Le commerce frauduleux de l’or prend de l’ampleur en Côte d’Ivoire grâce à un véritable réseau de mafieux et la complicité des ex-combattants.
La commune de Treichville dans le district d’Abidjan pullule de bijouteries. Dans toutes les rues, il n’est pas rare de voir dans les vitrines des bijoux en or pur exposés. A. Diaby, un jeune bijoutier ivoirien, est spécialisé dans la transformation du métal jaune. « Si vous voulez un bijou en or. Il n’y a aucun problème. Deux alliances de 18 carats ne vont vous coûter que 120.000 Fcfa. Ce n’est pas cher puisqu’actuellement le gramme d’or est vendu à 12.000 Fcfa », indique le jeune bijoutier aux cheveux tressés. Il est rassurant sur la qualité du précieux métal qui servira à la fabrication des bagues. «C’est de l’or pur que mon fournisseur me livre. Je ne fais pas de combine car je souhaite garder la confiance de ma clientèle. Il y va de ma réputation». Pour prouver ses dires, il lance un appel à son fournisseur. Au bout du fil, un certain Souleymane, qui, à en croire le bijoutier, ne donne d’information qu’aux personnes qu’il connaît. Ce dernier confie qu’il a effectivement en sa possession les 10 grammes d’or demandés par le bijoutier. Mais, prévient le bijoutier qui veut être honnête: «ce n’est pas du fort». Il explique que cette expression désigne de l’or de 14 carats que le fournisseur cédera à 11. 500 Fcfa. Comment ce mystérieux fournisseur parvient-il à se procurer le précieux métal et le revendre sans se soucier? D’où provient cet or ?
Le silence est d’or
Thiam, un autre bijoutier de renommée installé à Treichville, confie qu’il est très facile de se procurer l’or à Abidjan. Il suffit d’être introduit dans le milieu, sans dire plus. Mais, c’est un milieu très dangereux, reconnaît-il. A. Diaby le confirme. Il a été contraint de cesser le commerce d’or auquel il s’adonnait par le passé et se reconvertir en bijoutier. C’est justement pour cette raison que Thiam se montre très méfiant. Peu bavard, il fait savoir qu’il est possible d’acheter de l’or avec lui. « Si vous en voulez, venez me voir. Je vais vous en procurer», indique l’artisan d’origine sénégalaise qui change de sujet de conversation lorsque la provenance de cet or est abordée. A. Diaby, voulant mettre en garde sur les dangers encourus en voulant s’adonner à cette activité donne, sans se rendre compte, une piste. «J’avais un fournisseur Yacouba dans la région de Zouan-Houien. Cet homme parvenait à se procurer quelques grammes d’or qu’il rassemblait jusqu’à obtenir une quantité importante. Il me fait appel ensuite pour que je vienne acheter sa marchandise », révèle-t-il. La marchandise est embarquée pour Abidjan et vendue à des bijoutiers ou des Européens. « Les Européens sont les meilleurs clients. Ils achètent toujours à des prix plus élevés que ceux fixés », ajoute le bijoutier. Et de prévenir : «ma sœur m’a conseillé de cesser cette activité. On y court trop de risque. Tu peux te faire buter très facilement par les personnes mêmes avec qui tu fais tes deals. C’est un milieu dangereux. C’est comme au Black market (Ndlr : marché noir de vente de téléphones portables situé dans la commune d’Adjamé). Dès que tu achètes un téléphone avec un ‘’blackiste’’, il informe des jeunes délinquants qui te suivent pour te l’arracher». Plusieurs réseaux de contrebande de l’or existent. Koné B., un homme d’affaires résidant à Marcory, révèle que certains riverains des zones aurifères parviennent, comme l’a affirmé A. Diaby, à dérober quelques grammes qu’ils revendent par la suite. Et d’ajouter : « c’est une vraie mafia». Kamin Vincent, ressortissant de l’un des huit villages riverains de la Société des mines d’Ity (Smi), dévoile d’ailleurs que les jeunes de ces villages qui se hasardent dans le périmètre de la Smi sont «massacrés par les forces de l’ordre». Que font-ils aux alentours de l’entreprise? Personne ne donne de précisions sur cette information.
Les ex-combattants impliqués
Il existe d’autres possibilités d’acquérir frauduleusement le métal jaune. A Pétionnara, village de la préfecture de Niakara au Nord de la Côte d’Ivoire, se situe une mine d’or. Découverte en pleine crise sociopolitique, sa production n’est guère contrôlée par le gouvernement ivoirien. Selon des témoignages recueillis dans la localité, chaque soir, les orpailleurs, des allogènes, vendent le fruit de leur dur labeur à des intermédiaires sous l’œil vigilant des éléments des Forces nouvelles (Fn). L’or extrait de façon artisanale est rassemblé et vendu par la suite soit à des Européens (généralement des Suisses), soit à des commerçants installés à Abidjan. Ces derniers à leur tour les revendent à des bijoutiers. Selon le rapport final du groupe d’experts de l’Onu sur la Côte d’Ivoire réalisé en octobre 2009 et publié par le confrère Jeune Afrique. Gaoussou Koné dit Jah Gao, commandant de zone de Boundiali et Martin Kouakou Fofié de Korhogo sont nommément cités dans ledit rapport. «Certains éléments des Fn tirent de juteux bénéfices de l’exploitation et du trafic des ressources naturelles. Ils prélèvent des taxes sur le commerce de l’or, une activité très lucrative aux mains des orpailleurs traditionnels. La société Randgold Resources investit actuellement dans la construction d’une mine aurifère à Tongon, à environ 60 kilomètres au Nord de Korhogo. Un site très prometteur avec des réserves de plus de 3,1 millions d’onces. Selon les experts onusiens, Randgold verserait au moins 3 millions de Fcfa par mois au commandant Kouakou Fofié au titre de droits d’exploitation. Une accusation rejetée par le groupe sud-africain, qui reconnaît toutefois avoir loué les services de la Sarl Cobagiex-Sécurité, propriété du chef de guerre, avant de résilier son contrat en juillet dernier » publiait Jeune Afrique dans ses colonnes. Et comme pour confirmer la véracité du rapport onusien, le 3 juin 2009, un conflit éclate entre des éléments des Fn et les populations de Pétionnara sur la gestion de cette mine d’or clandestine. Un élément FNn y laissera la vie. De sources très sûres, l’une des maîtresses d’un commandant de zone, dont nous tairons le nom, a une grande renommée dans le business du métal jaune à Abidjan. Là, des réseaux du commerce de l’or vers les boutiques de joailliers à Londres, Bruxelles, Amsterdam ou Genève prennent le relais. Selon le chercheur et anthropologue Tilo Grätz, qui est parvenu à retracer les différentes étapes et identifier les intermédiaires de la filière de l’Afrique vers l’Europe, dans son ouvrage «Gold trading networks and the creation of trust: a case study from northern Bénin», Africa, publié en 2004, ce business est possible du fait de « la porosité des frontières africaines, de la corruption ambiante et du peu de moyens dont disposent les Etats de l’Afrique de l’Ouest pour circonscrire la production de l’or ».
Nimatoulaye Ba
Légende: Certaines mines d’or clandestines sont exploitées de façon artisanale dans le Nord de la Côte d’Ivoire.
La commune de Treichville dans le district d’Abidjan pullule de bijouteries. Dans toutes les rues, il n’est pas rare de voir dans les vitrines des bijoux en or pur exposés. A. Diaby, un jeune bijoutier ivoirien, est spécialisé dans la transformation du métal jaune. « Si vous voulez un bijou en or. Il n’y a aucun problème. Deux alliances de 18 carats ne vont vous coûter que 120.000 Fcfa. Ce n’est pas cher puisqu’actuellement le gramme d’or est vendu à 12.000 Fcfa », indique le jeune bijoutier aux cheveux tressés. Il est rassurant sur la qualité du précieux métal qui servira à la fabrication des bagues. «C’est de l’or pur que mon fournisseur me livre. Je ne fais pas de combine car je souhaite garder la confiance de ma clientèle. Il y va de ma réputation». Pour prouver ses dires, il lance un appel à son fournisseur. Au bout du fil, un certain Souleymane, qui, à en croire le bijoutier, ne donne d’information qu’aux personnes qu’il connaît. Ce dernier confie qu’il a effectivement en sa possession les 10 grammes d’or demandés par le bijoutier. Mais, prévient le bijoutier qui veut être honnête: «ce n’est pas du fort». Il explique que cette expression désigne de l’or de 14 carats que le fournisseur cédera à 11. 500 Fcfa. Comment ce mystérieux fournisseur parvient-il à se procurer le précieux métal et le revendre sans se soucier? D’où provient cet or ?
Le silence est d’or
Thiam, un autre bijoutier de renommée installé à Treichville, confie qu’il est très facile de se procurer l’or à Abidjan. Il suffit d’être introduit dans le milieu, sans dire plus. Mais, c’est un milieu très dangereux, reconnaît-il. A. Diaby le confirme. Il a été contraint de cesser le commerce d’or auquel il s’adonnait par le passé et se reconvertir en bijoutier. C’est justement pour cette raison que Thiam se montre très méfiant. Peu bavard, il fait savoir qu’il est possible d’acheter de l’or avec lui. « Si vous en voulez, venez me voir. Je vais vous en procurer», indique l’artisan d’origine sénégalaise qui change de sujet de conversation lorsque la provenance de cet or est abordée. A. Diaby, voulant mettre en garde sur les dangers encourus en voulant s’adonner à cette activité donne, sans se rendre compte, une piste. «J’avais un fournisseur Yacouba dans la région de Zouan-Houien. Cet homme parvenait à se procurer quelques grammes d’or qu’il rassemblait jusqu’à obtenir une quantité importante. Il me fait appel ensuite pour que je vienne acheter sa marchandise », révèle-t-il. La marchandise est embarquée pour Abidjan et vendue à des bijoutiers ou des Européens. « Les Européens sont les meilleurs clients. Ils achètent toujours à des prix plus élevés que ceux fixés », ajoute le bijoutier. Et de prévenir : «ma sœur m’a conseillé de cesser cette activité. On y court trop de risque. Tu peux te faire buter très facilement par les personnes mêmes avec qui tu fais tes deals. C’est un milieu dangereux. C’est comme au Black market (Ndlr : marché noir de vente de téléphones portables situé dans la commune d’Adjamé). Dès que tu achètes un téléphone avec un ‘’blackiste’’, il informe des jeunes délinquants qui te suivent pour te l’arracher». Plusieurs réseaux de contrebande de l’or existent. Koné B., un homme d’affaires résidant à Marcory, révèle que certains riverains des zones aurifères parviennent, comme l’a affirmé A. Diaby, à dérober quelques grammes qu’ils revendent par la suite. Et d’ajouter : « c’est une vraie mafia». Kamin Vincent, ressortissant de l’un des huit villages riverains de la Société des mines d’Ity (Smi), dévoile d’ailleurs que les jeunes de ces villages qui se hasardent dans le périmètre de la Smi sont «massacrés par les forces de l’ordre». Que font-ils aux alentours de l’entreprise? Personne ne donne de précisions sur cette information.
Les ex-combattants impliqués
Il existe d’autres possibilités d’acquérir frauduleusement le métal jaune. A Pétionnara, village de la préfecture de Niakara au Nord de la Côte d’Ivoire, se situe une mine d’or. Découverte en pleine crise sociopolitique, sa production n’est guère contrôlée par le gouvernement ivoirien. Selon des témoignages recueillis dans la localité, chaque soir, les orpailleurs, des allogènes, vendent le fruit de leur dur labeur à des intermédiaires sous l’œil vigilant des éléments des Forces nouvelles (Fn). L’or extrait de façon artisanale est rassemblé et vendu par la suite soit à des Européens (généralement des Suisses), soit à des commerçants installés à Abidjan. Ces derniers à leur tour les revendent à des bijoutiers. Selon le rapport final du groupe d’experts de l’Onu sur la Côte d’Ivoire réalisé en octobre 2009 et publié par le confrère Jeune Afrique. Gaoussou Koné dit Jah Gao, commandant de zone de Boundiali et Martin Kouakou Fofié de Korhogo sont nommément cités dans ledit rapport. «Certains éléments des Fn tirent de juteux bénéfices de l’exploitation et du trafic des ressources naturelles. Ils prélèvent des taxes sur le commerce de l’or, une activité très lucrative aux mains des orpailleurs traditionnels. La société Randgold Resources investit actuellement dans la construction d’une mine aurifère à Tongon, à environ 60 kilomètres au Nord de Korhogo. Un site très prometteur avec des réserves de plus de 3,1 millions d’onces. Selon les experts onusiens, Randgold verserait au moins 3 millions de Fcfa par mois au commandant Kouakou Fofié au titre de droits d’exploitation. Une accusation rejetée par le groupe sud-africain, qui reconnaît toutefois avoir loué les services de la Sarl Cobagiex-Sécurité, propriété du chef de guerre, avant de résilier son contrat en juillet dernier » publiait Jeune Afrique dans ses colonnes. Et comme pour confirmer la véracité du rapport onusien, le 3 juin 2009, un conflit éclate entre des éléments des Fn et les populations de Pétionnara sur la gestion de cette mine d’or clandestine. Un élément FNn y laissera la vie. De sources très sûres, l’une des maîtresses d’un commandant de zone, dont nous tairons le nom, a une grande renommée dans le business du métal jaune à Abidjan. Là, des réseaux du commerce de l’or vers les boutiques de joailliers à Londres, Bruxelles, Amsterdam ou Genève prennent le relais. Selon le chercheur et anthropologue Tilo Grätz, qui est parvenu à retracer les différentes étapes et identifier les intermédiaires de la filière de l’Afrique vers l’Europe, dans son ouvrage «Gold trading networks and the creation of trust: a case study from northern Bénin», Africa, publié en 2004, ce business est possible du fait de « la porosité des frontières africaines, de la corruption ambiante et du peu de moyens dont disposent les Etats de l’Afrique de l’Ouest pour circonscrire la production de l’or ».
Nimatoulaye Ba
Légende: Certaines mines d’or clandestines sont exploitées de façon artisanale dans le Nord de la Côte d’Ivoire.