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Société Publié le mercredi 23 juin 2010 | Nord-Sud

Pr Aloko Jérôme (Directeur de l`Igt) : “Mes conseils pour une thèse réussie”

© Nord-Sud Par DR
Recherche scientifique : Nogbou M`domou Eric soutient avec brio sa thèse de doctorat unique en histoire
Samedi 8 mai 2010. Abidjan. Amphithéâtre Niangoran Boua de l`Université de Cocody. Devant ses maîtres, Eric Nogbou expose les résultats de ses recherches sur "les relations politiques et religieuses entre le Maghreb al-Aqsa et l`Empire Soninké du Ghana: de l`avènement des Midrarites (772) au califat de Ya`qub al-Mansour (1184-1199)
Après l'enquête sur la galère des thésards, parue hier, le Pr Aloko, directeur de l'Institut de géographie tropicale, intervient pour donner des conseils aux doctorants. Selon lui, le public n'influence en aucun cas le jury.

•Combien d'étudiants avez-vous à votre charge actuellement ?
Une vingtaine. En effet, chaque année, j'ai une dizaine d'étudiants. Au bout de trois ans, le temps minimum avant de soutenir une thèse, je me retrouve avec une trentaine d'étudiants parmi lesquels trois ou quatre soutiennent. Parce que l'année 1 vous en prenez 10, l'année 2, 10 autres, enfin l'année 3, 10. Si vous avez des étudiants travailleurs et motivés, trois ou quatre font aboutir leur travail. Vous vous retrouvez toujours avec plus d'une vingtaine d'étudiants.

•Comment organisez-vous le travail avec eux ?
Nous nous rencontrons et discutons pour une première fois. Au cours de ce premier contact, le thème est choisi en accord avec l'étudiant. Nous nous mettons d'accord sur la méthodologie et le plan du travail. Ensuite, nous élaborons un questionnaire avec lequel les doctorants vont sur le terrain. Ils vont à la recherche d'informations au sein des populations ou dans des bibliothèques. Ils y passent le temps qu'il faut. Et quand ils reviennent, nous faisons avec eux le point de la situation. Enfin, commencent les phases de traitement et de rédaction. A ce niveau, la partie méthodologique qui devrait poser problème aux doctorants est étudiée en Diplôme d'études approfondies (Dea). Ce sont la problématique, l'objectif, les hypothèses, etc. Donc en principe, la rédaction ne devrait pas poser trop de problèmes à l'étudiant.

•Quelles difficultés rencontrez-vous avec les étudiants au cours de la rédaction de leur mémoire de thèse ?
La première grande difficulté est liée à l'écriture. Les étudiants ne lisent pas beaucoup, en général. Alors que, pour avoir une bonne écriture, il faut lire encore et encore. C'est en lisant qu'on peut corriger son style et améliorer son langage. On ne leur demande pas de lire forcément des ouvrages de leur spécialité. Il faut lire ce qu'on aime pour acquérir le goût de la lecture. Et à force de lire, vous devenez exigeant envers vous-même. Et vous commencez à lire les bons auteurs. A côté de cela, il faut bien sûr lire les ouvrages de votre spécialité pour acquérir un bon niveau d'analyse, de compréhension de certains mécanismes qui interviennent dans votre spécialité. Malheureusement, nos étudiants ne le font pas toujours. Ils évoquent des raisons qui souvent sont justifiées (absence de revenus) et d'autres qui le sont moins. Ils se contentent ainsi du minimum. C'est-à-dire des cours qu'on leur donne sans jamais faire référence à la bibliographie qui les accompagne. L'étudiant ayant ainsi accumulé des lacunes de tout genre, depuis le premier cycle, la rédaction de la thèse en souffre naturellement. Nous perdons beaucoup de temps à corriger les fautes. Pourtant, ce n'est pas vraiment cela notre mission essentielle qui est de voir et de corriger le niveau d'analyse des doctorants.

•Que leur préconisez-vous ?
Je conseille souvent aux étudiants d'aller voir leurs amis de Lettres Modernes pour les aider à corriger les fautes d'écriture de leur thèse. Mais il serait mieux qu'ils apprennent à combler leurs lacunes en lisant davantage. Ce sont de futurs cadres et ils sont appelés à parler et à écrire correctement le français. Vu leur nombre, l'encadrement est moins intense. Un seul enseignant peut se retrouver avec 15 ou 20 étudiants.

•Qu'est-ce qui explique le fait qu'un seul enseignant se retrouve avec tant d'étudiants ?
Le ratio enseignant-étudiant s'est dégradé. Selon les normes de l'Unesco, on devait avoir un enseignant pour 25 étudiants. Mais les choses sont telles qu'ici à l'université de Cocody, nous avons un enseignant pour 500 étudiants. Ce ratio qui est déjà dégradé à la base, se répercute sur les étudiants qui aspirent à un troisième cycle. A ce niveau, on peut retrouver un enseignant avec 15, 20, doctorants à encadrer pour la thèse. Alors que nos collègues en Europe ont deux ou trois étudiants au maximum.

•Hormis cela, les étudiants vous reprochent en outre que leur travail ne vous intéresse pas. Vous êtes entre deux avions, vous êtes dans des cabinets ministériels. Qu'en dites-vous?
C'est le procès d'intentions qui traduit une situation et qui renvoie au malaise général, mais je crois que le reproche est injuste et infondé. Le vrai problème, c'est le ratio enseignant-étudiant qui s'est dégradé. Nous avons beaucoup d'étudiants et peu d'enseignants de rang A. C'est notre grande difficulté ici à l'université. Imaginez-vous qu'un enseignant de rang A se forme au bout de 25 ans d'études après le baccalauréat, donc cela prend du temps.

•Ne pensez-vous pas qu'on doit faire la promotion des maîtres-assistants qui ont plus de 20 ans d'expérience en leur permettant d'encadrer des thèses de doctorat?
A l'université, la promotion se fait par son propre travail. Et c'est le Conseil africain et malgache pour l'enseignement supérieur (Cames) qui sanctionne ce travail d'enseignement et de recherche que l'enseignant a fait. Et comme les enseignants sont sujets à ce même régime, il n'y a pas d'autres cadres de promotion que le Cames. Et, il y a le fait que l'université est unique et respecte les mêmes standards. On ne peut pas déroger à des règles universelles. Il n'y a pas assez d'universités pour décongestionner l'université-mère, celle de Cocody. Il faut créer des universités mais, il faut aussi des cadres de promotion des acteurs de l'enseignement supérieur. C'est un sacrifice que nous faisons à notre niveau en acceptant d'encadrer un nombre important d'étudiants. C'est notre partition que nous jouons lorsque nous acceptons d'encadrer 10 ou 20 étudiants par an. Quand on dira qu'il y a une nouvelle université dans telle ville, il faut que ceux que nous avons formés, aillent là-bas pour dispenser des cours. Il ne faut plus qu'on transfère les enseignants pour aller enseigner comme l'Etat l'a fait pour Bouaké. C'est épuisant et ce n'est pas efficace. Il ne faut pas perdre de vue qu'un enseignant du Supérieur a besoin de jauger son niveau et son savoir à l'extérieur, dispenser le savoir mais aussi en acquérir à l'extérieur.

•Que conseillez-vous aux doctorants dans le choix de leur thème? Qu'est-ce qu'il faut faire, que ne faut-il pas faire ?
Un diplôme, que ce soit une maîtrise, un Dea ou une thèse, correspond à une réflexion à un certain niveau sur un thème. C'est un niveau de réflexion. Si on estime que par rapport au niveau exigé en maîtrise la réflexion que vous avez menée sur un sujet bien précis est recevable en Dea, vous pouvez le reconduire en thèse. Mais en ce moment-là, c'est le niveau de réflexion qu'on jugera et non autre chose.

•N'y a-t-il pas un avantage quand le doctorant garde le même thème de maîtrise jusqu'à la thèse?
Ça peut être un avantage comme un inconvénient. Si vous êtes capable de pousser le niveau d'analyse et le niveau de réflexion de la maîtrise à un niveau équivalent à la thèse, s'il y a encore de la matière, tant mieux. De façon générale, il faut faire une maîtrise avec un thème bien précis et le changer pour la thèse, mais toujours en restant dans la même thématique. Par exemple, si vous avez fait un mémoire de maîtrise sur un thème en géographie urbaine, vous pouvez choisir un autre thème, mais en restant toujours dans la géographie urbaine. Ce qui intéresse le jury, ce n'est pas que vous ayez gardé ou pas le même thème, mais plutôt le niveau d'analyse et d'informations qui est important. Si votre travail est bien construit, on vous octroiera le diplôme avec la mention que vous méritez. En revanche, si votre travail est mauvais, on vous refusera le diplôme ou vous obtiendrez une mauvaise mention.

•Est-ce qu'il est déjà arrivé de donner une note inferieure à 10 à un doctorant ?
Ce n'est pas exclu. Vous savez, un étudiant a le droit de vouloir soutenir sa thèse contre l'avis de son directeur de thèse. Il peut estimer que son travail est bien. En principe, personne n'a le droit de lui dire non. Par contre, c'est du devoir du jury de lui donner la mention que mérite ce travail. Les mentions partent du refus jusqu'à la mention très-bien avec félicitations du jury. Mais de façon générale, l'impétrant est attentif aux observations de son directeur de thèse. Et le travail se fait en bonne intelligence. C'est lorsque celui-ci estime que le travail a atteint un niveau satisfaisant que de commun accord, ils vont à la soutenance. Mais déjà, avant d'y aller, le travail est soumis à un autre enseignant pour avis. C'est en ce moment là qu'on dit que le travail est allé en instruction. Et, ce sont tous ces avis mis ensemble qui sanctionnent l'autorisation de soutenance. C'est ce qui fait que, très généralement, la mention est favorable. Mais il est déjà arrivé qu'après les délibérations, le jury refuse de donner le diplôme à l'impétrant. Donc, les refus de la thèse après soutenance sont des cas très rares. Parce que la soutenance vient sanctionner le travail de fond qui est fait depuis plusieurs années.

•Il y a certains étudiants qui ont indiqué que pour vite soutenir, il faut être aux petits soins du ''cher maître''. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Ce sont des légendes. La science est rationnelle et universelle. Que vous soyez aux soins ou pas de votre maître, ce n'est pas là la question. Le jury est composé de 5 ou 6 maîtres qui sont des professeurs de rang magistral, titulaires souvent. Ce sont d'éminents collègues. On ne peut pas penser que 6 maîtres de ce rang aient un tel niveau de complaisance. C'est vrai qu'il ne faut pas être rebelle à son maître, la science étant aussi un exercice de modestie et d'humilité, parce qu'on n'arrête pas le progrès. Les vérités d'aujourd'hui peuvent ne pas être celles de demain. Il faut avoir des rapports cordiaux avec son maître. Le respect, c'est le minimum qu'on demande à un étudiant.

•Faire venir beaucoup d'invités à la soutenance a-t-il un impact sur le jury ?
Pas du tout. La soutenance est une célébration publique. Parce que le vrai travail se fait dans l'ombre pendant plusieurs années. L'impétrant invite toute sa famille et ses amis. Il ne faut même pas penser un instant que ce monde influencerait le jury. Le jury fait son travail en toute objectivité et en toute souveraineté.

•Il parait qu'il y a certaines personnes qui paient de l'argent au jury pour obtenir le diplôme, est-ce vrai?
Mon Dieu ! Je n'ai entendu personne dire cela depuis que je suis à l'université de Cocody. Ce n'est pas vrai.

Interview réalisée par Adélaïde Konin
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