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Politique Publié le lundi 2 août 2010 | Nord-Sud

Dr Maurice Fahé, politologue : “Le peuple ivoirien a besoin de liberté, de paix et de pain”

Dans cet entretien qu'il nous a accordé, le politologue Maurice Fahé en appelle au rassemblement de tous les militants de la vraie indépendance pour parachever le processus d'accession à la souveraineté nationale et internationale qui reste, selon lui, inachevé.


La Côte d'Ivoire célèbre, le week-end prochain, le cinquantenaire de son indépendance. Quel sens cette commémoration représente-t-elle pour vous ?

Je voudrais, avant de tenter de donner mes points de vue sur la question que me posez, vous remercier, votre journal et vous-même pour l'honneur que vous ne cessez de me faire en m'ouvrant si souvent vos colonnes. Ceci dit, l'indépendance de notre pays se présente comme un processus inachevé.

Pourquoi ?
Parce que la proclamation faite par le président Houphouet-Boigny, le 7 août 1960, n'était que la proclamation de l'indépendance sans la souveraineté. Je voudrais rappeler que ce processus commence grosso modo par la signature le 11 juillet 1960, par le Premier ministre français, Michel Debré et Félix Houphouet-Boigny, Premier ministre de la République de Côte d'Ivoire, de l'accord particulier qui transfère les compétences de la Communauté à la République de Côte d'Ivoire. En effet, en votant OUI au référendum du 28 septembre 1958, la colonie de Côte d'Ivoire devient un Etat-membre de la communauté franco-africaine.

Que signifie l'appartenance à la communauté ?
Elle signifie le refus de l'indépendance immédiate, l'abandon entre les mains de la France, de certaines compétences dévolues de droit à un Etat indépendant. Malgré la ''loi-cadre Gaston Defferre'' de 1956 et bien que l'article 77 de la Constitution du 4 octobre 1958 proclame que « les Etats-membres de la communauté jouissent de l'autonomie ; ils s'administrent eux-mêmes et gèrent démocratiquement et librement leurs propres affaires », l'appartenance à la Communauté signifie le refus de l'indépendance et par conséquent abandon d'un certain nombre de compétences. Celles-ci sont énumérées par l'article 78 de la Constitution du 4 octobre 1958. Que dit cet article ? Il dit : « le domaine de compétence de la communauté comprend la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière ainsi que la politique des matières premières stratégiques. Il comprend en outre, sauf accord particulier, le contrôle de la justice, l'enseignement supérieur, l'organisation générale des transports extérieurs et communs et des télécommunications. Des accords particuliers peuvent créer d'autres compétences communes ou régler tout transfert de compétence de la communauté à l'un de ses membres ». Ce sont toutes ces compétences que l'accord particulier du 11 juillet 1960, transférait à la Côte d'Ivoire. Avec la signature de nombreux accords et traités inégaux, ce transfert a été annulé. La France a repris aux Etats africains les pouvoirs qu'elle leur avait concédés. En effet, après qu'elle eut signé l'accord particulier du 11 juillet 1960 qui lui transfert les compétences autrefois exercées par la France au nom de la Communauté, la Côte d'Ivoire, le Dahomey (aujourd'hui Bénin), la Haute-Volta (aujourd'hui Burkina Faso) et le Niger, abandonnent à nouveau ces mêmes compétences non plus à la communauté dont ils n'étaient plus membres de fait, mais à la France, en signant avec celle-ci, de nombreux traités inégaux. Il s'agit des accords bilatéraux en matière économique, monétaire et financière du 24 avril 1961 auxquels est annexé l'accord de défense, du traité monétaire du 12 mai 1962 qui crée l'Union monétaire ouest-africaine, (Umoa) permettant ''d'africaniser'' les institutions et les mécanismes de fonctionnement de la zone Franc, de la Convention du 27 novembre 1963 et de la convention de compte d'opérations du 02 mars 1963.

Quel est le contenu de ces accords?
Ils reprennent aux Etats africains les compétences qui leur ont été transférées par la France via la Communauté. Si je prends le traité monétaire pour illustrer mon propos, il conduit à la confiscation de la souveraineté monétaire des Etats africains, membres des unions monétaires de la zone Franc (Uémoa, Cemac, etc.) par la France avec l'accord des gouvernements africains.
Quelle réalité recouvre la souveraineté monétaire ?
Elle s'étend non seulement à la monnaie proprement dite, mais également au crédit. Elle comprend la fixation du rapport liant le franc d'hier, l'euro aujourd'hui au franc Cfa (je rappelle que la fixité du rapport entre le franc français d'hier et l'euro d'aujourd'hui, date de la décision du 12 juin 1959, c'est-à-dire à l'époque où la Côte d'Ivoire n'était qu'une colonie traditionnelle), le contrôle de l'émission de la monnaie, la réglementation des changes (autre décision du 12 juin 1959), la réglementation du crédit et l'organisation bancaire, l'orientation des échanges extérieurs et la répartition des devises. La conséquence de cette situation, on l'a vue, c'est la décision unilatérale de la France de supprimer la convertibilité illimitée du franc Cfa en franc français en 1993 suivie par la décision non moins unilatérale de la France de dévaluer de 100% le franc Cfa en janvier 1994, etc. Les mécanismes du contrôle exclusif de la France sur les Etats et les peuples africains ont été largement décrits. Je renvoie ceux qui sont intéressés par ces questions aux écrits et prises de position de Mamadou Koulibaly, président de l'Assemblée nationale, à l'ouvrage de Nicolas Agbohou et bien d'autres. Si l'on considère les choses de ce point de vue, mais aussi du point de vue des mécanismes multiples et complexes de domination économique, politique, diplomatique, financière et culturelle, on peut honnêtement conclure qu'il n'y a pas de quoi célébrer les cinquante ans. De mon point de vue et certainement du point de vue de millions d'Ivoiriens, voire d'Africains, dans les conditions de nos pays au moment actuel, l'objectif devrait être plutôt la récupération complète de la souveraineté et de l'indépendance nationales que la célébration d'une indépendance qui n'existe pas.

A quelles réflexions particulières devrait inviter cette célébration ?
De réflexions particulières, je dirai que la célébration me pose problème. Il me semble que la crise actuelle devrait nous avoir instruits. Elle devrait nous amener à comprendre qu'il ne peut y avoir de démocratie sans lever la mainmise française. Or, pour se libérer du joug français, pour disloquer le pacte colonial pour parler comme Mamadou Koulibaly, la dénonciation ne suffit pas, pas plus d'ailleurs que la seule résistance. Il nous faut de la défensive, passer à l'offensive.

Qu'est-ce que cela signifie ?
Cela signifie qu'il faut abattre les accords de servitude, les accords inégaux qui nous lient à la France et qui vident notre indépendance de tout contenu. Il faut liquider et transformer le vieil Etat semi-colonial… C'est aussi au nom de cet objectif, me semble-t-il, que des millions d'Ivoiriens et d'Ivoiriennes de toutes conditions ont bravé les balles de l'armée françaises en novembre 2004 sans poser la question ni de leur appartenance au Fpi (Front populaire ivoirien, Ndlr) ni de leur adhésion au régime. Il s'agit de démontrer que l'objectif des classes dirigeantes ne diverge pas d'avec celui de la masse du peuple. Le peuple ivoirien est un peuple viscéralement attaché à la liberté. Les exemples de luttes héroïques sont nombreux. Cette aspiration à la liberté n'a jamais faibli. Ce valeureux peuple, par la constance de son engagement démontre qu'il n'attend pas seulement une substitution d'hommes à la tête de l'Etat mais une remise en cause radicale de la base et de la structure même du pouvoir. Alors pour parler de la célébration du cinquantenaire, l'heure devrait être au recueillement, à la méditation consciente et à l'organisation. Car, le plus dur n'est certainement pas derrière.

Les combattants de la liberté semblent, quant à eux, laissés derrière. Est-il possible de réaliser ce travail d'introspection sans eux ?
Les combattants de la liberté ? Je ne sais pas à qui vous faites allusion, mais dans tous les cas, la récupération totale de la souveraineté et de l'indépendance nationales, la liquidation de l'Etat semi-colonial et sa transformation en un Etat démocratique libre, la conquête de la justice et de l'égalité sociales, n'est pas une affaire de parti ou une affaire de politique. Elle suppose le rassemblement autour de ces objectifs immédiats de l'ensemble des forces de progrès. Autrement dit, tous les combattants sincères de la liberté, c'est-à-dire tous les partisans de tout le pouvoir réellement au peuple, à ne pas confondre avec les partisans de la liberté du commerce, doivent se rassembler.

Entre partisans de la célébration en grande pompe et de la commémoration avec mesure, où vous situez-vous ?
Si je veux être cohérent et conséquent avec les propos que je tiens, je vous répondrais, ni du côté des uns ni du côté des autres. Vous savez, un vieux paysan à qui l'on parlait de l'indépendance a posé la question suivante à son fils : « Mon fils, le travail forcé est fini, la colonisation est finie, mais quand donc finira l'indépendance ? » Par cette réflexion, le vieil homme faisait certainement allusion à l'indépendance formelle qui, au lieu d'amener la liberté et le pain, conduit à la paupérisation et à la misère, à la dégénérescence physique et morale. Cette indépendance-là n'a besoin ni d'être célébrée en pompe, ni d'être célébrée avec mesure. Le peuple ivoirien a besoin de liberté, de paix et de pain. Ce doit être le but à la réalisation duquel doivent tendre toutes les énergies.

Interview réalisée par Marc Dossa
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