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Politique Publié le mercredi 7 avril 2010 | Le Patriote

Pr Yacouba Konaté: (Philosophe) - «Le pouvoir Fpi est entaché d’exactions et de violences extrêmes»

Le RDR a organisé les 24, 25 et 26 mars derniers, des journées en hommage aux martyrs tombés sous les balles assassines des éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS) à l’occasion des manifestations du RHDP en 2004. Le Professeur Yacouba Konaté a animé un panel sur le thème: ‘‘De l’espérance à l’illusion démocratique’’. Un exposé dense et riche en enseignements. Nous vous proposons de larges extraits de sa contribution.

«Les vendeurs d’illusions qui sont au pouvoir, depuis bientôt dix ans, ne démontrent aucune volonté d’aller aux élections. Mais pour faire honneur à l’invitation de philosophe ou de professeur de philosophie qui vient d’être mentionnée, je voudrais faire une présentation, même brève, de la motion d’illusion. Freud distinguait l’illusion de l’horreur. Il expliquait que lorsque Christophe Colomb a découvert l’Amérique, il croyait aller vers les Indes. C’était une erreur, ce n’était pas une illusion. Freud donne également l’exemple d’un homme qui s’était convaincu que c’est lui qui faisait lever le soleil. Très tôt le matin avant la lumière, il se levait et il chantait, il priait jusqu’à ce que le soleil apparaisse. Comme il arrive souvent, un jour il oublia de se lever et il voit le soleil debout. Il ne se découragea pas, il se mit à genou à nouveau et remercia Dieu d’avoir fait lever le soleil sans avoir attendu sa prière. Je pense souvent à cet homme du pouvoir dont l’attitude est à peu près concrète du dictateur, de la personnalité autoritaire qui croit que c’est elle qui fait lever le soleil sur le pays. Je tenterai de répondre à la signification du sujet selon l’hypothèse suivante: en fait, la Côte d’Ivoire n’est pas passée de l’espérance à l’illusion. Mais de l’espérance à la fiction. Le régime Fpi a fictionné la démocratie. C'est-à-dire les modalités pacifiques de la conduction de la légitimité dans le cadre du principe républicain de l’égalité des citoyens. Il l’a redéfinie à l’image des conditions historiques désastreuses de son arrivée au pouvoir. Mais pour avoir su conserver ce pouvoir de fait, le régime Fpi n’a pas pour autant su établir sa légitimité. Alors il fonctionne à la fiction, la fiction de l’insurrection, la fiction du complot des étrangers. Pour se convaincre de ce que, de par son origine et dans son fonctionnement, il est démocratique, il donne dans des incantations. Quand en 1990, le régime du parti unique finit par légaliser le multipartisme intégral sans plus attendre les associations syndicales et les partis politiques qui venaient de pousser comme des champignons, ils ont inscrit les droits de l’Homme, les meetings politiques, les manifestations de rues, la presse d’opinions dans le paysage social et politique ivoirien. «Marchez autant que vous le voudrez», observait le président Félix Houphouët-Boigny. De cette période jusqu’à l’avènement du régime Gbagbo, les décès liés à des manifestations politiques, notamment ceux tombés sous les balles des forces de l’ordre à l’échelle de tout le pays se comptent sur les doigts d’une seule main. La rue est apparue comme le principal terrain d’expression de l’opposant historique.
En effet, l’histoire retiendra que c’est par la rue qu’il accéda au pouvoir d’Etat lors des évènements d’octobre 2000. Le lendemain, il fera mâter dans le sang, les manifestants du Rdr qui réclamaient une reprise des élections. Il y avait même des leaders du Fpi dont Mamadou Koulibaly pour lesquels ces évènements valent légitimation populaire. Tout comme le peuple serait descendu dans la rue pour prendre le pouvoir au régime du général Guéi et l’offrir à Laurent Gbagbo en octobre 2000, il serait redescendu dans la rue pour défendre ce pouvoir contre les militants du Rdr le lendemain. Et en 2002, le peuple infatigable est à nouveau descendu dans la rue pour défendre le régime ouvrant la voie au mouvement des jeunes patriotes. Ce parti pris de l’exaltation de la rue met en abîme les résultats des élections, notamment celles auxquelles ont participé tous les partis. Là où l’on voit que, du fait des élections exclusives et non ouvertes, une différente certaine existe entre la majorité électorale et la majorité politique. Le paradoxe, c’est qu’autant le pouvoir Fpi tente de se légitimer par le soutien populaire de la rue, autant il interdit l’accès de la rue aux partis d’opposition. Je cite: «Aujourd’hui, à l’heure où je parle, ordre est donné aux policiers, aux gendarmes, aux militaires de s’opposer par tous les moyens, je dis bien par tous les moyens sur toute l’étendue du territoire aux semeurs de trouble», ainsi parla Laurent Gbagbo, le 4 décembre 2000, à cette heure terrible dont le bilan s’établit à des centaines de morts, de blessés. Répond cette autre heure tout aussi macabre du 24 au 26 mars 2004 où le chef de l’Etat requalifiera la manifestation du Rhdp en insurrection. Les services de sécurité, quelques jours auparavant, avaient classé le Plateau «zone rouge» et décréter que tout manifestant qui s’y aventurerait sera considéré, et je cite : «comme combattant ennemis et sera traité comme tel sans sommation ». Les forces de sécurité déplacent les limites de la zone rouge du Plateau jusqu’à Abobo où, extraits des concessions ou sur les lieux de la manifestation, des jeunes gens sont abattus froidement. Des MI 24 survolent le quartier à basse attitude. Ceux qui tentent de porter secours aux blessés sont arrêtés. Des corps sont laissés en putréfaction avec interdiction d’y toucher. Ces violences ne regardent pas seulement les victimes mais aussi les auteurs. Qui s’offusquent dès lors que le supplicier ose les regarder en face. S’il s’enflamme aussitôt, c’est parce que le regard de l’autre lui rappelle le sien propre. Pour nier cette évidence, il n’a de cesse de dégrader, de brimer, d’humilier sa victime. La requalification de la manifestation politique en insurrection articule, en d’autre fond, la notion du complot. Ce qui est présenté comme tel par les médias d’Etat au terme de mises en scène grossières et bâclées n’est que le ressort médiatique, l’alibi d’une réflexion déjà à la hache. Selon les Staliniens, le complot est un dispositif de productions distraites en même temps qu’elles projettent en arrière plan la très grande vigilance du régime. Il met hors d’état de nuire les comploteurs ou ceux qui sont supposés comme tel. Le système peut alors se prévaloir de son efficacité. Une autre fonction du complot comme mensonge officiel consiste dans la remobilisation des Juifs contre Judas, des patriotes contre les traitres et, bien entendu, qui sont à la solde des étrangers. Or en démocratie, l’opposition représente la minorité provisoire, derrière elle la minorité des minorités des étrangers. Les minorités ne sont pas toutes formées. Elles sont produites par la situation spécifique de chaque nation et de chaque nationaliste. Au moins une bonne moitié des 26% d’étrangers de Côte d’Ivoire seraient des nationaux au Ghana ou au Nigeria. Là-dessus, Djéni François a fait des démonstrations qui me semblent indiscutables. La situation de non droit des immigrés, leur appartenance à des nations autres les désignent comme s’ils pratiquent la violence ordinaire du pauvre. Et l’Etat non démocratique les tient pour des éléments d’une simple scène subtile. On peut radicaliser la bienveillance démocratique pour leur opposition jusqu’au point. Karl Poker disait: «L’excellence démocratique tient au traitement qu’un régime donné réserve à ses minorités». Autant le coup de force de 2000 reste illégal, autant les répressions de 2000, 2002, 2004 et 2010 sont injustes et injustifiées. Elles sont également injustifiables. La rue peut faire force de violence. Mais elle ne fait pas force de loi. Elle ne porte pas l’autorité qui donne à la légalité ses kits de légitimité. Le régime Fpi peut revendiquer une certaine légalité, précisément celle de la force parce qu’il n’est pas issu des urnes et encore moins d’élections justes et transparentes. Il n’a aucune légitimité. Il n’a pas su préserver sa légalité entachée d’exactions et de violences extrêmes. Au nom de celles-ci, tous les charniers de Yopougon, les escadrons de la mort ont à peine émus les amis socialistes français. L’assassinat de Jean Hélène, la disparition de Guy André Kieffer, les slogans : « A chacun son blanc », publiquement affichés lors des meetings de ceux qu’il est convenu d’appeler les ‘‘jeunes patriotes’’ ont fini par rendre la refondation et ses décideurs infréquentables. L’aveu vient de François Holland, alors secrétaire général du Parti socialiste français. Le régime Fpi a usé de la violence sans modération. D’une part, il a abusé de la violence fondatrice de droit, et d’autre part, il a abusé de la violence conservatrice de droit. La première est illégitime parce qu’elle s’impose à un ordre déjà fondé sur le droit, notamment le droit de contester pacifiquement les résultats des élections. Aussi, la seconde est injuste en ce qu’elle abuse de l’autorité du pouvoir sans que la forme de ce pouvoir procède de la loi et la justice. Autant qu’il n’y a pas de loi sans force, autant la force sans la justice et la loi reste prisonnière de la violence. Comme l’indique Walker B., ces deux types de violences foulent au pied la légalité et la justice. Et ils sortent la compétition politique du cadre de l’opposition loyale entre des adversaires égaux pour la projeter sur le terrain de l’opposition extrême de l’ami et de l’ennemi. Une telle position du problème politique renvoie à la théorie de Karl dont les accointances avec le système nazi d’Hitler sont connues. Les historiens m’accorderont que Félix Houphouët-Boigny dont le charisme brillait d’or a bâti sa légitimité parce qu’elle sort des urnes notamment pendant la période du Syndicat agricole africain et de la naissance du Rda et seulement par son sens du consensus. C’était le consensus, un élément fondateur de démocratie. Il s’ensuit que les conditions d’arrivée au pouvoir sont plus glorieuses que les manœuvres pour le conserver, notamment par l’institutionnalisation du parti unique. Toutefois, le ‘‘vieux’’ a su développer une sagesse sur le socle de la légalité républicaine et de sa légitimité historique. Les résultats concrets de son action et de sa vison de la Côte d’Ivoire, en a imposé à tous ses adversaires. A défaut de renouveler sa légitimité de manière incontestable par des élections claires et transparentes, il a inlassablement négocié le consensus autour de lui-même. Qu’en est-il du premier des refondateurs? Oublions un moment les conditions épouvantables de son arrivée au pouvoir. Accident de l’histoire ou effet de la providence, c’est selon. Mais, qu’a-t-il fait de ce pouvoir qu’il a eu comme il a eu ? Ce régime a-t-il été, est-il bénéfique pour la Côte d’Ivoire et pour les Ivoiriens en général. Que laisse son coefficient de sagesse politique? Quelle est la sagesse de celui qui devant les mémoires encore ouvertes des parents des victimes proclame: «Mille morts à gauche, mille à droite, moi, j’avance». De quel consensus pourrait se prévaloir un chef d’Etat qui se proclame 100% président et 100% candidat tout en déclarant: «Si on ne fait pas d’élection, ça fait quoi même?» N’y a-t-il pas maldonne lorsqu’au cours de sa visite officielle à Paris en 2001 après avoir été officiellement reçu au palais de l’Elysée par Jaques Chirac, notre chef à tous, prend ses dossiers pour se rendre à un meeting du Parti socialiste français?
Au plan de la politique intérieure, le régime des refondateurs n’a pas su apaiser le ton du débat politique. Au contraire, il a contribué à le surchauffer. Dès novembre 2000, Laurent Gbagbo a pu dire et je cite: «Tant que le Rdr attachera son sort à celui d’Alassane Dramane Ouattara, je ne vois pas d’avenir pour ce parti en Côte d’Ivoire». Pendant ce temps, les dossiers de l’impunité s’accumulèrent: le procès bâclé des mis en cause dans le charnier de Yopougon, le procès des auteurs liés aux infiltrations des manifestations d’octobre et de décembre 2000 ne semble jamais devoir commencer. Les incendies récurrents des journaux proches de l’opposition, le déficit de volonté politique pour appliquer les résolutions du Forum pour la réconciliation nationale. Ceci et cela ont éloigné la Côte d’Ivoire des normes de l’Etat de droit. On m’a dit: «Tout cela, c’est la faute à la rébellion». On connaît la chanson: «Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire. Le nez dans le Rousseau, c’est la faute à Rousseau». Une rébellion est peut-être pire qu’une catastrophe naturelle mais ce n’est pas une catastrophe naturelle. Elle n’arrive pas inopinément. Une rébellion, c’est un certain nombre de problèmes sociaux et politiques pas résolus ou mal résolus. Le temps que nous avons mis et que nous mettons encore à sortir de cette crise alors que sur le terrain les hostilités concrètes juste quelques semaines confirme que ce pays était bel et bien malade dans sa structure et dans sa mentalité. Et comment ne pas penser aux mises en garde lancées en 2001 par des responsables politiques à l’endroit, je cite: «Des petits gars qui s’amusent à nos frontières ». Bref! En fait, la force n’est respectable que transcrite en droit. Pascal enseigne que la justice sans la force est impuissante. Et la force sans la justice est tyrannique. Appliquer la loi, dit-il, c’est lui donner la force. C’est l’observance de la loi par les citoyens qui fait sa force. Car, l’Etat ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque citoyen pour le contraindre à respecter ses décisions. Celles-ci sont librement respectées par les citoyens pour autant qu’elles soient respectables et dignes. La dissolution du 12 février 2010 du gouvernement et de la Commission électorale indépendante n’était pas respectable parce qu’elle n’était ni juste, ni pertinente, ni opportune. Un joueur n’a aucune légitimité à démettre l’arbitre en plein match et encore moins quand l’arbitre n’a fait que son devoir. La dignité, la justice, les droits de l’homme travaillent le droit et le mettent en mouvement dans une sorte d’inégalité en soi qui ouvre sur l’horizon de la justice. Dans une société ouverte, les groupes sociaux pour la facilité d’exprimer individuellement ou collectivement leur désapprobation, la manifestation politique est donc un acte citoyen qui relève de la liberté d’expression. Le traitement qu’un Etat réserve à ses manifestations politiques, à son opposition et à ses opposants est un indicateur de teneur démocratique. Le régime qui utilise les forces de défense et sécurité comme moyen d’action à une partie de sa jeunesse, mais comme moyen de violence répressive pour une autre partie n’est ni juste, ni démocratique. Il oublie qu’il ya des paradoxes de la force. Au quartier, on dit: «c’est fer qui coupe fer». «Appliquer la loi, disait Pascal, c’est lui donner la force». Mais, il n’y a pas la force. Il y a des différences de forces qui peuvent se renverser. Le moment de la rébellion du 19 septembre 2002 est un de ces moments de retournement de la force. Les Accords de Marcoussis puis les accords de Ouaga sont des moments de retournement des forces. L’intérêt des élections justes et transparentes, c’est de conjurer durablement cette logique des forces par la production pacifique d’une légitimité politique (…).


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