Eburnews - Le Docteur Alfred Babo a procédé à la dédicace de son livre : ‘’ Les jeunes, la terre et les changements sociaux‘’, le 8 septembre 2010 au Goethe- Institut à Cocody. Le Président de l’Université de Bouaké-la-Neuve, le Prof. Lazare Marcelin Poamé était représenté par son Vice-président le Prof. Michel Kodo. Le Vice-président de cette Institution a félicité l’auteur de ce travail, Dr Babo Alfred. Il a relevé le dynamisme dans la recherche des enseignants-chercheurs de l’Université de Bouaké-la-Neuve, en dépit de son statut d’Institution sinistrée, délocalisée à Abidjan. Le Pr Michel Kodo a remercié le Goethe-Institut pour sa contribution significative à la promotion des travaux des enseignants-chercheurs de son Institution.
Ensuite, le 1er vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, Djibo Nicolas a félicité Dr.Babo Alfred en ces termes : ‘’Je suis fière du travail qu’il a fait, et qu’il fait’’.
Le Prof. Roch Yao Gnabéli a par la suite présenté l’auteur. Bien avant la dédicace du livre par son auteur, la présentation de l’ouvrage ‘’’ ‘’ a été faite par le Professeur des Universités Francis Akindès.
Préface
Au cœur des mutations sociales en Côte d’Ivoire : la terre et les jeunes
Par Francis AKINDES (f_akindes@yahoo.fr)
La terre … Les jeunes. Voici deux mots-clés devenus, au fil du temps, des passages obligés pour comprendre les récentes mutations dans les sociétés africaines en général et dans la société ivoirienne en particulier. Dans les efforts de compréhension ou d’explication du malaise sociétal en Côte d’Ivoire, ces mots reviennent très souvent. La terre, en tant que ressource naturelle ? A force d’en exploiter la fertilité et la disponibilité sans une claire définition des règles du jeu et sans une réflexion prospective sur les conditions optimales de son exploitation durable, la terre est devenue un objet de tension voire de conflits de diverses natures. Elle n’est plus seulement un facteur de production dans un pays qui tire l’essentiel de son revenu de l’agriculture. A l’heure du passage de la vision monopolistique de l’idée de nation de l’ère houphouétiste à une définition concurrentielle d’une autre Côte d’Ivoire, la terre se révèle objet de passion politique. Le processus de réinvention d’un soi collectif dans lequel la nation ivoirienne s’est engagée par le détour de la violence, dévoile l’extrême sensibilité politique des questions foncières. Car, autour du foncier, se joue également, du fait des dynamiques migratoires, l’avenir des complémentarités entre les régions composant l’entité nationale. Rappelons que l’ingénierie très houphouétiste de la solidarité entre les régions fut l’un des facteurs non négligeables du succès de l’économie ivoirienne dont le socle était et demeure l’agriculture.
Que faut-il entendre par ingénierie politique houphouétiste intégrant le foncier ? Pour créer la richesse, les régions naturellement riches en terres fertiles accueillent les populations en provenance des régions qui en sont moins pourvues. Les migrations économiques volontaires politiquement encouragées venaient corriger de fait les inégalités naturelles dans la dotation en ressources foncières adaptées aux spéculations dominantes (cacao, café) dans lesquelles l’économie ivoirienne présente des avantages comparatifs. Cette solidarité économique qui fut un véritable instrument politique sous Félix Houphouët Boigny, a fortement contribué à ce que d’aucuns qualifiaient de « miracle ivoirien ». Mais progressivement, dans les pôles de colonisation foncière, elle a généré des contradictions, puisqu’elle a secrété des frustrations sociales, transformant la terre, au fil des ans, en source de tension politique de moins en moins discrète. Du coup, les modalités d’accès au foncier et d’exploitation de la terre, sans réelle codification du statut du foncier mis en exploitation, censées participer à la construction d’une certaine idée de nation, sont remises en question. Le « projet » politique de réinvention au forceps d’un soi collectif, lequel a débuté en Côte d’Ivoire avec le coup d’Etat de 1999 et l’escalade de violence qui s’en est suivi, indiquent un sens de l’histoire. Mais, un sens de l’histoire qui se fait et qui s’écrit désormais avec la jeunesse. A toutes les échelles géopolitiques nationales, au plan macrosociologique comme au plan microsociologique, les jeunes participent à cette dynamique de réinvention de soi. La brutalité avec laquelle ils s’invitent, s’illustrent et s’imposent dans l’arène sociale depuis 1999 démontre sociologiquement qu’ils n’entendent plus être de simples agents au service d’un système social régi par l’ambiante et très africaine idéologie conservatrice du grand-frérisme. Idéologie participant à la superstructure de brimade et de limitation du débordement des cadets par les aînés sur fond de recherche de sécurité morale des aînés, mais sans obligation, ni de responsabilité de ces derniers vis-à-vis des cadets.
Cette économie morale aux formes multiples prend sens dans une asymétrie de droits et d’obligations que les aînés souhaitent à sens unique tant qu’il est possible de maintenir le statut quo. Les jeunes semblent revendiquer désormais une posture d’acteurs de leurs devenirs, même si parfois ils s’y prennent mal. Du moins, dans la crise sociopolitique qui agite la société ivoirienne, ils le proclament et s’illustrent comme tel. Ils furent la cheville ouvrière du coup d’Etat qui porta le Général Robert Guéï au pouvoir en 1999. D’ailleurs, après ce coup, avant la rupture qui intervint entre les putschistes et le Général Robert Guéï, pour cause de dénonciation par les soldats du non-respect des engagements pris par leur mentor, ce dernier appelait affectueusement « Jeunes gens », ces soldats qui l’ont porté au pouvoir après avoir pointé le fusil sur les tempes du président d’alors, Henri Konan Bédié, afin de le contraindre à partir. En 2002, les mêmes « Jeunes gens » reprirent les armes lorsqu’ils estimaient que leurs revendications politiques sont également restées insatisfaites sous le règne de Laurent Gbagbo. Et depuis 2002, la catégorie « jeune » se révèle politiquement féconde en Côte d’Ivoire. Dans l’arène politique, les jeunes sont en ordre de bataille. Ils choisissent leurs camps, diversifient leurs champs du possible. Ils se créent, se constituent acteurs politiques de premier plan et sont reçus comme tels par les diverses familles politiques. C’est ainsi que l’on a vu apparaître d’un côté, les « Forces Nouvelles », contestataires d’un ordre social et politique injuste, selon elles. Et contre elles, en soutien à l’action gouvernementale, se sont constitués les « Jeunes Patriotes », véritable cordon humain de protection d’un pouvoir qui n’a guère eu de répit depuis les « élections calamiteuses » de 2000. La raison des muscles structure désormais le champ social et politique, d’autant que la violence est progressivement devenue un instrument de dialogue politique.
Au plan macrosocial, il faut plutôt lire cette posture de la jeunesse et ce positionnement actuel des jeunes dans l’arène politique, face visible de l’iceberg, à la fois comme un signe d’impatience et comme étant des indices de renégociation des rapports entre aînés et cadets dans une société ivoirienne aux structures sociales fortement hiérarchisée. Mais une hiérarchisation sociale sans perspective dont le poids est de moins en moins supportable pour une jeunesse harcelée par le temps et les lendemains incertains et sans horizon.
Les formes d’expression et mécanismes de renégociation, bien que plurielles dans les sociétés africaines et particulièrement dans la société ivoirienne, sont faiblement documentées. Si en Côte d’Ivoire, la violence politique juvénile apparaît comme étant la forme par laquelle elles se sont révélées à la conscience collective, celle-ci n’est qu’une modalité parmi tant d’autres de négociation des relations intergénérationnelles. En milieu urbain comme en milieu rural, il existe des formes plus frustres. En milieu rural plus spécifiquement, cette dynamique paraît moins spectaculaire mais non moins essentielle pour comprendre non seulement le mal des jeunes à exister, à passer d’un statut d’enfance prolongée à un statut d’adulte, mais aussi à négocier leur place dans des sociétés qui manquent de réflexivité sur les aspirations d’une catégorie sociale souvent invitée indéfiniment à « attendre son tour ». Alfred Babo offre ici une belle analyse socio-anthropologique de forme de négociation en douceur qui n’emprunte guère le détour de la violence. Une analyse d’un modèle de transformation discrète de liens intergénérationnels dans une société comme la société baoulé, anthropologiquement inscrite dans une espèce d’entre-deux-culturel, parce que, pas encore moderne (la force structurante de l’Etat, articulée autour d’un accord sur la reconnaissance de l’individu non internalisée) sans être complètement traditionnelle non plus (La tradition n’y étant plus, de toutes les façons, ce qu’elle était). L’analyse offerte dans le présent ouvrage donne une autre lecture du processus de transformation de la société baoulé. Elle montre comment, dans cette société, la renégociation des relations aînés-cadets et l’accélération de l’autonomie relative des jeunes passent par leur capacité à ruser non seulement avec des opportunités offertes par quelques actions publiques localisées mais également avec les incertitudes que ces opportunités induisent en terme de régulation pour des ordres sociaux qui peinent avec le temps à maintenir leurs mécanismes traditionnels de contrôle social et donc, de ce fait, se trouvent contraints à une adaptation. Il semble que la montée en puissance des jeunes ruraux dans les sociétés africaines se joue également dans ce creuset des rapports de force intergénérationnels par le détour de la saisie d’opportunités en situation d’incertitude de régulation. Une multiplication des études ethnographiques devrait certainement permettre de mieux renseigner ces dynamiques qui, en raison de leur importance politique, sociale, culturelle, voire économique, sont une problématique d’actualité. L’on peut d’ores et déjà faire l’hypothèse que les expériences et les modalités de renégociation des relations entre les générations devraient présenter des différences notables d’une aire géographique à une autre, d’une subculture à une autre. Rapporté à une échelle nationale, l’on peut également se risquer à avancer qu’en la matière, en Côte d’Ivoire, il y a des différences significatives entre les zones d’émigration et les zones d’immigration. Ces différences dans les modalités de renégociation des relations intergénérationnelles sont liées, nous semble-t-il, à la disponibilité ou non ou à la valeur d’usage attachée aux ressources foncières qui servent, la plupart du temps, d’instrument de contrôle social dans les communautés. Dans le contexte ivoirien, sur cette problématique, l’actualité sociopolitique a plutôt orienté l’intérêt scientifique vers les zones à risque que sont devenues les régions du Sud-Ouest ivoirien où la question foncière est d’une actualité brulante alors que les connaissances disponibles ne sont guère suffisantes pour éclairer la prise de décision. Aussi, la peur de la déferlante de violence juvénile dans les villes ivoiriennes a-t-elle vite fait d’amener les agences de développement à requalifier discrètement cette population de « jeunes à risque » et de focaliser l’attention sur les actions publiques à envisager pour canaliser et domestiquer leurs énergies sociales. Cette approche politique de la question de la jeunesse plutôt inspirée par la peur a quasiment occulté le fait qu’il existe des dynamiques moins conjoncturelles, moins conflictuelles et tout aussi structurantes. Le travail d’Alfred Babo contribue à lever le voile sur ces dynamiques moins spectaculaires, à l’œuvre dans des contextes socioculturels sur lesquels les recherches en sciences sociales semblent avoir désinvesti depuis environ une trentaine d’année. Il vient enrichir la littérature sociologique sur les stratégies de renégociation des liens intergénérationnels déployées par les jeunes ruraux. Cette sociologie de la résilience des jeunes dans l’espace socioculturel baoulé, dévoile deux mouvements en réalité, fortement interconnectés, mais distingués ici pour les besoins de l’analyse. Elle montre d’une part, comment dans cette société, les rapports sociaux se reconfigurent dans la matrice sociale des relations à la terre. D’autre part, elle renseigne sur la manière dont la frange structurellement dominée de cette société, les cadets (les jeunes), ruse avec l’ordre social en usant de nouvelles opportunités pour bousculer les règles, au point même de modifier l’itinéraire de passage du statut d’enfance à celui d’adulte. L’originalité du travail d’Alfred Babo ne tient pas que dans les résultats de ses travaux. Elle tient également dans l’approche méthodologique choisie. Cette étude, qui se veut avant tout une anthropologie du changement social dans les sociétés baoulé, a pris comme porte d’entrée le rapport des générations au foncier. En cela, elle renouvelle de l’intérieur, une certaine façon d’étudier les sociétés africaines, beaucoup moins statiques qu’on ait tendance à le croire. Des sociétés africaines dont les indices des mutations non brutales ne se laissent guère appréhender au cours de missions de terrain rapides et de courte durée. Des terrains dont certains chercheurs en sciences sociales se décrètent trop vite spécialistes pour y avoir réalisé des monographies sommaires. Les sociétés africaines s’écrivent discrètement (écriture de soi), mais sans laisser de traces écrites. Pour comprendre ce que ces sociétés peuvent donner à lire d’elles, il faut certainement s’armer de méthodes. Mais il convient également de mobiliser une certaine sensibilité et les sens, suivant une géométrie toujours variable de la distance et de la proximité. Au-delà des questions méthodologiques, c’est bien là que se loge la dimension artistique de la recherche anthropologique. C’est donc un exercice toujours très délicat qui renvoie à une utilisation artistique de l’équerre et du compas méthodologique. En clair, l’art d’associer la rigueur méthodologique et une prise en compte des significations sociales en situation, mais sans pour autant être situationniste. C’est bien à cet exercice que s’est livré Alfred Babo avec beaucoup de bonheur, et ce, sur un terrain sur lequel la littérature anthropologique disponible donne l’impression que tout a été déjà dit.
Francis Akindès
f_akindes@yahoo.fr
Professeur des Universités
Université de Bouaké
Ensuite, le 1er vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, Djibo Nicolas a félicité Dr.Babo Alfred en ces termes : ‘’Je suis fière du travail qu’il a fait, et qu’il fait’’.
Le Prof. Roch Yao Gnabéli a par la suite présenté l’auteur. Bien avant la dédicace du livre par son auteur, la présentation de l’ouvrage ‘’’ ‘’ a été faite par le Professeur des Universités Francis Akindès.
Préface
Au cœur des mutations sociales en Côte d’Ivoire : la terre et les jeunes
Par Francis AKINDES (f_akindes@yahoo.fr)
La terre … Les jeunes. Voici deux mots-clés devenus, au fil du temps, des passages obligés pour comprendre les récentes mutations dans les sociétés africaines en général et dans la société ivoirienne en particulier. Dans les efforts de compréhension ou d’explication du malaise sociétal en Côte d’Ivoire, ces mots reviennent très souvent. La terre, en tant que ressource naturelle ? A force d’en exploiter la fertilité et la disponibilité sans une claire définition des règles du jeu et sans une réflexion prospective sur les conditions optimales de son exploitation durable, la terre est devenue un objet de tension voire de conflits de diverses natures. Elle n’est plus seulement un facteur de production dans un pays qui tire l’essentiel de son revenu de l’agriculture. A l’heure du passage de la vision monopolistique de l’idée de nation de l’ère houphouétiste à une définition concurrentielle d’une autre Côte d’Ivoire, la terre se révèle objet de passion politique. Le processus de réinvention d’un soi collectif dans lequel la nation ivoirienne s’est engagée par le détour de la violence, dévoile l’extrême sensibilité politique des questions foncières. Car, autour du foncier, se joue également, du fait des dynamiques migratoires, l’avenir des complémentarités entre les régions composant l’entité nationale. Rappelons que l’ingénierie très houphouétiste de la solidarité entre les régions fut l’un des facteurs non négligeables du succès de l’économie ivoirienne dont le socle était et demeure l’agriculture.
Que faut-il entendre par ingénierie politique houphouétiste intégrant le foncier ? Pour créer la richesse, les régions naturellement riches en terres fertiles accueillent les populations en provenance des régions qui en sont moins pourvues. Les migrations économiques volontaires politiquement encouragées venaient corriger de fait les inégalités naturelles dans la dotation en ressources foncières adaptées aux spéculations dominantes (cacao, café) dans lesquelles l’économie ivoirienne présente des avantages comparatifs. Cette solidarité économique qui fut un véritable instrument politique sous Félix Houphouët Boigny, a fortement contribué à ce que d’aucuns qualifiaient de « miracle ivoirien ». Mais progressivement, dans les pôles de colonisation foncière, elle a généré des contradictions, puisqu’elle a secrété des frustrations sociales, transformant la terre, au fil des ans, en source de tension politique de moins en moins discrète. Du coup, les modalités d’accès au foncier et d’exploitation de la terre, sans réelle codification du statut du foncier mis en exploitation, censées participer à la construction d’une certaine idée de nation, sont remises en question. Le « projet » politique de réinvention au forceps d’un soi collectif, lequel a débuté en Côte d’Ivoire avec le coup d’Etat de 1999 et l’escalade de violence qui s’en est suivi, indiquent un sens de l’histoire. Mais, un sens de l’histoire qui se fait et qui s’écrit désormais avec la jeunesse. A toutes les échelles géopolitiques nationales, au plan macrosociologique comme au plan microsociologique, les jeunes participent à cette dynamique de réinvention de soi. La brutalité avec laquelle ils s’invitent, s’illustrent et s’imposent dans l’arène sociale depuis 1999 démontre sociologiquement qu’ils n’entendent plus être de simples agents au service d’un système social régi par l’ambiante et très africaine idéologie conservatrice du grand-frérisme. Idéologie participant à la superstructure de brimade et de limitation du débordement des cadets par les aînés sur fond de recherche de sécurité morale des aînés, mais sans obligation, ni de responsabilité de ces derniers vis-à-vis des cadets.
Cette économie morale aux formes multiples prend sens dans une asymétrie de droits et d’obligations que les aînés souhaitent à sens unique tant qu’il est possible de maintenir le statut quo. Les jeunes semblent revendiquer désormais une posture d’acteurs de leurs devenirs, même si parfois ils s’y prennent mal. Du moins, dans la crise sociopolitique qui agite la société ivoirienne, ils le proclament et s’illustrent comme tel. Ils furent la cheville ouvrière du coup d’Etat qui porta le Général Robert Guéï au pouvoir en 1999. D’ailleurs, après ce coup, avant la rupture qui intervint entre les putschistes et le Général Robert Guéï, pour cause de dénonciation par les soldats du non-respect des engagements pris par leur mentor, ce dernier appelait affectueusement « Jeunes gens », ces soldats qui l’ont porté au pouvoir après avoir pointé le fusil sur les tempes du président d’alors, Henri Konan Bédié, afin de le contraindre à partir. En 2002, les mêmes « Jeunes gens » reprirent les armes lorsqu’ils estimaient que leurs revendications politiques sont également restées insatisfaites sous le règne de Laurent Gbagbo. Et depuis 2002, la catégorie « jeune » se révèle politiquement féconde en Côte d’Ivoire. Dans l’arène politique, les jeunes sont en ordre de bataille. Ils choisissent leurs camps, diversifient leurs champs du possible. Ils se créent, se constituent acteurs politiques de premier plan et sont reçus comme tels par les diverses familles politiques. C’est ainsi que l’on a vu apparaître d’un côté, les « Forces Nouvelles », contestataires d’un ordre social et politique injuste, selon elles. Et contre elles, en soutien à l’action gouvernementale, se sont constitués les « Jeunes Patriotes », véritable cordon humain de protection d’un pouvoir qui n’a guère eu de répit depuis les « élections calamiteuses » de 2000. La raison des muscles structure désormais le champ social et politique, d’autant que la violence est progressivement devenue un instrument de dialogue politique.
Au plan macrosocial, il faut plutôt lire cette posture de la jeunesse et ce positionnement actuel des jeunes dans l’arène politique, face visible de l’iceberg, à la fois comme un signe d’impatience et comme étant des indices de renégociation des rapports entre aînés et cadets dans une société ivoirienne aux structures sociales fortement hiérarchisée. Mais une hiérarchisation sociale sans perspective dont le poids est de moins en moins supportable pour une jeunesse harcelée par le temps et les lendemains incertains et sans horizon.
Les formes d’expression et mécanismes de renégociation, bien que plurielles dans les sociétés africaines et particulièrement dans la société ivoirienne, sont faiblement documentées. Si en Côte d’Ivoire, la violence politique juvénile apparaît comme étant la forme par laquelle elles se sont révélées à la conscience collective, celle-ci n’est qu’une modalité parmi tant d’autres de négociation des relations intergénérationnelles. En milieu urbain comme en milieu rural, il existe des formes plus frustres. En milieu rural plus spécifiquement, cette dynamique paraît moins spectaculaire mais non moins essentielle pour comprendre non seulement le mal des jeunes à exister, à passer d’un statut d’enfance prolongée à un statut d’adulte, mais aussi à négocier leur place dans des sociétés qui manquent de réflexivité sur les aspirations d’une catégorie sociale souvent invitée indéfiniment à « attendre son tour ». Alfred Babo offre ici une belle analyse socio-anthropologique de forme de négociation en douceur qui n’emprunte guère le détour de la violence. Une analyse d’un modèle de transformation discrète de liens intergénérationnels dans une société comme la société baoulé, anthropologiquement inscrite dans une espèce d’entre-deux-culturel, parce que, pas encore moderne (la force structurante de l’Etat, articulée autour d’un accord sur la reconnaissance de l’individu non internalisée) sans être complètement traditionnelle non plus (La tradition n’y étant plus, de toutes les façons, ce qu’elle était). L’analyse offerte dans le présent ouvrage donne une autre lecture du processus de transformation de la société baoulé. Elle montre comment, dans cette société, la renégociation des relations aînés-cadets et l’accélération de l’autonomie relative des jeunes passent par leur capacité à ruser non seulement avec des opportunités offertes par quelques actions publiques localisées mais également avec les incertitudes que ces opportunités induisent en terme de régulation pour des ordres sociaux qui peinent avec le temps à maintenir leurs mécanismes traditionnels de contrôle social et donc, de ce fait, se trouvent contraints à une adaptation. Il semble que la montée en puissance des jeunes ruraux dans les sociétés africaines se joue également dans ce creuset des rapports de force intergénérationnels par le détour de la saisie d’opportunités en situation d’incertitude de régulation. Une multiplication des études ethnographiques devrait certainement permettre de mieux renseigner ces dynamiques qui, en raison de leur importance politique, sociale, culturelle, voire économique, sont une problématique d’actualité. L’on peut d’ores et déjà faire l’hypothèse que les expériences et les modalités de renégociation des relations entre les générations devraient présenter des différences notables d’une aire géographique à une autre, d’une subculture à une autre. Rapporté à une échelle nationale, l’on peut également se risquer à avancer qu’en la matière, en Côte d’Ivoire, il y a des différences significatives entre les zones d’émigration et les zones d’immigration. Ces différences dans les modalités de renégociation des relations intergénérationnelles sont liées, nous semble-t-il, à la disponibilité ou non ou à la valeur d’usage attachée aux ressources foncières qui servent, la plupart du temps, d’instrument de contrôle social dans les communautés. Dans le contexte ivoirien, sur cette problématique, l’actualité sociopolitique a plutôt orienté l’intérêt scientifique vers les zones à risque que sont devenues les régions du Sud-Ouest ivoirien où la question foncière est d’une actualité brulante alors que les connaissances disponibles ne sont guère suffisantes pour éclairer la prise de décision. Aussi, la peur de la déferlante de violence juvénile dans les villes ivoiriennes a-t-elle vite fait d’amener les agences de développement à requalifier discrètement cette population de « jeunes à risque » et de focaliser l’attention sur les actions publiques à envisager pour canaliser et domestiquer leurs énergies sociales. Cette approche politique de la question de la jeunesse plutôt inspirée par la peur a quasiment occulté le fait qu’il existe des dynamiques moins conjoncturelles, moins conflictuelles et tout aussi structurantes. Le travail d’Alfred Babo contribue à lever le voile sur ces dynamiques moins spectaculaires, à l’œuvre dans des contextes socioculturels sur lesquels les recherches en sciences sociales semblent avoir désinvesti depuis environ une trentaine d’année. Il vient enrichir la littérature sociologique sur les stratégies de renégociation des liens intergénérationnels déployées par les jeunes ruraux. Cette sociologie de la résilience des jeunes dans l’espace socioculturel baoulé, dévoile deux mouvements en réalité, fortement interconnectés, mais distingués ici pour les besoins de l’analyse. Elle montre d’une part, comment dans cette société, les rapports sociaux se reconfigurent dans la matrice sociale des relations à la terre. D’autre part, elle renseigne sur la manière dont la frange structurellement dominée de cette société, les cadets (les jeunes), ruse avec l’ordre social en usant de nouvelles opportunités pour bousculer les règles, au point même de modifier l’itinéraire de passage du statut d’enfance à celui d’adulte. L’originalité du travail d’Alfred Babo ne tient pas que dans les résultats de ses travaux. Elle tient également dans l’approche méthodologique choisie. Cette étude, qui se veut avant tout une anthropologie du changement social dans les sociétés baoulé, a pris comme porte d’entrée le rapport des générations au foncier. En cela, elle renouvelle de l’intérieur, une certaine façon d’étudier les sociétés africaines, beaucoup moins statiques qu’on ait tendance à le croire. Des sociétés africaines dont les indices des mutations non brutales ne se laissent guère appréhender au cours de missions de terrain rapides et de courte durée. Des terrains dont certains chercheurs en sciences sociales se décrètent trop vite spécialistes pour y avoir réalisé des monographies sommaires. Les sociétés africaines s’écrivent discrètement (écriture de soi), mais sans laisser de traces écrites. Pour comprendre ce que ces sociétés peuvent donner à lire d’elles, il faut certainement s’armer de méthodes. Mais il convient également de mobiliser une certaine sensibilité et les sens, suivant une géométrie toujours variable de la distance et de la proximité. Au-delà des questions méthodologiques, c’est bien là que se loge la dimension artistique de la recherche anthropologique. C’est donc un exercice toujours très délicat qui renvoie à une utilisation artistique de l’équerre et du compas méthodologique. En clair, l’art d’associer la rigueur méthodologique et une prise en compte des significations sociales en situation, mais sans pour autant être situationniste. C’est bien à cet exercice que s’est livré Alfred Babo avec beaucoup de bonheur, et ce, sur un terrain sur lequel la littérature anthropologique disponible donne l’impression que tout a été déjà dit.
Francis Akindès
f_akindes@yahoo.fr
Professeur des Universités
Université de Bouaké