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Art et Culture Publié le lundi 29 mars 2010 | Demain

Enquête : Dans l’univers du livre

Le bilan des ventes au cours de l’année 2009 a été fait par la librairie de France, résultat hautement représentatif de l’ensemble du marché en Côte d’Ivoire. Les deux premières places du classement sont occupés par deux auteurs (à ne pas confondre avec les écrivains) : Anzata Ouattara avec Les coups de la vie tome 2 et Blé Goudé Charles grâce à D’un stade à un autre. Le troisième rang est obtenu par un écrivain boudé par la critique, regardé de haut par les puristes ; il s’agit de Biton Koulibaly dont deux autres de ses ouvrages, comme un pied de nez à l’endroit de ses détracteurs, occupent les 5ème et 10ème rangs. Explication d’un fait qui, pour être un paradoxe qui a la peau dure et qui perdure, doit être perçu comme une norme : le succès des plumes très moyennes (pour ne pas dire aux autres choses) et la mévente des poètes et autres écrivains dits de qualités.

Anzata Ouattara est l’auteur le plus acheté de l’année écoulée. Elle a vendu, rien qu’à la librairie de France, 6000 exemplaires de Les coups de la vie dont c’est le tome 2. Pourtant, rien ne prédestinait Anzata à ce succès. A charge du service commercial de l’hebdo Go magazine, elle animait une rubrique consistant à recueillir les tribulations de certains lecteurs, de les rédiger pour les faire partager aux autres. L’intérêt ne s’est pas fait attendre : submergée de coups de fils, de courriers électroniques, de lettres, l’idée lui vient de publier ces bouts d’histoires presque vraies, en un recueil. Le succès est spontané et contraint, à la demande générale, à la rédaction d’un tome 2 ; lequel, au moment où nous mettons sous presse, continue de s’écouler, à telle enseigne qu’elle a pratiquement bouclé le tome 3 qui sortira au mois d’octobre 2010, avec l’appui, très évident, de son patron Zohoré Lassane qu’elle n’a de cesse de remercier à chacune de ses parutions.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette commerciale a trouvé le bon filon pour commercialiser ses livres. Son éditeur est Go média, un groupe de presse éditeur de trois titres : Go magazine, Gbich, Allô Police qui ont les devoir et injonction de servir de support d’hyper promotion du livre.

Anzata a conscience de ce coup de pouce salutaire : « C’est sûr que nos hebdos et le public qu’ils ont déjà, ont constitué un atout considérable. Mais c’est normal de faire la promotion d’un livre parce que c’est avant tout un produit commercial puisqu’il est destiné à la vente », soutient notre commerciale de formation. Chassez le naturel, il revient au galop !

Mais pour être docteur en droit, Venance Konan lui, n’a pas eu besoin de faire des études commerciales pour partager avec véhémence cette thèse. « C’est juste une question de bon sens. Les livres sont comme tous les produits de consommation. Les gens veulent bien les acheter. Mais pour les acheter, on doit au moins savoir qu’ils existent. On doit les connaître. Si je ne sais pas qu’un livre est sorti, entre nous, comment vais-je penser à l’acheter ? Le client n’est pas un devin pour s’imaginer qu’un livre est sorti. Il faut tout simplement faire la promotion. C’est le minimum que puisse faire un éditeur. Quand j’ai sorti Les prisonniers de la haine, j’avais deux éditeurs Nei et Frat-mat qui a exagéré dans la promotion. On a fait trois tirages. La preuve, c’est que Robert et les catapila, qui est sorti après chez Nei-Ceda mais sans promotions, n’a pas connu le même succès»

Classé deuxième, Charles Blé Goudé l’a bien compris parce qu’il est propriétaire de Leader’s team, une structure de communication qui n’y va pas de main morte : encarts, outre dans les journaux bleus blancs acquis à sa cause, dans près de 10 autres parmi lesquels ses adversaires idéologiques ; panneaux de 12m2 fièrement implantés dans la ville, spot télévisés, spot radio, affiches, passage sur le plateau de télévisé aux heures de fortes audiences, dédicace en grande pompe, cérémonie de sortie officielle, et présentation du livre à chacune de ses tournées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Le résultat est palpable ; il l’avait été déjà avec son premier ouvrage Crise ivoirienne : ma part de vérité, sorti en 2006 et pour lequel son éditeur, Frat. Mat. éditions qui chouchoute ce partenaire-auteur, lui a reversé 11 millions de francs Cfa ! Officiellement.

L’apogée des entreprises de presse

Dans le tableau des 10 meilleurs ventes, Frat-Mat éditions compte le tiers des produits. C’est énorme. Le succès de cette maison tenue par Ange N’dakpri, par ailleurs président de l’Association des Editeurs de Côte d’Ivoire (Assedi) se justifie par le système de communication mis en place. Frat-mat est le premier groupe de presse ivoirien qui a plusieurs supports : Stade d’Afrique, Femmes d’Afrique, Fraternité-Matin, le journal le plus lu du fait de son ancienneté et de sa posture pro-gouvernementale. Il tire au moins 20000 exemplaires. Rien qu’avec ses trois supports, l’écrivain ou l’auteur est assuré d’une visibilité. On peut l’avancer sans risque de se tromper, que c’est l’exemple de Frat-Mat éditions qu’a suivi Go média ; et c’est ce même exemple que suit une autre entreprise de presse qui s’est lancée récemment dans l’édition : Le réveil.

Cette toute dernière née des maisons d’édition a présenté ses premiers produits, il y a à peine trois mois et a déjà presque écoulé ses produits en s’appuyant sur Le Nouveau réveil son quotidien à fort tirage. Des quatre produits qu’elle a regroupés en guise de coffret de noël, seul un était signé de plumes de renom : Ngo’ndi ou palabres qui n’a pas eu à se battre pour s’imposer, du fait des signatures de Venance Konan et de Tiburce Koffi et, surtout, du tapage médiatique.

Les trois autres livres signés par des anonymes comme Sylvain Takoué, Assalé Tiémoko et Clémentine Caumaueth se vendent bien. Des 2000 exemplaires proposés pour la mise en place, il ne reste (presque) rien au bout de trois mois. A la réalité, les éditeurs cités plus haut ont déjà un public existant.

Les éditeurs s’en foutent

Cette thèse du caractère indispensable de la promotion achève de convaincre quand on réalise que les siamois Nei-Ceda, en dépit de leur expertise et expérience, ne comptent aucun livre dans ce haut de tableau de classement. Même son de cloche pour les Editions Livres sud (Edilis), Vallesse, Eburnie, Puci, Educi, Cercles éditions, Les classiques ivoiriens, Initiatives, bref pour la vingtaine de maison d’édition qui, faute de moyen souvent, n’assurent pas une promotion efficiente de leurs ouvrages, et dont les propriétaires sont, pour la plupart, des transfuges des ancêtres Nei-Ceda desquelles ils tiennent certainement cet atavisme.

Toujours est-il qu’il nous a été donné de ne rencontrer aucun écrivain qui ne jette la pierre aux éditeurs. « L’éditeur qui produit le livre ne se donne pas les moyens pour en faire la promotion.

Regardez autour de vous. Combien de maisons d’édition mettent en place une réelle campagne de communication autour des livres des écrivains connus ou non ? ». L’interrogé s’appelle André Sylver konan, l’auteur du recueil de nouvelles L’opposant historique.

C’est ce que pense Ernest Foua de St Sauveur (l’auteur de Prison d’en France) que les écrivains ont porté à la tête de leur association. Pour le président de l’Aeci « Le reproche fait aux éditeurs est fondé. Les maisons doivent faire du tapage médiatique si elles veulent booster leurs produits, bousculer les habitudes et changer les choses. Il n’y a qu’à prendre exemple sur les artistes musiciens et chanteurs qui s’imposent grâce à la promotion autour de leurs œuvres ».

Le même avis est chanté par le poète Azo Vauguy à qui l’on doit la belle interrogation de la mythologie bété contenu dans Zakwato : « Ils ne font pas la promotion des ouvrages parce qu’il n’y a pas de mécènes pour financer ce genre de rencontres qui boostent les ouvrages. Pour la poésie, c’est pire. Ils font des efforts surhumains pour nous éditer. Après, vous ne pouvez plus rien attendre d’eux. Alors, quelle que soit la pertinence de l’ouvrage, s’il n’y a pas de promotion, on craque, nous les poètes». Il ne croit pas si bien dire. L’illustre Zadi Zaourou, plume de notoriété mondiale, a publié trois ouvrages dans la même période de l’an 2009 et n’a bénéficié au maximum que de 10 articles dont trois de moi. Triste sort qui pousse l’auteur de Zakwato à poursuivre : « Pour être franc avec vous, le problème est plus profond que ça. Un classement de ce type ne m’intéresse pas. A la limite, ça ne me dit absolument rien. Les habitants de ce pays sont à un stade où ils recherchent la drôlerie. Tout ce qui aiguise la pensée les fait fuir. En revanche, quand il s’agit de tout juste amuser le cerveau, ils sont partants. Ils raffolent de la paillardise de Biton Koulibaly ou d’autres auteurs. Moi je suis pour le travail de la consommation du savoir. C’est le savoir qu’il faut promouvoir. Alors que là il n’y a pas de réception, ni de récepti

Les accusés plaident non coupables

Les éditeurs, de leur côté, plaident non coupables. Ange N’dakpri de Frat-Mat éditions avance : « Il faut au contraire, féliciter les éditeurs. Le coût d’un livre est très élevé. Nous ne bénéficions d’aucune subvention, ni organisation officielle, c’est un vide juridique et c’est très difficile ainsi. Il faut, au contraire, nous féliciter. Nous n’avons pas intérêt à boycotter un livre puisque de sa notoriété et de son succès, dépend notre croissance à nous».

Yvonne Kouamé de Nei-Ceda est beaucoup plus incisive : « La vérité est que les auteurs sont assis dans leurs coins et ne participent aucunement à la promotion de leurs propres ouvrages. Qu’est ce qui les empêchent de nous aider, de travailler de concert avec nous en nous indiquant lui-même des milieux qui lui sont favorables ?» interroge-t-elle avant de poursuivre : « De notre côté, nous avons un programme de promotion systématique qui prend en compte des dédicaces à Abidjan et à l’intérieur du pays, une présentation officielle de l’ouvrage et des articles dans divers journaux. » Toute chose qui paraît insuffisant et témoigne aux yeux des écrivains, du manque de promotion des éditeurs.

D’amères expériences

C’est certainement ce manque de promotion qui a poussé certains écrivains à prendre les choses en main. St Sauveur s’est donc essayé à l’édition en créant Cerles éditions. Mais il en garde un mauvais souvenir, et s’est retiré du milieu pour se contenter de son statut d’écrivain. Il y est désormais comme actionnaire minoritaire « Oui, c’est mieux ! » rajoute l’écrivain qui ne veut pas en dire plus. André Sylver konan a, lui aussi, une expérience qu’on le laisse raconter : « L’aventure de L’opposant historique était surprenante en 2007. Rien que le titre a fait jaser, et le microcosme politique a considéré mon livre comme la peste. Pas d’éditeur, pas d’imprimeur, pas de distributeur. Je me résous à faire de l’auto édition et à aller au Mali pour sa fabrication. En outre, c’est dans ma voiture que je stocke le lot pour la vente. Face au succès (j’ai vendu 4000 exemplaires, c’est énorme pour mes conditions de travail !), je suis approché par des librairies avec lesquelles je travaille quand les conditions me conviennent. En fin de compte, cela m’a épuisé et je ne conseille pas la voie de l’autoédition aux futurs auteurs. A tout le moins, je leur conseillerais la voie du compte d’auteur ».

Même Isaie Biton qui a une longue expérience du milieu pour être libraire, chroniqueur, écrivain, éditeur, rencontre des difficultés avec sa maison Kora livre. Ni La puissance de la lecture, ni Comment aimer une femme africaine, qu’elle a édité, n’ont pu atteindre le seuil du succès médiatique en dépit de la notoriété de cet auteur best-seller qui, à chaque parution, est obligé de s’adosser sur le pouvoir de promotion de Frat-Mat éditions qui déjà, réfléchit à la campagne de promotion de Le jour de demain, son prochain livre.

Joint au téléphone, l’écrivain adulé du public et de la gente féminine, mais boudé par les puristes, n’a pu se prononcer, cloué qu’il était par un méchant palu : « Je ne peux pas faire de commentaire. Attendez quand j’irai mieux. Là, je suis alité », indique t-il avant de nous raccrocher au nez. Certainement un problème d’indication.

Ne généralisons pas pour autant. La volonté de prendre les choses en main ne connait pas toujours des aboutissements malheureux. Camara Nangala, auteur fécond qui publie une moyenne d’un livre par an, en créant Calao éditions, sa propre boîte, il y a une quatraine d’années, a, en partie, mis fin aux caprices et dictats des éditeurs. Aujourd’hui il réédite lui-même tous ses anciens titres, en édite de nouveaux, fait lui-même sa promotion en ayant à portée de main quelques exemplaires prêts à être écoulés, auprès des jeunes élèves (il est professeur de physique), auprès des habitués des librairies dans lesquels ils démultiplient les dédicaces. Il ne s’en porte pas plus mal « parce que pour moi le livre est comme un produit, comme de l’huile ou du savon. Il faut en faire la promotion », explique l’auteur de Princesse Abla, Tourbillon, Vacances mouvementés, qui est d’un réalisme à nul autre pareil.

Le partage de cette démarche n’empêche pas l’auteur de Mémoire d’une tombe d’être plus nuancé. « Le livre est un produit industriel qui doit bénéficier du même traitement promotionnel, des mêmes méthodes publicitaires. En France dans les métros, dans la ville, tu vois de grandes affiches de Marc Levy. Résultat : il se vend bien (NDLR : Marc Levy n°1 et Guillaume Musso N°2 écoulent en 7 mois, 2 millions de livres chacune de leur parution. Ils sont traduits dans une trentaine de langues). Mais Marc Levy est loin d’être un grand écrivain.

En revanche je ne pense pas ce soit à un écrivain de vendre lui-même ses livres. En tout cas moi, je ne saurais en faire ma vocation».

Où est passée la qualité ?

Malgré son impressionnante rigueur et sa cohérence affichée, une telle déduction présente des limites. Des ouvrages bénéficiant d’une promotion assidue et réussie peuvent déboucher sur des résultats insatisfaisants. Instants de vie d’Alafé, en dépit de spots télé, 12m2 orgueilleusement implantés dans la ville, et encarts dans le quotidien L’intelligent d’Abidjan qui appartient à l’auteur, n’ont pas réussi à assurer un succès à cet ouvrage. « Ah non, le tout n’est pas de faire la promotion. L’œuvre doit être bonne. Même si elle n’est pas de qualité, il faut que le public l’aime.

Vous êtes d’accord avec moi que ce qui plait à un lecteur, peut ne pas satisfaire un autre lecteur.

C’est un problème de goût. Mais on a l’avantage, avec la promotion, de faire connaitre l’œuvre. Après c’est au public de décider », libère avec enthousiasme, le père de Les prisonniers de la haine (Venance Konan).

On est enclin à conclure que le tout est un problème de cibles. L’écriture n’échappe pas à la règle de l’art qui veut que certaines œuvres soient ‘‘grand public’’ et d’autres, réservées à une élite. En clair, Zadi Zaourou et son disciple ou Séry Bailly, Frédéric ou encore Grah Mel, même s’ils bénéficient de lynchage médiatique de leurs œuvres, ne pourront pas être acceptés par la masse. Ils ne seront donc pas bien vendus.

« Mes productions romanesques, mes essais ne visent pas un large public. Même mes articles ne sont pas destinés à la très grande masse. On pourrait me taxer d’hermétique. Ce n’est pas le cas.

Ma formation de littéraire ne me permet pas de faire des concessions en ayant une écriture relâchée. J’ai un statut à justifier» explique Tiburce koffi l’air heureux ne pas être concret et businessman.

Pourtant, il est manifeste, ce besoin d’être lu par un plus grand nombre. Zadi Zaourou a publié Les quatrains du dégoût, un recueil de poèmes accessibles, digestes, malheureusement très mal promus. Celui dont il est le maître, explique ce genre d’étapes de productions en puisant dans la musique, l’autre amante rivale de son écriture, un exemple bien à propos : « Dans les années 1960, 1970. Georges Benson était un jazzman. Mais en 1980, il a signé Give me the night, un album funk qui a très bien marché et qui l’a propulsé sur le marché du disque».

Anzata Ouattara, la désormais best-seller ivoirienne, ne veut pas rentrer dans ce débat, dans cette guerre de compétences littéraires : « Ça ne me dérange pas d’être taxée de simple auteure et de ne pas bénéficier du statut d’écrivain. La dénomination m’importe peu. Moi, j’écris avec ma sensibilité. Ce sont des histoires qu’on me raconte. Ensuite je rentre dans la peau de la personne qui m’a raconté l’histoire. Une fois qu’on a fait un, les mots arrivent d’eux-mêmes. C’est de l’émotion au rendez-vous et je crois que c’est cela, l’art ; et c’est cette sincérité qui touche mon public. Je pense que cela est le plus important. »

Légendes

Que ce soient cette œuvre d’anonyme oubliée ou même cette biographie d’un aussi célèbre chanteur, il faut une promotion, faute de quoi ces livres d’Edilis et Eburnie passeront inaperçus

Auteur d’une dizaine de titres Camara Nangala, prend sur lui-même d’assurer la promotion de ces livres qu’il édite lui-même.

Anzata Ouattara
Best-seller de l’an 2009, ne tient pas à rompre le lien avec le public

André Sylver Konan
Après un essai dans l’autoédition, Raison d’Etat, son prochain livre, est confié à L’encre bleue, un tout nouvel éditeur.

Boudé par les puristes, Biton reste un people de l’édition, adulé du grand public. Mariam Constance Komara, une auteur, membre de son fan club, suit ses traces
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