Bondoukou, capitale du Zanzan, est aussi riche que variée. A cause de leur mode de vie, sans pareil, les Lobi de la région, en particulier ceux de Kohodio, éprouvent des problèmes d’intégration.
Kohodio, bourgade perdue dans la broussaille, est un petit morceau lobi coincé entre la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Burkina Faso, happé par Bouna et Bondoukou, tiraillé entre les Koulango et les Abron. Située à une soixantaine de kilomètres du chef-lieu de département, le bourg s’étale sur un plateau attiré par le royaume Ashanti, à proximité. Dans cette contrée défigurée par les impraticables pistes boueuses, l’aspect riant peut faire illusion aux visiteurs. Malgré le dénuement dans lequel vivent les populations, elles trouvent le moyen d’accueillir les étrangers dans la gaieté. Un spectacle surprenant! «On ne croirait jamais avoir à ses pieds, un paysan aussi malheureux», observe Mme Adonis Kouamé, assistante-terrain du Programme des nations-unies pour le développement (Pnud) qui y a piloté un projet d’élevage de porcs.
A l’œil nu
Dans la zone, la pauvreté se sent et se voit à l’œil nu. Pas de centre de santé, pas de maisons en dur, des enfants permanemment nus, des vieilles personnes bariolées de cendres. Les agriculteurs sont courageux, mais la technique de labour est moins évoluée. Conséquences, les paysans cultivent de vastes étendues : plus d’un hectare par actif en moyenne. L’igname à laquelle sont associés quelques pieds de maïs et de sorgho, vient en première ligne sur les champs nouvellement défrichés. Ce tubercule est la principale denrée des villageois qui éprouvent de véritables difficultés à se nourrir correctement. Les parcelles sont divisées en autant de portions que le chef d’exploitation compte d’épouses afin que celles-ci cultivent des plantes potagères. Après l’igname, il y a l’arachide et le haricot. Mais, pour les céréales, le maïs et le sorgho l’emportent devant le mil pour des raisons climatiques. Aujourd’hui, les Lobi de l’enclave ont un véritable problème de disponibilité de terres. «Nous n’avons plus d’espaces fertiles. Les Ghanéens nous ont chassés alors que nous étions qu’à trois kilomètres de la frontière. Les Koulango aussi ne veulent pas nous voir», explique Dah Sansan, un ancien du village. En fait, chaque année, le paysan Lobi défriche un champ dans le prolongement du précédent. Au bout de quelques années, il déplace ses cultures sur une autre partie du périmètre où il recommence un autre cycle. Il peut ainsi exploiter de vastes superficies et abandonner dès que les rendements baissent. Avec la croissance démographique qui s’accélère et le taux d’accroissement de la population qui se situe à un niveau élevé, il va sans dire que les terres locales sont sous pression. «Nous faisons face à une pauvreté extrême», déplore le président des jeunes Sansan Kambiré. Habituée depuis des lustres à compenser l’amenuisement de la taille des exploitations par un labeur de plus en plus long et de plus en plus soigneux, une partie importante de la population végète. Dans ces conditions, il n’est pas rare de voir la malnutrition culminer dans les cantons ruraux notamment chez les enfants dont la quasi-totalité a le ventre ballonné. L’école n’est pas la priorité. D’ailleurs, dans cette enclave où vivent plus de 8.000 âmes, il n’existe en tout et pour tout qu’une école de fortune construite avec du banco. Le seul instituteur qui se fait aider par des bénévoles locaux affirme qu’il est-là grâce à sa foi religieuse. Seul bâtiment «prestigieux», une église évangélique édifiée par la providence. Mais, les difficultés économiques sont exacerbées par la pression foncière qui réduit la taille des exploitations agricoles. En effet, les friches reculent et les populations font feu de tout bois pour survivre. Les autorités locales conseillent les bas-fonds. Aujourd’hui, les plaines sont presque totalement occupées sans donnés les résultats escomptés.
Partir, mais où ?
Les micro-exploitants se multiplient, notamment dans les zones de défrichement des vallées où l’igname peut nourrir, à surface égale, davantage de personnes que le riz. Ici, c’est en réponse à la pénurie croissante de terres agricoles que la paysannerie veut s’engager dans la voie de l’agriculture intensive. Sur les exploitations devenues trop petites pour nourrir une famille dans le cadre de l’agriculture vivrière, la culture de plants dont le produit à l’hectare représente une valeur double de celui des céréales, permet de se procurer, par le détour des marchés, les denrées nécessaires.
Mais, le prix à payer par les paysans qui renoncent à l’autosubsistance, est en fait très lourd : ils doivent allonger notablement la durée de leur travail, car les commerciales demandent des soins plus continus et plus intenses que les céréales : faire l’apprentissage de techniques nouvelles, veiller scrupuleusement à la qualité de leurs livraisons, se tenir informé de l’évolution des marchés et supporter des risques plus élevés liés aux crises de mévente. Ils n’ont pas le choix. L’intensification de l’agriculture représente moins un moyen de s’enrichir qu’une tentative pour survivre sur des exploitations de plus en plus exigües. «Nous, les jeunes, on veut tous travailler dans l’igname, confie Kambiré. C’est le seul moyen de gagner de l’argent. Et puis après, on peut partir à l’étranger et vivre bien. De toute façon, la région ne me manquera pas». Les villageois entretiennent le rêve d’une vie meilleure. Une ambition difficile à réaliser car la grande majorité des paysans n’a pas les moyens. Pourtant, rien ne laisse penser que l’argent de l’igname est utilisé pour développer l’enclave. Au contraire... Autour d’une gourde de «tchapalo», les langues se délient. Il y a rarement de la révolte dans leurs propos, plutôt le désir de faire savoir à l’extérieur ce qui se passe, car aucun recours ne semble possible. L’horizon paraît bouché pour les jeunes Lobi de Bondoukou. La population, pour l’instant, ne dit rien, trop préoccupée par la subsistance quotidienne. Les jeunes regardent l’avenir partir en fumée.
Lanciné Bakayoko, envoyé spécial
Kohodio, bourgade perdue dans la broussaille, est un petit morceau lobi coincé entre la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Burkina Faso, happé par Bouna et Bondoukou, tiraillé entre les Koulango et les Abron. Située à une soixantaine de kilomètres du chef-lieu de département, le bourg s’étale sur un plateau attiré par le royaume Ashanti, à proximité. Dans cette contrée défigurée par les impraticables pistes boueuses, l’aspect riant peut faire illusion aux visiteurs. Malgré le dénuement dans lequel vivent les populations, elles trouvent le moyen d’accueillir les étrangers dans la gaieté. Un spectacle surprenant! «On ne croirait jamais avoir à ses pieds, un paysan aussi malheureux», observe Mme Adonis Kouamé, assistante-terrain du Programme des nations-unies pour le développement (Pnud) qui y a piloté un projet d’élevage de porcs.
A l’œil nu
Dans la zone, la pauvreté se sent et se voit à l’œil nu. Pas de centre de santé, pas de maisons en dur, des enfants permanemment nus, des vieilles personnes bariolées de cendres. Les agriculteurs sont courageux, mais la technique de labour est moins évoluée. Conséquences, les paysans cultivent de vastes étendues : plus d’un hectare par actif en moyenne. L’igname à laquelle sont associés quelques pieds de maïs et de sorgho, vient en première ligne sur les champs nouvellement défrichés. Ce tubercule est la principale denrée des villageois qui éprouvent de véritables difficultés à se nourrir correctement. Les parcelles sont divisées en autant de portions que le chef d’exploitation compte d’épouses afin que celles-ci cultivent des plantes potagères. Après l’igname, il y a l’arachide et le haricot. Mais, pour les céréales, le maïs et le sorgho l’emportent devant le mil pour des raisons climatiques. Aujourd’hui, les Lobi de l’enclave ont un véritable problème de disponibilité de terres. «Nous n’avons plus d’espaces fertiles. Les Ghanéens nous ont chassés alors que nous étions qu’à trois kilomètres de la frontière. Les Koulango aussi ne veulent pas nous voir», explique Dah Sansan, un ancien du village. En fait, chaque année, le paysan Lobi défriche un champ dans le prolongement du précédent. Au bout de quelques années, il déplace ses cultures sur une autre partie du périmètre où il recommence un autre cycle. Il peut ainsi exploiter de vastes superficies et abandonner dès que les rendements baissent. Avec la croissance démographique qui s’accélère et le taux d’accroissement de la population qui se situe à un niveau élevé, il va sans dire que les terres locales sont sous pression. «Nous faisons face à une pauvreté extrême», déplore le président des jeunes Sansan Kambiré. Habituée depuis des lustres à compenser l’amenuisement de la taille des exploitations par un labeur de plus en plus long et de plus en plus soigneux, une partie importante de la population végète. Dans ces conditions, il n’est pas rare de voir la malnutrition culminer dans les cantons ruraux notamment chez les enfants dont la quasi-totalité a le ventre ballonné. L’école n’est pas la priorité. D’ailleurs, dans cette enclave où vivent plus de 8.000 âmes, il n’existe en tout et pour tout qu’une école de fortune construite avec du banco. Le seul instituteur qui se fait aider par des bénévoles locaux affirme qu’il est-là grâce à sa foi religieuse. Seul bâtiment «prestigieux», une église évangélique édifiée par la providence. Mais, les difficultés économiques sont exacerbées par la pression foncière qui réduit la taille des exploitations agricoles. En effet, les friches reculent et les populations font feu de tout bois pour survivre. Les autorités locales conseillent les bas-fonds. Aujourd’hui, les plaines sont presque totalement occupées sans donnés les résultats escomptés.
Partir, mais où ?
Les micro-exploitants se multiplient, notamment dans les zones de défrichement des vallées où l’igname peut nourrir, à surface égale, davantage de personnes que le riz. Ici, c’est en réponse à la pénurie croissante de terres agricoles que la paysannerie veut s’engager dans la voie de l’agriculture intensive. Sur les exploitations devenues trop petites pour nourrir une famille dans le cadre de l’agriculture vivrière, la culture de plants dont le produit à l’hectare représente une valeur double de celui des céréales, permet de se procurer, par le détour des marchés, les denrées nécessaires.
Mais, le prix à payer par les paysans qui renoncent à l’autosubsistance, est en fait très lourd : ils doivent allonger notablement la durée de leur travail, car les commerciales demandent des soins plus continus et plus intenses que les céréales : faire l’apprentissage de techniques nouvelles, veiller scrupuleusement à la qualité de leurs livraisons, se tenir informé de l’évolution des marchés et supporter des risques plus élevés liés aux crises de mévente. Ils n’ont pas le choix. L’intensification de l’agriculture représente moins un moyen de s’enrichir qu’une tentative pour survivre sur des exploitations de plus en plus exigües. «Nous, les jeunes, on veut tous travailler dans l’igname, confie Kambiré. C’est le seul moyen de gagner de l’argent. Et puis après, on peut partir à l’étranger et vivre bien. De toute façon, la région ne me manquera pas». Les villageois entretiennent le rêve d’une vie meilleure. Une ambition difficile à réaliser car la grande majorité des paysans n’a pas les moyens. Pourtant, rien ne laisse penser que l’argent de l’igname est utilisé pour développer l’enclave. Au contraire... Autour d’une gourde de «tchapalo», les langues se délient. Il y a rarement de la révolte dans leurs propos, plutôt le désir de faire savoir à l’extérieur ce qui se passe, car aucun recours ne semble possible. L’horizon paraît bouché pour les jeunes Lobi de Bondoukou. La population, pour l’instant, ne dit rien, trop préoccupée par la subsistance quotidienne. Les jeunes regardent l’avenir partir en fumée.
Lanciné Bakayoko, envoyé spécial