x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Société Publié le mercredi 10 mars 2010 | L’expression

Grande enquête - Manque d’hygiène, harcèlement sexuel, racket…: Dans la galère des prisonnières de la Maca

La Maca, cette maison de correction, censée être un lieu de rééducation est loin d’assurer ce rôle. Les prisonnières pour ainsi jouir d’un traitement décent, sont obligées de se soumettre aux harcèlements de tous genres.

La Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) est insalubre. Dans la grande cour de la prison, derrière des barreaux, des centaines de personnes cherchent, désespérément, une âme généreuse à l’extérieur à qui elles pourraient exprimer leur galère. D’autres, la main tendue, demandent quelques piécettes aux visiteurs. « Mon vieux, fais-moi grosse ou togo ». Une grosse bâtisse au portail vert, à la lisière de la forêt du Banco, avec ses ‘‘chambres’’ peintes en jaune, c’est là où croupissent de nombreuses femmes. Des détenues dont les conditions de vie laissent à désirer. Dans les couloirs des cellules comme dans la vaste cour, le défilé des proches venus rendre visite à des parents ou amis pensionnaires attire l’attention. Les gardes pénitentiaires suivent le moindre geste des visiteurs de l’entrée la sortie du bagne. « On ne renaît pas à la Maca, on survit en attendant des jours meilleurs », lâche Valérie, 27 ans, titulaire d’un Brevet de technicien supérieur (Bts) en gestion commerciale, qui fait partie des pensionnaires de la Maca depuis quatre mois : « Ici, ça ne sent pas du tout la rose. C’est un endroit infernal qui nous arrache la joie de vivre », soutient-elle, d’un air maussade. Vêtue d’un T-shirt bleu et d’un petit pagne violet défraichi, noué à la hanche, la chevelure de Valérie manque d’entretien. Elle ne trouvera pas ici des produits cosmétiques pour se faire belle. Elle en est consciente. Ce qui la préoccupe, ce sont des moments de liberté dans cette prison, des heures de visite aussi précieuses que l’or. « Lorsque nous avons l’occasion de recevoir des parents hors de la cellule, nous profitons au maximum de l’air pur pour nous oxygéner. A l’intérieur des cellules, c’est la chaleur et la puanteur », note-t-elle. Valérie s’est retrouvée dans cette geôle à la suite d’une scène de jalousie. Elle s’est bagarrée avec une de ses copines qui voulait lui arracher son amant. Au cours de la rixe, elle s’est emparée d’une fourchette qu’elle a plantée dans le sein gauche de sa rivale. Condamnée à cinq mois de prison ferme, elle purge, avec beaucoup de regrets, sa peine derrière les barreaux. « A vrai dire, je n’avais jamais rêvé un jour de passer une seule seconde en prison. Mais par la force des choses, cela est arrivé et j’assume », soupire-t-elle. Avant d’ajouter : « En tout cas, la Maca, c’est un autre monde ». Le soutien familial n’a jamais fait défaut à ‘‘Valé’’. Ce qui allège ses souffrances dans ce lieu considéré par les détenus comme l’enfer sur terre. Ses parents ont, en effet, réussi à soudoyer certains responsables de la maison de correction. Ce procédé lui permet d’échapper aux dures conditions de détention.
Parmi les détenues, on trouve presque toutes les nationalités et tous âges. Des mineures, mais la plupart sont majeures. Aucun chiffre officiel n’a été fourni quant à la population carcérale féminine dans le cadre de notre enquête. Les délits sont de tous ordres : ils vont des infractions (vol, escroquerie, infanticide, coups et blessures, détournement, vente de drogue, faux et usage de faux) aux crimes (meurtre, assassinat, coups mortels). A en croire Z. L. O, une assistante sociale, les causes des méfaits commis par les prisonniers sont généralement liés à la cupidité, la convoitise, la jalousie, la mauvaise compagnie, la pauvreté et l’éducation. Elle pointe aussi du doigt, l’irresponsabilité de certains parents qui abandonnent tôt leurs enfants. Qui sont accueillis par la rue avec ses aventures dangereuses. Pour gérer leur spleen ou le mal de vivre, celles-ci se réfugient dans la spiritualité.
Mahomet et Jésus, deux compagnons fidèles
Selon une autre pensionnaire, Charlotte, 25 ans, la période de privation de la liberté constitue une nouvelle vie à laquelle il faut s’adapter. Elle indique qu’il existe une discrimination à leur niveau. Bien qu’elles sont toutes dans des bâtiments et cellules réservés aux femmes, les fonctionnaires et agents de l’Etat bénéficient particulièrement d’un traitement décent et sont à l’abri de nombreux maux. Selon un greffier qui a requis l’anonymat, ces anciennes de l’administration vivent dans des bâtiments dits des « Assimilés » et bénéficient d’un traitement meilleur aux autres. Mais en raison du surpeuplement de la Maca, toutes les pensionnaires vivent dans la promiscuité. Parlant de la protection de leurs droit, ce greffier explique qu’elles sont à l’abri de toute violation des droits humains contrairement aux révélations de Charlotte. Il indique que des associations de droits de l’Homme leur rendent visite pour constater si elles sont traitées conformément à la dignité humaine, c’est-à-dire avec un minimum de confort moral et matériel. Selon lui, elles bénéficient de certaines conditions comme le droit à la maternité, à la vie religieuse et à la santé. Il explique qu’au niveau de la maternité, il existe un service de santé qui dispense les premiers soins. Lorsque qu’une détenue accouche, elle a la possibilité d’être accompagnée à l’infirmerie en dehors de la prison. Mais sous escorte pour éviter toute évasion. Après l’accouchement, l’enfant reste avec la mère jusqu’à ce qu’il soit récupéré par les parents de la prisonnière. Les détenues reçoivent souvent la visite de certaines communautés religieuses. Notamment les musulmans, évangéliques et catholiques pour des séances de prières. Pour les animistes, c’est une occasion de conversion. Une mosquée, dirigée par le Mukhadam Brédji Ibrahim et une église existent à cet effet pour les « gens » de la Maca. A en croire Awa, une autre pensionnaire, ce sont les hommes de Dieu, musulmans ou chrétiens, qui sont leur véritable soutien pendant leur séjour carcéral. Elles reçoivent des enseignements, soutiens financiers, vestimentaires et moraux. Outre les communautés religieuses, les détenues reçoivent régulièrement l’appui de certaines Organisations non gouvernementales (Ong) et d’autres organismes de bienfaisance. Notamment certaines structures détachées de l’Onuci et des mouvements pour la défense des droits de l’Homme. En sus, elles ont droit à la formation comme tout citoyen. Les détenues apprennent de petits métiers comme le gardiennage et l’artisanat. Elles font aussi de « petits commerces » pour subvenir à leurs besoins. « Rien de tout cela ne m’intéressait parce que ma période de détention est courte. Aucune de ces activités ne m’a séduite », confie Awa, condamnée à six mois de prison pour « coups et blessures ». Une autre détenue qui a requis l’anonymat dénonce le manque d’hygiène corporelle et la qualité de l’alimentation. « Non seulement, les repas ne sont pas de bonne qualité, mais ils sont aussi très maigres. Nous sommes confrontées à un problème crucial de bain. Nous nous lavons difficilement et rarement avec du savon. Pour nous les femmes, c’est très compliqué », souligne-t-elle. Il est rare, en effet, de voir les détenues porter des vêtements propres même si certaines d’entres elles font des efforts pour être présentables. Plus grave, elles n’ont pas toujours l’occasion de faire laver leurs habits et de les sécher correctement. La blanchisserie et les petites commodités, ce sera dans quelques mois pour certaines, quelques années pour d’autres, lorsqu’elles sortiront à l’air libre. Quelque soit le temps de pénitence, elles seront marquées à jamais par cet épisode derrière les barreaux.



Encadré 1 : Prisonnières le jour, amantes la nuit

C’est une lapalissade. Les prisonnières ont aussi une vie sexuelle. Mais comment la vivent-elles ? Avec qui quand on est encastrée entre quatre murs ? La plupart des détenues rencontrées ont refusé d’échanger sur ce sujet. Mais une courageuse qui a quand même requis l’anonymat s’est lâchée sur cette partie cachée de la vie en prison. Notre source soutient que les prisonnières au plastique de rêve n’ont jamais chômé à la Maca. Ces beautés trouvent toujours un amant de nuit parmi les geôliers qui leur accordent des privilèges. Mais tout se passe la nuit. Mais dès que le jour se lève, chacun retrouve sa place : le geôlier face à la détenue.
Le harcèlement sexuel est l’arme fatale des cerbères. Pour faire plier les prisonnières afin qu’elles acceptent de passer quelques moments « roses » avec eux, ils ont un appât imparable : une bonne douche. Ils proposent aux élues de leur cœur, un accès aux conditions normales de propreté dans des toilettes acceptables. Celles qui tiennent à l’hygiène corporelle n’hésitent pas à sauter sur la proposition même si elle la savent indécente. Rendez-vous est toujours pris dans la pénombre des couloirs. Toujours selon notre source, pour faciliter la relation, le geôlier peut décider de nommer une détenue comme chef de cellule. Il lui confie des tâches qui lui permettent d’être, de temps en temps, hors de sa cellule. Cette « liberté conditionnée » et la peur de perdre leurs privilèges poussent des prisonnières à accepter les avances des ces amants forcés. Pour celles qui ne veulent pas se soumettre au chantage, quand le besoin se fait sentir, il ne leur reste qu’une voie pour s’épanouir sexuellement : le lesbianisme (l’homosexualité féminine). De bonnes sources, la pratique est courante à la Maca. Mais motus et bouche cousue.

Sylvain Beugré

Encadré 2: Le racket à ciel… fermé

Rendre une visite à un parent à la Maca relève du parcours du combattant. Depuis le préau, à l’entrée du bagne et à l’intérieur, le visiteur est soumis à un véritable racket. Les gardes pénitentiaires et les prisonniers rançonnent les visiteurs. Les geôliers se comportent comme s’ils étaient aussi des prisonniers, tendant la main pour quelques piécettes. Ce sont les maîtres de ce lieu fermé. Ils font la pluie et le beau temps. Au-delà des droits d’entrée qui sont fixés à 300 Fcfa, le visiteur paie également des « laissez-passer ». Les gardes vous diront : « Donne-moi plomb (Ndlr : 100 Fcfa». Les plats, les petits cadeaux pour les détenus sont également « taxés ». Si vous refusez de vous soumettre à ce racket entre les hauts murs de la maison d’arrêt, vous n’aurez pas accès à votre parent. Tout le monde s’y conforme comme si c’était la norme. Après tout, c’est la Maca, une zone « sans loi ».

S. Beugré.
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Société

Toutes les vidéos Société à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ