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Art et Culture Publié le mercredi 21 avril 2010 | Nord-Sud

Fadal Dey (artiste-chanteur) : “Koné Dramane n’a rien compris”

Sorti le premier février 2010, le dernier album de Fadal Dey, artiste reggae, continue de faire des émules. Après une censure à la télévision nationale, l’œuvre discographique fait l’objet de critiques de certains membres du parti au pouvoir. Dans cette interview, il répond au ministre Koné Dramane et clarifie des idées développées dans ses chansons.

Votre dernier album est intitulé Mea-culpa. Que regrettez-vous?
Mea-culpa parce qu’en tant qu’artiste et jeune Ivoirien, j’ai constaté que j’ai fauté. En 1990, j’ai suivi un mouvement sans savoir grand-chose dans la politique. Nous nous sommes jetés dans la rue en criant Houphouet voleur. Vingt ans après, je constate que ce sont les acquis sous Houphouët-Boigny qui sont là. Les ponts Houphouët et Général de Gaulle, les Chu (Centres universitaires et hospitaliers), les mêmes infrastructures et rien de nouveau. Personnes (parmi les successeurs), n’a fait mieux qu’Houphouët. Partant de là, j’ai compris que c’était une erreur que d’avoir crié dans la rue ‘’Houphouët voleur’’. C’est pourquoi outre le mea-culpa, je demande pardon au ‘’vieux’’, d’avoir été parmi ceux qui l’ont humilié en 1990. Voyez aujourd’hui la grande misère que traversent les populations. Un peuple qui ne vit plus, mais survit. Des familles qui ne mangent qu’une seule fois par jour.

N’est-ce pas une façon de dire à ceux qui ont appelé la population à descendre dans la rue en 1990, de faire eux-aussi leur repentir ?
Ils se réclament ‘’houphouetistes’’. Quand on dit de quelqu’un, hier, qu’il est voleur et qu’aujourd’hui on se réclame de lui, il faut vraiment faire son mea-culpa.

On ne vous a pas encore vu sur la télévision nationale depuis la sortie de votre album. Que se passe-t-il ?
Depuis la sortie de cet album, je ne suis pas passé à la télévision nationale. J’ai comme l’impression que je ne suis pas le bienvenu là-bas. Pour la promotion de l’album nous avons réalisé un spot qui a été refusé à la télé. Comme on avait payé, ils l’ont refait à leur goût. Pour dire qu’il y a eu une censure qui frappe l’album. Certains nous ont confié qu’ils risquaient leurs postes s’ils donnaient l’autorisation pour le faire passer. On pouvait bien faire la promotion de certains titres de l’album, mais nous préférons Mea-culpa. On a l’impression que tout est faux autour de nous. Tout le monde pense avoir raison et le peuple a faim à côté. Avec tout cela, on nous demande de nous taire là-dessus. C’est un combat que menons.

Dans sa chronique hebdomadaire dans le quotidien Notre Voie, ‘’Dire Bien’’, le ministre Koné Dramane, vous reproche deux faits. Primo, de vouloir régler des comptes avec un grand-frère «qui a un peu, qui n’aide pas plus petit que lui». Et, qui mangerait dans l’assiette du chien après avoir chanté : «Le chien aboie la caravane passe». Secundo, de servir une cause perdue. Qu’en est-il ?
Cela me fait sourire. Je suis heureux que le grand-frère Koné Dramane ait pris son temps pour décortiquer mon album. C’est une grande première en matière de musique. Qu’un ministre, de surcroît linguiste, s’asseye pour faire un tel travail sur un album et donne publiquement son avis. J’en suis flatté. En même temps, je dirai au ministre, qu’il ne me connaît pas. Pour être poli, car il est Koné comme moi (on a le même patronyme), je pense qu’il n’a rien compris à la chanson ‘’grand-frère’’. Il parle de régler des comptes, avec qui ?

Avec le grand-frère qui a dôônin (un peu)…
A ce niveau, je crois comme il me le reproche, que lui-même n’a pas été assez courageux pour le nommer. Moi, dans ma chanson, je parle de mon grand-frère. Lui, qui fait allusion à quelqu’un, devait être capable de le nommer. Pour que la nation sache clairement à qui il pense. Aussi, parle-t-il de richesse. Cette chanson n’a rien à voir avec la richesse. Quand chez nous on dit que ‘’quelqu’un a un peu’’, nous voyons le côté financier. Mais dans cette chanson, je parle du côté relationnel. L’opportunité qu’on a. Le ministre est tombé dans le piège, car, c’est une chanson qui trompe beaucoup. Lorsque je dis : «Quand on a vu Dieu, on prie pour que d’autres saluent Jésus. Quand on a vu Allah, on prie pour que d’autres saluent Mahomet », ça n’a rien à voir avec le matériel. C’est une façon de faire profiter aux autres ses connaissances. Comme exemple, en Jamaïque, c’est Jimmy Cliff qui a conduit Bob Marley vers son premier producteur, Lesly Kong. Aujourd’hui, le monde entier sait qui est Bob Marley. C’est aussi Bob Marley qui a conduit Burning Spear au studio One. C’est de ça qu’il s’agit.

Mais il n’est pas obligé de le faire…
Nullement, je n’ai dit dans ma chanson qu’il faut aider matériellement les autres. C’est lui qui le dit, car c’est ce qu’il a compris. Je dis qu’il faut que le grand-frère fasse profiter ses relations. Même quand je parle de ‘’wariman’’, le ministre me parle de quelqu’un de riche. Ce n’est pas ce que je veux exprimer. Quand je fais allusion à un ‘’wariman’’, c’est à quelqu’un qui aime l’argent. ‘’Rastaman, reggaeman ou wariman’’.

Quelles sont les causes perdues que vous défendez alors ?
Je ferai un pas en arrière, pour qu’il sache qui je suis. J’ai sorti mon premier album en 1997, ‘’Religion’’. Sur cet album, il y avait une chanson, ‘’Gouvernement chauve-souris’’, où je demandais aux détenteurs du pouvoir de ne pas s’y accrocher et de savoir partir tout en gardant leur dignité. C’est une chanson que le président Gbagbo aimait bien et en ce moment, on disait que j’étais du Front populaire ivoirien (Fpi). Elle était jouée aux meetings de ce parti et les autres partis de l’opposition. Je ne recevais rien. Sauf, qu’aux funérailles de Djéni Kobéna, j’ai reçu 25.000 Fcfa. Le second album ‘’Djahsso’’ sorti en 1999, prévenait une situation. Dans la chanson ‘’Bôyôrôdjan’’ (celui qui vient de loin), je dis clairement que quelqu’un qui vient de loin n’a pas le droit de le rappeler à son voisin. Et quand on fait des tris entre les enfants d’un même pays, ça peut dégénérer et éventuellement, créer une guerre. Si en ce moment, ces intellos irresponsables n’y ont pas fait attention, que veulent-ils que nous fassions ? Je pense avoir joué suffisamment ma partition.

Mais, pourquoi, selon le ministre, vous ne dites pas qu’ «un acteur comme Alassane Dramane Ouattara a joué un rôle néfaste » ? Lui qui avait promis de «nyagami» (mélanger) ce pays ?
Je n’ai accusé qui que ce soit. Je n’ai pas dit que c’était la faute à Gbagbo ou à Bédié. Moi je ne reviens pas sur les causes. J’apprécie la situation que je vis. A savoir, comment retrouver la paix. Quand le ministre dit qu’il a offert mon CD lors d’une cérémonie de 40e jour à Abobo à une personne qui ne lit que le quotidien ‘’Le Patriote’’, c’est une dangereuse manière de réfléchir. Que ce genre de personne soit auprès de notre chef de l’Etat, le pays est en danger. Et, je crains fort qu’on s’en sorte. Je ne tomberai pas dans ce jeu. Je suis un artiste, un fédérateur. Aujourd’hui, je me suis mis au-dessus des partis politiques. Je ne suis plus ce gamin qu’on a instrumentalisé et mis dans la rue pour crier, ‘’Houphouët voleur’’. Moi j’ai fait mon mea-culpa et je ne comprends pas ce qui leur fait mal.

Pour comprendre un peu ce que dit Koné Dramane, à quoi faites-vous allusion lorsque vous faites le jeu de mots : «Prisonniers de guerre» et «Prisonniers de la guerre » ?
Je ne suis pas linguiste, je suis un artiste. Et lui, il n’est pas artiste. Bien que l’artiste ait la liberté de créer des mots selon ses inspirations, l’expression «Prisonniers de la guerre», n’est pas de moi. C’était lors de la fête du travail en 2008, lorsqu’un syndicaliste a demandé au président de la République de libérer les «vrais prisonniers de la guerre». Car il y a certaines personnes qui se plaisent dans la situation de guerre. Ils ne sont ni députés, ni ministres, mais, ils ont toutes les faveurs de l’Etat. Ils ont des gardes du corps payés par le contribuable. Ces personnes militent pour maintenir cette situation. Qui si elle prend fin, marque la fin de leurs privilèges. C’est de là qu’est partie mon inspiration. Je n’ai fait que pousser la réflexion, ensuite, je l’ai généralisée. Quand dans la chanson je demande de les libérer, c’est dit dans le refrain, ‘’on veut la paix’’. J’aurai aimé que le ministre prenne le temps d’écouter encore l’album.

Il ne l’a plus. Il pense que cet opus ne mérite pas de figurer dans ses archives aux côtés de Bob Marley, Burning Spear, Alpha Blondy…
Malgré cela, je suis heureux de le compter parmi mes fans. Il a au moins pris le temps d’acheter mon CD. J’estime que ce CD n’était pas piraté, car, c’est sous lui en tant que ministre de la Culture, que la piraterie a pris de l’ampleur.

Interview réalisée par Sanou Amadou (stagiaire)
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