Prostitution, drogue, pédophilie, alcool. C’est l’effroyable décor qu’offre l’espace « Mille Maquis » de Marcory, un gigantesque bordel à ciel ouvert. Mais l‘autre visage plus obscur que présente ce haut lieu par excellence de la luxure qui ferait pâlir d’envie Sodome et Gomorrhe, c’est le drame que vivent les jeunes garçons et jeunes filles en ces lieux. La pédophilie a droit de cité dans cet univers que nous avons visité durant quelques jours.
Ce sont des enfants diminués physiquement et affamés que nous avons rencontrés ce 23 avril, lorsque nous avons fait notre première incursion aux ‘’Milles maquis’’, endroit chaud situé dans le quartier Sicogi, dans la commune de Marcory. Ce jour- là, ils étaient heureux, car un de leurs amis venait de recevoir de l’argent des mains d’un gros bonnet après “ une passe“. Jargon du milieu, qui traduit le tour que va faire l’un de ces adolescents avec son client afin de satisfaire la libido de ce dernier. La joie soudaine de ces gamins que rien apparemment ne justifie, ne peut qu’attirer notre curiosité. Approchés, les jeunes gens quelque peu méfiants au début, finissent par s’ouvrir. C’est ainsi qu’ils nous apprennent qu’un des leurs, un garçon de 14 ans environ venait de livrer son frêle corps contre quelques billets de banque. “C’est comme ça que nous nous débrouillons pour manger. Nous nous livrons aux pédophiles“ affirme, avec un brin de fatalisme, Amamy, l’un des plus âgés des enfants qui squattent les abords de l’un des plus grands maquis de cet espace. Les aveux déroutants de cet adolescent qui visiblement ne mesure pas la gravité du fléau dont ils sont victimes, coupent le souffle. Inutile de chercher à savoir pourquoi ils se livrent en pâture à l’appétit vorace de ces pervers en mal de chair fraîche.
A la question de savoir ce qui les a amenés dans la rue, certains répondent qu’ils ont perdu leurs parents depuis le bas âge et n’ont plus aucun soutien. Inconcevable pourtant dans des sociétés africaines où la solidarité, l’entraide, la fraternité, n’ont pas encore totalement perdu leur sens, même avec le modernisme qui a entraîné la dissolution des mœurs. Pourtant, c’est la triste réalité, ces enfants sont pour ainsi dire des sans domicile fixe (SDF) qui n’ont rien à envier à ceux de Medellin en Colombie ou de Manille aux Philippines. Ces mômes aux visages angéliques, qui arpentent les ruelles de ce gigantesque temple de la débauche, ignorent eux-mêmes pour la plupart, comment ils se sont retrouvés dans cet enfer à la merci de ces gros bonnets. C’est le cas de “Papou“ comme on l’appelle, l’un des enfants du groupe. « Moi, je ne sais pas comment je suis arrivé ici. J’étais avec ma grande sœur, mais un jour, elle a disparu jusqu’aujourd’hui. Depuis ce temps, je suis là avec d’autres enfants de mon âge, et on se débrouille pour manger chaque jour », nous confie-t-il. A en croire ses camarades d’infortune, le jeune Papou a vécu un véritable drame. Sa sœur qui était aussi une fidèle de ce ‘’sanctuaire du plaisir’’, est passée de vie à trépas après une randonnée nocturne. Son corps affreusement mutilé a été découvert dans un caniveau sans ses parties intimes.
« Certains de nos ‘’tontons’’ sont des hommes politiques »
A en croire ces jeunes gens, certains des « tontons » du pays qui leur ‘’font ça’’ et qui les fréquentent régulièrement sont des hommes politiques de la place. Evidemment de peur de perdre leur seul soutien et même leur vie, ces garçons n’osent pas citer de noms. Mais quel crédit accorder à ces affirmations ? « Ce n’est pas du bluff, ces enfants ne racontent pas n’importe quoi comme on pourrait le penser», affirme un habitant du quartier, qui en veut pour preuve le ballet incessant de grosses cylindrées qu’il observe dès la tombée de la nuit auprès de ces gamins. Selon un autre témoignage, il arrive que certains de ces enfants s’engouffrent dans ces grosses voitures et disparaissent à jamais de la circulation. “A la veille d’une marche, des personnes sont venues chercher nos amis et depuis lors, nous ne les avons plus revus. Quelquefois, ils viennent nous chercher et certains ne reviennent plus, souvent on les retrouve morts sans tête ou avec quelques parties du corps en moins “, confie Aramos, l’un de ces enfants SDF. Plus notre causerie durait, plus les langues se déliaient. Bien sûr, ces gamins futés restent toujours sur leurs gardes en évitant de donner trop de détails qui pourraient leur attirer les foudres de leurs « bons tontons ». A ce propos, le témoignage de ce jeune garçon de 16 ans surnommé « le boss », visiblement mieux loti que les autres, (pantalon Jean et tee- shirt impeccables qui lui donnent l’allure d’un Play boy), est édifiant. “L a dernière fois, un homme a menacé de me tuer, si jamais je révélais son identité à quiconque. Il m’a dit que je ne suis rien et que si je meurs, c’est cadeau, cela ne fera de mal à personne. Tout ce que je peux vous dire, c’est que c’est un homme du pouvoir, il voyage beaucoup’’, révèle-t-il. C’est donc dans le plus grand silence que ces enfants vivent leur drame, victimes de l’omerta qui règne dans cette jungle où le destin les a conduits.
Une nuit avec les enfants
Malgré les témoignages reçus, nous décidons de passer une nuit aux milles maquis. Après deux heures d’attente infructueuse dans une atmosphère de musique assourdissante, des prostituées se disputent des clients. Notre curiosité trouve enfin des éléments de réponse à deux pas de nous. Mais les plus petits renseignements y sont monnayés. Un peu plus loin, nous apercevons des enfants vêtu de guenilles, très souvent sans sandale, allant d’une table à une autre brandissant soit des paquets de cigarettes ou des papiers lotus aux personnes assises dans les différents maquis. Nous approchons un adolescent d’entre eux habillé d’un pantalon rapiécé avec un tricot de corps déchiré de couleur kaki, mais qui à l’origine devrais être blanc. Nous l’invitons à notre table partager notre plat de poissons que nous avions commencé à déguster, mais il décline l’invitation. Méfiant au départ, il finit par s’asseoir en notre compagnie. Il se met donc à table et nous le regardons disséquer le poisson avec la dextérité d’un médecin légiste.
Quand il eût fini, nous lui avons tendu la somme de 5 000 mille pour l’achat de sa marchandise.
C’est ce moment que nous choisissons pour lui exposer l’objet de notre visite. Sans se faire prier, il nous conduit sur la voie qui part du “Mille maquis“ au grand marché de Marcory. Grande fut notre surprise d’y voir plusieurs adolescents, et même des enfants d’à peine 10 ans. Mais notre attente n’a pas été veine car juste devant nous, nous voyons une grosse Mercédès 190 de couleur noire se garer en face d’un groupe d’enfants. Un adolescent y monte. Notre guide de circonstance nous explique que ce monsieur visiblement cossu est le client attitré de ce jeune homme qui se prostitue. Sur le champ, nous lui remettons quelques billets de banque et nous nous engouffrons dans un taxi pour filer le véhicule. Après quelques détours, le véhicule rentre dans un hôtel dont le grand portail s'est aussitôt ouvert. A notre tour, nous descendons et attendons pendant plus d’une heure avant de voir la Mercédès ressortir avec à l’intérieur nos deux "tourtereaux". De là, nous empruntons un autre taxi pour suivre le fameux véhicule. Quand il s'est arrêté quelques secondes plus tard, nous voyons le garçon descendre du véhicule, mais cette fois, ce n’est plus l’adolescent plein de vie que nous avons vu monter dans l’engin ; c’est plutôt un enfant qui avait du mal à marcher. Lorsqu’il constate que nous le suivons de près, il emprunte une autre ruelle et disparaît dans les pénombres des habitations avoisinantes. Cet enfant, clopinant, habillé d’un simple pantalon jeans de couleur sombre avec un t-shirt blanc, de par sa corpulence devrait être âgé de 14 ans. Cet enfant certainement traumatisé et luttant comme il peut pour survivre de la misère, n’est que le reflet de cette société gangrénée par la dépravation des mœurs.
Encadré 1: A la merci du VIH et de la drogue
Les enfants de la rue sont très exposés au VIH. Le récit de leur mésaventure sexuelle donne souvent des frissons. Beaucoup parmi eux sont emportés prématurément par des maladies à cause des risques que leur font prendre ces adultes en mal de sensations fortes. “Celui qui vient très souvent me chercher m’envoie dans un hôtel bien caché et n’utilise pas de préservatif. Je suis obligé d’accepter parce que je n’ai pas le choix. J’ai un ami qui est mort le mois passé, il était malade, il faisait la diarrhée, je crois que c’est cette maladie qui l’a emporté. Les grands frères disent que c’était le SIDA. Moi, je ne connais rien de tout cela, sauf que le monsieur avec qui il sortait, continue de venir chercher des amis ici“, confie Serges, un adolescent de 15 ans. Pour vaincre leur traumatisme, ces jeunes gens, pour la plupart, s’adonnent à la drogue. Les nombreux fumoirs nichés aux alentours des maquis constituent les seuls refuges pour ces ‘’rebuts’’ de la société. C’est dans cet effroyable environnement que ces jeunes vies s’éteignent à petit feu dans l’indifférence totale d’une société ivoirienne plus préoccupée à soigner les maux politiques que sociaux.
Encadré 2: Le regard du psychologue
Le phénomène de pédophilie dont les enfants de la rue sont victimes prend de l’ampleur en Côte d’Ivoire. Pour comprendre les véritables motivations de ces enfants et de leurs bourreaux à se livrer à ce vice, nous avons rencontré le psychologue Denis Kouassi Loukou.
Pensez-vous que ces enfants sont réellement en danger?
Ce n’est pas forcément ce que les enfants racontent sur leur vie qui est juste. Car très souvent, ces enfants fuguent lorsque nous les envoyons dans des centres car n’étant pas habitués à la discipline. Le phénomène de la pédophilie dont ils sont victimes est perçu de différentes manières par l’enfant. Certains se sentent obligés de se prostituer pour des besoins de subsistance ou alimentaire.
Qu'est-ce qui peut pousser un adulte vers un enfant ?
Après analyse, il ressort que ces personnes âgées qui affectionnent les enfants le font pour deux raisons. Certains le font parce que lors de leur enfance, ils avaient été violés eux-mêmes soit par leur père soit par une grande personne. Partant de ce fait, eux-mêmes devenus adultes, s’identifient à leurs bourreaux et agressent les enfants. Ces personnes sont des personnes traumatisées et en perpétuelle souffrance. D’autres personnes s’adonnent à la pédophilie pour des raisons culturelles, c'est-à-dire qu’en Afrique, certains pensent que posséder un homme surtout un enfant donne de la puissance et les rend invincibles vis-à-vis de leurs semblables, ou leur donne du pouvoir dans la société et dans leur entourage. Par contre, certains n’ont aucun motif que la libido.
Pourquoi cet engouement des enfants vers la rue et la prostitution?
L’une des causes principales est l’impact de la crise sur les ménages. Les ménages n’arrivent plus à supporter les charges financières de ce fait, ils sont obligés de livrer les enfants à eux-mêmes. Ces enfants vont se frotter aux autres et avec l’effet de contagion, vont rester dans la rue et c’est tout un système complexe qu’il faut démanteler pour trouver une solution
Quel avenir pour ces jeunes ?
Pour pouvoir se construire, il faut avoir un référentiel, quelqu’un à qui s’identifier et ces enfants n’en ont pas. Dans ce contexte, si une action n’est pas menée pour les aider et les canaliser dès maintenant, leur avenir est hypothéqué. Aujourd’hui, ceux qui clament haut et fort qu’ils sont issus de la rue et qui ont fait fortune, sont agressifs, égocentriques. Ils n’aiment pas être contrariés et ont permanemment un besoin de liberté. Ces personnes finissent par se droguer pour retrouver un semblant d’équilibre et de stabilité. Les jeunes filles quant, à elles, vieillissent prématurément et généralement elles essaient également de combler ce manque par la drogue.
Interview réalisée par Mariama Bamba
Ce sont des enfants diminués physiquement et affamés que nous avons rencontrés ce 23 avril, lorsque nous avons fait notre première incursion aux ‘’Milles maquis’’, endroit chaud situé dans le quartier Sicogi, dans la commune de Marcory. Ce jour- là, ils étaient heureux, car un de leurs amis venait de recevoir de l’argent des mains d’un gros bonnet après “ une passe“. Jargon du milieu, qui traduit le tour que va faire l’un de ces adolescents avec son client afin de satisfaire la libido de ce dernier. La joie soudaine de ces gamins que rien apparemment ne justifie, ne peut qu’attirer notre curiosité. Approchés, les jeunes gens quelque peu méfiants au début, finissent par s’ouvrir. C’est ainsi qu’ils nous apprennent qu’un des leurs, un garçon de 14 ans environ venait de livrer son frêle corps contre quelques billets de banque. “C’est comme ça que nous nous débrouillons pour manger. Nous nous livrons aux pédophiles“ affirme, avec un brin de fatalisme, Amamy, l’un des plus âgés des enfants qui squattent les abords de l’un des plus grands maquis de cet espace. Les aveux déroutants de cet adolescent qui visiblement ne mesure pas la gravité du fléau dont ils sont victimes, coupent le souffle. Inutile de chercher à savoir pourquoi ils se livrent en pâture à l’appétit vorace de ces pervers en mal de chair fraîche.
A la question de savoir ce qui les a amenés dans la rue, certains répondent qu’ils ont perdu leurs parents depuis le bas âge et n’ont plus aucun soutien. Inconcevable pourtant dans des sociétés africaines où la solidarité, l’entraide, la fraternité, n’ont pas encore totalement perdu leur sens, même avec le modernisme qui a entraîné la dissolution des mœurs. Pourtant, c’est la triste réalité, ces enfants sont pour ainsi dire des sans domicile fixe (SDF) qui n’ont rien à envier à ceux de Medellin en Colombie ou de Manille aux Philippines. Ces mômes aux visages angéliques, qui arpentent les ruelles de ce gigantesque temple de la débauche, ignorent eux-mêmes pour la plupart, comment ils se sont retrouvés dans cet enfer à la merci de ces gros bonnets. C’est le cas de “Papou“ comme on l’appelle, l’un des enfants du groupe. « Moi, je ne sais pas comment je suis arrivé ici. J’étais avec ma grande sœur, mais un jour, elle a disparu jusqu’aujourd’hui. Depuis ce temps, je suis là avec d’autres enfants de mon âge, et on se débrouille pour manger chaque jour », nous confie-t-il. A en croire ses camarades d’infortune, le jeune Papou a vécu un véritable drame. Sa sœur qui était aussi une fidèle de ce ‘’sanctuaire du plaisir’’, est passée de vie à trépas après une randonnée nocturne. Son corps affreusement mutilé a été découvert dans un caniveau sans ses parties intimes.
« Certains de nos ‘’tontons’’ sont des hommes politiques »
A en croire ces jeunes gens, certains des « tontons » du pays qui leur ‘’font ça’’ et qui les fréquentent régulièrement sont des hommes politiques de la place. Evidemment de peur de perdre leur seul soutien et même leur vie, ces garçons n’osent pas citer de noms. Mais quel crédit accorder à ces affirmations ? « Ce n’est pas du bluff, ces enfants ne racontent pas n’importe quoi comme on pourrait le penser», affirme un habitant du quartier, qui en veut pour preuve le ballet incessant de grosses cylindrées qu’il observe dès la tombée de la nuit auprès de ces gamins. Selon un autre témoignage, il arrive que certains de ces enfants s’engouffrent dans ces grosses voitures et disparaissent à jamais de la circulation. “A la veille d’une marche, des personnes sont venues chercher nos amis et depuis lors, nous ne les avons plus revus. Quelquefois, ils viennent nous chercher et certains ne reviennent plus, souvent on les retrouve morts sans tête ou avec quelques parties du corps en moins “, confie Aramos, l’un de ces enfants SDF. Plus notre causerie durait, plus les langues se déliaient. Bien sûr, ces gamins futés restent toujours sur leurs gardes en évitant de donner trop de détails qui pourraient leur attirer les foudres de leurs « bons tontons ». A ce propos, le témoignage de ce jeune garçon de 16 ans surnommé « le boss », visiblement mieux loti que les autres, (pantalon Jean et tee- shirt impeccables qui lui donnent l’allure d’un Play boy), est édifiant. “L a dernière fois, un homme a menacé de me tuer, si jamais je révélais son identité à quiconque. Il m’a dit que je ne suis rien et que si je meurs, c’est cadeau, cela ne fera de mal à personne. Tout ce que je peux vous dire, c’est que c’est un homme du pouvoir, il voyage beaucoup’’, révèle-t-il. C’est donc dans le plus grand silence que ces enfants vivent leur drame, victimes de l’omerta qui règne dans cette jungle où le destin les a conduits.
Une nuit avec les enfants
Malgré les témoignages reçus, nous décidons de passer une nuit aux milles maquis. Après deux heures d’attente infructueuse dans une atmosphère de musique assourdissante, des prostituées se disputent des clients. Notre curiosité trouve enfin des éléments de réponse à deux pas de nous. Mais les plus petits renseignements y sont monnayés. Un peu plus loin, nous apercevons des enfants vêtu de guenilles, très souvent sans sandale, allant d’une table à une autre brandissant soit des paquets de cigarettes ou des papiers lotus aux personnes assises dans les différents maquis. Nous approchons un adolescent d’entre eux habillé d’un pantalon rapiécé avec un tricot de corps déchiré de couleur kaki, mais qui à l’origine devrais être blanc. Nous l’invitons à notre table partager notre plat de poissons que nous avions commencé à déguster, mais il décline l’invitation. Méfiant au départ, il finit par s’asseoir en notre compagnie. Il se met donc à table et nous le regardons disséquer le poisson avec la dextérité d’un médecin légiste.
Quand il eût fini, nous lui avons tendu la somme de 5 000 mille pour l’achat de sa marchandise.
C’est ce moment que nous choisissons pour lui exposer l’objet de notre visite. Sans se faire prier, il nous conduit sur la voie qui part du “Mille maquis“ au grand marché de Marcory. Grande fut notre surprise d’y voir plusieurs adolescents, et même des enfants d’à peine 10 ans. Mais notre attente n’a pas été veine car juste devant nous, nous voyons une grosse Mercédès 190 de couleur noire se garer en face d’un groupe d’enfants. Un adolescent y monte. Notre guide de circonstance nous explique que ce monsieur visiblement cossu est le client attitré de ce jeune homme qui se prostitue. Sur le champ, nous lui remettons quelques billets de banque et nous nous engouffrons dans un taxi pour filer le véhicule. Après quelques détours, le véhicule rentre dans un hôtel dont le grand portail s'est aussitôt ouvert. A notre tour, nous descendons et attendons pendant plus d’une heure avant de voir la Mercédès ressortir avec à l’intérieur nos deux "tourtereaux". De là, nous empruntons un autre taxi pour suivre le fameux véhicule. Quand il s'est arrêté quelques secondes plus tard, nous voyons le garçon descendre du véhicule, mais cette fois, ce n’est plus l’adolescent plein de vie que nous avons vu monter dans l’engin ; c’est plutôt un enfant qui avait du mal à marcher. Lorsqu’il constate que nous le suivons de près, il emprunte une autre ruelle et disparaît dans les pénombres des habitations avoisinantes. Cet enfant, clopinant, habillé d’un simple pantalon jeans de couleur sombre avec un t-shirt blanc, de par sa corpulence devrait être âgé de 14 ans. Cet enfant certainement traumatisé et luttant comme il peut pour survivre de la misère, n’est que le reflet de cette société gangrénée par la dépravation des mœurs.
Encadré 1: A la merci du VIH et de la drogue
Les enfants de la rue sont très exposés au VIH. Le récit de leur mésaventure sexuelle donne souvent des frissons. Beaucoup parmi eux sont emportés prématurément par des maladies à cause des risques que leur font prendre ces adultes en mal de sensations fortes. “Celui qui vient très souvent me chercher m’envoie dans un hôtel bien caché et n’utilise pas de préservatif. Je suis obligé d’accepter parce que je n’ai pas le choix. J’ai un ami qui est mort le mois passé, il était malade, il faisait la diarrhée, je crois que c’est cette maladie qui l’a emporté. Les grands frères disent que c’était le SIDA. Moi, je ne connais rien de tout cela, sauf que le monsieur avec qui il sortait, continue de venir chercher des amis ici“, confie Serges, un adolescent de 15 ans. Pour vaincre leur traumatisme, ces jeunes gens, pour la plupart, s’adonnent à la drogue. Les nombreux fumoirs nichés aux alentours des maquis constituent les seuls refuges pour ces ‘’rebuts’’ de la société. C’est dans cet effroyable environnement que ces jeunes vies s’éteignent à petit feu dans l’indifférence totale d’une société ivoirienne plus préoccupée à soigner les maux politiques que sociaux.
Encadré 2: Le regard du psychologue
Le phénomène de pédophilie dont les enfants de la rue sont victimes prend de l’ampleur en Côte d’Ivoire. Pour comprendre les véritables motivations de ces enfants et de leurs bourreaux à se livrer à ce vice, nous avons rencontré le psychologue Denis Kouassi Loukou.
Pensez-vous que ces enfants sont réellement en danger?
Ce n’est pas forcément ce que les enfants racontent sur leur vie qui est juste. Car très souvent, ces enfants fuguent lorsque nous les envoyons dans des centres car n’étant pas habitués à la discipline. Le phénomène de la pédophilie dont ils sont victimes est perçu de différentes manières par l’enfant. Certains se sentent obligés de se prostituer pour des besoins de subsistance ou alimentaire.
Qu'est-ce qui peut pousser un adulte vers un enfant ?
Après analyse, il ressort que ces personnes âgées qui affectionnent les enfants le font pour deux raisons. Certains le font parce que lors de leur enfance, ils avaient été violés eux-mêmes soit par leur père soit par une grande personne. Partant de ce fait, eux-mêmes devenus adultes, s’identifient à leurs bourreaux et agressent les enfants. Ces personnes sont des personnes traumatisées et en perpétuelle souffrance. D’autres personnes s’adonnent à la pédophilie pour des raisons culturelles, c'est-à-dire qu’en Afrique, certains pensent que posséder un homme surtout un enfant donne de la puissance et les rend invincibles vis-à-vis de leurs semblables, ou leur donne du pouvoir dans la société et dans leur entourage. Par contre, certains n’ont aucun motif que la libido.
Pourquoi cet engouement des enfants vers la rue et la prostitution?
L’une des causes principales est l’impact de la crise sur les ménages. Les ménages n’arrivent plus à supporter les charges financières de ce fait, ils sont obligés de livrer les enfants à eux-mêmes. Ces enfants vont se frotter aux autres et avec l’effet de contagion, vont rester dans la rue et c’est tout un système complexe qu’il faut démanteler pour trouver une solution
Quel avenir pour ces jeunes ?
Pour pouvoir se construire, il faut avoir un référentiel, quelqu’un à qui s’identifier et ces enfants n’en ont pas. Dans ce contexte, si une action n’est pas menée pour les aider et les canaliser dès maintenant, leur avenir est hypothéqué. Aujourd’hui, ceux qui clament haut et fort qu’ils sont issus de la rue et qui ont fait fortune, sont agressifs, égocentriques. Ils n’aiment pas être contrariés et ont permanemment un besoin de liberté. Ces personnes finissent par se droguer pour retrouver un semblant d’équilibre et de stabilité. Les jeunes filles quant, à elles, vieillissent prématurément et généralement elles essaient également de combler ce manque par la drogue.
Interview réalisée par Mariama Bamba