Appelons-le l'étoile. Militant engagé, il répond à l'appel du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) d'aller installer le directeur général de la Rti. Il décide de rejoindre les leaders qui résident à l'hôtel du Golf. Pour être à l'heure, il quitte son quartier à Abidjan-Sud pour passer la nuit chez son frère à Cocody. Dès 6h 30 du jour-j, le militant quitte la maison, direction le ''Palais'' du Golf. Au carrefour de la résidence de Thérèse Houphouet-Boigny, un homme en treillis de la garde républicaine, arme au poing, les interpelle. L'étoile est en compagnie de son cadet et d'une dizaine d'autres manifestants. Le soldat leur demande de présenter leurs pièces. Ils obtempèrent. « Après avoir contrôlé nos papiers, il nous a demandé de le suivre à leur voiture. Nous avons refusé », confie notre interlocuteur. Mal leur en prit. L'homme en arme, visiblement sur les nerfs, décoche des rafales de mitraillette dans leur direction. Heureusement, personne ne tombe : « Tous ceux qui étaient avec moi étaient préparés ». Le militaire sonne alors l'alerte. « Mono ! », s'écrie-t-il. D'autres hommes de Dogbo Blé Brunot le rejoignent. Alors qu'ils sont en train d'être battus sous les regards de militaires onusiens, d'autres manifestants sont cueillis au même endroit. Les coups viennent de partout. Là, un militaire crie à l'étoile : «Toi, viens là que je t'interroge». «Je crois que c'en est fini pour moi. Et, qu'il va s'occuper personnellement de mon cas. Mais à ma grande surprise, il me dit en malinké : Je suis seul parmi eux. Que puis-je faire ? J'espère que vous avez fait vos prières et que vous avez dit au revoir à vos parents. Parce que nous avons reçu 15 milliards pour cette opération et nous n'avons pas le droit d'échouer ». Après avoir été sauvagement tabassés, les manifestants sont embarqués dans deux cargos. Pour quelle destination ? ''On les envoie au coin au banco''. Et, un autre a dit ''non, nous avons trop d'opération à faire. Il faut qu'on les envoie à l'école de gendarmerie. On s'occupera d'eux ensuite''. C'est ce qu'ils ont fait ». « Arrivés à l'école de gendarmerie, la cour était pleine de personnes en tenue (Peut-être le salut aux couleurs, ndlr). Dans la foule, quelqu'un a crié : ''Allez avec eux à la préfecture de police. Nous ne sommes pas ici pour tuer des gens''. Ils sont donc sortis avec nous ». Malgré la pression, il se souvient avoir lu ces noms sur les treillis de deux éléments : S/C Kouassi Gilbert et Okou. L'étoile soutient qu'à leur arrivée, ils ont été conduits dans le sous-sol où se trouvaient déjà près d'une dizaine de personnes. Il est un peu plus de 9 heures. Pendant deux jours, les geôliers ne leur donnent rien à manger. Le lendemain dans l'après-midi, ils reçoivent la visite de la Croix-Rouge qui offre un demi-pain à chacun et une banane pour deux. Des détenus sont grièvement blessés. Ils ne reçoivent aucune assistance médicale. « Il y avait du sang partout dans la cellule à telle enseigne que les geôliers nous ont donné du savon pour nettoyer le plancher », ajoute l'étoile. Ils sont en tout 330 personnes dont 17 femmes et 3 fous : « A toutes les questions qu'on leur posait, ils répondaient par 40 ans ou Bingerville ». Le chanteur Dj Volcano fait également partie des détenus. Le samedi à 21 heures, 3 de leurs camarades (Traoré Morobo, Doumbia Maméri et Ouattara Kèlètigui) sont extirpés de leurs cellules. Nul ne sait ce qu'ils sont devenus. Le premier est accusé d'être le chauffeur de Chérif Ousmane qu'il dit pourtant n'avoir jamais rencontré. Pour surmonter les difficultés carcérales, ils s'organisent. Le Collectif des victimes de la barbarie du jeudi 16 décembre (Covibaj) voit le jour. Pendant sept jours, l'étoile et ses camarades vivent cette misère avant que lui et certains ne sortent le mercredi 22 décembre dernier. « Contrairement à ceux qui ont été déférés, nous avons eu la chance qu'aucune charge ne pesait contre nous. Parce que ceux qui nous y ont conduits n'ont pas fait de rapport. On nous a désignés comme des personnes pour lesquelles aucun indice de culpabilité n'a été retenu », explique-t-il. Sortis, l'étoile et ses camarades décident que le Covibaj demeure. Objectif : recenser toutes les victimes directes et indirectes en vue de constituer des dossiers de dédommagement. Et, s'organiser en vue de porter plainte à la Cour pénale internationale. Pour y parvenir, ils savent compter sur l'aide de Candia Camara, de Me Affoussy Bamba et des cadres du Rhdp qui n'ont cessé de les assister depuis le séjour carcéral. Mais pour y arriver, il faut être vivant. Alors, l'heure est à la cavale.
Bamba K. Inza
Bamba K. Inza