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Art et Culture Publié le mercredi 21 avril 2010 | Le Patriote

Interview / Alpha Sidibé (Créateur de mode) - “Le pagne traditionnel peut apporter beaucoup à la Côte d’Ivoire”

Styliste et modéliste de renom, Alpha Sidibé voue une passion pour les pagnes traditionnels ivoiriens singulièrement le Tanni, pagne tissé baoulé qu’il s’attèle à promouvoir depuis quelques années. Basé désormais à Yopougon, le créateur de mode dévoile, dans cet entretien, ses nouvelles ambitions et réitère sa farouche volonté de donner une meilleure visibilité au Tanni.

Cela fait quelques années qu’on n’entend plus Alpha Sidibé. Pourquoi ce silence ?
Ce silence, parce que j’étais absent d’Abidjan. Je m’étais retiré momentanément à Bouaké, pour me ressourcer auprès de ma famille. Je suis maintenant de retour dans la capitale économique.

Et vous avez choisi de déserter votre atelier de Treichville pour Yopougon…
Effectivement, j’ai décidé de déménager à Yopougon où j’ai construit un centre pour la promotion du pagne traditionnel ivoirien, qui me sert aussi de showroom. J’avoue que l’atelier de Treichville ne répondait plus aux critères que nous avons dans notre métier, ce n’était plus grand et bien exposé. Je pense qu’avec l’aide de bonnes volontés, je pourrais m’éclater dans ce centre et y faire la promotion de nos pagnes traditionnels.

Yopougon n’est pas une destination prisée par vos pairs stylistes et modélistes. Qu’est-ce qui explique ce choix, pour le moins inattendu ?
C’est un quartier qui me plaît beaucoup. C’est un vrai melting-pot, toutes les régions du pays s’y retrouvent. A Yopougon, vous avez les Baoulé, les Sénoufo, les Gouro, Yacouba, Lobi…Bref, une vraie Côte d’Ivoire en miniature. C’est pourquoi, j’ai choisi d’y créer mon centre pour la promotion du pagne traditionnel ivoirien, où les populations peuvent se retrouver pour apprécier leurs pagnes du village. Je me sens au village ici comme je me sentirais au village à Tiémassoba, derrière Séguéla, où j’ai fait toute mon enfance. A Yopougon, je pourrais démontrer tout mon savoir-faire sur le pagne traditionnel de mon pays.

Justement, vous avez révélé, il y a quelques années, le Tanni, pagne tissé baoulé. Que devient-il ?
Il est là, il est d’ailleurs très prisé hors de la Côte d’Ivoire. Ce sont les plus beaux pagnes d’Afrique et les dessins sont vraiment bien faits. C’est un pagne apprécié par tout le monde aussi bien en Afrique qu’en Europe.

Comment l’avez-vous découvert?
Je l’ai découvert lorsque j’allais à l’école coranique à Tiémassoba à Séguéla. A l’époque, je côtoyais un oncle qui tissait beaucoup les pagnes. Je l’aidais à travailler. C’est à partir de là que j’ai commencé à prendre goût à ces pagnes. Je suis ensuite allé à Bouaké et j’y ai découvert des Baoulé qui tissaient de très beaux pagnes. Et j’ai continué à me familiariser davantage avec les pagnes traditionnels. Je ne regrette pas d’avoir choisi ces pagnes et de faire leur promotion. Le pagne tissé baoulé est aujourd’hui apprécié au même titre que le bogolan au Mali et le Faso danfani au Burkina Faso.

Pourtant, les journées du Tanni que vous avez organisées, il y a quelques années, n’ont pas eu de suite…
Nous n’avons pas continué faute de soutiens financiers. Vous me donnez là l’occasion de solliciter l’aide de nos autorités notamment le président Gbagbo et le Premier ministre Guillaume Soro et de tout le monde pour que je puisse faire la promotion de ce pagne qui me coûte énormément cher. Je veux que les tisserands qui sont en brousse puissent s’en sortir sans être obligés de venir en ville. En travaillant ce pagne, on crée des emplois pour les jeunes. Je demande qu’on m’aide vraiment.

Concrètement qu’attendez-vous d’eux ?
J’attends des moyens financiers. On en a besoin pour installer des tisserands et leur donner des moyens pour qu’ils puissent travailler. J’ai construit mon centre qui me sert aussi d’atelier. Il nous manque des machines et des moyens. Je peux installer quelques tisserands ici. Et si la promotion est bien faite, je mettrai les gens en contact avec des villes comme Bomizambo, Waraniéré pour que les gens puissent aller y chercher des pagnes. Car, il y a beaucoup de demandes, surtout de designers français. Quand je suis allé au siège de l’Unesco à Paris en 1999 pour représenter la Côte d’Ivoire avec d’autres stylistes, ils ont énormément apprécié nos pagnes et j’y ai pris beaucoup de contacts avec des créateurs de mode. Nos pagnes traditionnels peuvent apporter beaucoup à la Côte d’Ivoire. Et ce sera une promotion énorme pour ces tisserands, surtout ceux que je compte installer dans mon centre notamment un tisserand de Biankouma, un de Bomizambo, un de Waraniéré. Ce n’est pas pour ma personne que je veux faire cela. Dans un pays, tout le monde doit jouer son rôle. Il faut aider les tisserands à se prendre en charge.

Quelles dispositions comptez-vous prendre que le Tanni ne tombe pas sous l’éteignoir après Alpha Sidibé, à l’image du Bogolan qui n’est plus trop promu depuis le décès de Christ Seydou ?
Pérenniser mon œuvre est une ambition que j’ai toujours nourrie. Si Dieu le veut, je trouverai quelqu’un qui s’intéressera à ce travail. J’ai créé ce centre pour que ce pagne puisse entrer dans l’histoire. Je voudrais qu’on retienne, quand je ne serai plus là, qu’il y avait un créateur de mode qui se battait pour la promotion du pagne traditionnel de Côte d’Ivoire et des tisserands.

Quels sont vos projets depuis que vous êtes dans ce centre ?
Trouver d’abord ce qu’il faut pour faire un grand défilé sur le pagne traditionnel ivoirien. Je compte aussi faire un grand défilé à Bouaké pour montrer à cette ville qui m’a vu grandir que j’ai encore des choses dans le ventre.

Quelles créations allez-vous présenter ?
Toutes sortes de vêtements. Des costumes en pagne tissé, des chemises, des robes de mariée, des tenues de ville et de soirée. Je compte vraiment travailler pour que ce pagne soit très porté en Afrique et en Côte d’Ivoire et aussi en Europe et aux Etats-Unis. C’est mon ambition.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le monde de la mode en Côte d’Ivoire ?
Aujourd’hui, les stylistes sont obsédés par la quête de l’argent. Ils ont tendance à négliger le côté création. Je les comprends, c’est sans doute la conjoncture qui favorise cela. Même mes enfants me le reprochent. Ils me disent : « Papa, tu es toujours en train de réfléchir pour faire de belles choses, tu crées, les autres font des choses simples et vendent beaucoup. Tu crées, les autres copies et vendent, tu n’en profites pas ». Je leur réponds toujours que ça va venir. J’en profiterai un jour. Pour preuve, j’ai eu le prix du meilleur créateur de la CEDEAO sur le pagne traditionnel au cours du Yéhé 99. J’ai été invité à l’Unesco à Paris et au Siao( en 96) et au Kpalèzo, puis à la Semaine de la mode à Dakar en 98. Tout cela grâce au page traditionnel et au travail que j’en fais. Beaucoup d’intellectuels à l’époque, notamment Jean-Marie Adiaffi et Pr Mémel Fotê, m’avaient félicité. Et aujourd’hui de grands intellectuels, comme le Pr Konaté, saluent mon travail. Pour moi, c’est une satisfaction énorme. On ne fait pas un travail uniquement pour gagner de l’argent, mais aussi pour laisser des traces. L’argent ne fait pas à lui seul le bonheur. On a d’autres choses, l’honneur et le plaisir de faire ce qu’on aime. Je suis vraiment fier de ce que je fais. Même si c’est dur en ce moment pour moi, je suis convaincu que je récolterai un jour les fruits de mes efforts et l’Etat reconnaîtra mon combat pour le pagne traditionnel et me soutiendra.
Réalisée par Y. Sangaré
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