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Société Publié le mardi 3 août 2010 | Le Temps

Ecole ivoirienne : Pourquoi tant d`échecs ?

© Le Temps Par Emma
Examens de fin d`année/Début des épreuves écrites du Baccalauréat 2010: Bleu Lainé sur le terrain
Mardi 29 juin 2010. Abidjan. Le ministre de l`Education nationale, Gilbert Bleu Lainé visite des centres d`examen de Cocody: le Collège moderne, le Lycée Sainte Marie et le Lycée classique
Il n'est un secret pour personne que les résultats scolaires de ces dernières années sont, on ne peut plus, catastrophiques. Pour certains observateurs certaines causes de la déliquescence du système scolaire n'ont pas encore été débattues et épluchées comme il se doit. Il existe des causes que l'on feint de ne pas voir et qui finalement sont devenues des sujets sensibles voire tabou. L'année dernière, en guise de commentaire sur les résultats du Bac et du Bepc, le ministre de l'Education nationale n'a pas hésité à pointer du doigt les enseignants qui ont trouvé dans la grève une nouvelle distraction et un prétexte pour ne pas travailler. Si les arrêts intempestifs des cours participent à réduire le niveau des élèves, ils ne sauront à eux seuls expliquer cette explosion de l'échec scolaire. Cette année, il n'y a pas eu de grèves sauvages dans le Secondaire pourtant les résultats ont été encore épouvantables. C'est dire qu'il faut creuser, fureter, fouiner, aller plus loin dans l'analyse de cette triste situation. Sérieusement. Sincèrement.Depuis trois années, le recrutement parallèle (institué par le ministre Balla Kéita) qui avait pourtant reculé nettement est revenu au galop, et cette fois-ci, de façon presqu'officielle. Pour juguler toute contestation contre cette pratique, les chefs d'établissement ont ouvert leurs " affaires " aux enseignants. Ainsi, il est permis à tout professeur du Secondaire d'inscrire parallèlement un " cas ". L'appât est si beau, la tentation si grande en ces temps de vaches maigres, que les maîtres se sont laissé prendre au piège. De toutes les façons, avec ou sans eux, le recrutement parallèle aura lieu d'autant plus que les Directeurs régionaux de l'éducation nationale en sont des complices muets et des bénéficiaires sourds. Il se chuchote dans certains milieux que le ministère par le biais de certains de ses agents autorise et couvre la pratique. Les conséquences de ces agissements mafieux sont nombreuses. Les établissements publics ploient sous le poids des effectifs pléthoriques. Quels résultats peut-on obtenir d'une classe de Terminale de 100 élèves ? Combien de devoirs, peut faire un enseignant avec cet effectif vertigineux ? Quel miracle attend-on de cet enseignant pris de tournis devant cette " chine populaire " ? Les apprenants (ah les pauvres !) s'asseyent à trois ou à quatre. Ainsi, les coups d'œil sur le voisin sont automatiques et même obligatoires. Le professeur débordé est obligé de travailler véritablement avec un noyau d'élèves. Ce qui signifie que les plus indolents sont simplement sacrifiés. En plus du recrutement parallèle, la crue des effectifs est consécutive au manque cruel d'infrastructure. Pendant qu'au primaire, des bâtiments publics sortent de terre chaque année, au secondaire rien n'est fait. Ni l'Etat ni ses démembrements ne construisent des lycées et collèges publics depuis près de vingt ans. Le privé qui est appelé à soutenir l'Etat traine des failles qui ne font qu'empirer la situation. Les enseignants de ce secteur non seulement manquent de pédagogie, mais en plus ne sont point suivis pour des recyclages. Surexploités par des fondateurs véreux - des hommes d'affaires assoiffés de gain - les enseignants du privé sont abandonnés à eux-mêmes. Face à la précarité de leur situation, ils succombent à la tentation de vendre des notes et des moyennes. Et le public n'est pas à l'abri de ce mercantilisme honteux. Des parents d'élèves se prêtent à ce jeu en mettant à la disposition de leurs rejetons le capital nécessaire pour s'acheter une réussite douteuse. Les enseignants les plus cyniques instituent des cours de renforcement au cours desquels ils donnent réellement et sérieusement les enseignements pour lesquels ils sont payés. C'est à ces cours " méchants " que les sujets de devoir sont révélés et souvent traités. Evidemment, l'élève qui se contente d'aller aux cours " normaux " ne peut avoir la moyenne. Le virus de l'argent n'a pas attaqué uniquement les enseignants craie en main, les chefs d'établissement en plus de l'argent des recrutements parallèles se vautrent sur le budget du Coges avec la complicité des parents d'élèves.Les échecs enregistrés au secondaire viennent aussi de ce que les élèves qui viennent du primaire n'ont pas le niveau requis. Leur succès à l'entrée en sixième se fait le plus souvent dans une atmosphère de laisser-aller, de légèreté, de complaisance et de tricherie généralisée. Qui ignore-t-il que la surveillance des examens d'entrée en 6e ne l'est que de nom ? Les enseignants ne se gênent pas du tout à recopier des réponses pour les élèves s'ils ne composent pas simplement pour eux. Le taux élevé de réussite à l'entrée en sixième ne s'explique pas autrement. Des Inspecteurs de l'Enseignement primaire poussent le zèle jusqu'à exiger aux instituteurs placés sous leur coupe un certain pourcentage. Pour échapper aux flammes colériques de ces roitelets, le pauvre enseignant use de tous les subterfuges pour être à la hauteur des attentes du patron. Les parents d'élèves pendant les compositions s'agglutinent devant les centres dans l'espoir de glisser le numéro de leurs enfants aux surveillants. Comment ces enseignants peuvent-ils rester neutres quand il est demandé aux parents d'élèves de distraire leur estomac en leur offrant des repas copieux pendant le déjeuner? La corruption a plusieurs visages, n'est-ce pas ? Et lorsque ces enfants arrivent en sixième, il n'est pas rare de découvrir avec surprise que la plupart d'entre eux ne savent pas écrire leur nom. Comment un élève qui a obtenu 18 sur 20 peut-il en sixième avoir Zéro avec le même sujet ?

A cela, il faut ajouter le niveau des enseignants eux-mêmes. Il faut le dire sincèrement, il y en a, notamment ceux de ces dernières années, qui n'ont pas le niveau requis. C'est gravissime ! Ce phénomène fâcheux prend sa source dans le mode de recrutement des enseignants. Les concours d'entrée dans les établissements de pédagogie n'ont pas échappé au démon de l'argent. L'entrée au Cafop et même à l'Ens est devenue payante. Si le recrutement des instituteurs adjoints participe à résoudre le problème du déficit d'enseignants au primaire, il est la raison fondamentale de la chute des niveaux des élèves. Comment un individu qui après avoir acheté le Bepc et son recrutement dans le corps des enseignants peut-il produire des résultats escomptés ? Du n'importe quoi ! Et les Inspecteurs qui constatent sa déficience ne se gênent pas à le titulariser du moment où l'enseignant en question lui a déjà versé la somme qu'il faut pour franchir l'obstacle. Le mode de recrutement des Ia est un assassinat de l'éducation, un génocide intellectuel qui prospère… L'autre cause de cette déliquescence de l'école dont on ne parle pas souvent est cette crise éternelle dans laquelle nous pataugeons. La dégringolade de l'école est à l'image de toute la société où les contre-valeurs sont érigées en valeurs, où des sanguinaires, des violents et des médiocres sont présentés comme des modèles à imiter. L'école faisant partie de la société, la contagion est automatique. Aujourd'hui dans ce pays, tout le monde flirte avec le vol, les détournements de fonds, les surfacturations, la corruption etc. Pourquoi les enseignants seraient-ils en marge du pillage ? Pourquoi devraient-ils eux seuls se contenter des miettes liées à leur fonction sacerdotale ? Voici le genre de questions qu'ils se posent quand ils constatent que dans tous les secteurs (ministère, justice, police, santé, armée, trésor, douane, impôt, presse etc.), les gens sont obnubilés par l'enrichissement illicite et facile. En résumé, notre école est infectée d'une pléthore de virus aussi dangereux les uns que les autres. Tant que des dispositions à moyens et longs termes ne sont pas prises, nous allons lamentablement vers une nation analphabète car sous-formée, malformée voire déformée. Une nation dangereuse, dégénérée, malade, intolérante…La responsabilité incombe autant aux élèves, aux enseignants, aux responsables, aux parents d'élèves qu'aux décideurs. Il ne sert à rien d'indexer qui que ce soit alors qu'on n'est pas exempts de reproche. L'école ne guérira de ses maux que lorsque la société elle-même guérira. C'est une cure qu'il faut. Une révolution, dis-je.

Etty Macaire
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