Il aurait eu, cette année, 109 ans. Celui qui, un jour, du haut de la tribune de l’Unesco, dans les années 60, a dit cette phrase immortelle: «En Afrique, chaque fois qu’un vieillard traditionaliste meurt, c’est une bibliothèque inexploitée qui brûle!», proverbe devenu par un raccourci qui n’en altère cependant pas le sens: «En Afrique, chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle!».
Ecrivain, conteur, philosophe, diplomate, mystique même, Amadou Hampaté Bâ aura fait connaître au monde africain et surtout celui des canons et des machines, l’Occident, les plus beaux textes de la tradition orale peule. Dont témoignera, avec raison, le Grand prix littéraire d’Afrique noire à lui attribué, en 1973, avec un «roman» étrange, «L’étrange destin de Wangrin», le récit authentique de la vie d’un homme assez extraordinaire «raconté à l’africaine par un conteur de grand talent» ; une sorte «de pamphlet sur la corruption causée par l’européanisation».
Hampaté Bâ? C’est un nom, et surtout un combat. Celui de la défense des traditions orales dont toute sa production littéraire en portera la marque, le sceau de l’âme de l’éducation reçue à travers une célébration des valeurs humanistes essentielles: la Tolérance, le Respect de la différence et la Paix. Autant de valeurs que lui enseignera un «saint homme», Tierno Bokar Salif Tall, un savant, précise-t-on, en sciences islamiques, maître d’école coranique, mystique, haut dignitaire de la Tidjaniya (congrégation soufi musulmane très répandue en Afrique noire). «Je n’ai jamais cessé, (de recueillir les traditions orales), et cela depuis ma prime jeunesse. J’ai eu la chance, en effet, de naître et de vivre dans un milieu qui était une sorte de Grande école permanente pour tout ce qui touchait à l’Histoire et aux traditions africaines».
Né dans un mois de l’an 1900 ou 1901, c’est selon, à Bandiagara, chef-lieu du pays dogon et ancienne capitale de l’Empire toucouleur du Macina, Amadou Hampâté Bâ est avant tout aussi un grand mémoriste. Qui aura su tirer profit des avantages liés à ce type de formation. A 7 ans, il savait lire et retenait les textes du Coran. Les éducations spirituelle stricte par son père; religieuse et morale traditionnelle des voies ésotériques de l’Islam par un sage, l’avaient préparé à cet engagement qui exigeait des êtres riches des savoirs. Et, de ses armes miraculeuses, toute sa vie, l’écrivain, le grand penseur s’attachera à défendre et à sauvegarder les cultures orales peules et le dialogue entre les hommes.
Son oeuvre littéraire considérable va des poèmes, contes, romans aux traductions des ouvrages historiques comme «L’empire peul du Macina», publié en 1955. (Voir Encadré).
«Le sage d’Afrique» ou de «Marcory», reste une bibliothèque immortelle qui aura fait connaître le monde africain, ses traditions, son passé.
Le rôle, entre autres, qu’il aura joué, affecté en 1942 à l’Institut français d’Afrique noire (Ifan) de Dakar, grâce à la bienveillance du professeur Théodore Monod,directeur, reste déterminant. Enquêtes ethnologiques et recueil des traditions orales... il se consacrera notamment à une recherche de quinze ans qui le mènera à rédiger l’Empire peul du Macina.
En 1951, avec une bourse de l’Unesco, à Paris, sa rencontre avec les milieux africanistes, notamment Marcel Griaule, lui donne encore les raisons de se battre pour l’affirmation des traditions noires. L’Institut des sciences humaines, à Bamako, qu’il fonde en 1960, à l’indépendance du Mali, va dans le droit fil de ses engagements. Sa présence à la Conférence générale de l’Unesco, où il représente son pays, n’est qu’une tribune pour faire entendre la voix de l’Afrique, celle des traditions, des valeurs culturelles à sauvegarder, pour lequel n’aura cessé de battre son cœur. Elu en 1962 membre du Conseil exécutif de l’Unesco, il participe, en 1966, à l’élaboration d’un système unifié pour la transcription des langues africaines. Son mandat prend fin en 1970. Une mission bien remplie à l’Unesco. Au nom, non seulement de son pays, mais de son continent. Au soir de sa vie, à Abidjan, auprès d’un autre sage d’Afrique, Félix Houphouet-Boigny qu’une amitié de longue date liera – il a exigé de Modibo Keïta que Amadou Hampâté Bâ soit l’ambassadeur du Mali en Côte d’Ivoire-, ce savant venu du pied des falaises du pays Dogon, s’occupera à classer ses archives accumulées durant sa vie sur les traditions orales d’Afrique de l’Ouest ainsi qu’à la rédaction de ses mémoires, Amkoullel l’enfant peul et Oui mon commandant !, qui seront publiés après sa mort le 15 mai 1991.
15 Mai 1991- Mai 2010. 19 ans après, résonne encore la voix de ce digne fils d’Afrique dans nos oreilles. Mais qui se souvient encore d’elle, face aux tintamarres qui empêchent de raisonner sainement, qui brouillent toute lisibilité, toutes voies qui mènent aux bons repères?
Cette voix de ce digne fils d’Afrique, qui aura défendu ce continent avec une irrésistible passion ne pouvait s’oublier dans le vaste livre des oubliés de notre histoire. C’est le sens de la Fondation qui porte son nom, qui se propose, entre autres, de recenser tous les documents écrits et audiovisuels laissés, écrits ou numérisés sur l’homme; ériger une bibliothèque, de publier ses œuvres posthumes, créer des clubs dans les lycées et collèges, «Les amis de Amadou Hampaté Bâ», et susciter, à terme, des recherches et des études universitaires sur lui, favoriser les échanges interculturels, développer des accords et des échanges avec les fondations et organismes similaires, etc.
«Toute ma vie, disait-il, je me suis cherché sans me trouver. Je ne saurais me définir moi-même». Nous disons: Grand Fils d’Afrique!
Michel Koffi
Ecrivain, conteur, philosophe, diplomate, mystique même, Amadou Hampaté Bâ aura fait connaître au monde africain et surtout celui des canons et des machines, l’Occident, les plus beaux textes de la tradition orale peule. Dont témoignera, avec raison, le Grand prix littéraire d’Afrique noire à lui attribué, en 1973, avec un «roman» étrange, «L’étrange destin de Wangrin», le récit authentique de la vie d’un homme assez extraordinaire «raconté à l’africaine par un conteur de grand talent» ; une sorte «de pamphlet sur la corruption causée par l’européanisation».
Hampaté Bâ? C’est un nom, et surtout un combat. Celui de la défense des traditions orales dont toute sa production littéraire en portera la marque, le sceau de l’âme de l’éducation reçue à travers une célébration des valeurs humanistes essentielles: la Tolérance, le Respect de la différence et la Paix. Autant de valeurs que lui enseignera un «saint homme», Tierno Bokar Salif Tall, un savant, précise-t-on, en sciences islamiques, maître d’école coranique, mystique, haut dignitaire de la Tidjaniya (congrégation soufi musulmane très répandue en Afrique noire). «Je n’ai jamais cessé, (de recueillir les traditions orales), et cela depuis ma prime jeunesse. J’ai eu la chance, en effet, de naître et de vivre dans un milieu qui était une sorte de Grande école permanente pour tout ce qui touchait à l’Histoire et aux traditions africaines».
Né dans un mois de l’an 1900 ou 1901, c’est selon, à Bandiagara, chef-lieu du pays dogon et ancienne capitale de l’Empire toucouleur du Macina, Amadou Hampâté Bâ est avant tout aussi un grand mémoriste. Qui aura su tirer profit des avantages liés à ce type de formation. A 7 ans, il savait lire et retenait les textes du Coran. Les éducations spirituelle stricte par son père; religieuse et morale traditionnelle des voies ésotériques de l’Islam par un sage, l’avaient préparé à cet engagement qui exigeait des êtres riches des savoirs. Et, de ses armes miraculeuses, toute sa vie, l’écrivain, le grand penseur s’attachera à défendre et à sauvegarder les cultures orales peules et le dialogue entre les hommes.
Son oeuvre littéraire considérable va des poèmes, contes, romans aux traductions des ouvrages historiques comme «L’empire peul du Macina», publié en 1955. (Voir Encadré).
«Le sage d’Afrique» ou de «Marcory», reste une bibliothèque immortelle qui aura fait connaître le monde africain, ses traditions, son passé.
Le rôle, entre autres, qu’il aura joué, affecté en 1942 à l’Institut français d’Afrique noire (Ifan) de Dakar, grâce à la bienveillance du professeur Théodore Monod,directeur, reste déterminant. Enquêtes ethnologiques et recueil des traditions orales... il se consacrera notamment à une recherche de quinze ans qui le mènera à rédiger l’Empire peul du Macina.
En 1951, avec une bourse de l’Unesco, à Paris, sa rencontre avec les milieux africanistes, notamment Marcel Griaule, lui donne encore les raisons de se battre pour l’affirmation des traditions noires. L’Institut des sciences humaines, à Bamako, qu’il fonde en 1960, à l’indépendance du Mali, va dans le droit fil de ses engagements. Sa présence à la Conférence générale de l’Unesco, où il représente son pays, n’est qu’une tribune pour faire entendre la voix de l’Afrique, celle des traditions, des valeurs culturelles à sauvegarder, pour lequel n’aura cessé de battre son cœur. Elu en 1962 membre du Conseil exécutif de l’Unesco, il participe, en 1966, à l’élaboration d’un système unifié pour la transcription des langues africaines. Son mandat prend fin en 1970. Une mission bien remplie à l’Unesco. Au nom, non seulement de son pays, mais de son continent. Au soir de sa vie, à Abidjan, auprès d’un autre sage d’Afrique, Félix Houphouet-Boigny qu’une amitié de longue date liera – il a exigé de Modibo Keïta que Amadou Hampâté Bâ soit l’ambassadeur du Mali en Côte d’Ivoire-, ce savant venu du pied des falaises du pays Dogon, s’occupera à classer ses archives accumulées durant sa vie sur les traditions orales d’Afrique de l’Ouest ainsi qu’à la rédaction de ses mémoires, Amkoullel l’enfant peul et Oui mon commandant !, qui seront publiés après sa mort le 15 mai 1991.
15 Mai 1991- Mai 2010. 19 ans après, résonne encore la voix de ce digne fils d’Afrique dans nos oreilles. Mais qui se souvient encore d’elle, face aux tintamarres qui empêchent de raisonner sainement, qui brouillent toute lisibilité, toutes voies qui mènent aux bons repères?
Cette voix de ce digne fils d’Afrique, qui aura défendu ce continent avec une irrésistible passion ne pouvait s’oublier dans le vaste livre des oubliés de notre histoire. C’est le sens de la Fondation qui porte son nom, qui se propose, entre autres, de recenser tous les documents écrits et audiovisuels laissés, écrits ou numérisés sur l’homme; ériger une bibliothèque, de publier ses œuvres posthumes, créer des clubs dans les lycées et collèges, «Les amis de Amadou Hampaté Bâ», et susciter, à terme, des recherches et des études universitaires sur lui, favoriser les échanges interculturels, développer des accords et des échanges avec les fondations et organismes similaires, etc.
«Toute ma vie, disait-il, je me suis cherché sans me trouver. Je ne saurais me définir moi-même». Nous disons: Grand Fils d’Afrique!
Michel Koffi