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Société Publié le samedi 4 septembre 2010 | Nord-Sud

Tariq Ramadan (islamologue et philosophe) : Les défis que doivent relever les musulmans

© Nord-Sud Par Prisca
Islam/Ramadan : Tariq Ramadan échange avec les fidèles de la mosquée d`Aghien
Vendredi 3 septembre 2010. Abidjan. Grande mosquée de Cocody 2 plateaux Aghien. Le célèbre universitaire suisse d`origine égyptienne, Tariq Ramadan est l`hôte de l`imam Boikary Fofana
Arrivé à Abidjan, dans la nuit du jeudi à vendredi, le célèbre islamologue suisse, Tariq Ramadan, s’est ouvert à la presse, hier, à la mosquée d’Aghien. Avec l’éloquence qu’on lui connaît, il est revenu sur la question de l’islam dans le monde, sa position face à l’intégrisme, ses propositions pour la paix en Palestine et les défis qui attendent les musulmans.

Quel est votre avis sur ce qu’on peut appeler l’islamophobie en Europe ?
Il faut faire très attention avec ce mot. L’islamophobie existe. Mais, on ne peut pas déterminer que toutes décisions ou tous les débats en Europe sont islamophobes. Aujourd’hui, le nombre de musulmans en Europe augmente exponentiellement. Avec la visibilité, la couleur dans les rues, le foulard, les mosquées, les écoles, en un mot, la présence. Hier, on ne voyait pas les parents parce qu’ils étaient isolés. Aujourd’hui, ils ne le sont pas, car les enfants sont Français, Allemands, Italiens, Suisses. Ce sont deux choses qui sont en train de se passer aujourd’hui. Il y a une peur de la part de la population. En Hollande, il y a des gens qui se demandent d’où viennent ces gens qu’ils ne connaissent pas. Eux ne sont pas islamophobes. Ils sont peureux. Ils ont une peur normale. Nous devons comprendre que, pour ces populations-là, il faut de l’explication, de l’ouverture et être sensible à leur sensibilité en leur expliquant ce qu’on est et, ce qu’on veut.

Et au niveau des politiciens ?
Il y a des partis politiques qui veulent gagner les élections. Qui savent que les populations ont peur, alors ils instrumentalisent cette frayeur. Ce que j’appelle la politique émotionnelle. On utilise la peur pour gagner les élections. Ce sont les partis populistes ou d’extrême droite. Mais, il ne faut pas voir l’islamophobie partout. Il y a des islamophobes, des politiciens très malsains qui veulent uniquement gagner les élections et qui se moquent de la société. Nous, en tant que musulmans, devons résister aux manipulations politiques et respecter les forces populaires avec un discours qui apaise et qui explique. Résister à la manipulation en disant que nous ne serons pas d’accord. Il y a des droits dans ces pays et nous nous battrons pour les faire respecter.

Certains vous taguent d’intégriste, d’autres comme quelqu’un qui ne serait pas suffisamment engagé. Où vous situez-vous ?
En Occident, il y a des gens qui disent que j’ai un double langage et il y a des musulmans qui trouvent que je suis trop occidental pour être un bon musulman. Le fait qu’il y ait des deux côtés des gens qui me critiquent, prouve que je suis au centre et bien au centre de ce qui doit être. J’ai toujours dit ce que je vous dis ici en Côte d’Ivoire partout. Je n’ai qu’une seule parole dans les trois langues, arabe, anglais et français. Il n’y a pas de changement. Maintenant, par rapport à l’Occident, ce que je dis, il faudra vous habituer à ce que des occidentaux musulmans qui parlent ces langues sont musulmans et occidentaux à la fois. On n’est pas meilleur musulman quand on est contre l’Occident. On est bon musulman quand on respecte ces principes.

Vous êtes donc au juste milieu…
En Occident, il n’y a pas que du mauvais. Il y a du bon et du mauvais. Il ne faut pas diaboliser l’Occident, ni l’idéaliser. Il faut avoir une pensée sélective. J’appartiens à mes principes. Quand il y a de bons principes en Occident, je les prends. Quand il y a de mauvais principes parmi les musulmans, je les attaque. Même chez les musulmans, il y a des choses en contradiction avec l’islam. Chez les non-musulmans, il y a des choses en accord avec l’islam. Le musulman doit comprendre qu’il doit chercher la sagesse où elle se trouve. La sagesse est la propriété privée du musulman. Il en est le propriétaire partout où il la trouve.

Pensez-vous être incompris ?
Non. Si je l’étais, on ne m’attaquerait pas autant. Vous connaissez le proverbe africain qui dit qu’on ne jette de pierre sur un arbre que lorsqu’il porte des fruits. C’est parce qu’il y a du fruit aujourd’hui que les gens voient ce discours-là. Il y a des gens qui font semblant de ne pas comprendre. Il y a des politiciens qui ont tout de suite compris ce que je voulais. Une présence musulmane à l’époque contemporaine, mais pas seulement dans le monde occidental. Ici en Afrique et partout dans le monde. Des gens ont vite compris que mon but, c’est de dire qu’il n’y a aucune contradiction. On peut être musulman et vivre pleinement dans son époque. En Afrique, en Asie et en Occident, certains ont envie de nous mettre une étiquette de musulman arriéré parce que l’islam serait le problème. Nous leur montrons tous les jours que l’islam n’a aucun problème avec les questions contemporaines.

Quel est votre avis sur la question palestinienne ?
On vient de nous annoncer qu’il y a des négociations qui commencent. La énième qui s’ouvre et on nous dit que l’espoir renaît. Ce qui est tout à fait étonnant, c’est que cet espoir renaît à chaque fois que nous nous approchons des élections soit en Israël, soit aux Etats-Unis. L’espoir des Palestiniens réside, pendant six mois, dans la tenue des élections dans ces deux pays. Depuis dix ans, les Palestiniens n’ont rien eu. Qu’on ait suivi la stratégie de Mahmoud Abass ou celle du Hamas, il n’y a rien. Aujourd’hui, l’opinion internationale se réveille. En 1967, 73% des Européens étaient pro-israéliens. A l’heure actuelle, 67% sont pro-palestiniens. C’est dire qu’il y a un revirement de l’opinion.

Qu’est-ce qui explique cela ?
Ils ont conscience que le problème ne se regèlera pas demain avec de faux espoirs de négociation. Ce sera à long terme. Ce que nous avons à faire, sont de trois ordres. Le premier, c’est demander aux autorités palestiniennes de rentrer dans un dialogue sérieux pour ne pas tomber dans le piège de la division. Il faut qu’il y ait un front commun. Deuxièmement, il faut appeler les Etats africains et arabes à une responsabilité par rapport aux Palestiniens. On ne peut pas critiquer l’Occident en disant que tout vient des Etats-Unis et de l’Europe quand on n’a pas une position claire sur la question. Il faudra travailler à faire comprendre la cause palestinienne. Elle n’est pas une cause religieuse des musulmans contre les Juifs. Notre réponse sur la question de Jérusalem et des lieux saints, est que les Juifs, les chrétiens et les musulmans doivent avoir un accès égal à ces lieux de culte sans discussion. Nous nous opposons aux politiques d’oppression d’un Etat par une religion. Nous n’avons rien contre le judaïsme et le christianisme. Il faut expliquer la question politique d’une colonisation lente, politique qui dure depuis 60 ans. Et qu’il y a un Etat sur la terre qui ne respecte pas les résolutions des Nation-unies et qui se moque d’elles. 72 résolutions à ce jour. Nous devons nous mettre du côté du droit et de la justice et attendre avec une belle patience mais déterminé et mobiliser les opinions publiques.

Quels sont les défis auxquels l’islam est-il confronté, aujourd’hui ?
Le premier est un défi d’éducation et d’intelligence. C'est-à-dire que nous avons une religion qui, malheureusement, n’est pas étudiée et comprise par ses propres adeptes. Nous avons un vrai défi de l’éducation et de la compréhension de notre religion à relever avec des priorités. Car, quand on ne connaît pas sa religion, ce sont les autres qui déterminent vos priorités. Or, quand vous êtes éduqués, c’est vous qui déterminez vos priorités. On parle d’abord de l’essentiel pour arriver aux détails. Le deuxième élément, c’est la question de l’unité interne. Il faut être capable de dire aux musulmans que nous ne sommes pas pour l’uniformisation. Nous sommes pour l’unité dans la diversité. Qui veut l’uniformité, récoltera la division. Qui veut la collaboration doit fonctionner sur le dialogue et la communication. Nous sommes pour la diversité qui sépare et pas pour l’uniformisation qui s’impose.

Que doit-on faire dans ce cas ?
Il faut pour cela ouvrir une porte sur les différentes tendances de l’islam qu’elles soient chiites ou sunnites pour avoir ce discours. La piété, la conscience de Dieu doit être plus forte entre nous que le désaccord. Un troisième défi est celui de la place de la femme en islam. La question féminine n’est pas une question occidentale. Il faut que l’islam soit respecté dans nos cultures et traditions avec le droit des filles à l’éducation, le droit des femmes de leur choix, leur droit d’avoir une participation. Toutes les études sociologiques et de développement montrent que quand les femmes sont engagées dans des projets, elles font souvent mieux que les hommes. Comment nous séparer d’une compétence présente dans notre société avec une éducation de plus en plus importante.

Quel est le quatrième défi à relever ?
Le quatrième défi est celui de l’économie. Il faut que nous comprenions que nous devons nous engager à l’autonomisation de nos réalités économiques et financières. La zakat n’est pas un moyen d’assistance aux gens. Elle est un moyen d’autonomisation. On doit aider une personne à devenir autonome. On ne doit pas l’aider à rester assisté. Et c’est ce qui doit se faire en interne. Sur le plan international, nous avons suffisamment de moyens si nous savons les utiliser pour devenir plus autonomes financièrement. Vous ne pouvez pas être indépendant politiquement si vous êtes assistés économiquement. Si vous avez un pouvoir qui n’a pas d’autorité, à quoi sert-il ? Le cinquième défi est la solidarité. 80 % des musulmans du monde vivent dans la paupérisation et la fragilité. C’est un lien entre le politique et la conscience de la pauvreté que nous avons à engager aujourd’hui. Il y a des défis qui sont circonstanciés. A savoir, comment faire face et appliquer une éthique aux problèmes contemporains. Ce sera la question des sciences, des maladies. En Afrique, de nombreuses personnes meurent de Sida. En Afrique du Sud, par exemple, les chiffres sont atterrants. On n’a pas les médicaments qui viennent suffisamment d’Occident, ni les médicaments génériques.

Le Sida n’est-il pas le fruit du péché ?
Le discours islamique sur le Sida doit être réformé. On ne juge pas les malades du Sida en disant que c’est la faute à l’homosexualité ou autre chose. Nous n’avons pas à juger un malade sur la façon dont il a été atteint de la maladie. C’est entre lui et Dieu. Nous nous occupons des malades. Quand on le fait, il faut trouver les meilleurs moyens de leur trouver des médicaments susceptibles de les guérir. Il y a des femmes et des hommes malades du Sida, isolés de leur communauté et jugés par les leurs. D’autres ne peuvent pas le dire, ils meurent en silence. Ce n’est pas l’islam ceci. L’islam ne juge pas les malades. On juge des comportements mais quand on a un malade, on le soigne.

Propos recueillis par Sanou Amadou
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