Le capitaine Alla Kouakou Léon, porte-parole du ministre de la Défense, était mercredi dernier, l'invité de la Tci (Télé Côte d'Ivoire), pour faire le point des massacres faits par des Fds fidèles à Laurent Gbagbo sur les populations, ces 72 dernières heures à Abidjan. Il clarifie tout et demande à ses frères d'arme de “prendre conscience”.
Pouvez-vous nous faire le constat sur la vie des Ivoiriens à l'heure actuelle?
C'est un chaos ! Quand les Ivoiriens entrent dans leurs chambres, ceux qui ont eu la chance de passer la journée, se demandent bien s'ils vont revoir le jour. Puisque des miliciens sont prêts à les sortir de leurs chambres, de leurs cachettes, pour les abattre. Voilà l'ambiance générale dans laquelle vivent les Ivoiriens et toutes les personnes qui ont aimé ce pays. Une ambiance de terreur !
Expliquez-nous le cas particulier d'Abobo et pourquoi toujours Abobo ?
Ce sont eux-mêmes qui ont créé des génies ! Ce sont eux-mêmes qui ont inventé ces génies ! Mais qui sont ces génies ? Ce sont les populations elles-mêmes. A force d'être terrorisées, à force d'être harcelées, comme je le disais tantôt sur une chaîne, un homme, quand il est dans cet état là, ne se sent plus homme ; c'est son instinct animal qui ressurgit ! Et face au danger, quel que soit le danger, il n'a peur de rien. Alors ce sont ces populations-là, parce qu'elles se disent qu'elles n'ont plus rien à gagner, ni à perdre, qui arrachent courageusement des armes (ou elles vivent ou elles meurent), qui se défendent et, qui résistent. Ce sont des hommes qui défendent leurs femmes tout comme des femmes qui défendent leurs maris, leurs époux et leurs enfants. Voilà l'ambiance d'aujourd'hui à Abobo.
Alors qu'est-ce qui se passe exactement aujourd'hui à Abobo, je vous repose la question?
On parle de commandos invisibles ! Mais, il n'y a pas de commandos invisibles. Il n'y a pas de commandos invisibles à Abobo, ce sont les populations qui se défendent. C'est aussi, une partie des Forces de défense et de sécurité éprise de paix et de justice qui ne peut plus supporter cette situation et donc, aux côtés de leurs pères, de leurs mères, de leurs frères défendent ces pseudo Fds doublés de la casquette de miliciens ou même de mercenaires qui tuent, qui tuent et qui tuent…
Que répondez-vous à ceux qui affirment qu'il y a des éléments des Forces nouvelles qui se sont introduits dans la commune d'Abobo ?
Par quel moyen ces Forces nouvelles ont-elles pu s'introduire dans ces quartiers ? Par quel moyen les Forces nouvelles ont-elles pu accéder à Abidjan ? Il n'y a plus en Côte d'Ivoire des Forces dites nouvelles. S'il y a des Forces nouvelles, pourquoi ne parle-t-on pas de forces anciennes ? Il n'y a plus de forces dites Forces nouvelles, il n'y a plus de forces dites forces loyalistes. Il existe des Forces de défense et de sécurité de Côte d'Ivoire dans des unités et cela a été prévu par l'accord politique de Ouagadougou, dans son accord complémentaire quatre. Ce qui nous a d'ailleurs permis d'aller aux élections. Ce qui a permis aux Forces de défense et de sécurité des unités d'Abidjan, de Yamoussoukro, de Daloa, de Tiébissou, de Bouaflé, d'Issia, de Gagnoa, de Duékoué et dans les circonscriptions du centre et du nord de notre pays de jouer un rôle républicain. Et donc, nous étions en train de tendre vers la fin de ce processus de réunification, bien entendu cela devrait prendre véritablement forme avec la fin des élections, mais malheureusement, nous savons tous ce qui est arrivé.
Aujourd'hui (hier mercredi), il y a encore eu de violents affrontements à Abobo…
Ces mouvements ont atteint un paroxysme depuis hier (ndlr : mardi) où, près d'une vingtaine des membres des Forces de défense et de sécurité sont tombés. Mais, les Forces de défense et de sécurité tombent tous les jours de toutes façons. Mais pourquoi tombent-elles ? C'est parce que quand on les envoie, elles ne savent pas s'envoyer elles-mêmes, c'est pour cela qu'elles tombent. Quand on vous envoie, sachez vous envoyer ! Vous a-t-on dit. Si vous ne le faites pas, vous tombez ! Parlant de la situation particulière d'hier, les corps des forces de défense et de sécurité tombés sur le terrain sont encore exposés.
Où ?
A Abobo…
Mais à quel endroit d'Abobo ?
Mais qu'ils aillent les chercher parce que ce sont eux qui ont créé leurs monstres. Peut-être que leurs corps resteront là parce qu'ils n'ont pas pu s'envoyer eux-mêmes. Il n'y a pas de distinction à faire, il n'y a pas de catégorisation à faire entre les chefs qui sont tombés et leurs subordonnés. Je voudrais indiquer que, le capitaine Kassy de la gendarmerie nationale est tombé, un adjudant de la gendarmerie aussi, deux autres sous-officiers sont tombés, plusieurs sous-officiers de notre police nationale sont tombés et, personne n'est en mesure de lever son petit doigt pour aller récupérer le corps de ces pauvres jeunes gens. Et leurs familles attendent d'être informées. Je ne parle même pas d'informations qu'elles attendent mais, les enfants, les épouses attendent toujours leur retour.
Mais, partis où ?
Ils sont partis en mission comme cela s'est passé en 2002, jusqu'à ce que les combats s'arrêtent en 2003-2004. C'est encore des veuves, des orphelins, qui se feront expulsés manu militari dans quinze jours, un mois comme cela s'est passé en 2002 de leurs domiciles. Qu'est-ce que mes frères d'arme attendent pour se poser réellement la question : où va notre pays ? Officiers qu'ils sont, quand arriveront-ils à se poser cette question ?
Quelle est la position des Fds dans tout cela ?
Les forces de défense et de sécurité, je préfère ne pas rentrer dans certains volets de ce débat qui doit être consacré à d'autres autorités. Seulement, je puis vous dire qu'ils ont voté à plus de 60% dans les casernes. Nous avons salué le général Mangou pour cela d'ailleurs. Parce qu'il a sillonné les casernes depuis la crise jusqu'aux élections pour nous sensibiliser sur le fait qu'il ne doit plus avoir de coup d'Etat dans les pays d'Afrique, en Afrique occidentale en général mais, en Côte d'Ivoire en particulier. Nous avons salué cet acte. C'est pour cette raison que, les militaires dans leur ensemble ont accompagné le processus démocratique dans notre pays. Et c'est pour cela, qu'ils se sont donnés corps et âme. C'est pour cela que quand ils ont été désignés pour aller à l'Est, à l'Ouest, au Nord alors même qu'il n'y avait pas assez de moyens, ces braves soldats ont couru pour aller accomplir leur mission parce que le pays les appelait.
Il y a Abobo mais, il y a aussi Koumassi où ont eu de violents affrontements, hier (lundi) et cet après-midi (mardi), ou même depuis ce matin Treichville. Quelle est votre position dans tout cela ?
Le constat est que c'est une situation de guerre qu'on réserve aux Ivoiriens. C'est une recette qui ne peut pas être consommée par les Ivoiriens. Utiliser des armes de guerre, utiliser des roquettes contre les populations cela est inacceptable ! Et, je ne pense pas que ce soit des forces de défense et de sécurité dignes de ce nom qui le font, je ne le pense pas ! Je ne pense pas que ce sont ces hommes qui ont été formés qui font ce travail mais, ce sont des gens qui ont été recrutés à dessein. Des mercenaires qui perçoivent un à deux millions Fcfa par jour, en espèce pendant que, des officiers, des sous-officiers, des militaires du rang qui ont été formés, des officiers, des sous-officiers, des commissaires de police qui ont été formés ont du mal à toucher leurs miettes qui sont dans leur épargne. Il n'arrive pas à retirer leur argent et ils vont mourir.
Comment ça ?
Ils vont mourir parce que quand ils partent en mission ils n'en reviennent plus.
Comment expliquez-vous que pour de simples manifestations, vous l'avez dit tout à l'heure, on tire à balles réelles sur des individus aux mains nues?
C'est ce que les officiers doivent chercher à arrêter. Je lance cet appel de manière pressante. Que cela s'arrête ! Parce que les Ivoiriens n'ont pas besoin de ça. La Côte d'Ivoire est devenue aujourd'hui une partie du monde parce qu'elle suit le rythme de la globalisation. Et nous militaires, nous soldats de la patrie, nous devrons accompagner ce processus de démocratisation de nos régions, de nos départements, de nos pays. Nous en Côte d'Ivoire, nous avons été formés pour cela. Nous avons tellement appris la leçon que les moments de campagne électorale étaient transformés en des jours de fête ; à tel point qu'on ne reconnaissait même pas militants de tel parti ou militants de tel autre parti. On se balançait les sachets d'eau, on dansait au son des différents rythmes et nous les militaires nous avons accompagné cela parce que depuis plus de dix ans, nous n'avons plus de vie de famille. Nous ne savons plus ce que c'est que pour l'officier la saharienne (une des tenues prestigieuses). Les sous-officiers ne connaissent même plus la tenue claire (que ce soit à la gendarmerie ou à la police, dans l'armée de terre, à la marine ou au sapeur-pompier ou dans l'armée de l'air).
Faut- il craindre le pire si les manifestations continuent ?
Non ! Je suis optimiste parce que les Ivoiriens dans leur ensemble, les soldats de la patrie en particulier, mes frères d'arme que je connais sont capables de sursaut. Capables de sursaut parce que, nos parents n'ont pas droit à cela. Nous nous sommes battus pour la République quand il y a eu la crise en 2002. Nous nous sommes battus pour apporter notre soutien aux autorités qui incarnent cette République, notre soutien aux Institutions mais, il est de notre devoir de faire en sorte que les populations puissent savoir un jour que ces autorités qu'elles ont élues. Notamment le nouveau chef de l'Etat, SEM. Alassane Ouattara, que ces populations sachent qu'un jour cette autre autorité va retrouver ses bureaux, va retrouver sa résidence.
Avez-vous un message à lancer à vos collègues Fds ?
C'est un message de prise de conscience. Que nous sachions que nous avons été formés pour accompagner les populations même pour aller au champ. Donc, nous n'avons pas le droit de les lâcher, nous n'avons pas le droit d'utiliser même les jouets d'enfants pour les effrayer à plus forte raison, des roquettes. Alors que des mercenaires, des gens qui n'ont aucune connaissance de notre métier, sont habillés et seulement instruits que pour appuyer sur la détente une fois l'arme chargée. Que nous soyons d'accord et unanimes pour dire NON ! Pour dire NON et que les populations ivoiriennes n'ont pas droit à ce traitement, un traitement si humiliant, si déshonorant.
Cette émission va prendre fin, quelles sont les notes sur lesquelles pouvez-vous conclure ?
Le Premier ministre, ministre de la Défense de la République de Côte d'Ivoire, M. Guillaume Kigbafory Soro a évoqué la révolution ivoirienne, il l'a dit, c'est vrai, mais il osait espérer que, ceux qui campent sur leurs positions se ressaisissent, au nom de la démocratie. Mais depuis, les appels se succèdent sans suite pacifique. Nous voyons les populations de plus en plus comme une sauce qu'on dépose sur le feu qui commence à bouillir ; les populations commencent à se soulever, à revendiquer, les populations ne voient plus le danger devant elles. Mais ce qui est intéressant à savoir c'est que les Forces de défense et de sécurité de Côte d'Ivoire prennent aussi conscience qu'elles doivent aussi accompagner ces populations qui ne sont autres que leurs parents, pour retrouver la paix définitive dans notre pays.
Propos recueillis sur Tci par BK