L’affaire a d’abord fait du bruit dans le village de Didia, sous-préfecture de Bayota dans le département de Gagnoa avant de connaître son dénouement au tribunal des flagrants délits de la ville. Une petite fille de 8 ans, initiée à la sorcellerie, relève de l’incroyable. Pourtant, cela s’est effectivement passé dans ce village. Pour y arriver, le chemin est long et cahoteux. En cette période de début de saison pluvieuse, les pistes villageoises sont en piteux état. Patinage, flaque d’eau, boue. Toutes les conditions sont réunies pour faire un voyage de misère. Néanmoins nous y arrivons cet après-midi là. C’est un village presque moderne avec de belles constructions. Les enfants et les femmes sont les premières personnes que nous rencontrons dans le village. Les premiers jouant et les secondes occupées à exécuter les tâches domestiques. Nous nous approchons d’un bistrot où des jeunes devisaient entre eux. Nous forçons leur amitié et déclinons l’objet de notre visite. Tous se regardent et personne n’ose prendre la parole pour nous indiquer la maison de la famille Sokouri. Ils s’entretiennent dans la langue locale puis de façon unanime déclarent « celui que vous cherchez est en déplacement ». Nous prenons congé d’eux et décidons de déambuler dans le village. L’un de nos interlocuteurs du bistrot nous rejoint. L’alcool aidant, il décide de délier sa langue. « Personne n’acceptera de vous conduire là où vous voulez aller. La presse n’a pas bonne réputation, donc les gens ont peur. Le problème de sorcellerie est tellement sérieux que nul ne veut endosser une quelconque responsabilité », révèle le poivrot avant de nous conseiller : « il est mieux, de retourner sur vos pas ». Mais nous insistons à faire du tourisme. Jusqu’à ce que nous apprenions qu’à cause des travaux champêtres, la plupart des hommes rentrent tard au village. Nous en déduisons que Sokouri Kouamé, l’objet de notre visite dans ce village, est de ceux-là. Et, qu’une fois à la maison, il sera difficile pour lui de nous entretenir. Peut-il, seulement être coopératif ? Nous étions sur le point de jeter l’éponge. Cependant nous avons recueilli des informations auprès du tribunal. De quoi s’agit-il ? C’est un couple, Sokouri Kouamé et madame qui vivait en harmonie dans le beau et paisible village de Didia, jusqu’au jour où leur fille Sokouri Joëlle, élève de 8 ans en classe de Ce1, est initiée à la sorcellerie. Son parrain se nomme Toto Hervé alias Vetcho, âgé de 18 ans. C’est pendant que la petite se rendait à l’école que Vetcho lui barre le chemin et décide de lui ouvrir les yeux aux choses de la nuit. « Je partais aux cours lorsque Vetcho m’a interpellée. Il m’a proposé de l’eau et m’a menacée de la boire sur-le-champ, faute de quoi il allait me tuer. J’ai obéi », raconte-t-elle son initiation. Depuis ce temps-là, Joëlle a abandonné ses camarades de classe au profit de son patron Vetcho. Avec qui elle passe toute la journée dans les profondeurs de la forêt villageoise. Certainement pour parfaire le processus d’initiation à travers une formation théorique. La pratique ne va pas tarder à suivre. Il demande à sa filleule de livrer sa mère en extrayant tout son sang. «Sur recommandation de mon maître, j’ai sucé le sang de ma mère. Je l’ai gardé dans ma bouche avant de le remettre à qui de droit », témoigne-t-elle à la barre où un monde plein de curieux restait suspendu à ses lèvres. Comme il fallait s’y attendre la mère de Joëlle tombe gravement malade. « Ma femme devenait de plus en plus chétive. A l’hôpital, les médecins n’ont pu rien déceler comme maladie. Pourtant elle continue de souffrir », déclare pitoyablement le mari. Les nombreuses voies explorées pour guérir sa femme lui indiquent que sa fille y est pour quelque chose. C’est ainsi qu’il passe celle-ci à l’interrogatoire. Elle avoue et cite Hervé comme complice. Invité à la barre, ce jeune homme d’un calme olympien qui se présente rejette, toute accusation. « A l’époque, j’étais sorcier mais depuis novembre 2007 je ne suis plus membre d’un quelconque groupe. Joëlle reconnaît avoir été initiée en 2008 alors que moi, c’est depuis 2007 que j’ai raccroché. Je ne peux donc pas être son initiateur », se défend crânement le prévenu. Surtout qu’aucune preuve matérielle n’existe pour le confondre. C’est tout naturellement qu’il est déclaré non coupable et relaxé au bénéfice du doute. Quant à la petite Joëlle, elle ajoute que le salut de sa mère passe par une délivrance à l’église. Le tribunal a donc invité le père à suivre les consignes données par sa fille. Espérons que cette solution est la bonne…
Alain Kpapo à Gagnoa
Alain Kpapo à Gagnoa