Le Cardinal à la retraite, Bernard Agré a fait une sortie à la télévision ivoirienne le 23 décembre dernier. Ce qui a révolté le Journaliste Venance Konan qui lui a donné la réplique que nous avons publiée dans notre édition du 27 décembre. L’homme de Dieu paraissait méconnaissable, tellement il donnait dos à la vérité du Christ pour parler comme un ‘’patriote’’ de la galaxie LMP. Dans la réalité, le prêtre fait partie de ceux qui ont joué le jeu de Gbagbo Laurent dans l’opposition avant de le couvrir dans sa gestion cynique du pouvoir. Mgr Agré était le maître de la négociation, plutôt du deal entre le Général Guéi Robert et Gbagbo pour partager le pouvoir suprême en 2000. Guéi a été livré à des hommes en tenues militaires sous les yeux de l’Archevêque ; lequel Evêque a refusé de dire la messe de requiem des militants de l’opposition massacrés le 25 mars 2004 par Laurent Gbagbo. C’est ce prêtre-là qui nous parle de souveraineté comme si la légitimité se fait avec une seule moitié du peuple. Lisez cette interview qu’il a accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique en décembre 2000. Méditez et le soupçon est clair pour comprendre sa sortie du 23 décembre.
Quel rôle exact avez-vous joué après la présidentielle du 22 octobre ?
Nous avons l’habitude de nous retrouver entre évêques et pasteurs. Et, ce jour-là, nous étions réunis, l’évêque de Grand-Bassam, Mgr Dacoury-Tabley, celui de Yopougon, Mgr Laurent Mandjo, le révérend Boni, président de l’Eglise protestante méthodiste de Côte d’Ivoire, et moi-même. Nous avons jugé utile de rencontrer les deux candidats qui venaient en tête de l’élection pour leur faire comprendre qu’il fallait s’en remettre à l’arbitrage de la Commission nationale électorale et à celui de la Cour suprême. Ils sont venus à ma résidence et nous avons discuté. Chacun a annoncé la couleur. Gbagbo a dit à Guéi : Si vous me volez ma victoire, je fais descendre les gens dans la rue ». Guéi, lui, était sûr d’avoir gagné. On a essayé de leur faire accepter la nécessité d’attendre les arbitrages. On pensait avoir été compris. Et puis cela a finalement mal tourné.
Comment avez-vous ressenti la suite des évènements ?
Un médiateur qui a échoué ressent de la peine, mais pas nécessairement de l’amertume. On était tout de même sûr que le peuple ne se laisserait pas faire. Ce qui s’est vérifié.
Connaissez-vous bien Gbagbo et Guéi?
J’ai connu Guéi lorsqu’il était à Saint-Cyr. J’étais alors évêque de Man, sa région d’origine. Lorsqu’il était chef d’état-major, j’étais évêque de Yamoussoukro. Il venait souvent visiter la basilique. Et après, à Abidjan, je l’ai revu quand il était en difficulté avec le Président Bédié. Notre rôle d’évêque, c’est d’être proche des gens. Ceux qui sont au pouvoir et ceux qui sont en difficulté. Gbagbo, je le connais depuis qu’il fréquentait le séminaire de Gagnoa. Nous sommes restés en contact lorsqu’il a commencé à faire de la politique.
Vous consultent-ils souvent ?
Ils venaient comme tout le monde. Je reçois aussi bien les musulmans, les chrétiens, les bouddhistes, etc.
Vous avez tout de même des rapports privilégiés avec Gbagbo…
Pas plus qu’avec les autres. J’ai aussi des rapports avec Alassane Ouattara comme avec Francis Wodié. Je les considère comme mes diocésains. De toute façon, ma porte est ouverte à tous.
Vous avez joué les médiateurs après le scrutin. Mais avant, on ne vous a pas entendu dire un mot sur le processus électoral qui apparaissait vicié par le Général Guéi…
Je n’étais pas en Côte d’Ivoire au moment de la proclamation de la liste des candidatures. Vous savez, lorsqu’on nous donne accès à la télévision ou à la radio, nous parlons. Mais nous ne commandons ni la radio ni la télévision. En revanche, nous avons une chaire, c’est-à-dire un endroit où nous nous exprimons. Et si vous prenez nos homélies, vous verrez que lorsque l’on a quelque chose à dire, on ne s’en prive pas.
Mais, dans le cas précis de la dernière présidentielle, l’Eglise n’a pas pris position comme l’on fait les responsables musulmans…
Si ! L’Eglise a parlé. L’ensemble des évêques ont produit un document intitulé « Le chrétien et la politique ». C’est un texte fouillé dans lequel nous pensions avoir dit l’essentiel.
De quand date ce document ?
De 1998. C’était sous Bédié. Mais sachez que l’archevêque d’Abidjan n’est pas le seul à parler. Les autres évêques s’expriment aussi. N’oubliez pas non plus que ce n’est pas notre rôle d’intervenir à tout instant.
Comment avez-vous apprécié l’appel des responsables musulmans demandant à leurs fidèles de s’abstenir de voter ?
C’est leur droit le plus strict Nous, nous avons dit qu’il fallait aller voter, sans pour autant désigner un candidat. A chaque élection, nous disons aux chrétiens : « Faites votre devoir de citoyen, et votez selon votre conscience ». Nous aurions souhaité rencontrer l’Imam Idriss Koudouss Koné (président du Conseil national islamique). Mais cela n’a pas pu se faire.
Comment les Ivoiriens peuvent-ils se réconcilier après les évènements douloureux d’octobre ?
L’existence des hommes ne se réduit pas à la psychologie, à la politique et à l’économie. Les Ivoiriens doivent chercher au fond de leur cœur leurs marques spirituelles. Car Dieu leur dit : « Celui qui me parle est mon frère, celui avec qui je vis depuis longtemps, qui est venu de l’étranger, est mon frère ». Si nous sommes vraiment convaincus de cela, alors nous trouverons les moyens de dépasser les rancœurs et de panser les blessures. C’est un long processus, mais je crois que les Ivoiriens sont capables de le faire. On voit aujourd’hui des Allemands parler avec des Français ou des Français manger avec des Allemands. Je pense que, nous aussi, nous pouvons en arriver là. Nous avons autant de ressources spirituelles qu’eux. Mais il y a un autre aspect qui me paraît fondamental : la recherche de la vérité. On ne peut pas pardonner à quelqu’un si l’on ne sait pas exactement ce qu’il a fait. Je crois que la justice doit faire les investigations nécessaires pour que l’on sache exactement qui a fait quoi.
Même sur l’attaque de la résidence du Général Guéi dans la nuit du 17 au 18 septembre ?
Oui. Je crois que cela apaisera beaucoup de choses. Une fois que l’on sait qui a fait quoi, celui qui a tort doit demander pardon, fût-il chef de l’Etat, ministre ou leader de parti politique. Chaque formation, d’ailleurs, peut faire un retour sur soi. Le PDCI doit demander pardon au peuple ivoirien pour ce qui n’a pas été toujours positif durant les décennies de son règne. Le FPI a posé des actes positifs, mais il a aussi des reproches à se faire. Il en est de même du RDR. Il faut reconnaître que tout n’a pas été parfait et demander pardon, bien humblement.
Vous pensez que ce sera facile dans un pays où le fossé semble s’élargir entre musulmans et chrétiens, entre le Nord et le Sud ?
On a voulu voir une fracture entre musulmans et chrétiens. Moi je n’y crois pas. Le problème est plutôt dans la tête de quelques personnes. Lorsque Alassane Ouattara a déclaré à Paris qu’on ne voulait pas d’un président musulman en Côte d’Ivoire, je lui ai dit, quand nous nous sommes rencontrés, que c’était une grosse faute politique parce que cette affirmation pouvait cristalliser les musulmans autour de lui. Beaucoup de ses coreligionnaires ne ressentent pas les choses comme cela et beaucoup de chrétiens refusent aussi cet antagonisme. Nous ne voyons pas la Côte d’Ivoire partagée entre chrétiens et musulmans. Pour ce qui est du Nord et du Sud, la fracture est venue de certains comportements dangereux. Il y a des taquineries qui sont de mauvais goût. Un homme du Nord est un « Dioula » ? Et maintenant, nous, du Sud, on nous insulte en nous traitant « d’Akan ». Il faut reconnaître cependant qu’il y a eu des frustrations, des actes répréhensibles. Dès que les militaires sont venus au pouvoir, nous leur avons dit : « Arrêtez la chasse aux sorcières ». On peut le lire dans nos homélies. Mais, vous savez, les militaires sont les militaires. Ils ne sont pas faits pour commander les civils. La conférence épiscopale a rencontré, début janvier, le CNSP (Comité national de salut public) au complet En tant que doyen, je leur ai dit trois choses : premièrement, qu’ils s’entendent entre eux. Je leur ai demandé ensuite de perfectionner leur qualité d’écoute. « Ecoutez ceux qui vous applaudissent, mais écoutez aussi ceux qui se taisent : ils sont très nombreux ». En troisième lieu, je leur ai conseillé de faire attention. Car le peuple est versatile. Le même peuple qui a crié « Vive Houphouët » a ensuite crié « Houphouët voleur ». Après avoir dit « Vive Bédié », il a scandé « A bas Bédié ». La sanction est là. En dix mois, beaucoup de militaires ont, en tant que dirigeants ou leaders politiques, dégoûté les civils. Eux aussi doivent un jour demander pardon au peuple. A commencer par Guéi. Or cette demande de parton tarde à venir. Après sa rencontre avec Gbagbo, il a exprimé des regrets, mais le mot pardon n’est pas venu. Or c’est important pour la réconciliation.
Comment appréciez-vous le fait que Guéi soit en liberté alors que les poursuites judiciaires contre les ex-numéros deux et trois de la junte sont maintenues par le nouveau pouvoir ?
Gbagbo a dit qu’il n’est ni la justice ni la police Qu’est-ce qu’il entend par là ? On n’en sait rien. Je n’ai pas de conseil à lui donner. S’il veut la paix et la réconciliation, il trouvera l’attitude et les mots nécessaires. Je ne connais les dossiers Palenfo et Coulibaly. Ce n’est pas à moi de dire d’arrêter ou de continuer. Ce sont les autorités qui doivent juger, et faire la part du vrai et du faux.
Le dossier Guéi est tout de même connu. Sa garde prétorienne a tiré sur les manifestations…
On a beaucoup apprécié le fait que Gbagbo et lui se sont rencontrés. Mais peut-être la manière de se présenter devant la télévision avec le sourire laissait à désirer. Maintenant, il faut savoir ce que Gbagbo entend faire de Guéi. Là aussi, il faut beaucoup de sagesse, de doigté. Mais je dis toujours : « La justice avant la paix ». Appeler à la paix, très bien, mais il faut d’abord la justice.
Quels gestes, selon vous, le président Gbagbo doit-il faire pour accélérer la réconciliation ?
Il doit essayer de dissiper les rancœurs par une politique de la main tendue à bon escient. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire ne peut plus être gouvernée comme il y a seulement un an. Les Ivoiriens ont beaucoup évolué en quelques semaines. Ce que nous avons vu montre qu’ils ont fait une véritable révolution culturelle et on doit en tenir compte. Les nouvelles autorités doivent écouter non seulement les aspirations de ceux qui les applaudissent, mais aussi de ceux qui se taisent. J’espère que Gbagbo aurai ce sixième sens qui fait qu’on va vers l’autre même s’il ne dit rien. Quand vous êtes marié, le silence de votre épouse est parfois plus éloquent que ce qu’elle vous déclare.
Ne doit-il pas s’attaquer à la xénophobie qui gagne du terrain, conséquence de la politique de l’ivoirité ?
Si l’on regarde de près, tous les pays sont xénophobes. Xénophobe dans le sens où les habitants veulent être eux-mêmes d’abord et ensuite recevoir les autres. En France, en Allemagne, au Burkina, c’est la même chose. Chacun veut être chez lui. Mais on ne peut pas dire de ces pays qu’ils sont xénophobes même s’il y a des gens qui le sont. Il y a des xénophobes en Côte d’Ivoire, mais le pays en lui-même ne l’est pas. Ce qui me donne l’occasion de dénoncer l’absence de réciprocité dans les relations internationales. Les Ivoiriens ne sont pas toujours bien accueillis dans les autres pays de la Cedeao. Dans certains d’entre eux, quand ils veulent faire du commerce par exemple, on les refoule en leur lançant : « Vous avez assez chez vous ». Cela dit, l’ivoirité est une arme politique qui a peut-être été mal exposée et mal défendue. Beaucoup d’Ivoiriens ont été offusqués de se voir insulter à cette occasion par des voisins et des gens qui vivent chez eux. Mais, à mon avis, la période de turbulence idéologique que nous traversons va se terminer très rapidement, ce qui nous permettra de reprendre les relations normales que nous avions avec ces gens.
L’ivoirité ne s’adresse pas qu’aux étrangers, mais aussi à des Ivoiriens considérés comme de seconde catégorie…
Il y a dans tous les pays des intégristes qui arrivent à donner des complexes à tout le monde. Nous, homme d’Eglise, nous devons enseigner la parole de Dieu aux gens pour leur dire : « Si nous courons vers l’Europe ou l’Amérique alors que dans nos pays nous ne pouvons pas nous accepter, alors il y a un problème ».
Propos recueillis par Alpha Barry
In J.A/L’Intelligent N°2082 –
Du 5 au 11 décembre 2000
Quel rôle exact avez-vous joué après la présidentielle du 22 octobre ?
Nous avons l’habitude de nous retrouver entre évêques et pasteurs. Et, ce jour-là, nous étions réunis, l’évêque de Grand-Bassam, Mgr Dacoury-Tabley, celui de Yopougon, Mgr Laurent Mandjo, le révérend Boni, président de l’Eglise protestante méthodiste de Côte d’Ivoire, et moi-même. Nous avons jugé utile de rencontrer les deux candidats qui venaient en tête de l’élection pour leur faire comprendre qu’il fallait s’en remettre à l’arbitrage de la Commission nationale électorale et à celui de la Cour suprême. Ils sont venus à ma résidence et nous avons discuté. Chacun a annoncé la couleur. Gbagbo a dit à Guéi : Si vous me volez ma victoire, je fais descendre les gens dans la rue ». Guéi, lui, était sûr d’avoir gagné. On a essayé de leur faire accepter la nécessité d’attendre les arbitrages. On pensait avoir été compris. Et puis cela a finalement mal tourné.
Comment avez-vous ressenti la suite des évènements ?
Un médiateur qui a échoué ressent de la peine, mais pas nécessairement de l’amertume. On était tout de même sûr que le peuple ne se laisserait pas faire. Ce qui s’est vérifié.
Connaissez-vous bien Gbagbo et Guéi?
J’ai connu Guéi lorsqu’il était à Saint-Cyr. J’étais alors évêque de Man, sa région d’origine. Lorsqu’il était chef d’état-major, j’étais évêque de Yamoussoukro. Il venait souvent visiter la basilique. Et après, à Abidjan, je l’ai revu quand il était en difficulté avec le Président Bédié. Notre rôle d’évêque, c’est d’être proche des gens. Ceux qui sont au pouvoir et ceux qui sont en difficulté. Gbagbo, je le connais depuis qu’il fréquentait le séminaire de Gagnoa. Nous sommes restés en contact lorsqu’il a commencé à faire de la politique.
Vous consultent-ils souvent ?
Ils venaient comme tout le monde. Je reçois aussi bien les musulmans, les chrétiens, les bouddhistes, etc.
Vous avez tout de même des rapports privilégiés avec Gbagbo…
Pas plus qu’avec les autres. J’ai aussi des rapports avec Alassane Ouattara comme avec Francis Wodié. Je les considère comme mes diocésains. De toute façon, ma porte est ouverte à tous.
Vous avez joué les médiateurs après le scrutin. Mais avant, on ne vous a pas entendu dire un mot sur le processus électoral qui apparaissait vicié par le Général Guéi…
Je n’étais pas en Côte d’Ivoire au moment de la proclamation de la liste des candidatures. Vous savez, lorsqu’on nous donne accès à la télévision ou à la radio, nous parlons. Mais nous ne commandons ni la radio ni la télévision. En revanche, nous avons une chaire, c’est-à-dire un endroit où nous nous exprimons. Et si vous prenez nos homélies, vous verrez que lorsque l’on a quelque chose à dire, on ne s’en prive pas.
Mais, dans le cas précis de la dernière présidentielle, l’Eglise n’a pas pris position comme l’on fait les responsables musulmans…
Si ! L’Eglise a parlé. L’ensemble des évêques ont produit un document intitulé « Le chrétien et la politique ». C’est un texte fouillé dans lequel nous pensions avoir dit l’essentiel.
De quand date ce document ?
De 1998. C’était sous Bédié. Mais sachez que l’archevêque d’Abidjan n’est pas le seul à parler. Les autres évêques s’expriment aussi. N’oubliez pas non plus que ce n’est pas notre rôle d’intervenir à tout instant.
Comment avez-vous apprécié l’appel des responsables musulmans demandant à leurs fidèles de s’abstenir de voter ?
C’est leur droit le plus strict Nous, nous avons dit qu’il fallait aller voter, sans pour autant désigner un candidat. A chaque élection, nous disons aux chrétiens : « Faites votre devoir de citoyen, et votez selon votre conscience ». Nous aurions souhaité rencontrer l’Imam Idriss Koudouss Koné (président du Conseil national islamique). Mais cela n’a pas pu se faire.
Comment les Ivoiriens peuvent-ils se réconcilier après les évènements douloureux d’octobre ?
L’existence des hommes ne se réduit pas à la psychologie, à la politique et à l’économie. Les Ivoiriens doivent chercher au fond de leur cœur leurs marques spirituelles. Car Dieu leur dit : « Celui qui me parle est mon frère, celui avec qui je vis depuis longtemps, qui est venu de l’étranger, est mon frère ». Si nous sommes vraiment convaincus de cela, alors nous trouverons les moyens de dépasser les rancœurs et de panser les blessures. C’est un long processus, mais je crois que les Ivoiriens sont capables de le faire. On voit aujourd’hui des Allemands parler avec des Français ou des Français manger avec des Allemands. Je pense que, nous aussi, nous pouvons en arriver là. Nous avons autant de ressources spirituelles qu’eux. Mais il y a un autre aspect qui me paraît fondamental : la recherche de la vérité. On ne peut pas pardonner à quelqu’un si l’on ne sait pas exactement ce qu’il a fait. Je crois que la justice doit faire les investigations nécessaires pour que l’on sache exactement qui a fait quoi.
Même sur l’attaque de la résidence du Général Guéi dans la nuit du 17 au 18 septembre ?
Oui. Je crois que cela apaisera beaucoup de choses. Une fois que l’on sait qui a fait quoi, celui qui a tort doit demander pardon, fût-il chef de l’Etat, ministre ou leader de parti politique. Chaque formation, d’ailleurs, peut faire un retour sur soi. Le PDCI doit demander pardon au peuple ivoirien pour ce qui n’a pas été toujours positif durant les décennies de son règne. Le FPI a posé des actes positifs, mais il a aussi des reproches à se faire. Il en est de même du RDR. Il faut reconnaître que tout n’a pas été parfait et demander pardon, bien humblement.
Vous pensez que ce sera facile dans un pays où le fossé semble s’élargir entre musulmans et chrétiens, entre le Nord et le Sud ?
On a voulu voir une fracture entre musulmans et chrétiens. Moi je n’y crois pas. Le problème est plutôt dans la tête de quelques personnes. Lorsque Alassane Ouattara a déclaré à Paris qu’on ne voulait pas d’un président musulman en Côte d’Ivoire, je lui ai dit, quand nous nous sommes rencontrés, que c’était une grosse faute politique parce que cette affirmation pouvait cristalliser les musulmans autour de lui. Beaucoup de ses coreligionnaires ne ressentent pas les choses comme cela et beaucoup de chrétiens refusent aussi cet antagonisme. Nous ne voyons pas la Côte d’Ivoire partagée entre chrétiens et musulmans. Pour ce qui est du Nord et du Sud, la fracture est venue de certains comportements dangereux. Il y a des taquineries qui sont de mauvais goût. Un homme du Nord est un « Dioula » ? Et maintenant, nous, du Sud, on nous insulte en nous traitant « d’Akan ». Il faut reconnaître cependant qu’il y a eu des frustrations, des actes répréhensibles. Dès que les militaires sont venus au pouvoir, nous leur avons dit : « Arrêtez la chasse aux sorcières ». On peut le lire dans nos homélies. Mais, vous savez, les militaires sont les militaires. Ils ne sont pas faits pour commander les civils. La conférence épiscopale a rencontré, début janvier, le CNSP (Comité national de salut public) au complet En tant que doyen, je leur ai dit trois choses : premièrement, qu’ils s’entendent entre eux. Je leur ai demandé ensuite de perfectionner leur qualité d’écoute. « Ecoutez ceux qui vous applaudissent, mais écoutez aussi ceux qui se taisent : ils sont très nombreux ». En troisième lieu, je leur ai conseillé de faire attention. Car le peuple est versatile. Le même peuple qui a crié « Vive Houphouët » a ensuite crié « Houphouët voleur ». Après avoir dit « Vive Bédié », il a scandé « A bas Bédié ». La sanction est là. En dix mois, beaucoup de militaires ont, en tant que dirigeants ou leaders politiques, dégoûté les civils. Eux aussi doivent un jour demander pardon au peuple. A commencer par Guéi. Or cette demande de parton tarde à venir. Après sa rencontre avec Gbagbo, il a exprimé des regrets, mais le mot pardon n’est pas venu. Or c’est important pour la réconciliation.
Comment appréciez-vous le fait que Guéi soit en liberté alors que les poursuites judiciaires contre les ex-numéros deux et trois de la junte sont maintenues par le nouveau pouvoir ?
Gbagbo a dit qu’il n’est ni la justice ni la police Qu’est-ce qu’il entend par là ? On n’en sait rien. Je n’ai pas de conseil à lui donner. S’il veut la paix et la réconciliation, il trouvera l’attitude et les mots nécessaires. Je ne connais les dossiers Palenfo et Coulibaly. Ce n’est pas à moi de dire d’arrêter ou de continuer. Ce sont les autorités qui doivent juger, et faire la part du vrai et du faux.
Le dossier Guéi est tout de même connu. Sa garde prétorienne a tiré sur les manifestations…
On a beaucoup apprécié le fait que Gbagbo et lui se sont rencontrés. Mais peut-être la manière de se présenter devant la télévision avec le sourire laissait à désirer. Maintenant, il faut savoir ce que Gbagbo entend faire de Guéi. Là aussi, il faut beaucoup de sagesse, de doigté. Mais je dis toujours : « La justice avant la paix ». Appeler à la paix, très bien, mais il faut d’abord la justice.
Quels gestes, selon vous, le président Gbagbo doit-il faire pour accélérer la réconciliation ?
Il doit essayer de dissiper les rancœurs par une politique de la main tendue à bon escient. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire ne peut plus être gouvernée comme il y a seulement un an. Les Ivoiriens ont beaucoup évolué en quelques semaines. Ce que nous avons vu montre qu’ils ont fait une véritable révolution culturelle et on doit en tenir compte. Les nouvelles autorités doivent écouter non seulement les aspirations de ceux qui les applaudissent, mais aussi de ceux qui se taisent. J’espère que Gbagbo aurai ce sixième sens qui fait qu’on va vers l’autre même s’il ne dit rien. Quand vous êtes marié, le silence de votre épouse est parfois plus éloquent que ce qu’elle vous déclare.
Ne doit-il pas s’attaquer à la xénophobie qui gagne du terrain, conséquence de la politique de l’ivoirité ?
Si l’on regarde de près, tous les pays sont xénophobes. Xénophobe dans le sens où les habitants veulent être eux-mêmes d’abord et ensuite recevoir les autres. En France, en Allemagne, au Burkina, c’est la même chose. Chacun veut être chez lui. Mais on ne peut pas dire de ces pays qu’ils sont xénophobes même s’il y a des gens qui le sont. Il y a des xénophobes en Côte d’Ivoire, mais le pays en lui-même ne l’est pas. Ce qui me donne l’occasion de dénoncer l’absence de réciprocité dans les relations internationales. Les Ivoiriens ne sont pas toujours bien accueillis dans les autres pays de la Cedeao. Dans certains d’entre eux, quand ils veulent faire du commerce par exemple, on les refoule en leur lançant : « Vous avez assez chez vous ». Cela dit, l’ivoirité est une arme politique qui a peut-être été mal exposée et mal défendue. Beaucoup d’Ivoiriens ont été offusqués de se voir insulter à cette occasion par des voisins et des gens qui vivent chez eux. Mais, à mon avis, la période de turbulence idéologique que nous traversons va se terminer très rapidement, ce qui nous permettra de reprendre les relations normales que nous avions avec ces gens.
L’ivoirité ne s’adresse pas qu’aux étrangers, mais aussi à des Ivoiriens considérés comme de seconde catégorie…
Il y a dans tous les pays des intégristes qui arrivent à donner des complexes à tout le monde. Nous, homme d’Eglise, nous devons enseigner la parole de Dieu aux gens pour leur dire : « Si nous courons vers l’Europe ou l’Amérique alors que dans nos pays nous ne pouvons pas nous accepter, alors il y a un problème ».
Propos recueillis par Alpha Barry
In J.A/L’Intelligent N°2082 –
Du 5 au 11 décembre 2000