HRW - Dakar – Les forces de sécurité sous le contrôle de Laurent Gbagbo, ainsi que les milices qui le soutiennent, ont commis depuis fin novembre 2010 des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des viols et ont procédé à des disparitions forcées, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Une enquête approfondie sur les exactions perpétrées dans la capitale commerciale de la Côte d’Ivoire, Abidjan, a révélé une campagne souvent organisée de violences visant les membres des partis politiques d’opposition, les groupes ethniques du nord du pays, les Musulmans et les immigrés des pays ouest-africains voisins, a indiqué Human Rights Watch. Gbagbo a revendiqué la présidence à la suite des élections contestées de novembre et il conserve le contrôle des forces de sécurité à Abidjan.
« Les forces de sécurité et les milices qui soutiennent Laurent Gbagbo font régner la terreur parmi ses opposants réels ou supposés à Abidjan », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « La communauté internationale doit faire tout son possible pour protéger les civils et renforcer les pressions sur Gbagbo et ses alliés, afin de mettre un terme à cette campagne de violence organisée. »
Les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus avec plus de 100 victimes et témoins des violences, notamment des meurtres perpétrés par des membres des milices avec des briques et des barres de fer, et des agressions sexuelles commises sous les yeux de membres de leurs familles. Les témoins ont décrit la façon dont des proches ou des voisins ont été traînés hors de leurs maisons, des mosquées, des restaurants ou capturés dans la rue et forcés à monter dans des véhicules qui attendaient. Nombre de ces personnes ont été portées « disparues », et certaines victimes ont été retrouvées mortes.
De nombreux témoins ont déclaré avoir reçu des appels paniqués de la part de proches qui avaient été arrêtés par les milices ou par les forces de sécurité. Au bout de plusieurs jours de recherche, certaines personnes ont retrouvé les corps de leurs proches dans des morgues, souvent criblés de balles. L’une de ces personnes s’est vu présenter une photographie du corps d’un membre de sa famille déposé sur une pile d’autres corps dans un dépôt d’ordures. Plusieurs femmes ont signalé avoir subi des viols collectifs perpétrés par des membres des forces de sécurité lors de raids conjoints de la police et des milices sur les quartiers d’Abidjan où les habitants avaient largement voté pour Alassane Ouattara, l’adversaire de Gbagbo.
Les exactions ont commencé juste avant le second tour de l’élection présidentielle le 28 novembre, qui opposait Ouattara à Gbagbo. La communauté internationale – notamment l’Union africaine, l’organisme régional de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union européenne et les Nations Unies – a reconnu presqu’unanimement Ouattara comme le vainqueur et a appelé Gbagbo à se retirer.
D’après les informations recueillies par Human Rights Watch dans divers quartiers d’Abidjan, les pires violences commises par les forces de sécurité et les milices se sont produites dans les quartiers d’Abobo, de Port-Bouët, de Yopougon et de Koumassi, tous fortement peuplés par des partisans de Ouattara et par des immigrés d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Les exactions se sont poursuivies tout au long de la période qui a suivi l’élection, y compris pendant l’enquête menée par Human Rights Watch.
Toutefois, les pires violences ont été commises à la suite d’événements politiques critiques – notamment la proclamation le 2 décembre des résultats électoraux ; une manifestation le 16 décembre des partisans de l’opposition appartenant au Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) pro-Ouattara ; et les meurtres les 11 et 12 janvier à Abobo de sept policiers.
Aucun des incidents étudiés par Human Rights Watch au cours desquels les forces de sécurité ont perpétré des exactions n’a été précédé, semble-t-il, par des violences commises par les victimes à l’encontre de ces forces. Toutefois, le 16 décembre, des manifestants pro-Ouattara ont brûlé à mort un policier en civil après qu’il eut, selon les témoignages recueillis par Human Rights Watch, ouvert le feu sur les manifestants, en tuant au moins deux et en blessant plusieurs autres. En outre, au moins sept policiers ont été tués à Abobo par des agresseurs non identifiés – que des fonctionnaires du gouvernement Gbagbo affirment être des partisans de Ouattara. Human Rights Watch n’a pas reçu de témoignages faisant état de meurtres ou d’exactions systématiques commis par des partisans de Ouattara contre ceux de Gbagbo ; cependant de nombreux partisans de Gbagbo vivant dans des quartiers qui sont des bastions pro-Ouattara auraient pris la fuite, de peur des violences.
Human Rights Watch publiera un rapport complet sur les résultats de son enquête, mais recommande d’ores et déjà une action internationale immédiate pour protéger les civils et veiller à ce que les auteurs des exactions décrites soient traduits en justice.
Attaques de la part des milices pro-Gbagbo
Des témoins ont indiqué à Human Rights Watch avoir vu des hommes battus à mort à coups de briques, de matraques et de bâtons, ou abattus par des membres de milices pro-Gbagbo qui avaient établi des postes de contrôle sauvages. De nombreux habitants ivoiriens originaires du Mali et du Burkina Faso ont aussi indiqué avoir été pris pour cible par les milices. Une personne originaire d’un pays voisin et vivant à Abidjan a été brûlée à mort et deux autres sont presque mortes sous les coups le 3 décembre, alors que les habitants célébraient ce qu’ils pensaient être la victoire présidentielle de Ouattara.
Les chercheurs de Human Rights Watch ont recueilli des témoignages sur les meurtres d’au moins 13 hommes à des postes de contrôle mis en place par des milices pro-Gbagbo. Dans de nombreux cas, des témoins ont affirmé que des policiers, des gendarmes et autres membres des forces de sécurité avaient activement pris parti pour les milices, soit en assistant à leurs exactions sans intervenir, soit en s’exprimant ouvertement en faveur des meurtres pendant ou après qu’ils aient eu lieu, soit même en tirant sur les corps des victimes. Nombre des meurtres ont eu lieu à quelques mètres à peine d’un poste de police. Les forces de sécurité n’ont rien fait pour désarmer et arrêter les membres des milices, encore moins pour enquêter sur les crimes. Les témoins ont indiqué que pendant les descentes dans les quartiers et en réponse aux manifestations des partisans de Ouattara, les milices pro-Gbagbo ont aidé les forces de sécurité, tirant parfois sur les manifestants non armés avec des Kalachnikovs, des pistolets et des fusils de chasse.
La plupart des meurtres commis par les milices ont eu lieu en plein jour lors de périodes de tension politique. Les victimes ont habituellement été stoppées à des postes de contrôle mis en place illégalement par des milices et ont reçu l’ordre de montrer leurs papiers d’identité. Si les hommes des milices jugeaient d’après le style vestimentaire de la personne ou bien son nom qu’elle était musulmane ou appartenait à un groupe ethnique qui avait tendance à soutenir Ouattara, les miliciens l’encerclaient, l’accusant d’être un « manifestant » ou un « rebelle », et la frappaient à mort à coup de barres de fer, de bâtons et de briques.
Les milices pro-Gbagbo impliquées dans les exactions décrites par Human Rights Watch sont la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), un groupe étudiant connu pour avoir déjà commis des violences politiques, et les Jeunes Patriotes, un mouvement de jeunesse militant soutenant Gbagbo et son parti politique, le Front Populaire Ivoirien (FPI). Les victimes et les témoins ont identifié les agresseurs comme des membres de ces groupes, soit parce que la victime connaissait son agresseur, soit parce que l’agresseur se disait membre du groupe, soit encore parce que dans plusieurs cas le lieu de l’agression se situait directement devant un point de rassemblement des Jeunes Patriotes, ou devant un bâtiment logeant des étudiants et géré par la FESCI. Charles Blé Goudé, le ministre de la Jeunesse nouvellement nommé par Gbagbo, est le fondateur et le dirigeant actuel des Jeunes Patriotes. Blé Goudé fait l’objet depuis 2006 de sanctions de l’ONU, notamment une interdiction de voyager et un gel d’avoirs à l’étranger, pour des déclarations publiques répétées incitant à la violence en Côte d’Ivoire.
Un habitant d’Abobo a décrit le meurtre de deux jeunes hommes commis le 13 janvier par des militants des Jeunes Patriotes qui tiennent un poste de contrôle juste devant leur siège dans le quartier. Ces meurtres se sont produits le jour où cinq policiers ont été tués par des agresseurs non identifiés qui selon le gouvernement seraient des soldats rebelles œuvrant avec les partisans de Ouattara dans la même zone. Cet habitant a déclaré :
Depuis les élections, chaque fois que la tension monte, les Patriotes établissent un poste de contrôle sur la route principale où ils arrêtent les personnes qui sont musulmanes ou membres du RHDP, et ils les harcèlent, et parfois les tuent.
Vers 10 heures du matin, alors que je parvenais à la route principale, une femme m’a informé que les Patriotes tuaient des gens à nouveau. Je suis allé prudemment jusqu’à un endroit d’où je pouvais voir ce qui se passait, et là j’ai vu un jeune homme allongé au milieu de la route… Sa tête était couverte de sang et j’ai vu des briques par terre sur la route à côté. Il y avait une vingtaine de Patriotes qui marchaient tout autour de l’homme mourant, portant des bâtons et des briques. Le jeune homme respirait à peine, il vivait ses derniers instants. Je suis passé rapidement à côté en traversant la route ; je voulais courir mais si je n’avais pas marché normalement, ils s’en seraient pris à moi.
Ensuite, juste après midi alors que je revenais de rendre visite à un ami, j’ai vu un second meurtre. J’ai vu le dirigeant local des Patriotes et quelques autres pourchasser un jeune homme depuis une rue qui mène à l’autoroute. Alors qu’ils arrivaient à la route, l’homme s’est retrouvé coincé derrière un minibus stationné sur la route ; il s’est retourné avec les mains en l’air et l’un des Patriotes l’a poignardé à plusieurs reprises avec un couteau… La victime est tombée, puis deux autres hommes ont attrapé une petite table en bois et ils s’en sont servis pour frapper l’homme, encore et encore ; ils l’ont battu à mort. Après l’avoir tué, les trois hommes se sont retournés calmement, ont mis leurs mains dans les poches et se sont éloignés.
Nous avons appris plus tard que les victimes étaient des jeunes du RHDP de notre quartier.
Un partisan actif de l’alliance du RHDP a aussi raconté être passé par le « poste de contrôle » près de l’endroit où les deux hommes avaient été tués la veille :
C’est un endroit très dangereux. Quand mon taxi est arrivé à la barricade, ils nous ont arrêtés et se sont massés autour de la voiture ; ils devaient être une quinzaine. Ils nous ont hurlé de descendre. Le chauffeur de taxi était terrifié et il est parti – en laissant ses clefs dans la voiture. Les Patriotes ont mis la voiture en pièces en quelques minutes – ils avaient l’air fous, arrachant la radio et tout ce qui avait de la valeur. Une fois que nous nous sommes retrouvés à l’extérieur de la voiture, ils ont volé le téléphone portable d’un passager et ont fouillé nos poches.
Tandis que nous étions là, l’un des militants a hurlé : « De quel groupe ethnique sont-ils ? » Un autre nous a demandé de leur remettre nos cartes d’identité – mon nom aurait révélé que je suis du nord, et nous serions morts. J’ai dit que je n’avais pas ma carte d’identité sur moi ; un autre passager a tenté de les raisonner, en disant : « Nous sommes tous des Ivoiriens. » Mais ils ont commencé à être grossiers avec nous. Celui-là n’arrêtait pas de demander notre ethnicité. J’étais vraiment terrifié. J’ai marché rapidement vers la sortie d’Abobo Avocartier. L’un d’eux continuait à nous suivre et à nous pourchasser, mais nous avons fini par nous en tirer. J’ai cru que j’étais mort.
Une femme qui vit dans le quartier de Riviera II a décrit le meurtre d’un jeune par un groupe de membres de la FESCI qui habitent dans les résidences universitaires près de chez elle :
Dans l’après-midi du 16 décembre après que les violences associées à la manifestation se sont calmées, un groupe d’une vingtaine de jeunes de la FESCI étaient rassemblés devant leurs logements universitaires. Alors qu’un jeune passait par là, les FESCI lui ont crié d’approcher, mais il avait manifestement peur et il s’est mis à courir. Les FESCI l’ont pourchassé et l’ont rattrapé au bout d’une trentaine de mètres et se sont mis immédiatement à le rouer de coups, le frappant à coups de bâton et avec des pierres jusqu’à ce qu’il tombe, saignant et ne bougeant presque plus à ce moment-là.
Un autre groupe de FESCI est arrivé depuis leurs logements et l’un d’eux lui a tiré dans la jambe avec un pistolet. Quelques minutes plus tard, un camion des CECOS [force d’élite conjointe de la police et de la gendarmerie] est arrivé sur les lieux. J’ai entendu le jeune de la FESCI qui disait : « C’était un manifestant, un rebelle. » Entendant cela, un policier de la CECOS est descendu de son véhicule et il a tiré quatre fois sur le jeune à la tête avec un long fusil.
Violente campagne d’intimidation dans les quartiers, de disparitions et de meurtres ciblés
Les quartiers d’Abidjan où vivent des partisans réels et supposés de Ouattara ont fait l’objet d’attaques répétées de la part des forces de sécurité de Gbagbo après le second tour des élections. Human Rights Watch a documenté plus d’une dizaine d’attaques en décembre 2010 et janvier 2011 ayant entraîné la mort et la disparition d’un grand nombre d’habitants.
Le 5 décembre par exemple, des forces de sécurité en uniforme ont fait une descente sur le quartier Kennedy à Abobo vers minuit dans des camions militaires. Selon de nombreux témoins, ces forces ont tiré des coups de feu en l’air puis des grenades lacrymogènes en direction des maisons. Le gaz lacrymogène a contraint certaines familles à sortir de chez elles et les forces de sécurité ont ouvert le feu. Un jeune au moins a été tué après avoir été touché au poumon par un coup de feu tiré d’une distance de 15 à 20 mètres.
En réponse à ces raids meurtriers, les quartiers ont mis en place des systèmes de défense pour protéger leurs communautés, notamment en entassant des pneus, des tables et des sacs de sable pour empêcher les véhicules des forces de sécurité de passer après la tombée de la nuit, ainsi qu’en sifflant bruyamment et en frappant sur des ustensiles de cuisine à la vue des forces de sécurité, comme signal pour l’évacuation en masse des membres de la communauté.
Toutefois, les raids continuent dans certains quartiers, en particulier à Abobo, où les forces de sécurité ont fait feu sur des habitants dans la commune de PK18 le 11 janvier aux premières heures de la matinée. Des personnes armées présumées alliées à Ouattara ont riposté par des tirs. Les affrontements se sont poursuivis jusqu’au lendemain, se soldant par la mort d’au moins sept policiers et six civils, selon ce que des témoins ont indiqué à Human Rights Watch. Les forces de sécurité ont le droit d’arrêter et de désarmer les coupables du meurtre des policiers et autres représentants des forces de l’ordre, mais non de se livrer à des exécutions illégales ou à d’autres activités criminelles tout en procédant à des mises en place de cordon de police et à des perquisitions, a rappelé Human Rights Watch.
Le nombre accru de patrouilles de nuit effectuées par les forces de maintien de la paix de l’ONU après le 12 janvier, en particulier à Abobo, a contribué à réduire les attaques et a donné quelque garantie de sécurité aux familles vivant dans les quartiers pro-Ouattara. Ces patrouilles nocturnes fréquentes devraient se poursuivre jusqu’à ce qu’il soit évident que les forces de sécurité ont cessé les attaques contre les civils, a ajouté Human Rights Watch.
Violences dirigées contre les partisans de Ouattara
Si une grande partie des violences ont semblé destinées à intimider les habitants, Human Rights Watch a aussi constaté que plusieurs incidents visaient clairement des cadres intermédiaires du RHDP. Les dirigeants de quartiers et de la jeunesse des divers partis et groupes de la société civile qui constituent la coalition dirigée par Ouattara ont été les plus durement frappés. Human Rights Watch a documenté plus de dix cas de disparitions forcées ou d’exécutions extrajudiciaires qui étaient manifestement le résultat d’une tentative organisée pour identifier, trouver et enlever un victime donnée associée au RHDP. Parmi ces cas :
Au petit matin du 14 décembre, un dirigeant actif de quartier du Mouvement des Forces de l’Avenir (MFA), parti au sein de la coalition du RHDP, a été contraint par trois hommes armés en civil de monter dans une Mercedes grise. Des témoins ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient pu entendre les agresseurs demander où se trouvaient plusieurs autres leaders du MFA à Abobo. Un appel passé ce même jour au téléphone de l’homme enlevé a été pris par une personne qui a répondu : « [Votre parent] fait partie du groupe qui tente de déstabiliser le parti au pouvoir. » La victime est toujours portée disparue.
Un membre dirigeant du MFA a expliqué à Human Rights Watch que plusieurs autres dirigeants de quartier du parti ont été portés « disparus » – les corps d’au moins deux d’entre eux ont été par la suite identifiés, portant des blessures par balle, dans une morgue d’Abidjan. Deux militants de quartier pour le parti de l’UDCI (l’Union Démocratique de Côte d’Ivoire), faisant également partie de la coalition du RHDP, avaient également été portés disparus le 9 décembre – leurs corps ont été retrouvés à la morgue de Yopougon un peu plus d’une semaine plus tard.
Le 18 décembre, deux membres du groupe de la société civile Alliance pour le changement (APC) – qui est étroitement lié au parti de Ouattara et qui a été actif dans la campagne électorale – ont été enlevés sous les yeux de témoins en début de soirée dans le quartier de Cocody Angré. Un témoin a expliqué à Human Rights Watch que les gens se trouvant dans un restaurant à proximité ont été contraints à se coucher par terre tandis que des hommes armés obligeaient les deux militants à monter à bord d’un 4x4. Ils sont toujours portés disparus.
Six jours plus tard, un autre dirigeant de l’APC a échappé de peu à un enlèvement à Abobo vers 7h30 du matin, lorsqu’un 4x4 Mitsubishi vert foncé a foncé sur lui et cinq hommes armés, dont trois en treillis, en sont sortis, l’appelant par son nom et lui criant de monter dans la voiture. Un témoin a indiqué à Human Rights Watch que plusieurs de ces hommes portaient des bérets rouges de la Garde Républicaine, une unité militaire d’élite étroitement liée à Gbagbo. Selon la victime de cette tentative d’enlèvement, alors que les hommes tentaient de le contraindre à monter dans la voiture, il a vu huit photographies – dont la sienne et celles d’autres personnes qu’il a reconnues comme étant des membres de la direction du RHDP au niveau de la communauté – sur le plancher de la voiture.
Attaques contre des militants du RHDP chargés de surveiller les urnes
Human Rights Watch a également documenté l’enlèvement et le meurtre ciblés de plusieurs personnes qui avaient surveillé les urnes dans un bureau de vote d’Abobo pour le RHDP. Un proche de l’une de ces victimes a fait le récit suivant à Human Rights Watch :
Vers 6 heures du soir le 18 décembre, nous étions tous chez nous quand un groupe d’une dizaine de policiers vêtus de noir sont arrivés dans un camion de transport et se sont stationnés dehors. Ils sont descendus et ont pénétré de force dans notre enceinte. À ce moment-là, j’ai entendu une voisine qui appartient à [un groupe ethnique qui a largement soutenu Gbagbo] qui disait : « Regardez, il est là, c’est l’un des leurs. » Quelques instants plus tard, ils se sont emparés de mon parent, qui est âgé d’une quarantaine d’années, et ils l’ont forcé à monter dans leur camion.
À peu près à la même heure, la femme qui aidait manifestement les policiers à identifier les personnes qu’ils recherchaient a dit : « L’autre est en train de prier dans la maison. » Ils sont entrés dans la maison de l’autre [observateur des élections], qui a environ 60 ans, pour le capturer. Il disait : « Non, non … au moins laissez-moi mettre mes chaussures », mais ils lui ont crié de les laisser et l’ont traîné de force pour le faire monter dans le camion avec l’autre homme.
Environ une semaine plus tard, nous avons fini par trouver leurs corps à la morgue de Yopougon. C’était très difficile… J’ai vu des blessures par balle sur leur poitrine, et beaucoup de sang sur leur tête. À la morgue, j’ai vu de nombreux corps, entassés les uns sur les autres. La plus âgée des deux victimes était le représentant du RDR [parti politique de Ouattara] à notre bureau de vote. Il s’est interposé personnellement à la porte du bureau de vote pour empêcher les gens du FPI qui étaient venus voler les urnes.
En plus des disparitions et des tentatives d’enlèvement documentées, Human Rights Watch a reçu des déclarations de la part de plus d’une dizaine de voisins et de proches faisant état de véhicules 4x4 avec leur bord des hommes armés en tenue de camouflage qui sont venus au domicile de dirigeants communautaires du RHDP, parfois à maintes reprises. De nombreux dirigeants du RHDP à Abidjan se sont cachés, et ils sont partis après que les hommes armés ne les ont pas trouvés,
Violences sexuelles
Human Rights Watch a recueilli des témoignages sur les viols collectifs de cinq femmes par des membres des services de sécurité, et dans l’un des cas, par un membre d’une milice civile. Parmi les victimes figurait une jeune fille de16 ans et une femme enceinte de huit mois. Dans les deux cas, les maris des victimes ont été exécutés peu après ou au même moment. Les agresseurs invoquaient un motif clairement politique, disant dans plusieurs cas aux victimes de viol de rendre compte de leur « problème » à Ouattara. Toutes les agressions documentées ont eu lieu à Abobo dans les jours qui ont suivi la manifestation du 16 décembre des partisans du RHDP.
Une femme de 25 ans qui a été violée par trois soldats et un civil, et a vu son mari exécuté devant elle, a fait le récit suivant :
Vers 10 heures du soir le 17 décembre, les militaires sont venus chez moi ; ils étaient huit portant des tenues de camouflage avec des pièces rouges, et un des Jeunes Patriotes du quartier. Quand ils ont enfoncé la porte, j’ai couru pour attraper mon fils de trois ans et je l’ai tenu contre moi. Je hurlais tandis qu’ils frappaient mon mari, alors l’un d’eux m’a frappé violemment à la tête avec la crosse de son long fusil, et il a déchiré ma chemise.
Quand il a vu que je portais une chemise avec la photo d’Alassane (Ouattara) ils sont devenus fous. Ils m’ont arraché mon fils des bras et l’ont jeté à la porte, puis ils m’ont tirée dans la chambre, m’ont arraché mes vêtements et se sont jetés sur moi ; quatre d’entre eux l’ont fait, dont le Patriote. Je me suis battue et l’un d’eux m’a frappée avec sa ceinture. Je suis sortie de la pièce quand ils ont eu terminé, et j’ai vu qu’ils avaient fait mettre mon mari à genoux avec les mains en l’air et puis ils lui ont tiré deux fois dans le dos… Avant qu’ils l’abattent, mon mari hurlait : « Ma famille, ma famille… »
En partant, l’un d’eux a dit : « Va dire à Alassane que c’est nous qui t’avons fait ça. » Mes enfants ont vu leur père se faire tuer sous leurs yeux et maintenant ils se réveillent la nuit en pleurant. Mon mari était actif dans le RDR, c’est peut-être pour ça qu’ils nous ont attaqués.
Une femme âgée de 20 ans qui a été violée chez elle ainsi que deux autres femmes de sa famille, dont l’une est âgée de 16 ans, a déclaré à Human Rights Watch :
Je vis à Abobo avec deux de mes sœurs (membres de la famille élargie). Le 19 décembre vers 1 heure du matin, les hommes armés sont entrés dans notre maison ; il faisait sombre mais je sais qu’ils étaient au moins six – cinq vêtus de noir, et un autre qui ne portait pas d’uniforme. Ils ont frappé, en disant que c’était la police, et nous ont ordonné d’ouvrir la porte. Ils nous sont tombés dessus – deux d’entre eux se sont servis de moi ; je ne voulais pas ce qu’ils faisaient ; ils m’ont frappée jusqu’à ce que je n’ai plus le choix.
Quand ils ont eu fini, ils ont pris notre sœur, et nous n’avons pas réussi à la retrouver. Ils m’ont violée dans la chambre, ma sœur dans le salon, et l’autre [sœur] qui a disparu juste devant la cour. Ils nous ont dit d’aller raconter notre problème à Alassane.
Recommandations clés
À Laurent Gbagbo et aux forces de sécurité à Abidjan :
· Donner des instructions publiques claires à toutes les forces de sécurité pour qu’elles respectent le droit ivoirien et la législation relative aux droits humains, et préciser que les personnes responsables d’avoir ordonné, exécuté, ou de ne pas avoir empêché toute exaction, en particulier celles impliquant des meurtres, des disparitions ou des violences sexuelles, devront rendre des comptes devant la justice.
· Prendre des mesures immédiates et concrètes pour s’assurer que les milices et autres groupes pro-Gbagbo, notamment la FESCI et les Jeunes Patriotes, ne sont pas autorisés à mettre en place des barrages routiers, à attaquer des maisons, ni à commettre des exactions. Exiger des comptes aux individus parmi eux qui commettent des crimes graves. Pour cela, il faut donner aux forces de sécurité des instructions publiques et claires pour agir immédiatement lorsqu’elles voient des exactions en train d’être commises.
· Cesser immédiatement de prononcer tout discours incitant à la violence, notamment contre le personnel de l’ONU et les personnes originaires de pays de la CEDEAO.
Aux Nations Unies :
· Continuer à renforcer les mesures prises au cours des dernières semaines pour remplir le mandat de l’UNOCI relatif à la protection des civils, notamment en augmentant le nombre de patrouilles dans les quartiers sensibles et en stationnant des unités dans les endroits où des exactions sont le plus susceptibles de se produire. Envisager de prendre des mesures supplémentaires pour protéger les civils à proximité des postes de contrôle établis par la FESCI et les Jeunes Patriotes en particulier, notamment en stationnant des soldats de maintien de la paix à ces endroits ou en envoyant des patrouilles régulières motorisées ou à pied.
· Veiller à ce que la ligne d’assistance téléphonique d’urgence (« hotline ») mise en place par la Division des droits de l’homme pour recevoir les plaintes relatives à des violations bénéficie de ressources suffisantes pour la doter de personnel parlant français et les langues locales pertinentes, 24 heures sur 24. Garantir une communication rapide et efficace entre le personnel de la hotline et les commandants de la force ainsi qu’avec les autres membres du maintien de la paix.
· Recommander le déploiement rapide des 2 000 soldats du maintien de la paix supplémentaires pour la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire récemment approuvés dans les zones où les civils sont particulièrement vulnérables aux attaques.
Au Conseil des droits de l’Homme :
· Surveiller activement la situation en Côte d’Ivoire et veiller à ce que le Haut commissaire fasse un rapport au Conseil à la prochaine session de mars ou, si la situation devait se détériorer davantage, lors d’une session d’urgence.
Contexte
Le 2 décembre, le président de la Commission électorale de Côte d’Ivoire a déclaré Ouattara vainqueur de l’élection présidentielle, avec plus de 54 pour cent des voix. Le Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU pour la Côte d’Ivoire, Choi Young-jin, a certifié ces résultats, conformément aux exigences du Conseil de sécurité et aux accords politiques signés par les protagonistes du conflit ivoirien. Toutefois, Paul Yao N’Dre, le président du Conseil Constitutionnel et allié proche de Gbagbo, a soutenu que la décision n’était pas valable et, moins de 24 heures plus tard, le Conseil a annulé les résultats de la Commission et a proclamé Gbagbo vainqueur.
Le lendemain, Gbagbo a prêté serment, Ouattara procédant immédiatement à la suite à sa propre prise de fonction. Tous deux ont nommé des Premiers ministres et des gouvernements. Une impasse a commencé, avec Gbagbo opérant depuis les bâtiments gouvernementaux et Ouattara ainsi que son gouvernement fonctionnant depuis l’Hôtel du Golf à Abidjan.
Les organismes internationaux ont appelé Gbagbo à se retirer immédiatement, et la CEDEAO ainsi que l’Union africaine ont envoyé de multiples délégations pour tenter de sortir de l’impasse. Le 24 décembre, des dirigeants de la CEDEAO ont indiqué une volonté d’intervenir par la force, si nécessaire, pour faire partir Gbagbo, et les chefs d’état-major militaires des pays de la CEDEAO se sont réunis à Bamako les 17 et 18 janvier pour débattre d’éventuels plans militaires. Certains dirigeants régionaux, toutefois, ont fait clairement savoir qu’ils n’appuieraient pas une option militaire.
L’Union européenne et les États-Unis ont mis en place des sanctions contre Gbagbo et nombre de ses plus proches alliés dans une tentative pour le convaincre d’abandonner le pouvoir. Cependant, Gbagbo continue à défier les pressions diplomatiques et financières croissantes, et la crise marquée par de graves atteintes aux droits humains se poursuit. La Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a signalé le 20 janvier qu’au moins 260 personnes étaient mortes et 68 autres avaient disparu au cours des violences postélectorales. Abidjan demeure la zone la plus durement touchée, mais les affrontements dans l’extrême ouest du pays ont également fait au moins 30 morts selon les comptes-rendus des médias. Plus de 25 000 réfugiés, la plupart de l’extrême ouest, ont fui en franchissant la frontière du Liberia.
Human Rights Watch, les Nations Unies, et d’autres organismes ont précédemment publié des rapports faisant état de graves atteintes aux droits humains , notamment des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et le recrutement d’enfants soldats par les forces de sécurité fidèles à Gbagbo, notamment les Jeunes Patriotes de Blé Goudé et les rebelles des Forces Nouvelles qui contrôlent la moitié nord du pays, longtemps sous le commandement de Guillaume Soro, nommé Premier ministre dans le gouvernement Ouattara. Aucun compte n’a été rendu pour les crimes graves présumés commis par toutes les parties au cours de la guerre civile de 2002-2003 et dans la période qui a suivi.
Pour consulter d’autres recherches de Human Rights Watch sur la Côte d’Ivoire, veuillez suivre le lien :
http://www.hrw.org/fr/africa/cote-divoire
Pour de plus amples informations, veuillez contacter :
À New York, Philippe Bolopion (français, anglais) : +1-212-216-1276 (bureau) ; +1-917-734-3201 (portable)
À Paris, Jean-Marie Fardeau (français, anglais, portugais) : +33-1-43-59-55-35 ; ou +33-6-45-85-24-87 (portable)
Une enquête approfondie sur les exactions perpétrées dans la capitale commerciale de la Côte d’Ivoire, Abidjan, a révélé une campagne souvent organisée de violences visant les membres des partis politiques d’opposition, les groupes ethniques du nord du pays, les Musulmans et les immigrés des pays ouest-africains voisins, a indiqué Human Rights Watch. Gbagbo a revendiqué la présidence à la suite des élections contestées de novembre et il conserve le contrôle des forces de sécurité à Abidjan.
« Les forces de sécurité et les milices qui soutiennent Laurent Gbagbo font régner la terreur parmi ses opposants réels ou supposés à Abidjan », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « La communauté internationale doit faire tout son possible pour protéger les civils et renforcer les pressions sur Gbagbo et ses alliés, afin de mettre un terme à cette campagne de violence organisée. »
Les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus avec plus de 100 victimes et témoins des violences, notamment des meurtres perpétrés par des membres des milices avec des briques et des barres de fer, et des agressions sexuelles commises sous les yeux de membres de leurs familles. Les témoins ont décrit la façon dont des proches ou des voisins ont été traînés hors de leurs maisons, des mosquées, des restaurants ou capturés dans la rue et forcés à monter dans des véhicules qui attendaient. Nombre de ces personnes ont été portées « disparues », et certaines victimes ont été retrouvées mortes.
De nombreux témoins ont déclaré avoir reçu des appels paniqués de la part de proches qui avaient été arrêtés par les milices ou par les forces de sécurité. Au bout de plusieurs jours de recherche, certaines personnes ont retrouvé les corps de leurs proches dans des morgues, souvent criblés de balles. L’une de ces personnes s’est vu présenter une photographie du corps d’un membre de sa famille déposé sur une pile d’autres corps dans un dépôt d’ordures. Plusieurs femmes ont signalé avoir subi des viols collectifs perpétrés par des membres des forces de sécurité lors de raids conjoints de la police et des milices sur les quartiers d’Abidjan où les habitants avaient largement voté pour Alassane Ouattara, l’adversaire de Gbagbo.
Les exactions ont commencé juste avant le second tour de l’élection présidentielle le 28 novembre, qui opposait Ouattara à Gbagbo. La communauté internationale – notamment l’Union africaine, l’organisme régional de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union européenne et les Nations Unies – a reconnu presqu’unanimement Ouattara comme le vainqueur et a appelé Gbagbo à se retirer.
D’après les informations recueillies par Human Rights Watch dans divers quartiers d’Abidjan, les pires violences commises par les forces de sécurité et les milices se sont produites dans les quartiers d’Abobo, de Port-Bouët, de Yopougon et de Koumassi, tous fortement peuplés par des partisans de Ouattara et par des immigrés d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Les exactions se sont poursuivies tout au long de la période qui a suivi l’élection, y compris pendant l’enquête menée par Human Rights Watch.
Toutefois, les pires violences ont été commises à la suite d’événements politiques critiques – notamment la proclamation le 2 décembre des résultats électoraux ; une manifestation le 16 décembre des partisans de l’opposition appartenant au Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) pro-Ouattara ; et les meurtres les 11 et 12 janvier à Abobo de sept policiers.
Aucun des incidents étudiés par Human Rights Watch au cours desquels les forces de sécurité ont perpétré des exactions n’a été précédé, semble-t-il, par des violences commises par les victimes à l’encontre de ces forces. Toutefois, le 16 décembre, des manifestants pro-Ouattara ont brûlé à mort un policier en civil après qu’il eut, selon les témoignages recueillis par Human Rights Watch, ouvert le feu sur les manifestants, en tuant au moins deux et en blessant plusieurs autres. En outre, au moins sept policiers ont été tués à Abobo par des agresseurs non identifiés – que des fonctionnaires du gouvernement Gbagbo affirment être des partisans de Ouattara. Human Rights Watch n’a pas reçu de témoignages faisant état de meurtres ou d’exactions systématiques commis par des partisans de Ouattara contre ceux de Gbagbo ; cependant de nombreux partisans de Gbagbo vivant dans des quartiers qui sont des bastions pro-Ouattara auraient pris la fuite, de peur des violences.
Human Rights Watch publiera un rapport complet sur les résultats de son enquête, mais recommande d’ores et déjà une action internationale immédiate pour protéger les civils et veiller à ce que les auteurs des exactions décrites soient traduits en justice.
Attaques de la part des milices pro-Gbagbo
Des témoins ont indiqué à Human Rights Watch avoir vu des hommes battus à mort à coups de briques, de matraques et de bâtons, ou abattus par des membres de milices pro-Gbagbo qui avaient établi des postes de contrôle sauvages. De nombreux habitants ivoiriens originaires du Mali et du Burkina Faso ont aussi indiqué avoir été pris pour cible par les milices. Une personne originaire d’un pays voisin et vivant à Abidjan a été brûlée à mort et deux autres sont presque mortes sous les coups le 3 décembre, alors que les habitants célébraient ce qu’ils pensaient être la victoire présidentielle de Ouattara.
Les chercheurs de Human Rights Watch ont recueilli des témoignages sur les meurtres d’au moins 13 hommes à des postes de contrôle mis en place par des milices pro-Gbagbo. Dans de nombreux cas, des témoins ont affirmé que des policiers, des gendarmes et autres membres des forces de sécurité avaient activement pris parti pour les milices, soit en assistant à leurs exactions sans intervenir, soit en s’exprimant ouvertement en faveur des meurtres pendant ou après qu’ils aient eu lieu, soit même en tirant sur les corps des victimes. Nombre des meurtres ont eu lieu à quelques mètres à peine d’un poste de police. Les forces de sécurité n’ont rien fait pour désarmer et arrêter les membres des milices, encore moins pour enquêter sur les crimes. Les témoins ont indiqué que pendant les descentes dans les quartiers et en réponse aux manifestations des partisans de Ouattara, les milices pro-Gbagbo ont aidé les forces de sécurité, tirant parfois sur les manifestants non armés avec des Kalachnikovs, des pistolets et des fusils de chasse.
La plupart des meurtres commis par les milices ont eu lieu en plein jour lors de périodes de tension politique. Les victimes ont habituellement été stoppées à des postes de contrôle mis en place illégalement par des milices et ont reçu l’ordre de montrer leurs papiers d’identité. Si les hommes des milices jugeaient d’après le style vestimentaire de la personne ou bien son nom qu’elle était musulmane ou appartenait à un groupe ethnique qui avait tendance à soutenir Ouattara, les miliciens l’encerclaient, l’accusant d’être un « manifestant » ou un « rebelle », et la frappaient à mort à coup de barres de fer, de bâtons et de briques.
Les milices pro-Gbagbo impliquées dans les exactions décrites par Human Rights Watch sont la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), un groupe étudiant connu pour avoir déjà commis des violences politiques, et les Jeunes Patriotes, un mouvement de jeunesse militant soutenant Gbagbo et son parti politique, le Front Populaire Ivoirien (FPI). Les victimes et les témoins ont identifié les agresseurs comme des membres de ces groupes, soit parce que la victime connaissait son agresseur, soit parce que l’agresseur se disait membre du groupe, soit encore parce que dans plusieurs cas le lieu de l’agression se situait directement devant un point de rassemblement des Jeunes Patriotes, ou devant un bâtiment logeant des étudiants et géré par la FESCI. Charles Blé Goudé, le ministre de la Jeunesse nouvellement nommé par Gbagbo, est le fondateur et le dirigeant actuel des Jeunes Patriotes. Blé Goudé fait l’objet depuis 2006 de sanctions de l’ONU, notamment une interdiction de voyager et un gel d’avoirs à l’étranger, pour des déclarations publiques répétées incitant à la violence en Côte d’Ivoire.
Un habitant d’Abobo a décrit le meurtre de deux jeunes hommes commis le 13 janvier par des militants des Jeunes Patriotes qui tiennent un poste de contrôle juste devant leur siège dans le quartier. Ces meurtres se sont produits le jour où cinq policiers ont été tués par des agresseurs non identifiés qui selon le gouvernement seraient des soldats rebelles œuvrant avec les partisans de Ouattara dans la même zone. Cet habitant a déclaré :
Depuis les élections, chaque fois que la tension monte, les Patriotes établissent un poste de contrôle sur la route principale où ils arrêtent les personnes qui sont musulmanes ou membres du RHDP, et ils les harcèlent, et parfois les tuent.
Vers 10 heures du matin, alors que je parvenais à la route principale, une femme m’a informé que les Patriotes tuaient des gens à nouveau. Je suis allé prudemment jusqu’à un endroit d’où je pouvais voir ce qui se passait, et là j’ai vu un jeune homme allongé au milieu de la route… Sa tête était couverte de sang et j’ai vu des briques par terre sur la route à côté. Il y avait une vingtaine de Patriotes qui marchaient tout autour de l’homme mourant, portant des bâtons et des briques. Le jeune homme respirait à peine, il vivait ses derniers instants. Je suis passé rapidement à côté en traversant la route ; je voulais courir mais si je n’avais pas marché normalement, ils s’en seraient pris à moi.
Ensuite, juste après midi alors que je revenais de rendre visite à un ami, j’ai vu un second meurtre. J’ai vu le dirigeant local des Patriotes et quelques autres pourchasser un jeune homme depuis une rue qui mène à l’autoroute. Alors qu’ils arrivaient à la route, l’homme s’est retrouvé coincé derrière un minibus stationné sur la route ; il s’est retourné avec les mains en l’air et l’un des Patriotes l’a poignardé à plusieurs reprises avec un couteau… La victime est tombée, puis deux autres hommes ont attrapé une petite table en bois et ils s’en sont servis pour frapper l’homme, encore et encore ; ils l’ont battu à mort. Après l’avoir tué, les trois hommes se sont retournés calmement, ont mis leurs mains dans les poches et se sont éloignés.
Nous avons appris plus tard que les victimes étaient des jeunes du RHDP de notre quartier.
Un partisan actif de l’alliance du RHDP a aussi raconté être passé par le « poste de contrôle » près de l’endroit où les deux hommes avaient été tués la veille :
C’est un endroit très dangereux. Quand mon taxi est arrivé à la barricade, ils nous ont arrêtés et se sont massés autour de la voiture ; ils devaient être une quinzaine. Ils nous ont hurlé de descendre. Le chauffeur de taxi était terrifié et il est parti – en laissant ses clefs dans la voiture. Les Patriotes ont mis la voiture en pièces en quelques minutes – ils avaient l’air fous, arrachant la radio et tout ce qui avait de la valeur. Une fois que nous nous sommes retrouvés à l’extérieur de la voiture, ils ont volé le téléphone portable d’un passager et ont fouillé nos poches.
Tandis que nous étions là, l’un des militants a hurlé : « De quel groupe ethnique sont-ils ? » Un autre nous a demandé de leur remettre nos cartes d’identité – mon nom aurait révélé que je suis du nord, et nous serions morts. J’ai dit que je n’avais pas ma carte d’identité sur moi ; un autre passager a tenté de les raisonner, en disant : « Nous sommes tous des Ivoiriens. » Mais ils ont commencé à être grossiers avec nous. Celui-là n’arrêtait pas de demander notre ethnicité. J’étais vraiment terrifié. J’ai marché rapidement vers la sortie d’Abobo Avocartier. L’un d’eux continuait à nous suivre et à nous pourchasser, mais nous avons fini par nous en tirer. J’ai cru que j’étais mort.
Une femme qui vit dans le quartier de Riviera II a décrit le meurtre d’un jeune par un groupe de membres de la FESCI qui habitent dans les résidences universitaires près de chez elle :
Dans l’après-midi du 16 décembre après que les violences associées à la manifestation se sont calmées, un groupe d’une vingtaine de jeunes de la FESCI étaient rassemblés devant leurs logements universitaires. Alors qu’un jeune passait par là, les FESCI lui ont crié d’approcher, mais il avait manifestement peur et il s’est mis à courir. Les FESCI l’ont pourchassé et l’ont rattrapé au bout d’une trentaine de mètres et se sont mis immédiatement à le rouer de coups, le frappant à coups de bâton et avec des pierres jusqu’à ce qu’il tombe, saignant et ne bougeant presque plus à ce moment-là.
Un autre groupe de FESCI est arrivé depuis leurs logements et l’un d’eux lui a tiré dans la jambe avec un pistolet. Quelques minutes plus tard, un camion des CECOS [force d’élite conjointe de la police et de la gendarmerie] est arrivé sur les lieux. J’ai entendu le jeune de la FESCI qui disait : « C’était un manifestant, un rebelle. » Entendant cela, un policier de la CECOS est descendu de son véhicule et il a tiré quatre fois sur le jeune à la tête avec un long fusil.
Violente campagne d’intimidation dans les quartiers, de disparitions et de meurtres ciblés
Les quartiers d’Abidjan où vivent des partisans réels et supposés de Ouattara ont fait l’objet d’attaques répétées de la part des forces de sécurité de Gbagbo après le second tour des élections. Human Rights Watch a documenté plus d’une dizaine d’attaques en décembre 2010 et janvier 2011 ayant entraîné la mort et la disparition d’un grand nombre d’habitants.
Le 5 décembre par exemple, des forces de sécurité en uniforme ont fait une descente sur le quartier Kennedy à Abobo vers minuit dans des camions militaires. Selon de nombreux témoins, ces forces ont tiré des coups de feu en l’air puis des grenades lacrymogènes en direction des maisons. Le gaz lacrymogène a contraint certaines familles à sortir de chez elles et les forces de sécurité ont ouvert le feu. Un jeune au moins a été tué après avoir été touché au poumon par un coup de feu tiré d’une distance de 15 à 20 mètres.
En réponse à ces raids meurtriers, les quartiers ont mis en place des systèmes de défense pour protéger leurs communautés, notamment en entassant des pneus, des tables et des sacs de sable pour empêcher les véhicules des forces de sécurité de passer après la tombée de la nuit, ainsi qu’en sifflant bruyamment et en frappant sur des ustensiles de cuisine à la vue des forces de sécurité, comme signal pour l’évacuation en masse des membres de la communauté.
Toutefois, les raids continuent dans certains quartiers, en particulier à Abobo, où les forces de sécurité ont fait feu sur des habitants dans la commune de PK18 le 11 janvier aux premières heures de la matinée. Des personnes armées présumées alliées à Ouattara ont riposté par des tirs. Les affrontements se sont poursuivis jusqu’au lendemain, se soldant par la mort d’au moins sept policiers et six civils, selon ce que des témoins ont indiqué à Human Rights Watch. Les forces de sécurité ont le droit d’arrêter et de désarmer les coupables du meurtre des policiers et autres représentants des forces de l’ordre, mais non de se livrer à des exécutions illégales ou à d’autres activités criminelles tout en procédant à des mises en place de cordon de police et à des perquisitions, a rappelé Human Rights Watch.
Le nombre accru de patrouilles de nuit effectuées par les forces de maintien de la paix de l’ONU après le 12 janvier, en particulier à Abobo, a contribué à réduire les attaques et a donné quelque garantie de sécurité aux familles vivant dans les quartiers pro-Ouattara. Ces patrouilles nocturnes fréquentes devraient se poursuivre jusqu’à ce qu’il soit évident que les forces de sécurité ont cessé les attaques contre les civils, a ajouté Human Rights Watch.
Violences dirigées contre les partisans de Ouattara
Si une grande partie des violences ont semblé destinées à intimider les habitants, Human Rights Watch a aussi constaté que plusieurs incidents visaient clairement des cadres intermédiaires du RHDP. Les dirigeants de quartiers et de la jeunesse des divers partis et groupes de la société civile qui constituent la coalition dirigée par Ouattara ont été les plus durement frappés. Human Rights Watch a documenté plus de dix cas de disparitions forcées ou d’exécutions extrajudiciaires qui étaient manifestement le résultat d’une tentative organisée pour identifier, trouver et enlever un victime donnée associée au RHDP. Parmi ces cas :
Au petit matin du 14 décembre, un dirigeant actif de quartier du Mouvement des Forces de l’Avenir (MFA), parti au sein de la coalition du RHDP, a été contraint par trois hommes armés en civil de monter dans une Mercedes grise. Des témoins ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils avaient pu entendre les agresseurs demander où se trouvaient plusieurs autres leaders du MFA à Abobo. Un appel passé ce même jour au téléphone de l’homme enlevé a été pris par une personne qui a répondu : « [Votre parent] fait partie du groupe qui tente de déstabiliser le parti au pouvoir. » La victime est toujours portée disparue.
Un membre dirigeant du MFA a expliqué à Human Rights Watch que plusieurs autres dirigeants de quartier du parti ont été portés « disparus » – les corps d’au moins deux d’entre eux ont été par la suite identifiés, portant des blessures par balle, dans une morgue d’Abidjan. Deux militants de quartier pour le parti de l’UDCI (l’Union Démocratique de Côte d’Ivoire), faisant également partie de la coalition du RHDP, avaient également été portés disparus le 9 décembre – leurs corps ont été retrouvés à la morgue de Yopougon un peu plus d’une semaine plus tard.
Le 18 décembre, deux membres du groupe de la société civile Alliance pour le changement (APC) – qui est étroitement lié au parti de Ouattara et qui a été actif dans la campagne électorale – ont été enlevés sous les yeux de témoins en début de soirée dans le quartier de Cocody Angré. Un témoin a expliqué à Human Rights Watch que les gens se trouvant dans un restaurant à proximité ont été contraints à se coucher par terre tandis que des hommes armés obligeaient les deux militants à monter à bord d’un 4x4. Ils sont toujours portés disparus.
Six jours plus tard, un autre dirigeant de l’APC a échappé de peu à un enlèvement à Abobo vers 7h30 du matin, lorsqu’un 4x4 Mitsubishi vert foncé a foncé sur lui et cinq hommes armés, dont trois en treillis, en sont sortis, l’appelant par son nom et lui criant de monter dans la voiture. Un témoin a indiqué à Human Rights Watch que plusieurs de ces hommes portaient des bérets rouges de la Garde Républicaine, une unité militaire d’élite étroitement liée à Gbagbo. Selon la victime de cette tentative d’enlèvement, alors que les hommes tentaient de le contraindre à monter dans la voiture, il a vu huit photographies – dont la sienne et celles d’autres personnes qu’il a reconnues comme étant des membres de la direction du RHDP au niveau de la communauté – sur le plancher de la voiture.
Attaques contre des militants du RHDP chargés de surveiller les urnes
Human Rights Watch a également documenté l’enlèvement et le meurtre ciblés de plusieurs personnes qui avaient surveillé les urnes dans un bureau de vote d’Abobo pour le RHDP. Un proche de l’une de ces victimes a fait le récit suivant à Human Rights Watch :
Vers 6 heures du soir le 18 décembre, nous étions tous chez nous quand un groupe d’une dizaine de policiers vêtus de noir sont arrivés dans un camion de transport et se sont stationnés dehors. Ils sont descendus et ont pénétré de force dans notre enceinte. À ce moment-là, j’ai entendu une voisine qui appartient à [un groupe ethnique qui a largement soutenu Gbagbo] qui disait : « Regardez, il est là, c’est l’un des leurs. » Quelques instants plus tard, ils se sont emparés de mon parent, qui est âgé d’une quarantaine d’années, et ils l’ont forcé à monter dans leur camion.
À peu près à la même heure, la femme qui aidait manifestement les policiers à identifier les personnes qu’ils recherchaient a dit : « L’autre est en train de prier dans la maison. » Ils sont entrés dans la maison de l’autre [observateur des élections], qui a environ 60 ans, pour le capturer. Il disait : « Non, non … au moins laissez-moi mettre mes chaussures », mais ils lui ont crié de les laisser et l’ont traîné de force pour le faire monter dans le camion avec l’autre homme.
Environ une semaine plus tard, nous avons fini par trouver leurs corps à la morgue de Yopougon. C’était très difficile… J’ai vu des blessures par balle sur leur poitrine, et beaucoup de sang sur leur tête. À la morgue, j’ai vu de nombreux corps, entassés les uns sur les autres. La plus âgée des deux victimes était le représentant du RDR [parti politique de Ouattara] à notre bureau de vote. Il s’est interposé personnellement à la porte du bureau de vote pour empêcher les gens du FPI qui étaient venus voler les urnes.
En plus des disparitions et des tentatives d’enlèvement documentées, Human Rights Watch a reçu des déclarations de la part de plus d’une dizaine de voisins et de proches faisant état de véhicules 4x4 avec leur bord des hommes armés en tenue de camouflage qui sont venus au domicile de dirigeants communautaires du RHDP, parfois à maintes reprises. De nombreux dirigeants du RHDP à Abidjan se sont cachés, et ils sont partis après que les hommes armés ne les ont pas trouvés,
Violences sexuelles
Human Rights Watch a recueilli des témoignages sur les viols collectifs de cinq femmes par des membres des services de sécurité, et dans l’un des cas, par un membre d’une milice civile. Parmi les victimes figurait une jeune fille de16 ans et une femme enceinte de huit mois. Dans les deux cas, les maris des victimes ont été exécutés peu après ou au même moment. Les agresseurs invoquaient un motif clairement politique, disant dans plusieurs cas aux victimes de viol de rendre compte de leur « problème » à Ouattara. Toutes les agressions documentées ont eu lieu à Abobo dans les jours qui ont suivi la manifestation du 16 décembre des partisans du RHDP.
Une femme de 25 ans qui a été violée par trois soldats et un civil, et a vu son mari exécuté devant elle, a fait le récit suivant :
Vers 10 heures du soir le 17 décembre, les militaires sont venus chez moi ; ils étaient huit portant des tenues de camouflage avec des pièces rouges, et un des Jeunes Patriotes du quartier. Quand ils ont enfoncé la porte, j’ai couru pour attraper mon fils de trois ans et je l’ai tenu contre moi. Je hurlais tandis qu’ils frappaient mon mari, alors l’un d’eux m’a frappé violemment à la tête avec la crosse de son long fusil, et il a déchiré ma chemise.
Quand il a vu que je portais une chemise avec la photo d’Alassane (Ouattara) ils sont devenus fous. Ils m’ont arraché mon fils des bras et l’ont jeté à la porte, puis ils m’ont tirée dans la chambre, m’ont arraché mes vêtements et se sont jetés sur moi ; quatre d’entre eux l’ont fait, dont le Patriote. Je me suis battue et l’un d’eux m’a frappée avec sa ceinture. Je suis sortie de la pièce quand ils ont eu terminé, et j’ai vu qu’ils avaient fait mettre mon mari à genoux avec les mains en l’air et puis ils lui ont tiré deux fois dans le dos… Avant qu’ils l’abattent, mon mari hurlait : « Ma famille, ma famille… »
En partant, l’un d’eux a dit : « Va dire à Alassane que c’est nous qui t’avons fait ça. » Mes enfants ont vu leur père se faire tuer sous leurs yeux et maintenant ils se réveillent la nuit en pleurant. Mon mari était actif dans le RDR, c’est peut-être pour ça qu’ils nous ont attaqués.
Une femme âgée de 20 ans qui a été violée chez elle ainsi que deux autres femmes de sa famille, dont l’une est âgée de 16 ans, a déclaré à Human Rights Watch :
Je vis à Abobo avec deux de mes sœurs (membres de la famille élargie). Le 19 décembre vers 1 heure du matin, les hommes armés sont entrés dans notre maison ; il faisait sombre mais je sais qu’ils étaient au moins six – cinq vêtus de noir, et un autre qui ne portait pas d’uniforme. Ils ont frappé, en disant que c’était la police, et nous ont ordonné d’ouvrir la porte. Ils nous sont tombés dessus – deux d’entre eux se sont servis de moi ; je ne voulais pas ce qu’ils faisaient ; ils m’ont frappée jusqu’à ce que je n’ai plus le choix.
Quand ils ont eu fini, ils ont pris notre sœur, et nous n’avons pas réussi à la retrouver. Ils m’ont violée dans la chambre, ma sœur dans le salon, et l’autre [sœur] qui a disparu juste devant la cour. Ils nous ont dit d’aller raconter notre problème à Alassane.
Recommandations clés
À Laurent Gbagbo et aux forces de sécurité à Abidjan :
· Donner des instructions publiques claires à toutes les forces de sécurité pour qu’elles respectent le droit ivoirien et la législation relative aux droits humains, et préciser que les personnes responsables d’avoir ordonné, exécuté, ou de ne pas avoir empêché toute exaction, en particulier celles impliquant des meurtres, des disparitions ou des violences sexuelles, devront rendre des comptes devant la justice.
· Prendre des mesures immédiates et concrètes pour s’assurer que les milices et autres groupes pro-Gbagbo, notamment la FESCI et les Jeunes Patriotes, ne sont pas autorisés à mettre en place des barrages routiers, à attaquer des maisons, ni à commettre des exactions. Exiger des comptes aux individus parmi eux qui commettent des crimes graves. Pour cela, il faut donner aux forces de sécurité des instructions publiques et claires pour agir immédiatement lorsqu’elles voient des exactions en train d’être commises.
· Cesser immédiatement de prononcer tout discours incitant à la violence, notamment contre le personnel de l’ONU et les personnes originaires de pays de la CEDEAO.
Aux Nations Unies :
· Continuer à renforcer les mesures prises au cours des dernières semaines pour remplir le mandat de l’UNOCI relatif à la protection des civils, notamment en augmentant le nombre de patrouilles dans les quartiers sensibles et en stationnant des unités dans les endroits où des exactions sont le plus susceptibles de se produire. Envisager de prendre des mesures supplémentaires pour protéger les civils à proximité des postes de contrôle établis par la FESCI et les Jeunes Patriotes en particulier, notamment en stationnant des soldats de maintien de la paix à ces endroits ou en envoyant des patrouilles régulières motorisées ou à pied.
· Veiller à ce que la ligne d’assistance téléphonique d’urgence (« hotline ») mise en place par la Division des droits de l’homme pour recevoir les plaintes relatives à des violations bénéficie de ressources suffisantes pour la doter de personnel parlant français et les langues locales pertinentes, 24 heures sur 24. Garantir une communication rapide et efficace entre le personnel de la hotline et les commandants de la force ainsi qu’avec les autres membres du maintien de la paix.
· Recommander le déploiement rapide des 2 000 soldats du maintien de la paix supplémentaires pour la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire récemment approuvés dans les zones où les civils sont particulièrement vulnérables aux attaques.
Au Conseil des droits de l’Homme :
· Surveiller activement la situation en Côte d’Ivoire et veiller à ce que le Haut commissaire fasse un rapport au Conseil à la prochaine session de mars ou, si la situation devait se détériorer davantage, lors d’une session d’urgence.
Contexte
Le 2 décembre, le président de la Commission électorale de Côte d’Ivoire a déclaré Ouattara vainqueur de l’élection présidentielle, avec plus de 54 pour cent des voix. Le Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU pour la Côte d’Ivoire, Choi Young-jin, a certifié ces résultats, conformément aux exigences du Conseil de sécurité et aux accords politiques signés par les protagonistes du conflit ivoirien. Toutefois, Paul Yao N’Dre, le président du Conseil Constitutionnel et allié proche de Gbagbo, a soutenu que la décision n’était pas valable et, moins de 24 heures plus tard, le Conseil a annulé les résultats de la Commission et a proclamé Gbagbo vainqueur.
Le lendemain, Gbagbo a prêté serment, Ouattara procédant immédiatement à la suite à sa propre prise de fonction. Tous deux ont nommé des Premiers ministres et des gouvernements. Une impasse a commencé, avec Gbagbo opérant depuis les bâtiments gouvernementaux et Ouattara ainsi que son gouvernement fonctionnant depuis l’Hôtel du Golf à Abidjan.
Les organismes internationaux ont appelé Gbagbo à se retirer immédiatement, et la CEDEAO ainsi que l’Union africaine ont envoyé de multiples délégations pour tenter de sortir de l’impasse. Le 24 décembre, des dirigeants de la CEDEAO ont indiqué une volonté d’intervenir par la force, si nécessaire, pour faire partir Gbagbo, et les chefs d’état-major militaires des pays de la CEDEAO se sont réunis à Bamako les 17 et 18 janvier pour débattre d’éventuels plans militaires. Certains dirigeants régionaux, toutefois, ont fait clairement savoir qu’ils n’appuieraient pas une option militaire.
L’Union européenne et les États-Unis ont mis en place des sanctions contre Gbagbo et nombre de ses plus proches alliés dans une tentative pour le convaincre d’abandonner le pouvoir. Cependant, Gbagbo continue à défier les pressions diplomatiques et financières croissantes, et la crise marquée par de graves atteintes aux droits humains se poursuit. La Haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a signalé le 20 janvier qu’au moins 260 personnes étaient mortes et 68 autres avaient disparu au cours des violences postélectorales. Abidjan demeure la zone la plus durement touchée, mais les affrontements dans l’extrême ouest du pays ont également fait au moins 30 morts selon les comptes-rendus des médias. Plus de 25 000 réfugiés, la plupart de l’extrême ouest, ont fui en franchissant la frontière du Liberia.
Human Rights Watch, les Nations Unies, et d’autres organismes ont précédemment publié des rapports faisant état de graves atteintes aux droits humains , notamment des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et le recrutement d’enfants soldats par les forces de sécurité fidèles à Gbagbo, notamment les Jeunes Patriotes de Blé Goudé et les rebelles des Forces Nouvelles qui contrôlent la moitié nord du pays, longtemps sous le commandement de Guillaume Soro, nommé Premier ministre dans le gouvernement Ouattara. Aucun compte n’a été rendu pour les crimes graves présumés commis par toutes les parties au cours de la guerre civile de 2002-2003 et dans la période qui a suivi.
Pour consulter d’autres recherches de Human Rights Watch sur la Côte d’Ivoire, veuillez suivre le lien :
http://www.hrw.org/fr/africa/cote-divoire
Pour de plus amples informations, veuillez contacter :
À New York, Philippe Bolopion (français, anglais) : +1-212-216-1276 (bureau) ; +1-917-734-3201 (portable)
À Paris, Jean-Marie Fardeau (français, anglais, portugais) : +33-1-43-59-55-35 ; ou +33-6-45-85-24-87 (portable)