C’est un endroit au nom exotique. Mais, le camp de Budumbura, situé dans le district de Gomoa, se révèle être un terreau de combattants libériens pour Laurent Gbagbo et son régime. Immersion au cœur d’une ville qui est sans l’être vraiment !
C’est un no man’s land, qui ne dit pas son nom. A Budumbura, camp de refugiés, situé à 44 km d’Accra, et perché sur une petite colline qui borde la voie express menant à la capitale ghanéenne, les habitants font la loi. Entre divers trafics et petits boulots, ils semblent vivre en marge de la société ghanéenne.
Dans ce camp de réfugiés, peuplé essentiellement de Libériens, qui abrite aujourd’hui environ 11 000 âmes, on se méfie du visiteur comme de la peste. Comme s’il y avait beaucoup à cacher. Dès que ce curieux franchit la vieille barrière qui sert de portique de sécurité à cette vraie bourgade, les regards deviennent inquisiteurs. « Que vient-il chercher ici ? », semblent demander certains. « Il vient nous espionner », pensent d’autres.
Alors, le « Budumbura Refugee Camp » intrigue. Son architecture rappelle un bidonville, avec des rues sinueuses où ruissellent des eaux usées issues des toilettes, et des maisons, dont certaines sont visiblement des bicoques, érigées sans un plan de lotissement bien défini. « On s’est débrouillé pour construire nos maisons comme on peut », confesse notre guide, un résident de ce camp, qui a requis l’anonymat, pour des raisons évidentes de sécurité.
A Budumbura, il n’y a pas que des logis. Il y a aussi un dispensaire, un commissariat, une école primaire et une autre destinée au secondaire. Bien entendu, des commerces, des buvettes et un terrain de foot où les jeunes peuvent se défouler de temps en temps, histoire de tromper l’oisiveté. Ce camp est aussi, faut-il le reconnaître, un terreau de vices où sexe, alcool et drogue font bon ménage. Surtout le dimanche, jour de bamboula dans ce camp, qui reçoit aujourd’hui en plus des Libériens, des Sierra-léonais, des Ivoiriens. « Ils sont tout au plus 200 et sont venus pour la plupart, à la faveur de la crise de 2002 dans le pays », assure notre informateur.
Dimanche donc, Budumbura sort de sa torpeur. « C’est la joie. Les maquis sont pleins à craquer. Ça joue à fond la caisse la musique, la bière coule à flots et, évidemment, les filles sont là », fait remarquer B.K, un jeune Ivoirien, vivant à Accra qui y vient souvent le week-end.
Dans ce bled, où à chaque jour suffit sa peine, la vie est dure. Les réfugiés ne bénéficiant pas d’aide financière sont obligés de se battre pour joindre les deux bouts. Certains ont choisi, pour avoir de quoi à manger, d’exercer quelques petits boulots. Ils écrasent, pour quelques-uns, des feuilles de manioc dans le marché, ou encore, pour les Ivoiriens, vendent de l’attiéké. Le matin, ils désertent donc le camp, sous l’œil vigilant du commandant Gavivina Tamakro, pour aller à la recherche de leur pitance quotidienne.
Ceux qui y passent la journée, s’occupent, pour certains, en tenant de petits commerces de vivres et d’articles divers. Mais, beaucoup d’entre eux, surtout les jeunes hommes, meublent le temps en fumant au vu et su de tout le monde, la marijuana et autres stupéfiants. « Même des gens extérieurs au camp viennent ici fumer la drogue tranquillement. Certains sont même des gens aisés. Ils viennent dans le camp parce qu’ils sont sûrs de ne pas y être inquiétés » souffle notre informateur.
Un nid de combattants pour Laurent Gbagbo
A Budumbura, il n’y a pas que des gens tranquilles qui essaient péniblement de gagner leur vie, ou encore des femmes qui se battent comme elles peuvent pour ne pas sombrer dans la misère. Dans cette populace de réfugiés, il y a aussi et surtout une foultitude de chiens de guerre. Des «guerriers », comme ils s’aiment à se faire appeler, qui ont livré bataille au Liberia lors de la guerre civile. « Ils sont fiers de clamer haut et fort qu’ils ont fait la guerre et tué des gens » précise notre source. On y trouve donc des ex-combattants de Charles Taylor, ex-chef rebelle puis ex-Chef d’Etat du Libéria, de Prince Johnson, de George Saigbe, ancien chef rebelle devenu aujourd’hui homme politique libérien, et même de Samuel K Doe, ex-président du Libéria.
Et pour échapper à la misère ambiante régnant à Budumbura, beaucoup de ses ex-combattants ont accepté de reprendre du service en…Côte d’Ivoire. Précisément, pour le compte du président Laurent Gbagbo. Depuis octobre 2003, l’ancien chef d’Etat fait son marché de mercenaires à Budumbura. « Oui, ses hommes viennent recruter des combattants ici », avoue, sans sourciller, notre informateur, qui réside dans ce camp depuis son ouverture en 1990, après l’arrivée d’un bateau de réfugiés libériens au large de Tema, la banlieue d’Accra, abritant le plus grand port du pays.
Selon lui, plusieurs centaines de ces chiens de guerre libériens sont partis livrer bataille en terre ivoirienne, quelques semaines après l’éclatement de la crise du 19 septembre 2002. « Certains sont revenus, sains et saufs, d’autres blessés et mutilés. Beaucoup d’entre eux ne sont plus revenus parce que morts au front », fait savoir B.K.
Malgré cette expérience douloureuse, ces mercenaires vont reprendre le chemin de la Côte d’Ivoire, fin novembre 2010, à la faveur de la crise postélectorale. Ils sont au total, d’après notre source, 300 mercenaires libériens à avoir été recrutés par Laurent Gbagbo. Mais au fait comment a-t-il procéder ?
C’est simple, le camp Gbagbo sollicite les services d’un certain Roland Quewea, réfugié, d’origine ivoirienne, se faisant passer pour un Libérien. Enseignant de français dans les deux établissements de Budumbura, celui, qu’on appelle affectueusement « Monsieur » à Budumbura, s’est tissé par sa fonction, de solides amitiés dans ce camp, singulièrement avec les ex-combattants du Libéria. « C’est lui le recruteur officiel des mercenaires pour le président Gbagbo », assure B.K, qui est aussi ami à Roland Quewea.
C’est donc Roland Quewea qui a fourni au régime frontiste, 300 combattants aguerris au massacre. La plupart d’entre eux ont participé à la répression sauvage de la marche du 16 décembre 2010, initiée par le RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix), pour la libération de la RTI (Radiodiffusion Télévision Ivoirienne). La tactique de Roland Quewea est simple. Comme il connaît bien certains chiens de guerre, il les approche naturellement, en leur proposant des espèces sonnantes et trébuchantes, d’aller combattre en Côte d’Ivoire. Ceux-ci se font passer le message de bouche à oreille. Et peu à peu, les volontaires prennent attache avec Roland Quewea. L’homme, qui est sans cesse au téléphone, est en permanence en contact avec les patrons de la Refondation. « Le président Gbagbo l’appelle en personne. Sa femme Simone aussi. Il me l’a dit ouvertement » révèle notre informateur. Roland Quewea fait donc le point de ses prospections dans le camp avec l’ancien Chef d’Etat. Puis, c’est le transfert de l’argent pour les premières primes. En novembre et décembre, les envois ont été si fréquents à Roland Quewea qu’on l’appelle désormais « Western Union », dans le camp. « C’est son nouveau nom ici. Pendant un mois, on lui transférait presque chaque jour de l’argent, d’où ce surnom », explique notre source. Pour autant, Roland Quewea n’a jamais fait de guerre. Ce n’est ni un combattant, encore moins un homme rompu aux armes. « C’est un business man ! Il cherche son argent, car il est payé par Gbagbo et en plus, les mercenaires qu’il envoie en Côte d’Ivoire lui versent une partie de leurs primes», martèle notre informateur qui ajoute que cet homme se fait aujourd’hui épauler par deux autres recruteurs.
Dès que les combattants sont recensés, ils perçoivent, des mains de Roland Quewea, entre 250 000 et 300 000 FCFA, chacun. Une somme qui est destinée, à la popote, pour ceux qui ont femme et enfants, pendant leur absence. Une fois en Côte d’Ivoire, ils recevront 50 000 FCFA par jour. Puis, c’est le départ pour défendre « Papa », qui n’est autre que Laurent Gbagbo. Une consigne : on ne doit pas, par souci de discrétion, prononcer son nom. C’est le papa de tous.
Pour ne pas éveiller les soupçons des autorités ghanéennes, ces « soldats » n’optent pas pour un départ en groupe de Budumbura. Ils quittent, sur la pointe des pieds, par petits groupes, le camp, comme s’ils allaient en ville. Ils empruntent ensuite des minicars, ces fameux « tro-tro ». Direction : Accra. Là, ils embarquent dans des véhicules de transport, des minicars ou même des véhicules personnels, pour Noé, la première ville ivoirienne frontalière du Ghana, où ils sont récupérés tour à tour par les hommes de Gbagbo pour être convoyés à Abidjan. Selon K.B, certains, à leur arrivée à Abidjan, ont été directement conduits au camp d’Akouédo pour être habillés en tenue des forces de défense et de sécurité. « J’ai même vu l’un d’entre eux, qui est revenu à Budumbura fin décembre, faire de la musculation dans un treillis qui portant l’inscription FANCI (Forces Armées nationales de Côte d’Ivoire) », confie t-il.
A Budumbura, beaucoup de légendes entourent certains ex-combattants libériens. On les dit invulnérables aux balles. L’un d’entre eux, d’après K.B, serait doté d’un puissant pouvoir mystique lui permettant de détourner à l’aide d’un chasse-mouche, une roquette. « Ils vantent sans cesse leurs prouesses durant la guerre civile au Libéria. Ce qu’ils ont fait. Parmi eux, certains forcent le respect pour leur puissance et leur ardeur au combat», avoue notre source.
A Accra, même si les autorités feignent de ne rien voir, elles ne ferment pas pour autant les yeux totalement sur Budumbura et les agissements de ces mercenaires. « Une fois, elles ont débarqué dans le camp pour fouiller toutes les maisons », se souvient K.B. En fait, elles recherchaient des armes, que ces chiens de guerre pourraient ramener de leur pérégrination meurtrière en Côte d’Ivoire.
Une frilosité qui contraste avec le blanc-seing accordé à ces hommes qui gagnent leur vie en commettant des atrocités. C’est tout le paradoxe de Budumbura, une terre sans loi…ni foi !
Réalisé par Y. Sangaré, envoyé spécial
Le drame intérieur des autres réfugiés
- Le drame intérieur des autres réfugiés
Ils n’approuvent pas du tout les agissements des ex-combattants libériens qui partent moyenner leur talent de « guerriers » en Côte d’Ivoire. «C’est une situation qui nous désole. Elle jette le discrédit sur tous les habitants du camp», s’indigne un pensionnaire du camp de Budumbura. Mais, ils n’y peuvent rien. Craignant des représailles, ils sont obligés de se murer dans le silence. Un silence parfois lourd à supporter, tant le cœur saigne !
Impuissants, ils assistent donc aux mouvements de ces mercenaires en Côte d’Ivoire. Pis, certains, une fois revenus à Budumbura, se plaisent à raconter, au détour d’une causerie, leur « performance » en terre ivoirienne. «C’est un drame pour nous de les voir se réjouir d’avoir tué et massacré des gens en Côte d’Ivoire», poursuit notre interlocuteur. Pour lui, il est clair que ces chiens de guerre troublent la quiétude des réfugiés de Budumbura.
C’est pourquoi, ceux, qui ont choisi de gagner honnêtement leur vie à Budumbura, souhaitent vivement que les autorités ghanéennes tapent du poing sur la table. Surtout qu’à la différence d’autres pays, c’est l’Etat ghanéen qui accorde unilatéralement le statut de réfugiés, aux demandeurs d’asile. « Elles devraient mener des enquêtes et mettre aux arrêts ceux qui vont faire la guerre en Côte d’Ivoire. Ils font planer une menace sur nous tous », plaide un résident. Car, à Budumbura, il y a d’honnêtes gens, qui ne veulent plus entendre parler de guerre. Eux qui ont tout perdu, au Libéria ou en Sierra-Léone, pour certains, femmes et enfants. Etre à Budumbura, pour ces hommes et femmes, c’est renaître à la vie. Au prix de mille et un sacrifices.
Enfin, l’UNHCR, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui a bataillé pour obtenir ce site, devrait sensibiliser davantage ces chiens de guerre, afin qu’ils ne reprennent plus les armes. C’est à ce prix que Budumbura deviendra une terre d’espoir pour ces réfugiés.
YS
C’est un no man’s land, qui ne dit pas son nom. A Budumbura, camp de refugiés, situé à 44 km d’Accra, et perché sur une petite colline qui borde la voie express menant à la capitale ghanéenne, les habitants font la loi. Entre divers trafics et petits boulots, ils semblent vivre en marge de la société ghanéenne.
Dans ce camp de réfugiés, peuplé essentiellement de Libériens, qui abrite aujourd’hui environ 11 000 âmes, on se méfie du visiteur comme de la peste. Comme s’il y avait beaucoup à cacher. Dès que ce curieux franchit la vieille barrière qui sert de portique de sécurité à cette vraie bourgade, les regards deviennent inquisiteurs. « Que vient-il chercher ici ? », semblent demander certains. « Il vient nous espionner », pensent d’autres.
Alors, le « Budumbura Refugee Camp » intrigue. Son architecture rappelle un bidonville, avec des rues sinueuses où ruissellent des eaux usées issues des toilettes, et des maisons, dont certaines sont visiblement des bicoques, érigées sans un plan de lotissement bien défini. « On s’est débrouillé pour construire nos maisons comme on peut », confesse notre guide, un résident de ce camp, qui a requis l’anonymat, pour des raisons évidentes de sécurité.
A Budumbura, il n’y a pas que des logis. Il y a aussi un dispensaire, un commissariat, une école primaire et une autre destinée au secondaire. Bien entendu, des commerces, des buvettes et un terrain de foot où les jeunes peuvent se défouler de temps en temps, histoire de tromper l’oisiveté. Ce camp est aussi, faut-il le reconnaître, un terreau de vices où sexe, alcool et drogue font bon ménage. Surtout le dimanche, jour de bamboula dans ce camp, qui reçoit aujourd’hui en plus des Libériens, des Sierra-léonais, des Ivoiriens. « Ils sont tout au plus 200 et sont venus pour la plupart, à la faveur de la crise de 2002 dans le pays », assure notre informateur.
Dimanche donc, Budumbura sort de sa torpeur. « C’est la joie. Les maquis sont pleins à craquer. Ça joue à fond la caisse la musique, la bière coule à flots et, évidemment, les filles sont là », fait remarquer B.K, un jeune Ivoirien, vivant à Accra qui y vient souvent le week-end.
Dans ce bled, où à chaque jour suffit sa peine, la vie est dure. Les réfugiés ne bénéficiant pas d’aide financière sont obligés de se battre pour joindre les deux bouts. Certains ont choisi, pour avoir de quoi à manger, d’exercer quelques petits boulots. Ils écrasent, pour quelques-uns, des feuilles de manioc dans le marché, ou encore, pour les Ivoiriens, vendent de l’attiéké. Le matin, ils désertent donc le camp, sous l’œil vigilant du commandant Gavivina Tamakro, pour aller à la recherche de leur pitance quotidienne.
Ceux qui y passent la journée, s’occupent, pour certains, en tenant de petits commerces de vivres et d’articles divers. Mais, beaucoup d’entre eux, surtout les jeunes hommes, meublent le temps en fumant au vu et su de tout le monde, la marijuana et autres stupéfiants. « Même des gens extérieurs au camp viennent ici fumer la drogue tranquillement. Certains sont même des gens aisés. Ils viennent dans le camp parce qu’ils sont sûrs de ne pas y être inquiétés » souffle notre informateur.
Un nid de combattants pour Laurent Gbagbo
A Budumbura, il n’y a pas que des gens tranquilles qui essaient péniblement de gagner leur vie, ou encore des femmes qui se battent comme elles peuvent pour ne pas sombrer dans la misère. Dans cette populace de réfugiés, il y a aussi et surtout une foultitude de chiens de guerre. Des «guerriers », comme ils s’aiment à se faire appeler, qui ont livré bataille au Liberia lors de la guerre civile. « Ils sont fiers de clamer haut et fort qu’ils ont fait la guerre et tué des gens » précise notre source. On y trouve donc des ex-combattants de Charles Taylor, ex-chef rebelle puis ex-Chef d’Etat du Libéria, de Prince Johnson, de George Saigbe, ancien chef rebelle devenu aujourd’hui homme politique libérien, et même de Samuel K Doe, ex-président du Libéria.
Et pour échapper à la misère ambiante régnant à Budumbura, beaucoup de ses ex-combattants ont accepté de reprendre du service en…Côte d’Ivoire. Précisément, pour le compte du président Laurent Gbagbo. Depuis octobre 2003, l’ancien chef d’Etat fait son marché de mercenaires à Budumbura. « Oui, ses hommes viennent recruter des combattants ici », avoue, sans sourciller, notre informateur, qui réside dans ce camp depuis son ouverture en 1990, après l’arrivée d’un bateau de réfugiés libériens au large de Tema, la banlieue d’Accra, abritant le plus grand port du pays.
Selon lui, plusieurs centaines de ces chiens de guerre libériens sont partis livrer bataille en terre ivoirienne, quelques semaines après l’éclatement de la crise du 19 septembre 2002. « Certains sont revenus, sains et saufs, d’autres blessés et mutilés. Beaucoup d’entre eux ne sont plus revenus parce que morts au front », fait savoir B.K.
Malgré cette expérience douloureuse, ces mercenaires vont reprendre le chemin de la Côte d’Ivoire, fin novembre 2010, à la faveur de la crise postélectorale. Ils sont au total, d’après notre source, 300 mercenaires libériens à avoir été recrutés par Laurent Gbagbo. Mais au fait comment a-t-il procéder ?
C’est simple, le camp Gbagbo sollicite les services d’un certain Roland Quewea, réfugié, d’origine ivoirienne, se faisant passer pour un Libérien. Enseignant de français dans les deux établissements de Budumbura, celui, qu’on appelle affectueusement « Monsieur » à Budumbura, s’est tissé par sa fonction, de solides amitiés dans ce camp, singulièrement avec les ex-combattants du Libéria. « C’est lui le recruteur officiel des mercenaires pour le président Gbagbo », assure B.K, qui est aussi ami à Roland Quewea.
C’est donc Roland Quewea qui a fourni au régime frontiste, 300 combattants aguerris au massacre. La plupart d’entre eux ont participé à la répression sauvage de la marche du 16 décembre 2010, initiée par le RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix), pour la libération de la RTI (Radiodiffusion Télévision Ivoirienne). La tactique de Roland Quewea est simple. Comme il connaît bien certains chiens de guerre, il les approche naturellement, en leur proposant des espèces sonnantes et trébuchantes, d’aller combattre en Côte d’Ivoire. Ceux-ci se font passer le message de bouche à oreille. Et peu à peu, les volontaires prennent attache avec Roland Quewea. L’homme, qui est sans cesse au téléphone, est en permanence en contact avec les patrons de la Refondation. « Le président Gbagbo l’appelle en personne. Sa femme Simone aussi. Il me l’a dit ouvertement » révèle notre informateur. Roland Quewea fait donc le point de ses prospections dans le camp avec l’ancien Chef d’Etat. Puis, c’est le transfert de l’argent pour les premières primes. En novembre et décembre, les envois ont été si fréquents à Roland Quewea qu’on l’appelle désormais « Western Union », dans le camp. « C’est son nouveau nom ici. Pendant un mois, on lui transférait presque chaque jour de l’argent, d’où ce surnom », explique notre source. Pour autant, Roland Quewea n’a jamais fait de guerre. Ce n’est ni un combattant, encore moins un homme rompu aux armes. « C’est un business man ! Il cherche son argent, car il est payé par Gbagbo et en plus, les mercenaires qu’il envoie en Côte d’Ivoire lui versent une partie de leurs primes», martèle notre informateur qui ajoute que cet homme se fait aujourd’hui épauler par deux autres recruteurs.
Dès que les combattants sont recensés, ils perçoivent, des mains de Roland Quewea, entre 250 000 et 300 000 FCFA, chacun. Une somme qui est destinée, à la popote, pour ceux qui ont femme et enfants, pendant leur absence. Une fois en Côte d’Ivoire, ils recevront 50 000 FCFA par jour. Puis, c’est le départ pour défendre « Papa », qui n’est autre que Laurent Gbagbo. Une consigne : on ne doit pas, par souci de discrétion, prononcer son nom. C’est le papa de tous.
Pour ne pas éveiller les soupçons des autorités ghanéennes, ces « soldats » n’optent pas pour un départ en groupe de Budumbura. Ils quittent, sur la pointe des pieds, par petits groupes, le camp, comme s’ils allaient en ville. Ils empruntent ensuite des minicars, ces fameux « tro-tro ». Direction : Accra. Là, ils embarquent dans des véhicules de transport, des minicars ou même des véhicules personnels, pour Noé, la première ville ivoirienne frontalière du Ghana, où ils sont récupérés tour à tour par les hommes de Gbagbo pour être convoyés à Abidjan. Selon K.B, certains, à leur arrivée à Abidjan, ont été directement conduits au camp d’Akouédo pour être habillés en tenue des forces de défense et de sécurité. « J’ai même vu l’un d’entre eux, qui est revenu à Budumbura fin décembre, faire de la musculation dans un treillis qui portant l’inscription FANCI (Forces Armées nationales de Côte d’Ivoire) », confie t-il.
A Budumbura, beaucoup de légendes entourent certains ex-combattants libériens. On les dit invulnérables aux balles. L’un d’entre eux, d’après K.B, serait doté d’un puissant pouvoir mystique lui permettant de détourner à l’aide d’un chasse-mouche, une roquette. « Ils vantent sans cesse leurs prouesses durant la guerre civile au Libéria. Ce qu’ils ont fait. Parmi eux, certains forcent le respect pour leur puissance et leur ardeur au combat», avoue notre source.
A Accra, même si les autorités feignent de ne rien voir, elles ne ferment pas pour autant les yeux totalement sur Budumbura et les agissements de ces mercenaires. « Une fois, elles ont débarqué dans le camp pour fouiller toutes les maisons », se souvient K.B. En fait, elles recherchaient des armes, que ces chiens de guerre pourraient ramener de leur pérégrination meurtrière en Côte d’Ivoire.
Une frilosité qui contraste avec le blanc-seing accordé à ces hommes qui gagnent leur vie en commettant des atrocités. C’est tout le paradoxe de Budumbura, une terre sans loi…ni foi !
Réalisé par Y. Sangaré, envoyé spécial
Le drame intérieur des autres réfugiés
- Le drame intérieur des autres réfugiés
Ils n’approuvent pas du tout les agissements des ex-combattants libériens qui partent moyenner leur talent de « guerriers » en Côte d’Ivoire. «C’est une situation qui nous désole. Elle jette le discrédit sur tous les habitants du camp», s’indigne un pensionnaire du camp de Budumbura. Mais, ils n’y peuvent rien. Craignant des représailles, ils sont obligés de se murer dans le silence. Un silence parfois lourd à supporter, tant le cœur saigne !
Impuissants, ils assistent donc aux mouvements de ces mercenaires en Côte d’Ivoire. Pis, certains, une fois revenus à Budumbura, se plaisent à raconter, au détour d’une causerie, leur « performance » en terre ivoirienne. «C’est un drame pour nous de les voir se réjouir d’avoir tué et massacré des gens en Côte d’Ivoire», poursuit notre interlocuteur. Pour lui, il est clair que ces chiens de guerre troublent la quiétude des réfugiés de Budumbura.
C’est pourquoi, ceux, qui ont choisi de gagner honnêtement leur vie à Budumbura, souhaitent vivement que les autorités ghanéennes tapent du poing sur la table. Surtout qu’à la différence d’autres pays, c’est l’Etat ghanéen qui accorde unilatéralement le statut de réfugiés, aux demandeurs d’asile. « Elles devraient mener des enquêtes et mettre aux arrêts ceux qui vont faire la guerre en Côte d’Ivoire. Ils font planer une menace sur nous tous », plaide un résident. Car, à Budumbura, il y a d’honnêtes gens, qui ne veulent plus entendre parler de guerre. Eux qui ont tout perdu, au Libéria ou en Sierra-Léone, pour certains, femmes et enfants. Etre à Budumbura, pour ces hommes et femmes, c’est renaître à la vie. Au prix de mille et un sacrifices.
Enfin, l’UNHCR, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui a bataillé pour obtenir ce site, devrait sensibiliser davantage ces chiens de guerre, afin qu’ils ne reprennent plus les armes. C’est à ce prix que Budumbura deviendra une terre d’espoir pour ces réfugiés.
YS
