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Société Publié le lundi 7 juin 2010 | Nord-Sud

Education nationale : Les enfants ne vont plus à l’école dans le Zanzan

Dans le Zanzan, le système éducatif se porte mal. Outre le très faible taux de scolarisation qui caractérise la région, le déficit d’infrastructures scolaires et d’enseignants crée le désespoir dans le secteur.



Les chiffres parlent. A Bondoukou, 60 enfants sur 100 dont les âges varient entre 6 et 11 ans se retrouvent au champ, à la maison ou à la rue, au lieu d’être à l’école primaire. Le directeur régional de l’éducation nationale, M. Kambiré Charles, s’en désole précisant que «le taux de scolarisation pour toute la région se situe entre 10 et 40% ». Classée troisième région «la plus sinistrée de Côte d’Ivoire», à cause de la crise, le Zanzan présente d’importants déficits d’infrastructures scolaires et d’enseignants. Dans certaines localités des départements de Sandégué, Nassian, Bouna et dans la partie Nord de Bondoukou, les enfants sont expressément privés de leur droit à l’éducation.

Les filles, premières victimes

Les taux de scolarisation les plus bas sont surtout enregistrés dans ces départements. Les parents préfèrent garder leurs progénitures à la maison pour les travaux champêtres, domestiques (boys et bonnes). Les enfants les plus chanceux qui intègrent le système éducatif sont souvent contraints, quelques années plus tard, pour des raisons sociologiques ou économiques (mariage ou pauvreté des populations) d’abandonner l’école. Le cursus scolaire de ces élèves est laconique. «Le taux net d’achèvement du cycle primaire est de 16%», souligne M. Kambiré Charles. Les premières victimes de cette injustice sociale sont, de toute évidence, les jeunes filles, durement frappées par les habitudes ancestrales de leurs parents.
A ce sujet, M. Kambiré Charles révèle que «le taux net de scolarisation des garçons est de 43,5% contre 36,5% pour les filles ». Toute chose qui amène Mme Ouattara Sita, présidente de « Botougoni », une ONG qui s’est fixé pour objectif de relever le taux de scolarisation dans la région du Zanzan a dressé un triste bilan de la situation.

Une école pour 20.139 habitants

« Les pesanteurs coutumières continuent de peser dans le Zanzan. Les populations ne favorisent toujours pas la scolarisation des jeunes filles. Pour elles, les filles sont juste bonnes pour le mariage. Malheureusement, celles-ci finissent par s’en convaincre», dénonce-t-elle. Cette stigmatisation sociale est accentuée par la situation de misère des populations du département de Sandégué. Conséquence immédiate, les jeunes filles choisissent de se rendre à Abidjan ou dans d’autres grandes métropoles du pays afin d’y exercer le métier de bonne et préparer leurs mariages. Ici, à Sandégué, les revenus des hommes sont maigres. Les femmes ne peuvent compter que sur elles-mêmes. «Il faut acheter suffisamment de pagnes et d’ustensiles de cuisine avant de se marier», témoigne Kamagaté Abiba, avec un sourire contagieux aux lèvres, visiblement pressée de prendre son véhicule à destination d’Abidjan. Malheureusement, l’aventure des jeunes filles innocentes du Canton Baribo n’est pas toujours enviable. Certaines, exploitées par des intermédiaires véreux, reviennent au village plus misérables qu’auparavant. D’autres regagnent leurs familles respectives, malades et livrées à elles-mêmes. Le tableau de l’éducation est bien plus sombre dans d’autres localités de la région. A Flakièdougou, dans la sous-préfecture de Laoudi-bà, on ne dénombre qu’une école primaire de six classes pour une population, estimée, en 2008, à 20139 habitants. Selon le directeur régional de l’éducation, « les habitants de cette localité auraient pu bénéficier de six écoles primaires et même d’un collège à base 4». A Téfrodouô, une localité de 9 mille âmes, l’on ne distingue qu’une seule école primaire de trois classes. La toile est encore plus abstruée dans la sous-préfecture de Bouna, dans le pays Birifor qui regroupe plus de 80 villages où il n’existe qu’une école de trois classes. Dans cette partie de la Côte d’Ivoire, à forte densité de population, « le taux de scolarisation est presque nul, c’est-à-dire voisin de zéro. Les enfants issus de ces zones, en âge d’aller à l’école n’ont aucune chance d’y accéder», s’indigne le directeur régional de l’éducation. «A Sandégué, des enfants des villages où l’école n’existe pas marchent plusieurs kilomètres pour se rendre à l’école du village voisin», relève la présidente de l’ONG Botougoni.
Une situation aggravée par de multiples considérations sociologiques et religieuses. Restons toujours à Sandégué où les structures familiales ne favorisent pas toujours l’épanouissement des enfants. « Les conjoints d’un même foyer n’habitent pas ensemble. Les enfants sont partagés entre le domicile du père et celui de la mère. Au final, tout repose sur la mère seule. Cette situation est accentuée par l’absence de personnalités de référence (cadres) pouvant servir de modèle ou encourager les parents hésitants encore à mettre à l’école leurs enfants», témoigne Mme Ouattara Sita.

Les écoles coraniques plus sollicitées

Comme facteur religieux à prendre en considération, les écoles coraniques. En 2006, l’effectif de ces écoles était de 11016 élèves. Dans les localités à forte concentration musulmane, les parents choisissent l’école coranique au détriment de l’école formelle. Dans la sous-préfecture de Sandégué, précisément à Yorobodi, M. Ouattara Daouda, préfère mettre à l’école coranique ses 3 enfants. « L’école formelle coûte cher pour nous. Ici, nous sommes pauvres. Le prix d’achat de notre seule source de revenu, l’anacarde, ne nous permet pas de scolariser nos enfants. Au Madersa (école coranique), les parents d’élèves ne paient presque rien», explique M. Ouattara. Cette alternative de certains parents d’élèves de Yorobodi ne fait pas toujours le bonheur de leurs progénitures. Le Madersa (école coranique) n’offre pas d’issue aux étudiants en fin d’études. Aucun emploi. Aucune possibilité d’embauche pour les diplômés de ces écoles. Nombre d’entre eux s’adonnent alors au maraboutage. Une pratique contraire à la religion à laquelle ils appartiennent. «Le maraboutage qui prédit l’avenir, est proscrit en islam. C’est une forme déguisée d’escroquerie et d’abus de confiance. Le vrai marabout, en islam est celui qui enseigne la pratique de la religion d’Allah aux fidèles musulmans», précise M. Timité Kolonga, intérimaire du grand imam de Bondoukou. Depuis quelques temps, les autorités religieuses musulmanes semblent avoir trouvé une solution palliative à la préoccupation des parents d’élèves coraniques. De plus en plus, on assiste à la création d’écoles dites franco-arabes à Bondoukou et à Tanda. Dans lesquelles, en plus de la langue arabe, des enseignements en langue française sont dispensés aux élèves par des enseignants certifiés des écoles primaires publiques du pays. «Ce procédé permet aux élèves de ces écoles d’intégrer, plus tard, l’école officielle», explique Oustaze Timité Mohamed Koudouss, directeur de El Banitheim, une école franco-arabe de Bondoukou. Dans la région du Zanzan, l’école préscolaire est un luxe qui n’est pas à la portée de tous. A l’exception de quelques enfants de fonctionnaires ou de commerçants nantis des chefs-lieux de départements. Selon l’étude à indicateurs multiples (MICS) de 2006, le pourcentage d’enfants de moins de cinq ans au préscolaire est de 0,8%.

Grave déficit d’enseignants et d’infrastructures scolaires

Autres préoccupations, la direction régionale de l’éducation nationale de Bondoukou relève un déficit important d’enseignants et d’écoles. Selon les résultats d’une étude sollicitée par la section ivoirienne de l’international de l’éducation, menée par Mme Assémian Emma, maître-assistant à l’université de Cocody sur le déficit d’enseignants dans les régions du Zanzan et du Bas-Sassandra, «la direction régionale de l’éducation du Zanzan enregistre, à elle seule, un déficit de 749 enseignants. Les enseignants affectés dans la région du Zanzan repartent aussitôt». Maître Assémian explique le nombre important de postes vacants dans le Zanzan par des causes psychologiques, dues à l’inadaptation des enseignants dans les zones de fonction. «Un enseignant qui fait tout son cursus en zone urbaine, arrive en zone rurale où les réalités sont différentes. Il se retrouve démoralisé pour engager son métier d’enseignant. Le salaire que perçoivent des enseignants du primaire ne suffit pas à subvenir à toutes leurs charges. Après une année, ces enseignants sont animés par l’envie de chercher d’autres sources de revenus. Ils demandent des affectations » explique-elle. Dernière raison évoquée « les enseignants affectés ont leurs familles ailleurs. Ce qui les amène à demander des affectations qui ne sont pas toujours comblées. D’où les déficits d’enseignants», commente le chercheur.
Pour résoudre le problème, maître Assémian préconise, pour la région du Zanzan, un recrutement régionalisé et massif d’enseignants qui prennent l’engagement écrit d’y exercer et d’y demeurer.En plus du déficit important d’enseignants, on enregistre dans le Zanzan un manque criant d’infrastructures scolaires. L’année dernière, 3555 enfants présentés à l’inscription CP1, là où il existe des écoles ont été blackboulés pour des raisons liées au manque de tables-bancs, de salles de classes. Les populations rurales appauvries par la crise qui prévaut depuis 2002 et la mévente de l’anacarde, leur seul produit de rente, connaissent des difficultés à assurer la scolarité de leurs enfants. Les parents d’élèves ont du mal à soutenir leurs enfants qui fréquentent les collèges et lycées de la région. Les élèves issus des milieux ruraux sont livrés donc à eux-mêmes. Les jeunes gens s’adonnent à toutes les formes de délinquance pour survivre. Les jeunes filles font usage de ce que la nature leur a offert (leurs corps) afin d’assurer leur pitance quotidienne, faire face aux frais de scolarité, payer le loyer, l’électricité et l’eau. Des proies faciles... Pour ces jeunes filles, leur corps est leur seule planche de salut. Malheureusement, le choix de ces collégiennes ou lycéennes finit par les rattraper ; des grossesses non désirées. Dans l’ensemble des collèges et lycées de la région du Zanzan, les filles mères se comptent par centaines. Certaines décident alors d’abandonner l’école.

Les collectivités décentralisées dépassées

De leur côté, les collectivités décentralisées durement touchées par la crise qui prévaut depuis 2002, ont du mal à construire des écoles. Pour le directeur régional de l’éducation nationale, « il faut 50 à 60 millions de francs pour construire une école de six classes ». Une préoccupation quotidienne qui trouble le sommeil de M. Kambiré Charles, décidé à résoudre à tout prix l’équation. « Devons-nous assister de façon passive au sacrifice de plusieurs générations d’enfants de la région du Zanzan en attendant que la situation financière du pays revienne à la normale pour leur offrir des écoles qui obéissent aux normes ou faut-il faire preuve d’imagination (les écoles communautaires) pour sauver de l’ignorance et de la cécité intellectuelle ceux des enfants qui peuvent l’être encore ?», s’interroge t-il. A cette question, une solution palliative semble s’imposer au premier responsable de l’éducation dans la région. « Les écoles communautaires», affirme-t-il. Dans le Zanzan, les écoles communautaires ont été implantées, après de nombreuses séances de sensibilisation, par l’ONG Soleil levant dans les zones privées d’infrastructures scolaires. Aujourd’hui plusieurs villages et campements ont adhéré à cette forme d’écoles faites de torchis, souvent sous un gros arbre ou dans un magasin de stockage de produits agricoles. Selon le président de cette ONG, Christophe Gnagbo, « les écoles communautaires ont accueilli au cours de l’année scolaire précédente 9040 enfants dont 3960 filles. Pour la session 2009 des examens de fin d’année, ces écoles ont présenté 165 candidats au CEPE . 92 ont été admis. Au concours d’entrée en 6ème, l’on a enregistré 51 admis sur les 165 candidats. Au plan de la carte scolaire, 18 écoles bénévoles ont été aménagées, équipées et concédées à l’Etat ivoirien de 2006 à 2009. Avec le budget de construction d’une école formelle de trois classes qui s’élève à plus de 30 millions, on peut bâtir et équiper une dizaine d’écoles communautaires de même nombre de classes pouvant accueillir près de deux mille enfants», révèle M. Gnagbo Christophe.

Les Ong à la rescousse

Le soutien de l’UNICEF et de l’ONG internationale Save the children Suède a permis d’améliorer certaines de ces écoles communautaires. Selon M. Aimé Kouassi, responsable du bureau de Save the children à Bondoukou, de 2006 à 2008, cette ONG suédoise a réhabilité 16 écoles dont 97 classes. A en croire M. Kouassi, Save the children suède a en outre procédé à « l’équipement de ces écoles (1841 tables-bancs, 75 bureaux, 90 chaises, 71 armoires et 30 tableaux-chevaliers), à la distribution de plus de douze mille kits scolaires et à la formation de plusieurs enseignants de la région ». Malheureusement, les actions de l’ensemble des ONGs opérant dans la région du Zanzan sont entravées par la dégradation avancée des routes et la persistance de vieilles pratiques (punitions physiques dégradantes et humiliantes de certains enseignants). C’est donc à juste raison que la direction régionale de l’éducation et Save the children ont organisé un forum, le 29 janvier 2008 afin de contribuer au renforcement des capacités des enseignants et favoriser l’accès des enfants à une éducation de base de qualité dans les zones défavorisées de la région. Au nombre des recommandations, les participants de ce forum ont souhaité que la région du Zanzan soit déclarée région prioritaire de l’éducation en Côte d’Ivoire.

Jean Michel Ouattara, Correspondant régional à Bondoukou
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