouvernance nous inquiètent et sont insultants pour la dignité des ivoiriens.
Incendies récurrents
Nos amis commerçants subissent des incendies depuis de nombreuses années au niveau des marchés. Le marché black (Black market, ndlr) vient de brûler pour la 2e fois en l'espace de trois (3) ans. Nous avions interpellé à l'époque, rien, rien n'a été mis en place pour éviter que les incendies ne se reproduisent dans les marchés. Il faut savoir qu'il y a eu des incendies de marchés depuis de nombreuses années. Ce sont environ 49 incendies détectés. Neuf (9) incendies ont été enregistrés entre les années 80 et 99. Ces 10 dernières années, il y a eu 40 incendies. C'est vous dire l'état de dégradation avancée de nos infrastructures et le manque de réactivité que peuvent avoir nos sapeurs pompiers militaires, tout simplement parce qu'ils n'ont pas de moyens. Il y a à Abidjan, trois (3) casernes de pompiers, nous les avions déjà dans les années 80. Sauf qu'Abidjan avait 2 millions d'habitants et aujourd'hui, nous approchons les 7 millions pour le nombre de casernes avec moins de matériel qu'au départ…Un incendie dans une tour au Plateau, tout le monde est perdu parce que les pompiers n'ont pas d'échelle pour accéder à une certaine hauteur…Les contribuables que nous sommes sont en droit de recevoir un service public de qualité. C'est pour cela que nous payons nos impôts. Si nous avons des devoirs, nous avons aussi des droits. En retour, un contribuable est en droit d'attendre la sécurité, la justice, l'éducation, des transports en commun de qualité, la santé. En retour, nous ne recevons rien de tout cela…Si on se rend compte que le marché se déplace sur la route, c'est parce qu'il n'y a pas suffisamment de marchés. (…). Nous continuons de payer la facture de la crise pendant que nous assistons à une dégradation de la situation politique et nous ne voyons pas de sortie de crise imminente. La nouvelle loi de finances va nous majorer une contribution de sortie de crise. Nous payons depuis un certain nombre d'années une contribution pour la reconstruction nationale, mais depuis des années, nous ne voyons rien de reconstruit. Donc, nous finançons le processus de sortie de crise, en un mot, nous finançons le train de vie de l'Etat. Mais ce train de vie de l'Etat ne diminue pas malgré la paupérisation grandissante en Côte d'Ivoire. Si nous faisons certains sacrifices, je pense que la plus grande part de sacrifices doit être montrée par ceux qui sont au gouvernement et qui montrent de trop grand train de vie. Comme vous le constatez.
Le permis de conduire, format carte de crédit
Tout ce que je dis ayant été mentionné au cours de notre dernière assemblée générale, nous y avons évoqué la problématique du nouveau permis de conduire. Ce nouveau permis qui coûte environ 30.000 F vient remplacer l'ancien qu'on dit ne plus être valable. Avec environ 1 million de permis de conduire, cela fait 30 milliards F. Pour ceux qui ont eu leur permis de conduire il y a un certain nombre d'années, c'est marqué dessus "permanent". Il y a un principe universel de droit, qui est la non-rétroactivité (des lois). Si on décide de faire un nouveau permis, cela s'adresse à ceux qui font leur permis nouvellement ou ceux qui veulent refaire volontairement un autre permis de conduire. On ne peut pas légalement imposer à tous de refaire le permis. C'est illégal ! La Côte d'Ivoire prend une décision illégale. Nous interpellons donc les ministres des Transports, de la Justice et de l'Intégration africaine. Nous avons un permis format Cedeao. Et puisque la Cedeao travaille en ce moment même sur un nouveau format de permis de conduire qui va concerner l'ensemble des pays de la Cedeao. La Côte d'Ivoire faisant partie de la Cedeao, nous sommes en train de faire un permis qui, dans peu de temps, ne sera plus valable. Allons-nous demander à tous de refaire un nouveau permis ? Comme si nos transporteurs, nos populations étaient les plus riches du monde ? J'ai décidé de faire le nouveau permis de conduire. (…) Nous avons des données sur une puce que seule Starten concessionnaire peut lire. Aucun policier ici n'a d'appareil pour lire ces données contenues sur cette puce. Aux Etats-Unis ou en Allemagne, les policiers ont des terminaux pour lire les données sur la puce. Je n'ai pas encore vu cela chez nos forces de l'ordre. Alors, on nous impose des outils aussi onéreux. Le processus de sortie de crise est long et onéreux. L'élection, nous le savons, va être l'élection la plus chère au monde. Nous avons la pièce d'identité la plus chère du monde. Cette pièce, nous ne l'avons d'ailleurs qu'en théorie puisque nous ne l'avons pas encore en main. Depuis 1999, aucun Ivoirien n'est en possession d'une nouvelle pièce d'identité. Et pourtant, quand vous vous rendez dans une banque, on vous demande votre pièce d'identité pour pouvoir certifier votre opération. (…) Les dysfonctionnements sont nombreux…Nous avons les documents à l'exportation les plus chers au monde aujourd'hui. Le renouvellement du code d'exportation est passé de 10.000 F à 30.000 F ; la licence d'importation occasionnelle qui était à 10.000 F est à 50.000 F ; le carnet de 50.000 F est passé à 2,5 millions F…Je ne pense pas qu'un commerçant puisse faire une telle inflation et penser pouvoir vendre ses produits en Côte d'Ivoire. Pourquoi les chèques ne seraient plus valables ? Pourquoi les paiements par carte ne seraient-ils pas valables ? (…) Nous avons des données biométriques dans les permis de conduire sans qu'on sache quoi faire de ces données. Au niveau de la Douane, alors que la Chambre de commerce est caution au niveau du transit inter-Etats, la douane, de façon unilatérale, décide de suspendre le Trie (transit inter-Etats, ndlr) alors que le Trie a été signé par les chefs d'Etat de la Cedeao. Il n'y a alors que les chefs d'Etat qui peuvent prendre une décision d'arrêter ou de sortir ou d'entrer dans ce dispositif. On a un Dg (directeur général, ndlr) des douanes qui décide comme s'il avait une signature de chef d'Etat. (…) C'est dommage que nous n'ayons pas fêté les 25 ans d'indépendance en 1985, parce que le bilan en ce moment-là était encore positif. Aujourd'hui, nous allons célébrer les 50 ans d'indépendance et 50 ans, c'est l'heure des bilans. Nous allons y participer véritablement pour faire le bilan, pour se remettre en question et se projeter sur l'avenir. Pour enfin être au rendez-vous du développement. A force de ne gérer que la crise ivoirienne, on oublie ce qui est fondamental et ce qui est essentiel pour nous tous, le bien-être des Ivoiriens. Ce qui importe pour la Côte d'Ivoire et tous les pays voisins, c'est le développement économique. Le processus de développement est arrêté depuis de trop nombreuses années : dégradation des systèmes judiciaire, scolaire et universitaire, dégradation des infrastructures. Tout cela a de fortes répercussions sur la compétitivité de notre économie. Et nous ne pouvons pas nous permettre d'être compétitifs si nous ne reprenons pas le processus de développement. (…) Pour revenir sur le délestage, il faut savoir que ce que nous vivons à Abidjan n'est rien à côté de ce que vivent les populations de l'intérieur. A l'intérieur, ce n'est pas 6, 8, 10 heures de coupure d'électricité, ce sont 32 h, 48h, 72h selon la zone. Il n'y a pas d'électricité, ni d'eau. Les conséquences sont terribles. Je pense qu'aujourd'hui (hier, ndlr) il y a une réunion de ceux qui gèrent la crise qui a suffisamment duré. Si nous n'en sortons pas au plus vite, l'économie va s'effondrer de plus en plus. Nous avons eu certes une légère croissance ces dernières années. Mais elle ne s'est pas traduite en développement. Elle est repartie dans le financement de la crise. C'est-à-dire que nos efforts permettent de financer quelque chose qui ne s'améliore pas. N'importe quel opérateur économique qui finance une activité qui n'est pas rémunératrice pour des années, est amené à arrêter cette activité. Si nous acceptons de continuer, c'est parce que nous avons espoir et que nous ne pouvons pas faire autrement. Mais ceux qui ont obligation de nous sortir de la crise, nous devons les juger parce qu'ils ont une obligation de résultats. Lorsque j'ai entendu l'autre matin le Premier ministre dire que ce qui importe pour nous, ce n'est pas trop une date, mais des élections propres, transparentes, paisibles, c'était valable en octobre 2005, mais nous sommes en 2010. Cela fait 5 ans que les élections auraient dû avoir lieu. Ceux qui disent qu'il ne faut pas se précipiter, je ne sais plus de quelle précipitation ils parlent. (…). Nous ne sommes pas le seul pays en crise sur la terre. Nous ne sommes pas les seuls à connaître une rébellion, mais ce n'est pas pour autant que le système s'arrête. Des pays connaissent des crises plus graves. (…) Mais le système ne s'arrête pas. Aujourd'hui, un discours politique moderne est un discours économique. Car, vous le savez, c'est l'économie qui fait vivre la politique. La presse doit interpeller les hommes politiques. Elle doit jouer son rôle de 4e pouvoir dans le pays. Nous ne ferons pas de grève parce que nous ne sommes pas un syndicat, mais nous ne devons pas continuer à payer seuls les conséquences de cette crise.
Voilà ce que nous avons arrêté à notre dernière assemblée et ce qu'on m'a demandé de dire à la presse pour manifester notre mécontentement”.
Le président de la Chambre de commerce et d'industrie de Côte d'Ivoire, Jean-Louis Billon, a reçu le soutien de plusieurs syndicats et associations professionnelles du secteur privé.
Propos retranscrits par Parfait Tadjau